Pour l'amour du Ciel ~ Partie I

La femme aux cheveux blonds m'avait dit que c'était normal.

Moi, j'avais plutôt l'impression de me perdre dans les limbes du vide qui envahissait ma propre tête.

Il était étrange de se réveiller un jour sans que rien n'habite son propre esprit, même pas un écho, une miette de souvenir, un fragment d'émotion. C'est comme si on se réveillait nouveau né, avec la particularité de savoir déjà lire, écrire, parler et raisonner. On se sent comme un bambin ayant grandi trop vite, un enfant dans le corps d'un adulte, ou peut-être un adulte un peu trop simplet? Je ne saurai le dire.

Dès que cette femme aux longs cheveux blonds s'était penchée sur moi, son nom avait pourtant presque fusé au fond de mon crâne.

- Tsunade.

Et c'était tout.

J'avais froncé les sourcils et ouvert la bouche pour ajouter quelque chose, mais cette pensée volatile s'échappa d'entre mes doigts, comme si je tentai d'attraper de l'air. 

Je ne me souvenais plus.

J'avais pourtant son nom bien en tête, et son visage m'était familier. Je la connaissais.

Pourtant, je ne savais pas qui elle était. Dès que je tentai d'approfondir ce que j'étais censée savoir sur elle, ça m'échappait. C'est comme si ma propre tête refusait de me laisser ouvrir les tiroirs de ma propre mémoire, me laissant là, avec la seule présence d'un visage et d'un nom, perdue dans la carence manifeste de mon esprit. 

Tout le reste était noir.

Alors, dans un élan de panique, j'avais songé à ma propre existence. Savais-je seulement qui j'étais?

Alors, mon nom et mon visage firent irruption dans mon esprit. Cela m'avait rassurée. Mais lorsque je réfléchissais au reste...

Je ne me souvenais plus.

Bizarrement, je n'avais pas été particulièrement déboussolée. On en entend beaucoup parler, de ces amnésiques qui plongent droit en Enfer parce que tout un pan de leur vie s'est volatilisée, parce qu'ils ne savent plus qui ils sont.

C'était, bien sûr, à condition d'avoir un jour su qui ils ont été, et d'en ressentir le manque évident. Pour ma part, je crois que je n'ai jamais su. C'est peut être pour cela que Tsunade, qui m'avait confirmé son nom avec de grands yeux interloqués, avait paru surprise de ne pas me voir sombrer dans les méandres d'une atroce angoisse. 

Parce que sans trop savoir pourquoi, je me sentais soulagée de voir ma tête aussi vide. Oh oui, si soulagée. Affranchie de quelque chose dont je n'avais plus conscience. Et je me sentais bien.

J'étais comme un nouveau-né. 

Qui découvre le monde, où tout lui est offert. Curieux, mais aussi très peu familier avec les émotions, les sensations. Très malléable, de part son ignorance du monde et des gens, et fasciné après chaque découverte, chaque nouvelle étape franchie. J'avais l'impression qu'on m'avait offert la possibilité de vivre pour la deuxième fois comme si c'était la première, avec les avantages de ne pas avoir à passer par les lourdes étapes de l'enfance et de l'adolescence. Je ne savais pas ce que j'avais perdu, parce que j'en avais pas conscience. Je ne savais pas qui j'étais, mais j'avais la chance de pouvoir me construire comme je l'entendais.

Parce que je ne me souvenais plus. De personne, ni même de moi. Je n'avais pas d'histoire, et les autres non plus. Il ne me restait plus qu'à écrire la vie que je voulais avoir, sans les chaines d'un passé peut être trop douloureux, sans les entraves sociales que j'aurai pu avoir.

J'étais libre.

***

C'est lorsque Tsunade m'ausculta, en passant ses doigts fins sur mon poignet pour prendre mon pouls, en changeant les bandages autour de ma tête, que je compris qu'elle était médecin. Pas parce que ses gestes s'y apparentaient manifestement, mais plutôt parce que je le sentais dans ma chair. Elle était médecin, c'était évident. Comme si je l'avais toujours su. Mais avant qu'elle ne me touche, je ne l'aurai jamais imaginé.

Elle avait diagnostiqué une amnésie, qui selon elle était inqualifiable de part le fait que je ne me souvenais de rien, absolument rien, à part le visage et le nom de chacun. J'avais reconnu ainsi la femme qui collait toujours Tsunade comme étant Shizune, et l'adolescente au cheveux roses qui trainait souvent à l'hôpital aussi, Sakura. Tsunade avait toujours un drôle d'air sidéré en me voyant faire ça, et marmonnait dans sa barbe qu'elle n'avait jamais vu un cas pareil. Elle m'avait fait faire plein de tests, allant des jeux d'éveils jusqu'aux test de QI, en passant par de la lecture, de l'écriture, des examens sur ma motricité et même sur mon langage. 

Le verdict avait été que j'avais les capacités mentales et physiques d'une adulte de 25 ans, avec des compétences de base profondément acquises, des reflexes absolument normaux. Avec, pour seul bémol, le fait que l'entièreté de mes souvenirs étaient vacants, tout comme ma mémoire émotionnelle, puisque j'avais du mal à gérer et à identifier chacune des sensations qui effleuraient mon corps stérile. Je savais ce qu'était en théorie la joie, la peur, la colère, la tristesse. Mais je n'avais aucune idée de ce que c'était, réellement. J'avais l'impression de ne jamais avoir rien ressenti, et je réagissais aux aléas de ma petite vie à l'hôpital soit très peu, soit beaucoup trop, parce que je ne savais pas ce que c'était, parce que je n'avais aucune idée de comment les gérer. J'avais les capacités émotionnelles d'une cuillère à café, et Tsunade en restait coite, apparemment.

Je ne fus pas étonnée d'entendre parler de shinobi, de chakra, de ninjutsu. Ni lorsque Tsunade m'expliqua qu'elle était aussi le chef d'un village appelé Konoha, que nous y étions actuellement, que la plupart des gens qui gravitaient ici étaient soldats par le simple fait qu'ils savaient faire quelques signes de la main, ou ce genre de choses. Elle s'était attendue à me voir froncer les sourcils, à lui poser des questions, d'après la moue frustrée qu'elle afficha, mais au fond de moi, rien ne m'étonna, parce qu'à partir du moment où elle me l'avait dit, j'avais l'impression de l'avoir toujours su. Je réagis un peu plus lorsqu'elle m'annonça que moi même, j'étais l'une des protectrices de ce village inconnu de mon esprit, que je savais lancer des sorts, créer des illusion, invoquer des créatures, et que c'était là la cause de mon état actuel.

Ma réaction fut minime, mais notable. J'avais eu l'impression de recevoir une légère tape sur la joue, comme si on m'avait gentiment disputée. Apprendre ce qu'étaient les autres ne m'inspirait rien, parce qu'ils n'étaient que des inconnus avec pour seules particularités un nom et un visage. Mais moi, moi, je ne voulais pas savoir qui j'étais. Je ne voulais pas qu'on accroche une étiquette sur moi, qu'on me dise ce que j'étais censée être, ce que je suis censée faire. Je ne voulais être l'esclave que de me moi même.

J'avais réfléchis alors au pourquoi de cette répulsion envers la "moi" d'avant. Avec toutes ces choses qu'on me disait être, alors que je ne l'avais jamais expérimenté. Je refusais de prendre pour argent comptant ce que Tsunade racontait sur ma propre personne, parce que je n'avais jamais vécu ça. Ce n'était pas moi. Moi, c'était encore ce qui rendait tout possible, c'était encore quelque chose à modeler comme bon me semblait. Ce n'était pas ce quelqu'un qu'on me disait être, cette femme ninja accomplie, qui arpentait les routes et ses dangers pour un idéal qui m'était inconnu. Parce que cette personne n'était plus moi, parce que je ne voulais plus l'être, parce qu'à mes yeux, elle ne l'avait jamais été.

Malgré mes réticences, le chef du village qui était censé être le mien me fit part d'une théorie qui aurait pu expliquer mon aversion envers mes souvenirs perdus. J'écoutai d'une oreille distraite le récit d'une mission qui aurait mal tourné, de torture et de douleur si affligeants que la personne que j'étais aurait décidé de s'amputer de sa propre mémoire, pour ne pas vivre avec l'ombre de ses atrocités à chacun de ses pas. Si je refusai d'accepter celle que j'étais, c'était simplement parce tout cela se trouvait au delà des limites du supportable, du vivable. D'après Tsunade, je me protégeais en me repoussant moi même. 

J'avais ouvert la bouche pour râler, mais mon regard avait croisé ses yeux habituellement habités d'une chaleur déterminée à présent animés d'une lueur amère, presque acide.

Pour la première fois depuis ma nouvelle naissance, je m'étais sentie profondément mal.

Parce que dans ces yeux là, j'avais cru voir une seconde le profond, insoutenable regret de ne pas avoir celle que j'étais avant, là, assise sur ce lit d'hôpital à ma place.

***

- Pourquoi, bon sang, pourquoi vous ne me l'avez pas dit?

J'étais assise sur mon lit, détaillant les bandages tout le long de mon corps qui témoignaient de l'état pitoyable dans lequel mon ancienne moi m'avait laissée, lorsque j'entendis ces éclats de voix et le bruit de pas précipités dans le couloir de l'hôpital.

- Attend! Je t'ai dit d'attendre, Ka...

La porte de ma chambre s'ouvrit brusquement à la volée.

Avant que je n'ai le temps d'identifier l'étrange homme masqué et essoufflé qui avait fait irruption à quelques mètres de moi, je me retrouvai enfermée dans deux bras puissants, tandis qu'une voix rauque souffla mon nom à mon oreille avec les échos d'un soulagement plus que palpable.

Je restai figée face à l'étreinte véhémente de cet inconnu qui me laissait interloquée. Je n'avais aucune idée de la façon de réagir à ces mains pressées contre mon dos, qui me compressèrent auprès d'un torse chaud habillé d'une veste verte, à ce nez dans mon cou, dont le souffle brûlant heurtait ma peau malgré qu'il fusse masqué de noir.

Pour riposter à l'incrédulité qui s'était emparée de moi, je me concentrai pour mettre un nom sur cette silhouette masculine qui m'avait prise entre ses bras.

Des cheveux d'un gris presque argenté me chatouillaient la joue. Un masque mystérieux. Et un unique œil noir, dont j'avais pu entr'apercevoir l'éclat tandis qu'il fonçait sur moi.

Alors, un prénom fusa automatiquement dans le vague de mon esprit.

Kakashi.

- Vous... Vous êtes Kakashi.

Je sentis l'homme masqué se raidir contre moi. Il recula lentement, détachant ses bras de ma silhouette en les laissant retomber piteusement le long de son corps. Lorsque je levai la tête pour rencontrer cet œil noir de mon regard, j'y pus lire un éclair de douleur.

Mon cœur se froissa sans que je ne comprenne pourquoi je m'en voulais tant d'avoir blessé cet homme étranger avec ces quelques mots inoffensifs.

- Je t'avais dit d'attendre.

Une Tsunade au souffle court fit son apparition dans ma chambre. L'homme argenté se tourna vers elle et je pus discerner toute son incrédulité sur son visage au trois quarts dissimulé.

- Qu'est ce qu'elle a?

Cette voix lente et grave qui avait murmuré mon nom à mon oreille était à présent plus froide, vacillante. Je vis Tsunade faire signe à l'homme masqué de s'asseoir sur la chaise près de mon lit tandis qu'elle-même s'affalait sur l'immaculé de mes draps. L'argenté s'exécuta d'un pas las, et après avoir tiré la chaise à une distance respectable de moi comme si j'avais subitement été atteinte d'une maladie terriblement infectieuse, il écouta sans piper mot la chef du village survoler la gravité apparente de mon état actuel en ma propre présence.

L'homme au masque ne me regarda pas une seule fois.

Après deux minutes extrêmement gênantes où Tsunade parla de moi comme si je n'étais pas là, l'argenté se leva.

- Je voudrais vous parler. En privé.

Il disparut derrière la porte aussi vite qu'il était venu. J'entendis Tsunade soupirer profondément, et tandis qu'elle se levait à se tour pour répondre à la demande de mon visiteur intempestif, je lui attrapai subitement le bras.

- Dites, il s'appelle bien Kakashi?

Elle acquiesça tristement.

- Qu'est ce que j'ai fait de mal, alors?

Tsunade plongea son regard profondément dans le mien. Elle semblait dépassée. Bon sang, pourquoi tous ces gens semblaient aussi abattus?

- Rien, ne t'en fais pas.

Elle elle partit à son tour.

***

Le lendemain, ma porte s'ouvrit de nouveau à la volée. Mais au lieu d'une tignasse emmêlée d'un argent pur et d'un masque noir et taciturne, ce fut cette fois à la place une crinière aux épis blonds et un sourire aussi lumineux que le lever de jour.

- Sensei, vous allez bien?!

Au moins, ce gamin avait la décence de me faire part de mon statut d'emblée; cela m'évitait la gêne atroce que j'avais dû expérimenter la veille. Et rien que de voir ce garçon sautiller dans l'espace clos et fade de ma chambre, je sus instinctivement qu'il s'appelait Naruto.

Avant d'avoir pu le saluer, l'adolescent lumineux me sauta dans les bras. J'imagine que la moi d'avant aurait été émue de voir autant de gens tenir si fort à elle.

Naruto me confirma son nom sans que l'amertume ne fasse irruption sur son visage. C'en était rafraichissant de voir quelqu'un qui n'était pas désolé pour mon cas, et durant les quelques heures où il illumina la pâleur de ma monotonie, je n'eus pas besoin de culpabiliser une seule fois pour celle que je n'étais plus. Je grimaçai souvent lorsqu'il mentionnait ce que j'avais été, mais je m'étais faite à l'idée qu'on ne puisse pas démanteler cette image qui se superposait à la mienne. Ma curiosité de ce monde s'éveillait doucement, et je me disais qu'en savoir plus sur cet univers dans lequel j'avais atterri, quitte à devoir supporter la vision obsolète de moi même que les autres avaient, ne me serait jamais rien d'autre que profitable.

L'homme au masque était appuyé dans l'entrebâillement de ma porte tandis que le blond me faisait part de sa dernière mission dont je n'avais aucunement saisi les tenants et les aboutissants, et gardait le regard rivé sur le petit livre à la couverture orange criarde entre ses mains. C'est comme s'il faisait uniquement partie de la décoration. Lorsqu'il fut temps pour l'adolescent de me laisser, le susnommé Kakashi finit par lever les yeux qui croisèrent instantanément les miens, et un nouvel éclair de douleur y fit irruption. Et c'était étrange comme cette souffrance palpable dans l'onyx de son regard sembla comprimer mon palpitant dans le fond ma poitrine, comme si ma simple existence avait le pouvoir de le supplicier et que je m'en voulais pour ça, sans jamais savoir pourquoi.

***

Cet homme au regard torturé venait me voir si souvent que je m'en demandais s'il n'était pas masochiste. Il accompagnait méticuleusement chacun de mes visiteurs, mais s'évertuait à rester dans son coin, sans jamais prononcer un mot et évitant toujours soigneusement mon regard. Mais à chaque fois que je parlais, à chaque fois que je bougeais, j'avais l'impression de lui laver la tête avec du plomb par la même occasion, par la façon dont son unique œil visible se fermait comme pour pouvoir mieux supporter la douleur, par l'image de ses épaules qui s'affaissaient toujours plus à chaque seconde passée en ma présence. Moi qui était adepte du renouveau, l'air saturé de son amertume me rendait malade, et la souffrance qu'il trainait avec lui et qui gonflait encore et encore comme si j'en étais la seule responsable faisait monter en moi un puissant sentiment d'injustice. Je n'avais aucune envie d'assumer cette culpabilité qui naissant en moi à chaque fois, et qui n'était même pas la mienne.

Personne ne voulait jamais me parler de cet homme aux cheveux argentés, de qui il était ni du pourquoi il était toujours là, à me faire manger sa souffrance à la petite cuillère la plupart du temps. J'en étais profondément déstabilisée, et j'étais presque certaine que tout le monde autour de moi était en train de monter un complot pour me cacher quelque chose d'important. Et inconsciemment, je savais que cela concernait le ninja torturé aux cheveux argentés.

Ce jour là, je réapprenais à marcher. Tsunade m'avait formellement interdit de tenter de me déplacer seule hors du cadre de ma rééducation, mais je commençais doucement à ne plus tenir en place et l'inactivité constante de ma vie encore si creuse ne faisait qu'accentuer le vide absolu de mon existence qui était entièrement à refaire. Je ne rêvais plus que de voir le monde extérieur, découvrir de mes propres yeux ces choses de la vie qui ne sont vraies que parce qu'on les a vécues, parce que j'avais les yeux d'un nouveau-né dans dans un corps trop grand pour lui.

Alors dès qu'on me lâchait les basques, je me levais doucement et tentai de réapprendre à marcher seule en me tenant contre les murs maussades de ma chambre mais qui avaient au moins l'avantage d'être bien plus résistants que moi. Je pestai contre la moi d'avant qui m'avait laissée presque en lambeaux, au point que me tenir debout me donnait l'impression d'être aspergée de braises et que faire un pas en avant était un exploit aussi prodigieux que de trainer derrière soi un boulet de pierre deux fois plus grand que ma maudite chambre d'hôpital. Tsunade m'avait enfin enlevé mes bandages il y a peu, et j'avais découvert avec stupeur que chaque recoin de mon anatomie portait la trace cuisante d'une horreur indescriptible que je n'avais même pas vécue. J'en avais été profondément perturbée durant quelques jours; comment recommencer sa vie tandis que son corps était déjà écorché par les atrocités d'une existence perdue? Je n'avais pas vécu ça. Peut-être devrais-je remercier mon ancienne moi de m'avoir évité le calvaire des souvenirs atroces qui auraient dû s'accompagner de ces marques abominables sur chaque parcelle de ma peau, mais à cet instant, j'avais simplement l'impression d'emprunter un corps qui n'était pas le mien.

Parce que là, j'avais foutrement mal. Je m'appuyais sur le mur comme à une béquille, même si c'était moins pratique. Mes genoux tremblaient, et la douleur qui me montait dans les jambes et qui semblait s'étendre et irradier les veines de mon corps tout entier obscurcissait ma vue. Tsunade avait peut-être raison; ce n'était pas très prudent d'essayer de marcher seule dans un corps esquinté sans l'aide d'un pro pour vous apprendre à vous servir de vos propres membres. J'avais la rage de ne pas savoir faire quelque chose d'aussi naturel que de simplement tenir debout, bon sang, mais là, je sentais que j'étais sur le point de défaillir. Et je ne savais même pas si j'étais capable de me relever.

Mes jambes finirent par me lâcher. Je fermais les yeux en attendant que le sol vienne m'assommer au même titre que la douleur insoutenable qui brûlait ma chair, mais à la place du parquet, mon nez rencontra une surface plus douce, plus souple, malgré le fait qu'elle soit dure, elle aussi. 

- Je pense pas que Tsunade t'ait permis de faire ça.

Je respirai fort et mes oreilles bourdonnaient dangereusement, si bien que je ne reconnus pas tout de suite la voix lente et grave qui venait de résonner à mes oreilles et cette veste verte juste devant mes yeux que j'avais confondu avec le parquet.

C'est lorsque je sentis finalement les deux mains fermes accrochées à ma taille et des cheveux gris me chatouiller le front que je compris pourquoi je n'étais actuellement pas devenue un pantin désarticulé gisant sur le sol.

- Ca va aller?

Je levai lentement le regard qui avait repris de sa netteté, malgré le paysage vacillant autour de moi. Je rencontrai alors l'onyx torturé de mon vis-à-vis, qui en plus de ça semblait foutrement inquiet de ma pauvre silhouette tremblante. Effectivement, sur le coup, je ne devais vraiment pas être très belle à voir.

Je grognai pour simple réponse, me mordant violemment la lèvre pour éviter de lâcher un gémissement de douleur. Malgré moi, mes doigts s'étaient arrimés à ses vêtements et je serrai fortement sa veste verte de mon poing, comme s'il était mon dernier secours pour m'empêcher de sombrer. Lorsque je sentis ses mains maintenir plus fermement encore ma petite carcasse en place, je me dis que ce n'était pas qu'une image, finalement. Et le frisson incompréhensible qui longea ma colonne vertébrale jusqu'à me caresser l'échine finit de m'achever.

Avant que je ne pense percuter le sol pour la deuxième fois de la journée, voilà que mes jambes n'y étaient même plus connectées.

J'étais dans les bras de Kakashi, et je ne pus m'empêcher de m'accrocher à son cou sous le coup de la peur de partir en arrière. Malgré mon état fiévreux, je le sentis se raidir légèrement sous mon geste, avant qu'il n'entame deux grandes enjambées pour traverser la pièce et me déposer sur mon lit.

Durant ce cours laps de temps, je l'ai regardé. Le petit quart de son visage visible était dur comme de la pierre, tendu à l'extrême. J'avais pu entr'apercevoir à quel point sa mâchoire était serrée sous son masque, mais surtout, son œil aussi noir que la nuit braqué droit devant lui et qui refusait de se baisser sur moi exprimait une amertume si intense, si insoutenable, qu'elle me donna envie de pleurer.

La gorge sèche, j'eus un mal fou à faire sortir ces quelques mots coincés dans le fond de ma bouche devant une détresse si âpre, si dure.

- Pourquoi... Pourquoi j'ai l'impression de te faire mal à chaque geste que je fais, à chaque mot que je prononce?

- Parce que c'est pas toi.

Je n'eus pas le temps de sentir mon cœur se ratatiner sans que je ne le sache pourquoi dans ma poitrine à l'entente de cette réponse que tout était déjà noir.

***

- Tu vas habiter avec Kakashi.

Je n'étais pas sûre d'avoir bien compris.

Des semaines que je me rétablissais doucement, des semaines que je réapprenais à marcher, à penser, à éprouver. Des semaines que je m'ennuyais, que je mettais des noms sur des gens que je ne connaissais pas, que je rêvais de sortir d'ici et de mener ma propre vie.

Des semaines que ce Kakashi venait me voir chaque jour pour me faire comprendre que je lui faisais mal sans arrêt par le simple fait que je respire, des semaines que je ne comprenais pas.

Et là, je crois que je n'avais jamais autant rien compris.

Je jetai un regard interloqué à l'homme à la tignasse argentée appuyé sur l'encadrement de la porte à l'autre bout de la pièce, qui gardait les bras croisés sur sa poitrine, le regard fermé.

- Et... Il est d'accord? demandai-je à Tsunade, qui venait de m'ôter la joie première de l'instant où elle m'avait annoncé que j'avais le droit de sortir.

J'avais un mal fou à parler directement au ninja masqué sans avoir l'impression de le lacérer par la seule force de mes mots. Même s'il était à quelques mètres de moi, je ne pouvais m'empêcher d'utiliser Tsunade comme intermédiaire.

Devant la non-réponse de cette dernière, je jetai un nouvel œil timide à Kakashi. Je vis ce dernier acquiescer doucement, presque douloureusement, sans me regarder.

- Pourquoi je peux pas vivre toute seule? Je n'ai pas mon propre appartement?

Tsunade soupira profondément. Elle regarda brièvement Kakashi à son tour avant de se tourner de nouveau vers moi.

- C'est... un peu compliqué. Ton amnésie est un cas particulier, un peu imprévisible. Je ne veux pas prendre de risques. Et puisque Kakashi est celui qui te connais... Qui te connaissais le mieux, il serait peut-être mieux pour toi de commencer ton retour à la vie du village avec quelqu'un de sûr pour t'épauler.

J'observai tour à tour la femme aux cheveux blonds et l'homme au masque d'un regard suspicieux. Cet homme était clairement masochiste pour accepter un truc pareil. Et si Tsunade était bel et bien médecin, ne pouvait-elle pas voir le mal qu'elle lui faisait en me confiant à lui? Et moi, au milieu de tout ça, j'avais l'impression d'être prise au piège. Parce que j'aurai aimé recommencer ma vie seule, faire comme bon me semblait, aller où je l'entendais. Je me retrouvais enchaîné à cet homme qui s'accrochait à moi par l'image que mon ancienne moi avait laissé, et au fond, je m'en voulais de ne pas avoir le pouvoir de lui donner ce qu'il désirait. Je voulais qu'il me laisse en paix, lui et son amertume, et pourtant, au fil des semaines passées depuis mon réveil, j'avais nourri un besoin irrémédiable de l'aider, de comprendre pourquoi je lui étais si intolérable.

Et au fond de moi, j'avais peur, de ce monde qui me connaissait et dont je ne savais presque rien. Avoir quelqu'un à côté de moi, aussi sombre soit-il, me rassurait plus que de raison. Ou était-ce parce que c'était Kakashi en particulier? Je n'en savais rien. 

Cet homme était une véritable énigme, et je ne savais jamais sur quel pied danser avec lui. Je remettais souvent ça sur le dos de mon ignorance sur le monde et la vie, mais j'avais peur de cette raison sous-jacente, brouillée, presque effacée qui me laissait croire que si son monde tournait autour de moi, c'est que le mien devait tourner autour de lui aussi. 

Et je ne voulais pas de ça.

***

Je marchai à côté de lui, dans les ruelles ensoleillées de Konoha.

Je n'avais jamais vu autant de gens au même endroit. Le soleil me faisait mal aux yeux. Et pour une fois, j'appréciai le silence sombre de Kakashi qui semblait bâtir autour de nous un halo protecteur, empêchant ce trop plein d'informations de saturer ma petite cervelle vierge de souvenirs.

Il n'y avait que des visages et des noms. Je ne me rappelai de tous ces gens qu'à partir de l'instant où je posais mon regard sur les traits de leur visage. Alors leur nom clignait dans ma tête, comme si cette information avait été écrite au fer rouge au fond même de mon âme. 

Mais rien d'autre. 

Je n'avais aucune idée de s'ils étaient mes amis, mes ennemis, des collègues, des frères ou des sœurs. Je ne ressentais rien, absolument rien en les voyant; personne, tout le monde, ne m'inspirait rien. J'avais cru que mon âme réagirait à la vue d'une de ces gens qui auraient pu être particulièrement chers à mon cœur, mais rien n'arrivait jamais. C'est comme s'ils étaient tous de simples figurants futiles dans un mauvais film. Comme je l'avais pressenti avec Tsunade, c'était seulement lorsqu'il y avait un contact physique qu'un flash familier m'apparaissait. En fonction des personnes, cela s'apparentait parfois à de la joie, du dégout, de la rancune... Lorsque Naruto m'avait pris dans ses bras, j'avais ressenti de la fierté. Je ne savais pas d'où elle venait. Mais elle avait marqué ma peau, mon cœur, mon âme. Oui, j'étais fière de ce garçon. Mais je ne savais pas pourquoi.

La seule exception avait été avec Kakashi. Lorsqu'il m'avait serrée contre lui si fortement, j'avais senti une vague familière m'assaillir. Mais tout était confus. Je n'avais pas réussi à démêler cette agitation au fond de mon être. C'était trop fulgurant, alambiqué, brumeux. Je n'étais pas parvenue à mettre un doigt sur une émotion distincte qui aurait pu m'indiquer qui il était, ce qu'il représentait pour moi. Il était un vrai mystère. Un mystère à qui je faisais mal sans arrêt.

Ce dernier demeurait dans son mutisme continuellement. Il marchait les mains dans les poches, regardait droit devant d'un air absent, sans même jeter un œil sur les gens qui m'accostaient sans arrêt pour me dire qu'ils étaient contents de me voir en bonne santé. Kakashi se contentait de les envoyer balader au bout de quelques minutes, quand il voyait que je commençais à patauger, pour mieux repartir sans un mot. Son pas se calquait au mien, très lent, de part les séquelles de ma vie antérieure mais aussi parce que je m'arrêtai devant chaque détail aussi futile soit-il, qui était une véritable révélation à mes yeux. Je n'avais jamais vu le monde extérieur, finalement. Et je m'émerveillais de voir qu'il était aussi beau.

Kakashi ne s'en offusquait pas, me laissait faire comme s'il s'en moquait. Mais dès que je me tournai vers un nouveau brin d'herbe intriguant, dès que je levai la tête pour admirer la splendeur des oiseaux, je sentais son regard brûlant longer mon dos comme s'il pouvait me traverser, comme s'il pouvait voir celle que je n'étais plus à travers moi. Si ça me faisait du mal ou du bien, je ne savais pas; dès que ça le concernait lui, je ne comprenais plus rien. Alors je laissais tomber mon nouveau sujet d'extase, et reprenait la route à ses côtés vers cet endroit qui serait mon chez moi pendant les prochaines semaines. 

Nous arrivâmes finalement devant une jolie maison, un peu en périphérie du village. Elle était entourée du jade de la forêt, où le calme laissait place au ruissellement de l'écume de la rivière à quelques pas de là, où le chant des oiseaux était roi.

Kakashi avait bon goût pour avoir choisi un tel endroit pour vivre, pensai-je. Un étrange sentiment me murmura au fond de moi que si ça n'avait pas été lui, ce serait moi qui aurait habité là.

L'homme argenté s'avança devant l'entrée de la modeste demeure, et après qu'un cliquetis se soit fait entendre, il se retourna vers moi pour plonger son regard dans le mien.

Pour la première fois, je vis un sourire dans le fond de cet œil noir. Cela me fit un effet étrange.

- Bienvenue.

Et il ouvrit la porte.


__________


Bijour.

Un nouveau one-shot intempestif. Je sais, j'ai plein d'autres choses à faire. Mais je suis inspirée que par ça, en ce moment, vous m'en voyez désolée. Après, rien ne dit que ça aussi, ça ne va pas être en suspens. Pardonnez-moi d'avance.

J'espère que ça vous a plu quand même. Dans ma tête, cette petite histoire sera en trois parties. C'est dur d'aborder un sujet aussi complexe que la mémoire en si peu de chapitres, mais j'avais envie de relever le défi. Et la mémoire n'est pas le plus important ici, finalement; j'essaie de centrer l'intrigue sur des sentiments qu'on ne sait pas nommer. J'espère que c'est assez cohérent pour être agréable à lire tout de même.

Je dois vous dire, ce recueil est fait pour rassembler les idées échouées d'histoires que je n'aurais jamais le courage de finir (je ne les finis même pas non plus, ces OS, en plus, parce que j'ai toujours la bonne idée d'en faire plusieurs parties; j'ai plein de choses à raconter, mais j'ai la flemme. Pauvre de moi, je n'y arriverai jamais).

Des théories sur la suite? Des idées pour alimenter mon inspiration aussi garnie qu'un arbre mort en plein hiver? Allez-y, vous gênez pas.

Merci de m'avoir lue!

A la prochaine,

Emweirdoy


(PS: Je crois que c'est bourré de fautes. Je me suis pas relue, mais je corrigerai ça dans les prochains temps. J'avais juste envie de paraître productive, pour une fois :'))

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top