- J'existe -
Tenten n'avait jamais été quelqu'un de très original. Du moins, c'est ce qu'elle pensait.
Elle était le genre de fille discrète, à laquelle le regard ne s'accroche pas au premier coup d'œil, tout simplement parce que ses acolytes aux combinaisons d'émeraude et le membre de la prestigieuse famille Hyuga qui composaient son équipe avaient tendance à l'effacer derrière leur excentrisme ou leur talent. Elle se demandait parfois si renoncer à ses coéquipiers aurait changé quelque chose, ou si c'était son essence même qui faisait d'elle une simple figurante.
Cela ne l'avait jamais trop dérangée, auparavant. Après tout, elle était une fille avec des rêves simples, des goûts simples, une vie simple. Elle aimait manger, elle admirait profondément la force de Tsunade, et elle était une kunoichi tout ce qu'il y avait de plus respectable, ni trop faible, ni trop forte. Elle n'était pas plus intelligente que les autres, mais loin d'être la plus bête non plus. Elle avait à cœur de bien faire, aimait râler après les énergumènes avec qui elle trainait depuis des années, lustrait ses armes de combat chaque soir avant de dormir. Elle n'avait pas de passé douloureux, n'avait vécu aucun drame, n'avait pas de talent particulier, ni la moindre caractéristique. Celle qui n'attire pas l'attention et qui se fond dans le décor, le premier visage que le temps efface des mémoires. Elle était simplement... Terriblement banale.
Elle gardait le souvenir cuisant d'un simple rendez-vous parents-professeurs lorsqu'elle était encore à l'Académie, et l'une des phrases que son sensei avait dite à sa mère est restée longtemps gravée dans sa mémoire.
"Rassurez-vous, madame. Tenten est une gentille fille, très sage et très discrète. On arrive même parfois...
... à oublier qu'elle est là."
Non, Tenten n'était pas une fille très originale. Elle était personne, elle était tout le monde. Et elle le savait. Mais cela ne la dérangeait pas.
Cela n'avait même pas changé après la mort de Neji, durant la Quatrième Grande Guerre Ninja. Noyés dans leur douleur, son sensei et son autre coéquipier semblaient l'avoir éclipsée bien plus encore. Elle s'était souvent sentie de trop au milieu de la relation presque fusionnelle des deux hommes à la coupe au bol, au point de croire parfois qu'elle n'appartenait pas au même univers qu'eux. Tenten avait alors choisi de pleurer seule le trou béant que Neji avait creusé dans son cœur en partant.
Que son entourage proche n'ait su l'intégrer dans leur souffrance l'avait blessée bien plus qu'elle ne l'aurait cru. Pourtant, elle ne s'était même jamais offusquée que personne ne connaisse son nom entier. Elle n'avait pas aimé sa propre réaction; Tenten n'était pas du genre à en vouloir aux gens, d'habitude. Elle avait alors enfoui cette peine au plus profond d'elle, avant de faire semblant de l'oublier.
Puis la vie avait repris son cours dans la paix qu'avait instauré la fin de la Grande Guerre, et ils étaient repartis sur les routes à trois au lieu de quatre, en maintenant cette illusion de gaieté qui, au fond d'eux, n'existait que dans leurs têtes.
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Un matin, Tenten se réveilla sous le bruit des coups portés à sa porte et les exclamations bruyantes de Lee qui l'incitait à se dépêcher. C'était une journée comme une autre dans sa vie peu originale, où elle et son équipe s'apprêtaient à remplir l'une des rares missions que l'on pouvait trouver en temps de paix.
Malgré la manière abrupte que Lee avait de la réveiller chaque matin, elle appréciait ce moment où elle pouvait croire qu'elle n'était pas totalement invisible. Le fait que son acolyte prenne le temps de s'introduire dans le décor dont elle faisait partie avait même l'étrange effet de lui mettre du baume au cœur. Pourtant, Lee et son énergie débordante avait plutôt tendance à l'agacer plus qu'autre chose, à ébranler brusquement sa vie si calme et morose de la sorte. A force, elle n'arrivait plus à savoir si elle adorait ou détestait ça.
La jeune kunoichi se leva donc en râlant pour la forme, et s'engagea aux côtés d'un Lee surexcité sur le chemin qui menait aux portes de Konoha. Elle assista à l'habituelle accolade musclée des deux hommes à la combinaison verte, et après un soupir mi-las mi-amusé, ils se mirent en route vers l'accomplissement de ce pourquoi ils portaient fièrement le symbole de leur village sur eux.
Sur le chemin qu'ils avaient engagés depuis quelques heures, elle fut surprise de se voir émerger de ses pensées par une question de son sensei.
- Tenten, dis-moi... Est ce que tu vas bien?
La jeune femme tourna un regard surpris vers le visage fantasque de celui qui l'avait pris sous son aile depuis tant d'années déjà. Gaï Maito n'avait que très rarement arboré cette expression étrangement sérieuse qui avait prit place sur son visage à cet instant là, et cette vision rendit Tenten totalement interdite.
- Hum, oui, je vais bien, répondit-elle d'un grand sourire qui occulta légèrement le ton évasif et troublé qu'elle avait employé.
Lee ne faisait aucunement attention à la conversation qu'avait entamé Gaï avec sa coéquipière. Il progressait seul quelques longs mètres devant eux, et divaguait dans son trop-plein d'énergie habituelle en sautillant dans tous les sens.
- Tu as toujours la tête dans les nuages en ce moment, j'ai l'impression, poursuivit le trentenaire avec un ton solennel qui finit d'ébahir la jeune femme. Je sais que... Je n'ai pas forcément été assez attentif à ce que tu pouvais vivre, ces derniers temps, et je tenais à m'excuser. S'il y a quoi que ce soit qui ne va pas, dis-le moi.
Tenten cligna des yeux trois fois exactement, le temps pour elle de réaliser qu'elle ne rêvait pas les derniers mots de son sensei. On accordait tellement rarement d'attention à sa personne que le fait que l'on s'inquiète de son sort, surtout de la part de Gaï Maito, avait de quoi la déstabiliser.
Elle ouvrit la bouche et se tortura les méninges pour tenter d'ériger une réponse qui se voudrait rassurante, convaincante. Non, ça, il n'y avait pas à dire; elle était sacrément troublée. Néanmoins, une légère chaleur empoigna délicieusement son cœur; pour une fois, elle ne se sentait plus oubliée. Elle dessina alors sur ses lèvres un sourire un peu moins faux qu'à l'accoutumée.
- Je...
Elle n'eut pas le loisir de terminer sa phrase.
Un kunaï acéré fusa de nulle part, et passa si près de son visage que sa lame lui entailla légèrement la joue avant de se planter sèchement dans le sol à quelques mètres de là. Son sensei fit un bond en arrière en même temps qu'elle, et le temps que la jeune kunoichi dégaine son parchemin d'invocation, une lame glacée était déjà posée contre sa jugulaire palpitante.
- Bouge pas, toi, somma une voix acide au creux de son oreille. Et vous, si vous levez le petit doigt, je la bute!
Tenten avait arrêté de respirer. Elle vit avec horreur Lee se précipiter sur son agresseur malgré sa mise en garde, et avant qu'elle ne puisse distinguer plus précisément le visage déformé par la panique et la colère de son ami aux sourcils épais, un craquement sourd se fit entendre et un éclair de douleur lui vrilla le crâne.
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Elle n'aurait su dire si cela faisait quelques secondes ou une éternité qu'elle gisait sur le sol. Le coup violent qu'elle s'était pris sur la tête avait laissé ses traces devant ses yeux, où quelques tâches dansantes entravaient encore légèrement sa vision. Tenten fit alors un effort incommensurable pour s'extirper de sa léthargie et tâter lentement son crâne d'une main pour vérifier l'étendue des dégâts.
Avec surprise, elle réalisa que pas une goutte de sang ne s'était échappé du haut de sa tête. Elle même ne savait pas qu'elle avait décidément le crâne si dur.
Lorsqu'elle reprit l'entièreté de ses facultés cérébrales et motrices, et qu'elle balaya du regard le paysage autour d'elle, la jeune femme réalisa que ses coéquipiers avaient fini le travail durant le laps de temps où elle s'était retrouvée étourdie. Lee venait de balancer un coup de pied magistral à l'un de leurs assaillants, tandis que leur sensei finissait de régler son compte au dernier membre encore conscient de la petite troupe de bandits.
Tenten se releva non sans mal, et épousseta ses vêtements avant de se diriger vers son aîné, qui était resté planté devant le corps inerte de son ennemi vaincu.
Elle allait lui demander si tout allait bien et s'excuser de son incompétence manifeste lorsqu'elle se figea net à la vue du visage aux traits exagérément tendus de son sensei. Décidément, il ne semblait pas dans son assiette, aujourd'hui; jamais elle n'avait vu tant d'expressions insolites sur cette façade habituellement joviale qu'entretenait chaque jour son mentor. Non, ce n'était pas normal; elle n'avait jamais vu sa mâchoire si tendue, ni une telle angoisse dans les yeux sombres de son sensei.
Lorsqu'elle tourna la tête pour demander à Lee ce qu'il se passait, sa stupéfaction enfla bien plus encore lorsqu'elle rencontra le visage tordu par l'amertume de la version miniature de leur sensei.
Mais que se passait-il donc?
- Eh, mais qu'est ce qu'il vous arrive?
Le regard de Gaï sembla balayer sa silhouette sans la voir. Ce dernier soupira profondément - elle put discerner dans son souffle un certain tremblement - et tourna sèchement les talons.
- On rentre au village, ordonna t-il d'un calme froid qui contredisait décidément tout ce que Tenten pouvait connaître de son sensei.
- Et la mission? s'écria t-elle, ébahie, en voyant ses deux acolytes s'élancer dans le sens contraire de leur destination.
Ils ne répondirent pas. Tenten leur emboita précipitamment le pas, se triturant les méninges pour comprendre ce qui avait bien pu arriver à ses compagnons pendant sa courte inconscience pour qu'ils décident brusquement de rebrousser chemin. Elle ne s'offusqua pas du fait qu'ils n'aient aucunement répondu à ses interrogations; la jeune kunoichi avait l'habitude de voir ses protestations disparaître dans le souffle du vent sans que personne ne les relève. Sauf qu'à l'accoutumée, ils se contentaient d'ignorer ses requêtes sur une éventuelle pause déjeuner lorsqu'ils rentraient paisiblement d'une mission dûment accomplie; aujourd'hui, il n'était pas question de se remplir sereinement l'estomac.
Tenten avait peiné à suivre le rythme des deux hommes à la combinaison verte, et leur étrange silence avait fait naître dans son ventre la sensation désagréable d'une panique émergente. Ils n'avaient même pas pris la peine de répondre à ses nombreuses questions, qui avaient emprunté le timbre d'un affolement certain lorsqu'elle avait constaté que le mutisme de ses coéquipiers demeurait permanent.
Tenten, complètement désemparée, s'était alors demandée si elle était la cause de ce silence presque sinistre. Elle n'avait pas assuré, c'était certain; mais un tel accident n'était encore jamais arrivé, et par dessus le marché, personne n'était blessé. Était-elle donc la cause d'une faute plus grave qu'elle ne s'était imaginée?
Ils n'avaient même pas pris la peine de savoir si elle allait bien.
Cette évidence la fit presque trébucher de la branche sur laquelle la jeune femme venait de sauter. Son cœur se serra dans sa poitrine, d'une douleur toute autre que ses genoux qu'elle venait d'écorcher; la vision des silhouettes de Lee et Gaï s'éloignant d'elle sans même jeter un regard en arrière finit d'accabler son être tout entier.
Secouant la tête pour faire disparaître les larmes traitresses qui lui étaient subitement montées aux yeux, et dans un vague élan de déni qui lui susurrait doucement à l'oreille qu'elle se trompait sûrement, elle s'élança à leur suite sans plus jamais essayer d'attirer leur attention. Cela semblait être peine perdue.
Deux heures suffirent à les voir débarquer aux portes de Konoha. Une fois arrivés, les deux hommes ne s'arrêtèrent même pas; ils poursuivirent leur route et disparurent dans une des allées sinueuses du village caché, laissant Tenten seule, plantée devant les immenses portes en bois, à les regarder tristement s'éloigner sans même l'attendre.
Elle soupira, amère. Le cœur lourd, la jeune kunoichi prit le chemin de son appartement en traînant des pieds. Elle n'avait même plus envie de savoir ce qu'il se passait, elle était lasse de courir après des réponses qu'elle n'obtiendrait de toute façon pas. Alors elle fit racler ses semelles sur la terre battue, affligée, ne prenant même pas la peine de prêter une quelconque attention au monde qui l'entourait. Elle ne parvint pas à se délecter de la douce chaleur que le soleil prodiguait sur sa peau, elle ne fut pas happée par le contagieux des rires des enfants qui couraient sur son chemin.
Elle rentra chez elle morose, morte de culpabilité pour une raison qui l'échappait. Peut-être aurait-elle dû se rendre dans le bureau de Rokudaime, pour lui faire part de la situation? Mais qu'aurait-elle pu lui dire?
Elle décida de s'en remettre à ses deux compagnons qui venaient, sans le vouloir, de durement la blesser. Après tout, s'ils n'avaient pas pris la peine de lui expliquer, pourquoi s'acharnerait-elle pour faire un quelconque effort?
C'est sur cette pensée qu'elle s'écroula sur son lit, le nez enfoncé dans son oreiller. Elle se demanda un instant quand est-ce qu'elle avait bien pu passer la porte de son appartement; profondément embourbée dans le flot de ses pensées acides, elle n'y avait pas prêté attention.
Tenten ne put s'empêcher de lâcher quelques larmes abattues, avant que le sommeil ne la soulage de cette journée décidément déplorable, qui, pour la première fois, lui avait fait comprendre que jouer le rôle de figurant pouvait tout de même faire sacrément mal.
✧・゚: *✧・゚:*
La jeune kunoichi ouvrit doucement les yeux, et fut surprise de ne pas entendre le martèlement des poings de Lee sur sa porte en guise de réveil matin. Elle avait l'impression de ne s'être jamais réveillée d'elle-même, et elle trouva cette sensation drôlement étrange.
Elle tourna lentement la tête pour jeter un œil à la pendule accrochée à côté de sa fenêtre.
10h42.
Elle se redressa brusquement sur son lit. Elle aurait dû être à l'entraînement depuis bien deux heures!
Tenten s'apprêta à sauter de son lit pour se préparer en vitesse, lorsqu'elle réalisa ce que son affreux retard signifiait.
Lee n'était pas venu la chercher.
Elle sentit son cœur se serrer violemment. Pourquoi cela lui faisait si mal? Ce n'était pas grave, après tout. Il avait le droit d'oublier. Ce n'était pas si important. Non, pas du tout, même.
Mais elle, depuis la veille, avait l'impression de se faire oublier plus que de raison, et cette mésaventure matinale lui rappela l'amertume dans laquelle elle avait baigné la veille.
Tenten se demanda alors si cela avait toujours été comme ça.
Elle avait toujours été quelque peu transparente, effacée; ça, elle le savait bien. Mais cela avait-il été toujours aussi douloureux? Elle se demanda si elle exagérait, à réagir de la sorte. Elle ne savait pas si elle était simplement fatiguée, sur les nerfs pour l'une de ces petites choses exaspérantes particulier à la vie de jeune femme, ou réellement en colère pour une raison qu'elle ne saisissait même pas.
Tenten ne parvenait pas à démêler ce nœud dans sa tête. Elle n'arrivait pas à savoir si elle avait toujours souffert, en cachant inconsciemment son amertume derrière ses grands sourires, ou si cela lui était allègrement passé au dessus de la tête toute sa vie, en notant simplement à chaque fois à quel point elle était oubliée comme si elle avait été la spectatrice de sa propre existence, admirant sa propre réalité loin derrière un écran de fumée.
C'était elle, le problème? Ou les autres?
Et si c'était elle?
Elle secoua la tête. Tenten était quelqu'un qui ne se morfondait jamais. Si elle avait un problème, alors elle allait le résoudre. Ce n'était pas plus compliqué que ça.
Et elle sauta de son lit avec la ferme intention de se faire entendre, une bonne fois pour toutes.
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Il n'y avait pas âme qui vive au terrain d'entraînement.
Le soleil était haut dans le ciel, et Tenten s'était attendu à voir Lee frapper frénétiquement sur l'un de ces piliers de bois et son sensei marcher sur les mains. Elle ne se serait pas fait réprimander pour son étrange manque de ponctualité, elle le savait; cela ne lui était jamais arrivé et elle connaissait assez bien son maître pour savoir qu'il n'aurait pas tenu rigueur d'une telle broutille.
Mais à cet instant, il n'y avait carrément personne pour constater son retard.
La petite plaie qui avait fissuré son cœur depuis qu'on l'avait si ouvertement ignorée la veille s'élargit douloureusement.
Elle prit sa tête entre ses mains.
"Non, ce n'est pas de ta faute", se persuada t-elle en soufflant un bon coup. "Ils sont juste encore en train de faire le tour du village en se marchant sur les mains, c'est sûr. C'est pas grave, Tenten, c'est pas grave".
Elle s'imbiba de ces pensées rassurantes quelques minutes, avant de tourner les talons et de s'enfoncer d'un pas qui se voulait confiant dans l'allégresse matinale de Konoha.
La jeune femme traversa les rues bondées, en jetant sans arrêt des regards à droite et à gauche en quête d'un éclat de jade ou de mèches de cheveux noirs finement coupés au bol typiques de ses acolytes. Elle déambula ainsi de longues minutes, sans succès. Pas une miette de noirs sourcils épais, pas une trace de grands pitres s'amusant à marcher les jambes en l'air.
Dépitée, Tenten finit par s'échouer devant un stand de nourriture ambulante qui, par dessus le marché, mit son estomac en colère.
Elle réfléchit quelques secondes, avant de se décider à noyer son amertume dans une belle assiette de boulettes au sésame.
Elle s'approcha du stand, où le vendeur tournait le dos à la foule en s'affairant machinalement devant ses casseroles et saladiers.
- Heu, excusez-moi, monsieur?
L'homme ne semblait pas l'avoir entendue. Alors elle l'apostropha à nouveau, un peu plus fort.
Sans succès.
Irritée qu'on l'ignore une fois de plus, Tenten s'appuya sur le bord du comptoir en se penchant en avant, pour attirer l'attention de l'homme en lui touchant l'épaule.
Mais sa main ne brassa que du vide.
D'abord abasourdie, Tenten regarda le creux de sa paume avec de grands yeux. Elle était persuadée de s'être assez penchée pour le toucher, pourtant.
L'idée de se remplir l'estomac déserta son esprit désorienté. Ce n'était rien, pourtant, elle avait juste mal calculé. Elle tourna les talons au stand, perturbée, pensive en fixant sa main.
Elle commençait à avoir peur.
Une peur infondée, celle dont on ne comprend jamais le pourquoi de sa naissance, mais qui avertit par son léger souffle sur la nuque que les choses ne sont décidément pas normales, et qu'il suffirait d'une seconde pour basculer dans la terreur.
Tenten se disait bien qu'il se passait quelque chose d'anormal. Elle avait l'habitude d'être transparente, mais jamais elle ne s'était sentie aussi oubliée. Son étrange expérience d'il y a quelques secondes lui fit même songer à la possibilité qu'elle soit devenue un fantôme, intangible, oublié des autres êtres humains mais aussi de la terre elle-même.
Il fallait qu'elle en ait le cœur net.
Alors elle s'imposa sur le chemin d'enfants qui courraient dans l'allée. La jeune femme inspira un bon coup, et tendit la main devant elle, rien que pour effleurer l'enfant hilare qui fonçait droit sur elle sans qu'il ne semble la voir.
Et le petit garçon passa à travers elle.
✧・゚: *✧・゚:*
Tenten venait de comprendre la différence entre vivre et exister.
Elle vivait, c'était sûr: elle respirait, sentait ses poumons se remplir d'air, humait l'odeur ambiante de la nourriture mijotée, des grillades et des sucreries que l'avenue exposait. Elle les voyait bien, ces rues qui échafaudaient le village dans lequel elle avait toujours vécu, ces visages moroses, affables ou souriants qui passaient devant elle. Elle sentait son propre cœur tambouriner fort contre sa poitrine, son souffle haché par la panique, la chaleur de la peau de son propre visage qu'elle avait pris entre ses mains. Oui, elle en était sûre: elle vivait.
Elle se mit à parler dans le vide, parler plus fort, jusqu'à en hurler, de détresse et de peur, de toutes ses forces, sans que personne ne l'entende. Elle fondit sur tous ces gens qui composaient le cortège dense de la grande avenue, tendit les bras pour espérer les toucher, au risque de passer pour une imbécile.
Mais ses mains passaient à travers les silhouettes, comme si elle avait été sculptée à même de la fumée. Ces gens ne l'entendaient pas, ne la voyaient pas, ne la sentaient pas. Elle hurlait, barrait leur route, les frappait de ses poings intangibles. Jamais leur regard ne s'accrocha à elle, jamais ils ne se retournèrent surpris en voyant cette étrange jeune fille les bousculer en hurlant. Non, elle les traversait.
C'est lorsque la terreur froide longea sa colonne vertébrale pour empoigner son estomac que la jeune kunoichi comprit qu'elle n'existait plus.
Qu'elle n'avait jamais existé.
Elle implora chacun de ces êtres étrangers à son malheur, qui n'avaient même pas conscience de son entité. Les larmes aux yeux, elle criait dans les rues de Konoha, la véracité de sa propre existence qui ne l'était pas pour les autres.
- J'existe! Dites-moi que j'existe!
Et elle hurla plus fort encore.
✧・゚: *✧・゚:*
Sans trop savoir par quel miracle elle avait atterri là, Tenten se retrouva nez à nez avec une paire d'énormes yeux ronds, agrémentés de deux grands sourcils noirs et épais.
Lee la regardait. Ou regardait à travers elle? Elle ne savait plus.
Elle se mit à pleurer. Les sanglots resserrèrent sa gorge si violemment que la surprise lui coupa subitement le souffle, et elle s'étrangla presque dans ses hoquets larmoyants.
- Pourquoi tu pleures, Tenten?
Ses geignements cessèrent net.
Tenten tourna la tête vers son coéquipier, dont le regard inquiet s'encra allégrement dans le sien. Elle ne rêvait pas?
- Tu... Tu me vois?
- Bah, qu'est ce que tu racontes? Evidemment que je te vois!
Avant que les vestiges de l'enfer qu'elle venait de traverser ne se dissipent autour d'elle comme les restes d'un rêve s'éparpillent au moment du réveil pour devenir flous, une paire de bras puissants l'entoura subitement.
Ils étaient recouverts de vert. Mais ce n'étaient pas ceux de Lee.
- Tenten.
La jeune femme abasourdie eut un hoquet de surprise, avant de s'agripper à ces grands bras juste pour le plaisir de se sentir toucher quelqu'un. Dieu, qu'elle était soulagée.
Elle lâcha quelques larmes apaisées sur l'émeraude de ces manches. Elle se sentait comme une bombe qui avait été sur le point d'exploser, mais qu'on avait réussi à désactiver juste à temps. L'angoisse atroce qui lui empoignait l'estomac s'estompa finalement, et ses sanglots vinrent en laver ses dernières traces.
Mais une colère acide vint s'insinuer lentement dans ses membres, d'abord sous la forme de vagues souvenirs déplaisants jusqu'à se muer en une rancœur bien plus profonde, agressive, qui la surprit elle-même de sa violence.
- Vous m'avez ignorée.
Elle repoussa subitement les bras se son sensei, et les quatre sourcils épais présents dans la pièce furent haussés de concert en une moue consternée.
- Et ça ne date pas d'hier. J'ai l'impression que personne ne m'a jamais vraiment vue. Et vous... Et vous, vous passez votre temps à faire comme si j'étais pas là, à vous fourrer dans votre monde sans jamais m'inclure dedans. Je suis tout le temps toute seule, vous ne m'écoutez jamais, et quand c'est moi qui me sens triste, vous ne le voyez pas. J'en ai marre de pleurer Neji toute seule! J'en peux plus, moi, qu'on m'ignore tout le temps, qu'on me coupe la parole, qu'on ne prenne jamais en considération ce que je peux bien vouloir dire ou penser... et... et...
Les larmes avaient recommencé à couler sur ses joues rougies par cette rage foudroyante qui s'était emparé d'elle. Ses mots étaient confus, ses propos désordonnés, mais ce qu'elle venait de vivre l'avait fait réaliser à quel point elle souffrait du rôle qu'elle jouait depuis des années.
- Et puis... Quand vous êtes partis sans même vous assurer que j'allais bien... je... je me suis demandée si j'avais déjà eu une réelle importance, si ça changeait quelque chose que je sois là ou pas. Et alors... les gens ne m'entendaient plus, mais en fait, ça a toujours été le cas... J'avais beau hurler, personne ne me voyait, et je me demandais pourquoi j'en souffrais tellement d'un coup, puisque toute ma vie, c'était déjà comme ça...
Ses deux acolytes l'observaient, médusés. Jamais ils n'avaient vus la gentille kunoichi belle et souriante sortir de ses gonds comme elle était en train de le faire.
- Tenten... osa timidement Gaï, déconcerté.
- Mais taisez vous! s'insurgea la jeune femme en se levant brutalement, tremblante sous le feu de la colère qui dévalait ses veines. Laissez-moi parler, pour une fois, bon sang! Je suis là, bordel, je suis là!
Le trentenaire ferma prestement sa bouche qui était restée grande ouverte sur le coup de la surprise lorsque Tenten pointa un doigt droit entre ses deux yeux tout en déversant le fiel qu'elle n'avait jamais osé extérioriser.
- J'existe, d'accord? J'existe, à un tel point que je ne vous laisserai plus jamais le loisir de m'oublier! Je ne serai plus jamais un fantôme, vous m'entendez? J'existe!
Tenten elle-même ne comprenait pas dans quelle espèce d'audace elle allait puiser pour prononcer à voix haute ce mal-être qui l'habitait avec autant d'hardiesse. Elle avait mal au cœur, dans le sens propre comme figuré. Elle détestait être aussi effrontée, aussi acerbe, mais à cet instant, elle apprécia infiniment de laisser aller ce monstre qui s'était toujours terré en elle. Elle se sentait mal et mieux, tellement mieux.
- J'existe! J'existe...
- Tenten.
Vaincue par ses propres tremblements, la jeune femme laissa la parole à son sensei, cette fois. De toute manière, elle sentait que si elle ouvrait encore une fois la bouche, elle ne parviendrait plus à réprimer la houle qui lui enserrait la gorge et les yeux. Elle renifla bruyamment en s'écroulant sur le lit blanc qu'elle avait quitté, sans plus oser regarder ses deux compagnons dans les yeux.
- Tenten, tu as été grièvement blessée pendant la mission.
La jeune femme mit un moment avant de percuter.
Elle posa subitement la main sur son front, pour tâter le bandage qui avait élu domicile sur sa tête. Il est vrai que ce lit blanc ne ressemblait aucunement au sien. Ni la pièce immaculée à l'odeur aseptisée dans laquelle ils se trouvaient.
- Tu ne peux pas savoir à quel point je m'en veux, Tenten, poursuivit Gai d'une voix étranglée qui ne lui ressemblait absolument pas. Ce que je vais dire ne changera sûrement rien à ta colère, mais on a eu tellement peur. On a tout fait pour te ramener vite à l'hôpital après avoir massacré ceux qui t'ont fait ça.
Alors, tout ça n'avait bien été qu'un rêve.
Gai avait le regard humide, et fixait la jeune femme de ses yeux sincères tout en posant une main affectueuse sur le haut de son crâne.
- On a jamais voulu te mettre de côté. J'ai souvent pensé qu'on t'agaçait. Pour Neji... Je croyais bien faire, en ne voulant pas ajouter ma peine à la tienne. J'ai simplement toujours voulu... Te protéger. Je ne sais pas comment m'y prendre moi, avec une jolie fleur du printemps comme toi. Je ne savais pas que ça te faisait tant souffrir. Je suis désolé. Mais je t'assure que pour nous, tu as toujours été là, tu as toujours existé.
Lee restait silencieux, et fixait le mur derrière l'épaule de Tenten, les larmes ruisselants continuellement de ses grands yeux. Ses lèvres tremblaient, et il semblait se les mordre violemment pour ne pas craquer. Le cœur de la jeune femme se froissa en voyant son ami qu'elle semblait, pour la première fois, voir véritablement pleurer.
- J'ai... J'ai cru que j'allais perdre un autre de mes élèves adorés.
Elle était son élève adorée.
- Et plus jamais je ne permettrai ça.
- On t'a jamais oubliée, Tenten, articula difficilement Lee. On est maladroits, mais tu sais bien que nous sans toi, on est rien.
Ils faisaient un beau tableau, à pleurnicher tous les trois de la sorte, pensa Tenten, dont la tension était subitement retombée. Il ne régnait dans la pièce plus que les reniflements bruyants des derniers membres de cette équipe déchirée, mais qui semblaient avoir scellé la promesse silencieuse de ne plus laisser les dernières fondations s'écrouler.
Gai attira ses deux élèves larmoyants contre lui.
Tenten sourit entre deux sanglots. On ne l'avait pas oubliée, finalement. Ses plus grandes peurs s'étaient muées en un étrange mauvais rêve, et les deux hommes qui constituaient à eux seuls tout son monde étaient là, pleuraient avec elle et l'avaient dissipé. Peu importait qu'elle ne se fasse pas entendre ni toucher du monde entier, tant que ces deux là le pouvaient. C'est ce qu'elle réalisa à cet instant; elle était le trait d'union, la soupape qui empêchait le tout d'exploser. Elle se sentait exister juste là, entre eux deux. Et finalement, c'est tout ce qui comptait.
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Tenten fut réveillée par les coups fracassants portés à sa porte. Elle ronchonna d'une voix ensommeillée en s'emmitouflant plus encore dans ses couvertures, avant qu'elle ne réalise que sa porte allait bien finir par s'écrouler sous les poings de son assaillant.
Elle alla finalement ouvrir à Lee, qui resta immobile à la regarder intensément quelques secondes. De joyeuses larmes s'écoulèrent de ses deux grands yeux, avant qu'il ne se jette au cou de sa coéquipière qui venait tout juste de sortir de sa convalescence.
- Tu sais, on t'aime fort, Tenten. Pour moi, tu es la plus insolite de tous les ninjas!
Tenten rit doucement, les larmes contagieuses de son ami lui piquant les yeux. De la part de Lee, c'était le plus beau compliment qu'il soit.
Elle râla pour la forme. S'engagea à côté de son précieux coéquipiers sur la route d'une nouvelle mission si rare en ces temps de paix. Et afficha un sourire en voyant son ami et son sensei s'enlacer en pleurnichant.
Un sourire authentique, de ceux que l'on garde pour les plus beaux moments. Parce que pour elle, dans sa vie simple et morose, il n'y avait rien de plus enchanteur que de se savoir entourée de ces deux énergumènes qui avaient le doux pouvoir de lui donner la sensation d'exister.
Elle existait.
Tenten n'avait jamais été quelqu'un de très original. Du moins, c'est ce qu'elle pensait.
Parce elle n'avait jamais réalisé qu'elle avait entre ses mains l'affection et l'admiration ses pairs, qui faisaient d'elle l'être spécial qu'elle pensait ne jamais avoir été.
Une kunoichi simple et remarquée de peu de gens, mais ce peu de gens là le valaient bien.
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J'espère que ce one shot vous aura plu. J'avais simplement envie de pianoter sur mon clavier un petit quelque chose sur Tenten.
Avec un peu de retard, je vous souhaite une très bonne année 2021!
Ecrivainement vôtre,
Emweirdoy
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