Chapitre 7 ~ Danse éphémère
Ash pleurait.
Des sillons de larmes dévalaient ses joues, et lorsque ses yeux bouffis par les sanglots se posèrent sur Livaï, ce dernier resta bouche bée.
Les prunelles de la jeune fille, enclavés par les veines sanglantes de ses pleurs, brillaient d'une couleur turquoise, comme le ciel un beau jour d'été. Elle qui se montrait si souvent maîtresse d'elle même, elle qui ne laissait jamais paraître ses états d'âme, elle semblait à présent si fragile, comme si la longue cicatrice qui lui dévorait le cou était une première fissure, et que le reste de son être allait se briser en mille morceaux.
Deux semaines qu'elle avait intégré le Bataillon, et Livaï pensait déjà l'avoir cerné. Mais à la vue de cette jeune femme aux abois, il réalisa l'ampleur de son erreur. Il ne savait rien des démons qui la rongeaient, elle était aussi écorchée que lui. Aussi étrange que cela puisse paraître, il décela quelque chose de beau de cet instant.
Immobiles, ils se jaugèrent quelques instant, l'une surprise de la soudaine irruption du caporal dans son premier moment de faiblesse depuis bien longtemps, l'autre pétrifié d'incompréhension, ne sachant pas comment gérer la situation.
Alors un éclair traversa les yeux rougis de la jeune femme. Elle se précipita sur Livaï, le poing levé, bien décidé à lui remodeler le visage par ses coups. Le jeune homme, bien que surpris, para le coup sans grande difficulté, qu'il jugea bien faiblard comparé à ce qu'elle l'avait habitué.
Ash ne s'arrêtait pas là. Son autre main fusa, et le caporal intercepta son poignet avant qu'elle ne l'atteigne. La jeune femme baissa la tête et gémit d'impuissance.
- Eh, gamine...
Elle leva alors la tête et planta un regard déterminé dans le siens.
- Frappez-moi!
Livaï haussa les sourcils, perplexe. Il n'eut pas le temps de réagir que la jeune femme avait déjà dégagé ses mains de la poigne indécise du caporal, et lui lança un nouvel assaut, cette fois plus puissant et précis. Il l'arrêta à nouveau sans mal.
- Frappez-moi! répéta Ash, plus confiante, dont les larmes s'étaient à présent taries sur ses joues, et dont le regard brûlait d'ardeur.
Elle continuait à l'assener de coups qui ne le percutaient jamais, tournant autour de lui comme un félin, à l'assaut de la moindre faille. Le caporal se prit alors au jeu.
Il disposa ses avant-bras parallèles à son buste, les poings serrés, en position de défense, ses yeux s'animant eux aussi d'une exhalation nouvelle.
- Toi, frappe.
Elle n'avait pas attendu son consentement. Elle l'assailla alors de ses poings, de toutes ses forces. Tandis que ses esprits lui revenaient, ses mouvements devenaient plus souples, plus rapides, plus féroces, empreints de frénésie.
- Plus fort! lui hurla le caporal avec ferveur.
Elle s'acharna, impétueuse. Son défouloir faisait son effet. Toute trace de détresse s'était effacé de son visage, qui exprimait maintenant rien d'autre que la fièvre du combat. Ses poings étaient son échappatoire, les bras du caporal le mur qu'elle rêvait de briser, comme si cela avait été son souhait le plus cher. Elle se délectait de l'instant, où elle se sentait libre, rien qu'en bataillant. Ses cheveux d'or virevoltaient tout autour de son visage, tout comme les mèches d'ébène de Livaï qui obstruait son regard d'argent, ce regard dans lequel elle avait jeté l'ancre et se noyait, à l'affut de chaque étincelle qui pourrait l'aider à percer sa défense. C'était ce genre de regard qu'elle aimait, où elle avait l'impression de lire en son adversaire comme dans un livre ouvert. C'était sa façon de se sentir proche de quelqu'un, au cœur de l'exaltation du combat.
Livaï devinait chacun des mouvements de la jeune fille, en enfonçant son regard dans ses prunelles océan à son tour. Leurs yeux incarnaient leur point d'attache, qui les liait d'une drôle de façon tant qu'ils restaient connectés par la vision.
Leur danse étrange et inexplicable s'acheva lorsque Ash décela enfin une entrée dans la défense du caporal et parvint à frapper violemment sa joue de son poing.
Livaï, qui s'aperçut immédiatement de son erreur, laissa néanmoins la jeune fille le toucher et leur lien éphémère se brisa instantanément lorsqu'il bascula en arrière par la violence du coup qu'il venait de recevoir.
Essoufflés, ils restèrent silencieux de longues minutes, comme pour reprendre leurs esprits après un moment de transe. Leur hargne, leur ardeur avait disparus, laissant place à la paix, la sérénité, ce qui semblait bien étrange après une telle bataille.
Allongé de tout son long dans l'herbe, les bras en croix, Livaï observait le ciel s'assombrir.
- Va falloir rentrer, merdeuse, déclara t-il en se relevant.
La jeune femme acquiesça et le suivit docilement à travers les fourrés. Mais le caporal se retourna soudainement pour lui faire face, les sourcils froncés.
- Ça va mieux? demanda t-il, intérieurement embarrassé.
La jeune femme hocha la tête, et pour la première fois depuis qu'il la connaissait, il la vit rougir doucement. Ne relevant pas, il reprit sa route, Ash sur ses talons.
Le chemin se fit silencieux. Arrivés sur le terrain d'entraînement vide, alors que Livaï se détournait sans un mot pour rejoindre ses activités, la balafrée le retint par le bras.
- Caporal...
Le jeune homme lui fit à nouveau face, plantant ses yeux glacés dans les siens, son visage ayant recouvré son expression froide et familière.
- Merci, souffla t-elle, confuse.
En guise de réponse, les commissures des lèvres du caporal s'étirèrent légèrement et cela ressemblait... à l'ébauche d'un sourire?
***
La semaine poursuivit son cours, et les deux soldats ne firent jamais allusion de cet instant au cœur de la forêt.
En y réfléchissant, Ash se sentait terriblement embarrassée. Elle aurait tant voulu que son instant de faiblesse reste secret, et que jamais personne ne la voie ainsi. Pourtant, elle ne pouvait s'empêcher de se remémorer ce qu'il s'était passé suite à l'irruption du caporal dans cette clairière, la fougue qu'elle avait ressenti, le grand bien que cela lui avait fait. Lorsqu'elle avait regagné sa chambre, ce soir là, elle s'était retrouvé hébétée, allongée de tout son long dans son petit lit, à regarder le plafond en se demandant ce qu'il lui avait prit. Elle décida de se dire que le combat était pour elle un remède, pour lui vider la tête, qui la faisait se sentir vivante. Mais elle sentait que cette raison ne suffisait pas, qu'il y avait autre chose. Mais elle ne parvint jamais à mettre le doigt dessus.
Dans le même temps, elle remerciait le Ciel d'avoir donné à son caporal et tuteur une personnalité si taciturne. Jamais il n'évoqua l'évènement par la suite, jamais un commentaire à se sujet. Elle l'en remerciait profondément, intérieurement. Et en même temps, Ash se surprenait à se demander ce qu'en pensait le caporal; qu'est ce qu'il lui était passé par la tête lorsqu'il l'avait vue, pleurant dans cette clairière, pourquoi était-il entré dans son jeu belliqueux, qu'avait-il ressenti? Bien sûr, elle n'oserait jamais lui demander, et ainsi elle garda ses interrogations sous silence en faisant comme si rien n'était jamais arrivé, tout comme le faisait le caporal.
Ce dernier était redevenu le haut gradé calme et froid, qui la scrutait de son regard acier de toute part, silencieusement. Ash se demanda même si cet homme si austère était le même que celui qui s'était battu avec elle, dans cette clairière, dont elle s'était sentie étonnamment si proche.
Puis, alors qu'elle cogitait un soir après un long entraînement en tirant sur une cigarette fraîchement allumée, elle mit enfin le doigt sur un sentiment qui lui avait échappé.
Ce soir là, dans cette clairière, elle avait eu l'impression de se battre contre elle-même.
***
Durant les entraînements, les jours suivant, Ash se surpris à penser que la vie au bataillon n'était pas si désagréable, tout compte fait.
Surtout, elle s'émerveillait à se rendre compte qu'elle réussissait petit à petit à se faire des amis.
Petra Ralle avait été la première. Suite à ses blessures issus du combat face au caporal, étonnée de la bonté qui émanait de cette jeune femme, Ash s'était peu à peu déridée, s'ouvrant doucement à la brune aux reflets orangés. Lors de leurs entraînements, la balafrée se dirigeait instinctivement vers elle, attirée par cette aura reposante et bienveillante. Elle avait découvert en Petra une jeune fille pleine de charme et de douceur, et cette dernière accueillait à bras ouverts la novice au sein de leur escouade le temps de sa formation.
Ainsi, Ash avait fait plus ample connaissance avec le reste de l'escouade de Livaï, avec qui elle était contrainte de passer une grande partie de son temps, durant les entraînements.
Elle fut tout d'abord confrontée à une certaine difficulté, qui se nommait Auruo Bossard. Il était pour elle l'incarnation même de l'orgueil et du mépris. Ash constata qu'il semblait vouloir ressembler à Livaï de part son comportement détestable, et même si ce dernier l'était tout autant, il avait tout de même le mérite d'être plus subtil. Auruo, lui, écrasait tout le monde sous sa suffisance, et s'en vantait ouvertement, et Ash n'en fit pas exception. Au début, elle dût faire des efforts considérables pour se retenir de lui arracher sa bouche qui débitait tout un tas d'insanités à longueur de journées. Puis, à force de le côtoyer, Ash parvint à supporter son caractère désagréable pour s'entraîner à ses côtés. Malgré tous ses défauts, elle ne pouvait négliger ses nombreuses aptitudes au combat, qui semblait être chez lui un talent inné.
Comparé à tous les cinglés qu'Ash avait pu croiser au sein du Bataillon d'Exploration, Erd Gin de "l'escouade Livaï" était un ange tombé du ciel. Peu loquace mais néanmoins doté d'une intelligence et d'une gentillesse sans pareille, la jeune femme s'était tout de suite très bien entendue avec lui et se sentait agréablement bien en sa compagnie, au point qu'elle avait même songé pour la première fois de sa vie qu'il ferait un grand ami.
Le dernier membre de l'escouade qu'elle rencontra fut Gunther Schültz, en apparence réservé et sérieux. Il semblait être le plus calme et raisonnable de la bande, après Livaï, jusqu'à ce que Ash se pointe un jour légèrement en retard sur le terrain suite à une nuit difficile: Gunther l'avait alors assaillie de reproches, en lui disant qu'ici, tous les soldats devraient se concentrer sur leur tâche à accomplir, et rien d'autre. Ash, par la suite, ne fut plus jamais en retard, et Gunther se montra être quelqu'un de très gentil avec elle.
Au bout de deux semaines à travailler à leurs côtés, Ash comprit vite pourquoi cette équipe était si respectée et appréciée au sein du Bataillon: ils constituaient, avec Livaï à leur tête, l'escouade d'élite, la meilleure de toutes. Lorsqu'on mettait leurs défauts et qualités respectifs de côté, ces gens se montraient être de puissants guerriers, prêts à tout pour la victoire de l'humanité. Livaï Ackerman avait choisi les perles parmi tous les combattants, les plus forts, les plus valeureux. En réalisant cette évidence, la balafrée trouva tout à coup que sa présence faisait un peu tâche au milieu de tant de talent.
Elle se surprit alors à redoubler d'efforts durant les entraînements dirigés par le caporal, entraînée par l'effervescence du Bataillon d'Exploration et de ses idéaux; elle voulait, elle aussi, devenir une protectrice de l'humanité et porter les ailes de la liberté avec fierté. Au fur et à mesure des semaines qui passaient, elle s'étonna de ne plus sentir captive, mais soldate à part entière, et cet horizon lui plaisait de plus en plus. Puisqu'elle était ici, autant qu'elle s'investisse dans ce qu'elle savait mieux faire: combattre, qui plus est à présent, pour une juste cause.
Livaï prit vite conscience du changement d'état d'esprit de la nouvelle recrue. En l'espace de quelques jours, elle fit des progrès si fulgurants qu'il se demandait s'il s'agissait de la même personne. Bien qu'elle fusse auparavant déjà étonnamment habile, elle devint vite extrêmement talentueuse, ses acquis lui donnant un énorme avantage. La teneur de son regard avait changé: elle ne subissait plus, elle participait.
Livaï crut se voir lui même, quelques années plus tôt, dans les yeux océan de la jeune fille.
"Elle n'est plus une merdeuse des rues", pensa t-il. "C'est une soldate."
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