Chapitre 5 ~ Nuit

- T'aurais pu la ménager un peu Livaï! A cause de toi elle a besoin de points de suture, et ça m'étonnerait qu'elle puisse poursuivre son entraînement demain, vu son état.

- Tss...

Hanji s'affairait sur le visage tuméfié de la nouvelle recrue qui était assise sur l'une des chaises de la petite pièce qui servait d'infirmerie.

Le caporal reposait sur l'encadrement de la porte, les bras croisés sur son torse, et arborait un visage las, fermé.

"Un glaçon dégagerait plus de chaleur que ce mec", pensa Ash, qui s'efforçait à ne pas réagir aux touchers d'Hanji sur sa peau abîmée de blessures.

- Désolée ma jolie, s'enquit Hanji, mais il faudrait que tu m'enlèves ce t-shirt, histoire de voir si tu n'as rien.

- Je n'ai rien, souffla Ash, qui n'avait pas forcément envie de se déshabiller devant un public.

- C'est pas négociable, merdeuse.

- Dixit celui qui l'a tabassée, répliqua sévèrement Hanji qui lui fit signe de détourner le regard.

Ce dernier s'exécuta en soupirant alors que la jeune recrue enlevait son vêtement pour se retrouver en brassière.

- Oh!

Livaï ne put s'empêcher de jeter un œil derrière son épaule pour comprendre ce qui avait suscité une telle exclamation à sa collègue. Il comprit tout de suite en posant les yeux sur le ventre de la jeune fille.

Ce dernier était déchiré en une longue balafre partant de sa cage thoracique qui descendait jusqu'à sa hanche gauche, comme un chemin dessiné au fer blanc sur sa peau. La pâleur de la cicatrice ressortait d'autant plus qu'elle était enclavée par de nombreux hématomes violacés, vestiges de son récent combat avec le caporal. "Décidément, elle est bien balafrée cette gamine", pensa ce dernier en se demandant qu'est ce qui avait bien pu marquer sa peau à jamais d'une telle manière.

- C'est bon, j'ai rien, s'exclama précipitamment la jeune femme en enfilant son t-shirt, gênée par ces deux paires d'yeux impudents focalisés sur elle.

Elle se leva prestement et sans qu'Hanji n'ait le temps de l'en dissuader, passa la porte en trombe, croisant une dernière fois le regard du caporal qui, pour une fois, avait abandonné sa lueur dure échouée dans le fond de ses yeux pour la remplacer par une toute nouvelle étincelle, qu'elle était incapable d'identifier.

***

Ash ouvrit les yeux et réprima un cri d'horreur, qui se mua en une plainte misérable mourant au fond de sa gorge. Sonnée, elle tenta de calmer sa respiration saccadée ainsi que les battements inégaux de son cœur, qui semblait bien parti pour s'évader de sa cage thoracique. Incapable d'envisager l'idée de se rendormir, elle se leva hâtivement, enfila un vieux pull émacié mais qui avait le mérite de tenir chaud, et s'échappa de la petite pièce qui empestait les vestiges de son récent cauchemar.

La nuit semblait bien avancée, et la pénombre envahissait les couloirs, si bien que la jeune femme peinait à mettre un pied devant l'autre sans se heurter à quelque chose. Elle décida de sortir malgré le couvre feu, et fut guidée par la lueur laiteuse de la lune qui signifiait qu'elle se trouvait non loin de la sortie qui débouchait sur le terrain d'entraînement.

Alors qu'elle dévalait les escaliers qui menaient à la sortie tant espérée, la jeune femme trébucha sur une masse sombre qui grogna à son heurt.

- Qu'est ce que tu fous, merdeuse?

Elle reconnut immédiatement le propriétaire de cette voix caverneuse. Bien sûr, sur n'importe quelle personne qu'elle aurait pu croiser, il fallait qu'elle tombe sur Livaï Ackerman, assis sur les marche et qui la toisait d'un regard noir.

- Je... Je voulais juste prendre l'air, bégaya la jeune femme.

- Le couvre feu est passé, je te signale.

Mais lorsque que le caporal remarqua les sillons de sueur sur son front et son regard voilé d'effroi, il décida de ne pas lâcher la remarque cinglante qu'il s'apprêtait à lui jeter au visage.

- Bon... Fais ce que tu veux, reste juste dans le coin, que je garde à l'œil.

Pour seule réponse, Ash s'assit à ses côtés sous le regard surpris de son supérieur, en gardant néanmoins une certaine distance.

Elle ne savait pas pourquoi, mais la jeune femme ressentait le besoin de la présence de quelqu'un pour éloigner le plus possible les remous effrayants de sa récente vision nocturne, même s'il fallait qu'il s'agisse du caporal qu'elle avait tant de mal à cerner.

"Tant pis, n'importe qui fera l'affaire", se dit-elle en sortant une cigarette de sa poche et en la portant à sa bouche sous le regard méfiant de Livaï.

- Et... Vous ne dormez pas? demanda timidement la jeune femme, jaugeant s'il était une bonne idée de rompre le silence et d'oser poser une question au caporal sans s'attirer ses foudres.

- Très peu, répondit le jeune homme, surpris lui-même de la franchise de ses mots. Passe-moi une cigarette, tu veux?

Ash s'exécuta en détaillant le visage de l'homme assis à côté d'elle.

Il est vrai que de longues cernes violacées se dessinaient sous les yeux fins et glacés du caporal, qui témoignaient d'un lourd manque de sommeil. De longues mèches sombres obstruaient son visage, et les pâles lueurs de la Lune donnaient à sa peau une teinte cireuse, blafarde, qui lui fit réaliser à quel point le caporal semblait épuisé. Elle n'avait jamais constaté autre chose qu'une dure expression de pierre sur son visage dénué d'émotions apparentes, à part parfois de la sévérité ou du dégout lorsqu'il se trouvait en présence d'une quelconque saleté... Ou, encore plus rare, la rage lorsqu'il l'avait retrouvée derrière le bar de l'auberge où elle travaillait autrefois, ou encore lors de leur combat, dans l'après-midi.

Parce que oui, le caporal s'était battu avec rage; elle avait vu toute la colère qui découlaient de ses yeux lorsqu'elle s'était retrouvée assaillie sous ses poings et ses coups. Mais elle ne lui en voulait pas. Au contraire, elle aimait voir ce feu dans les yeux de ses adversaires, qui lui dévoilait leur vraie nature, la hargne pour laquelle ils se battent, et qui lui donnait la rage, à elle aussi, puisqu'elle était habitée par la même flamme, puisqu'ici, il n'y a qu'au combat qu'on est libre.

Pour la première fois, elle réalisa que l'homme devant elle n'était qu'une carapace, qu'il s'était forgé lui aussi un masque, dur et ferme, qui au grand jamais ne devait se fissurer pour dévoiler une infime parcelle de la teneur de ses sentiments au grand jour. Il était comme tout le monde, meurtri, écorché par les lames du temps et des épreuves. La lueur amère qui éclairait ses yeux tandis qu'il l'avait rué de coups en témoignait.

Jusqu'ici, elle ne s'était fiée qu'à l'expression immuable, impénétrable du caporal en pensant qu'elle la définissait. Ce n'était pas dans son habitude pourtant, elle était plutôt du genre à lire entre les lignes.

Mais quelque chose chez le jeune homme la bloquait. Il dégageait quelque chose de déroutant, singulier, inexplicable. Tout chez lui était une énigme, finalement. Malgré son aversion pour cet homme peu fréquentable, elle se surprit à vouloir résoudre son mystère.

- Qu'est ce que tu mates, merdeuse?

Livaï sentait le regard densément bleu de cette étrange jeune fille posé sur lui depuis quelques instants, et il n'aimait vraiment pas la lueur clairvoyante qui s'était éclairée dans ses yeux.

- Vous passez bien vos journées à me lorgner, et je ne vous dis rien, répliqua la balafrée le plus simplement du monde en lâchant un souffle de fumée dans la nuit.

- Tss...

Touché. Il ne trouvait pas l'utilité de se justifier devant cette vérité si flagrante. Un silence paisible s'installa, tandis qu'ils tiraient respectivement sur leurs maigres bâtons incandescents, et que seuls le bruit de leurs souffles recrachant la dangereuse fumée nuisait au parfait silence. Silence que la jeune fille brisa soudainement:

- Vous me trouvez louche, hein?

Cette fois, Livaï se tourna franchement vers la jeune femme, un sourcil levé. De son côté, Ash se demanda pourquoi elle avait pris la liberté de lâcher ces mots.

- Je... Je ne comprends pas moi même ce que je fais là, tenta t-elle de se justifier précipitamment. Je suis pas là pour vous faire la misère, ça, je m'en occupe bien toute seule. Vous pouvez relâcher votre garde, j'ai pas l'intention de faire quoi que ce soit de mal.

Surpris par la soudaine loquacité de la bouclée, Livaï garda le silence quelques secondes, avant de répondre simplement:

- Je sais.

Il avait bien entendu la jeune fille déblatérer le fond de sa pensée à Hanji et Mike, le premier jour de son entraînement. Au vu de son expression, il n'avait pas douté une seconde de sa sincérité.

- Mais j'ai l'impression que tu n'as pas bien saisi le rôle du Bataillon, merdeuse. Sais-tu seulement ce qu'on fait, dans ce foutoir?

- On massacre du titan en essayant de trouver des réponses, répondit-elle nonchalamment.

Livaï haussa un sourcil agacé devant l'expression flegmatique de la balafrée.

- T'as l'air bien sereine pour une gamine qui n'en a jamais vu, cracha t-il.

- Ça, vous n'en savez rien.

Ash avala une dernière taffe avant de jeter son mégot et de lui tourner le dos froidement. Elle disparut dans la pénombre du sombre bâtiment, laissant un caporal sidéré par la teneur de ses dernières paroles derrière elle.

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