Prologue

C'était l'Enfer. Celui avec un grand "E".

Souvent, les gens se demandaient comment de telles créatures avaient pu voir le jour. D'où sortaient-elles? Comment avaient-elles pu apparaître comme ça, au milieu de l'humanité, se prétendant ainsi leur seul et unique prédateur? Pourquoi décimaient-elles tellement de peuples, pourquoi dévoraient-elles chaque être humain se trouvant sur son passage? Ils ne savaient pas. Ils ne savaient plus.

Ce sont toutes ces questions sans réponses qui traversèrent l'esprit du jeune homme lorsque, de ses yeux horrifiés, il contemplait l'horreur de la scène qui se déroulait devant lui.

Perché sur la toiture d'une des seules maisons encore intactes, paralysé, il fixait l'incendie dont les flammes léchaient petit à petit une parcelle supplémentaire de la ville. Il avait une vue d'ensemble sur la bourgade à présent réduite à feu et à sang: il voyait le feu naître à chaque coin de rue; des individus immenses, immondes, qui déambulaient entre les bâtisses, à la recherche de leurs prochains en-cas, en-cas qui couraient, hurlaient, mourraient, les uns après les autres.

C'était la première fois de sa vie qu'il voyait des titans. Des vrais. Il avait été préparé à ça pendant des années, à coup d'entrainements rigoureux, intransigeants, impitoyables au sein de l'armée des murs. Et pourtant, malgré toute sa volonté, malgré toute la force qu'il pensait avoir acquis, il resta aussi immobile qu'une statue de pierre, pétrifié par la terreur, comme si ses pieds avaient fusionnés avec les tuiles sur lesquels il se dressait. Il ne pouvait pas. Tout cela n'existait pas. Ce n'était qu'un horrible cauchemar, ou alors une simple histoire sordide tout droit sorti d'un recueil de contes définitivement pas adressé aux enfants.

Le jeune homme baissa les yeux sur la rue qu'il surplombait de sa hauteur. Il n'y vit que des ruines, du feu, du sang, des corps aux membres démantelés, éparpillés, partout, partout, partout.

C'était l'Enfer. L'Enfer avec un grand "E". C"était indéniable.

- Smith! Bouge-toi! Vite!

Ces mots lui étaient adressés. Il n'en entendit qu'un écho. Il ne pouvait définitivement pas bouger. Il n'avait même pas encore commencé sa part du travail qu'il avait déjà abandonné, impuissant. A quoi servirait-il, dans cette boucherie? A quoi servaient tous ces morts, à quoi bon sauver une cause perdue? L'humanité était finie. De son histoire, il en était à l'épilogue, pensa le jeune homme. Plus que quelques mots pour décrire son extinction et ainsi fermer le livre de l'humanité, le remballer sur une des étagères poussiéreuses réservés aux périodes vaines de l'histoire du monde. Voilà ce qu'ils avaient été. Inutiles. Une bande de parasites. Des parasites que la Terre s'était empressée d'éliminer, en créant ces aberrations de titans.

"Ah, non", rectifièrent les pensées du jeune homme. "Les aberrations, c'est nous."

Il avait enfin la réponse aux interrogations qui avaient déferlés dans sa tête sur l'origine des titans. C'était ça.

Le jeune homme traîna son regard effaré sur les bâtisses et ruelles à proximité. Il saisit alors un mouvement furtif au coin de la rue qui lui faisait face. Il avait cru voir une... fillette?

Un relent de courage naquit soudainement en lui. Il devait la sauver. C'était son rôle.

Il émergea ainsi de son inertie consternée pour se ruer en direction de ce qui l'avait fait sortir de sa transe. La vision de ce petit être de vie avait fait émerger en lui une nuance d'espoir qui lui hurlait de s'accrocher.

Il bondit de toit en toit en quête de cette lueur d'espoir. Il la retrouva enfin, agenouillée devant l'un des propres compagnons du jeune homme, dont le corps gisait contre un muret noirci de suie et de sang. A la vision du cadavre, le cœur du soldat se serra et il comprima un violent hoquet nauséeux. Cet homme était l'un de ses frères d'arme, qui s'était battu férocement à l'image de l'idéal qu'incarnait l'armée des murs. Idéal que le jeune homme avait lâchement omis lors sa paralysie horrifiée. Mais il comptait bien essayer de se reprendre en sauvant cette petite fille, et en rejoignant ainsi ses semblables au combat. Il s'apprêtait à s'élancer à son secours lorsqu'il fut stoppé par la venue d'un titan à quelques mètres de la fillette. Il dévia alors sa trajectoire, la peur lui broyant les tripes, sans pour autant abandonner le dessein qu'il s'était enfin décidé à accomplir. Il voulait hurler à la fillette qu'il allait se débarrasser de ce monstre et lui venir en aide, lorsqu'il vit enfin son visage. Le temps s'arrêta.

Elle ne devait pas avoir beaucoup plus de dix ans. Vêtue de haillons, tachés et déchirés, ses cheveux aux boucles dorées virevoltaient au gré des courants de chaleur que provoquaient les incendies et reflétaient le rouge intense des flammes. Mais surtout, alors que le jeune homme volait dans les airs grâce aux câbles de son équipement qui le maintenaient à quelques mètres du sol, et qu'il passait à quelques centimètres d'elle en direction du titan qu'il s'était décidé à massacrer, il croisa son regard. Un regard semblable au sien, d'un bleu intense, électrique, profond. Mais surtout, un regard dépourvu de toute frayeur et de panique. Un regard déterminé, accompli, empreint d'un courage et d'une sagesse qui n'allait pas avec son gabarit de simple enfant.

Elle avait au creux de ses petites mains écorchées des sabres anti-titans, qu'elle avait visiblement dérobé au corps du soldat à ses côtés.

Le temps repris son cours lorsque le jeune homme, interloqué, se retrouva face à face avec le titan. Que venait-il donc de voir? Que faisait cette gamine?

Il n'eut pas le temps d'approfondir ses réflexions puisqu'une main immense volait en sa direction, grande ouverte, prête à s'emparer de lui. Avec un réflexe instinctif, il se jeta en arrière pour esquiver la gigantesque paluche, puis, grâce à la maitrise de son équipement, il virevolta autour du géant pour lui faire perdre ses repères et accéda enfin à sa nuque. Le titan, extrêmement lent, n'eut pas le loisir d'attraper son assaillant puisque sa nuque avait déjà été tranchée nettement sous l'assaut du soldat. Ce dernier ne se souciait plus du monstre à la seconde où il lui avait ôté la vie.

Il scrutait les environs à la recherche de l'étrange fillette qui avait disparu. Pourquoi il se sentait soudain piqué de curiosité pour cette gamine malgré la situation désespérée dans laquelle ils se trouvaient, lui et ses compagnons? Il ne savait pas. Mais il fallait qu'il la retrouve. Il avait un pressentiment violent, qui le secouait de toute part et qui ravageait son esprit, et il savait que cela concernait la fillette. Il l'a su à la seconde où il avait posé les yeux sur elle.

Il n'eut pas de mal à reconnaître sa silhouette chétive tranchée des deux sabres attachés dans son dos, qui grimpait rapidement le mur d'une maison à quelques pâtés de là, le long de la gouttière. Elle semblait vouloir monter sur le toit.

"Non!", voulut-il crier. "Pas par là! Il y a un titan juste à côté!"

Effectivement, un des monstres qui envahissait la petite ville se trouvait juste à la hauteur de la maison que la fillette escaladait. Le jeune soldat voulut se ruer vers elle pour l'en empêcher, mais il était trop tard; elle se dressait maintenant sur le toit, un sabre au bout de chacun de ses petits bras, faisant face à l'affreux titan qui l'avait repéré et qui fonçait sur elle.

Paralysé de stupeur, le jeune Erwin Smith ne put qu'assister à la scène qui se jouait devant lui, une scène qu'il n'oublierait jamais, aussi longue puisse être son existence.

La fillette se rua sur le titan dans un cri de rage profond, désespéré. Bien que lent, le titan la faucha d'une main, l'emprisonnant au creux de sa paume. Le jeune homme crut alors que c'en était fini d'elle. Alors qu'il allait se détourner, abattu, il vit la main du titan voler en éclat, faisant émerger la fillette, ensanglantée. Elle ne se détourna pas; au contraire, elle courut de toutes ses forces le long du bras du monstre. Ce dernier gigotait dans tous les sens, tentant de s'emparer du petit parasite qui lui courait dessus. En vain.

La vision de cette fillette combattant seule ce titan était hypnotisant, fascinant. Elle semblait déjà avoir tout appris; elle ne se laissa plus jamais tomber dans la paume du monstre. C'était comme si elle volait autour de lui, tellement vite qu'on ne percevait seulement l'éclat de ses cheveux dorés; elle l'assaillait de coups de sabres impétueux, tranchait tout ce qu'elle pouvait trancher, en hurlant sa frénésie, sa fièvre. Elle finit par taillader la nuque du titan décharné en un coup sec, ample, dans un dernier cri de rage.

Le géant s'effondra sur le toit de la bâtisse d'où avait attaqué la fillette. Trônant sur son immense dépouille, la fillette, à bout de souffle et couverte de sang, leva son sabre en l'air en signe de victoire.

Elle était la lueur d'espoir.

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