Chapitre 35 - Les secrets de notre monde
Ash se redressa brutalement, déstabilisée.
Elle plissa des yeux sous la clarté du jour qui imprégnait la pièce, l'aveuglant de son intensité.
Est ce que tout cela avait été un cauchemar? Les vestiges des images qu'elle voyait passer devant ses yeux lui affirmaient le contraire, pourtant. La ruelle sombre, le visage déformé de rage de Remy, sa lame lui fondant dessus pour l'achever...
Une fois de plus, elle n'était pas censée se trouver ici, vivante. Une bonne étoile semblait veiller sur elle, décidément.
La dernière chose dont elle se rappelait était cette étrange étincelle émeraude qui avait fait irruption devant ses yeux, éclairant d'espoir cette ruelle poisseuse où elle avait cru mourir.
Elle devait comprendre ce qu'il s'était passé. Vite.
Une fois habituée à la luminosité ambiante, elle réalisa avec effarement que les lieux ne lui étaient aucunement familiers. La pièce était imprégnée d'une étrange odeur de neuf qui lui agressait désagréablement le nez. Le lit dans lequel elle semblait avoir dormi était bien trop grand, bien trop luxueux pour qu'il appartienne au Bataillon, et les murs étaient ornés de diverses peintures et décorations qu'elle n'avait même jamais eu l'occasion d'entrapercevoir dans sa misérable vie. Où avait-elle donc atterri?
Elle sauta vivement de son lit, mais hoqueta de surprise lorsqu'elle sentit une douleur cuisante fulgurer de son épaule. La jeune femme souleva doucement le manche de sa robe de malade et découvrit son épaule soigneusement pansée d'un bandage immaculé.
Elle soupira d'exaspération. Pourquoi fallait-il toujours qu'elle se retrouve blessée, à la fin? Elle se rassura néanmoins en se disant qu'elle était en capacité de marcher, c'était déjà ça. Et puis malgré l'immonde sensation du sang tambourinant furieusement au creux de sa plaie, la blessure ne semblait pas très sérieuse et la douleur était plus que supportable.
Ash se précipita à la fenêtre de son pas claudicant, dans l'espoir de trouver quelques indices sur l'endroit où elle pouvait bien se trouver. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'elle découvrit que l'éternelle forêt de jade qui bordait le quartier général avait été remplacée par la grisaille des pierres d'une ville animée.
Un détail lui sauta immédiatement aux yeux. Ce n'était pas une de ces villes qu'elle connaissait, où elle avait vécu, simples et à la population misérable. Non, ici, l'architecture des bâtiments semblait bien plus esthétique et raffiné, les rues étaient fleuries de mille couleurs chatoyantes et les passants se pavanaient parés de leur plus beaux vêtements aux coloris somptueux, éclatants.
Elle n'avait jamais vu ça de sa vie. Elle eut l'impression d'avoir changé de monde, où le soleil semblait briller bien plus fort, où chaque moindre détail était une merveille pour les yeux, où le froid n'existait pas.
Fortement intriguée par cet univers étincelant de reflets dorés, Ash ne put dévier son regard de cette étrange ruelle rayonnante de superbe, nourrissant ses yeux de ces couleurs qu'elle semblait ne jamais avoir imaginé tant elle étaient vives, criardes.
- Ash?
La bouclée sursauta et se retourna vivement, ses sens en alerte.
Mais son palpitant s'adoucit bien vite lorsqu'elle reconnut la jeune femme rousse à l'aura apaisante dans l'encadrement de la porte, qui la dévisageait de ses grands yeux dorés.
- Petra, dit la bouclée dans un souffle soulagé.
Qu'il était bon de voir un visage familier dans cette mer inconnue. Ash n'avait pas fait un pas en avant que son amie lui avait déjà sauté dans les bras, l'étreignant de toutes ses forces.
- On a tellement eu peur! soupira Petra. Je suis tellement désolée de ne pas être venue avec toi...
La balafrée voulut ouvrir la bouche pour la rassurer, mais ne put s'empêcher de serrer les dents pour ne pas lâcher un gémissement de douleur.
- Oh, désolée, s'excusa la rousse en reculant. Tu devrais retourner t'allonger, tu sais.
- J'en ai marre des lits de malade, râla Ash avec un sourire en coin.
Petra acquiesça, compatissante, mais l'invita tout de même à venir s'assoir sur le lit à ses côtés.
- Où est-ce qu'on est? s'empressa de demander la bouclée, avide de réponses.
- Nous sommes à Stohess, district du mur Sina. Il s'est passé beaucoup de choses pendant les deux jours où tu as dormi, tu sais.
- Qu'est ce que...
- Je peux trop rien te dire, coupa Petra avec un sourire contrit. Mais puisque tu es réveillée, tu vas pouvoir participer à la réunion de tout à l'heure.
La rousse lui expliqua alors que les derniers évènements avaient mis en avant certaines affaires dans laquelle elle avait été impliquée malgré elle, et que quelques hauts dirigeants de l'armée de murs se trouvaient ici même dans l'attente de son témoignage.
Malgré sa stupéfaction et son appréhension de devoir se confronter à de telles histoires dont elle ne savait que trop peu de choses, Ash était néanmoins consciente qu'un secret planait au dessus d'elle et des hommes avec qui elle avait partagé son adolescence, quelque chose qu'ils n'avaient jamais voulu lui révéler. Tiraillée entre la hâte d'en savoir davantage et la crainte de ce qui allait en découler, Ash se sentait quelque peu dépassée par tous ces évènements qui la ballotaient dans tous les sens, contre son gré.
- Et Remy...? osa t-elle demander finalement, soucieuse de comprendre l'aboutissement de leur confrontation qui demeurait flou dans son esprit.
- Il est enfermé dans un cachot sous le palais de justice, apparemment, et son sort dépendra de l'issue de la réunion de cette après-midi. Enfin, si le capitaine Hanji n'avait pas empêché le caporal de le trucider, il ne serait déjà plus de ce monde, à l'heure qu'il est. Ça s'est joué de peu.
Ash leva un sourcil surpris.
- Je ne l'ai jamais vu aussi fou de rage, poursuivit Petra, le regard vague. Quand il nous a retrouvé dans la taverne où nous étions, j'ai cru qu'il allait nous égorger sur le champ. Il m'a vraiment terrifiée... Je... Je crois qu'il s'inquiétait beaucoup pour toi.
"Je ne comprendrais jamais cet homme", pensa Ash, exaspérée.
- Dis moi, tu as changé d'avis? demanda timidement Petra après quelques secondes de silence.
La bouclée dévisagea son amie, incrédule.
- Tu sais, la première fois qu'on a vraiment parlé, je t'ai demandé si tu ne trouvais pas le caporal Livaï... euh... séduisant, et tu m'as répondu que tu ne l'avais jamais vraiment regardé, et que tu penchais plutôt pour un "non". Tu... Tu as changé d'avis?
Sans qu'elle ne puisse se contrôler, Ash sentit ses joues virer à l'écarlate, trahissant ainsi sa réponse. D'où sortait-elle donc cette question?
Puis elle se rappela à quel point Petra semblait nourrir de profonds sentiments pour ce mystérieux petit homme peu aimable, et elle se sentit soudainement très mal à l'aise.
- Parce que lui, en tout cas, il a l'air de tenir énormément à toi, poursuivit la rousse, la voix un peu tremblante. Enfin, il se comporte toujours bizarrement lorsqu'il est question de toi, et voilà ce que j'en déduis.
- Je... Je suis désolée, Petra, furent les seules syllabes que parvint à articuler la bouclée, dont le malaise ne cessait de s'intensifier au fil des secondes. Je...
- Écoute moi, Ash.
Petra se tourna franchement vers elle, plantant son regard scintillant dans celui égaré de la jeune femme.
- Je ne veux pas que tu t'excuses. Ce sont des choses qu'on ne contrôle pas, c'est comme ça. Je... Je trouve que vous vous ressemblez, tu sais. Le caporal, c'est quelqu'un que... qui paraît à part, et tu es pareille. Personne ne parviendra jamais vraiment à vous comprendre, vous êtes si... si loin, à des années lumière du reste du monde. Alors je pense que c'est une bonne chose que vous vous hissiez mutuellement vers le haut, parce que vous n'avez rien d'autre pour vous protéger de ce monde qui nous accule de sa cruauté.
Ash cligna frénétiquement des yeux, sidérée. Alors qu'elle devrait souffrir de la situation, voilà que Petra la poussait à se rapprocher de cet homme qu'elles aimaient toutes les deux, en passant outre ses propres sentiments. La bouclée l'admira profondément, à cet instant, pour cette sagesse et cette humilité dont elle faisait preuve en lui montrant la lumière, tel un guide pour éclairer le tunnel de ses tourments où elle n'avait jamais cessé d'errer, dans les ténèbres.
- Alors, ne t'excuse pas.
***
Plantée devant l'immense porte de bois de chêne, Ash hésita.
Pourquoi fallait-il toujours qu'une porte se dresse devant elle lorsqu'elle s'apprêtait à faire un pas en avant vers la résolution de tous ses problèmes? Comme si une barrière de bois se devait toujours de la prévenir des vérités qu'elle devrait affronter en entrant. Et plus la porte était grande et majestueuse, plus les risques de souffrir étaient grands; elle le pressentait amèrement, alors qu'elle se tenait devant celle-ci, en s'apprêtant à entrer au cœur des secrets dans lesquels elle avait baigné toute sa vie sans même le savoir.
Elle finit par souffler un bon coup, et après avoir rassemblé tout son courage, elle posa la main sur la poignée ornée de fioritures et poussa lentement la dernière barrière entre elle et le reste du monde.
Elle se figea lorsqu'elle se retrouva face à une vingtaine de personnes, rassemblés autour d'une table immense, qui se turent instantanément et levèrent chacun les yeux vers sa maigre silhouette.
La balafrée déglutit difficilement et sentit la panique monter tandis qu'elle cherchait avec espoir quelques visages familiers. Elle se calma quelque peu lorsqu'elle repéra la tignasse blonde du major Erwin Smith, qui lui adressa un petit sourire encourageant, puis Hanji qui se retint difficilement de lever les bras et hurler son nom. Beaucoup lui étaient inconnus, mais tous étaient vêtus aux couleurs de l'armée, certains marqué de l'écusson de la Garnison, et une minorité de celui des Brigades Spéciales. Tous semblaient attendre une réaction de sa part, et après un petit temps de latence, elle se décida à poser le poing sur le cœur et à se présenter.
- Capitaine Ash, cheffe de la 4e escouade du Bataillon d'Exploration, scanda t-elle avec le peu d'assurance qui lui restait.
Un homme dégarni et au visage profondément marqué par le temps se leva et prit la parole à son tour.
- Bienvenue à toi, capitaine Ash, s'enquit-il, les yeux scintillants de malice. Je suis le commandant Dot Pixis, et je vais présider cette réunion. Nous n'attendions plus que toi.
D'un geste cordial, il l'invita à prendre place sur la seule chaise libre, entre le caporal-chef Livaï et... Noah?
Ash se retint d'exprimer sa surprise quant à la présence de son ami d'enfance, et s'installa prudemment aux côtés de ses pairs. Elle jeta un coup d'œil furtif au caporal qui arborait un air profondément ennuyé, et batailla pour ne pas se mettre à rougir lorsque ce dernier tourna la tête vers elle à son tour pour la transpercer de l'acier de son regard qui n'exprimait rien d'autre qu'un profond détachement, comme si tout ce qu'il se passait autour de lui était dénué de sens. Elle détourna prestement les yeux pour se concentrer sur ce qui avait commencé à se dire, craignant d'avoir déjà raté quelques informations importantes.
"Reprends-toi, bordel", se sermonna t-elle mentalement, en se maudissant de se laisser déstabiliser à ce point.
- ... une affaire vieille de quinze ans, mais dont a la possibilité d'élucider aujourd'hui grâce aux récents évènements, déclarait Pixis d'un ton solennel, captivant la ronde de sa simple voix. Cette réunion aura pour but de résumer les faits pour permettre à tout le monde de comprendre l'importance d'un tel cas de figure, et ainsi statuer sur le sort de Remy Schiffer, ancien gradé de la Garnison, condamné pour avoir déserté ses fonctions, pour meurtre et enfin pour avoir attenté à la survie de l'Humanité, ce qui est...
Ash fronça les sourcils. "Il menaçait l'Humanité? C'est un peu gros", pensa t-elle.
- ... Pour commencer, il faut parler du cas de Stefan Rothschild, ayant également appartenu aux rangs de la Garnison il y a quinze ans. Il faut tout d'abord savoir qu'étant né dans la ville souterraine, il était habitué à y retourner régulièrement pour tenter d'améliorer les conditions de vie de nombreux orphelins en leur partageant son savoir et certaines de ses possessions. Il était...
Ash se figea. Elle ne savait rien de tout ça.
- ... il y a récolté certaines informations inconnues du grand public, notamment celui d'un ouvrage en possession de la lignée royale qui révèlerait vraisemblablement l'origine de notre monde. Nous n'avons pas connaissance des circonstances dans lesquels il aurait découvert l'existence d'un tel ouvrage, mais il s'est révélé irréfutable lorsque quinze ans auparavant, quelques jours avant de déserter leurs fonctions, Rothschild et Schiffer ont dérobé ledit ouvrage avant de profiter de la panique à Utopia pour s'éclipser.
Pixis marqua une pause, le temps que l'assemblée intègre l'information. Ash n'avait pu s'empêcher d'ouvrir grand la bouche, estomaquée.
- Si l'existence d'un tel livre est avéré, comment est-il possible que deux simples soldats aient pu réussir à le voler? commenta un soldat des Brigades Spéciales, sceptique. Je pense qu'un ouvrage contenant des informations pareilles devait être particulièrement bien gardé, non?
- Il se trouve que Stefan Rothschild était mon prédécesseur, annonça Pixis, de but en blanc.
Beaucoup eurent un soudain hoquet de surprise.
- Tout comme moi, poursuivit le haut commandant de la Garnison, il était de la division royale de la Garnison et ainsi le plus haut responsable militaire des territoires du Sud. Il avait ainsi constitué au fil des années de très bonnes relations avec la chambre Royale et un réseau de connaissances non-négligeable dans l'ensemble du territoire de l'Humanité. Il était très érudit et s'était beaucoup documenté au préalable, et a pu mener à bien son projet sans trop de problèmes. Il était respecté de ses pairs et a aidé l'Humanité dans bien des cas, mais aujourd'hui, on ne connait son nom qu'en tant que traître à son serment.
Interdite, l'assemblée entière scrutait Pixis avec des yeux ronds, incrédule. Ash peinait à digérer ce trop-plein d'informations, et se sentait presque nauséeuse.
- Pour résumer, nos deux déserteurs avaient pour projet de révéler au grand jour le contenu de ce fameux livre. Ils étaient foncièrement recherchés pour haute trahison, mais également pour avoir révélé l'existence d'un tel ouvrage dont la royauté semblait vouloir taire, aboutissant ainsi à une immense confusion au sein du peuple et de nos dirigeants. Aujourd'hui, peu de personnes ont connaissance de ces évènements; ainsi, on peut supposer que la vague de protestations a été maîtrisée, et que l'affaire a été étouffée.
Ces confidences étaient grandement révélatrices sur le système de leur monde, et chaque individu présent dans cette salle semblait en mesurer les conséquences. Ash comprit alors pourquoi cette réunion ne se déroulait pas en présence d'un représentant de la monarchie, et sut qu'aucune révélation exprimée ici ne devraient passer le seuil de cette pièce.
- A présent, passons à l'histoire de cette jeune femme.
Pixis avait désigné de la main la balafrée, et cette dernière réalisa avec horreur qu'elle était "la jeune femme" en question. Elle se raidit violemment, et, livide, tenta de ne pas prêter attention à toutes ces têtes tournées vers elle, louchant sur la cicatrice qui lui dévorait la joue sans retenue.
A l'instant où elle crut mourir d'embarras, elle sentit quelque chose lui effleurer ses doigts crispés sur sa cuisse, qui agrippaient fermement son pantalon tant elle était sous tension. Elle crut succomber une nouvelle fois lorsqu'elle réalisa qu'on lui touchait la main gauche, et qu'à sa gauche, il y avait le caporal-chef Livaï. Alors qu'elle sentait sa poitrine se réchauffer autant que ses joues, elle dût faire un effort surhumain pour feindre l'indifférence, puisque bien trop de regards étaient posés sur elle à cet instant.
C'en était trop à la fois, et elle se demanda comment elle avait fait pour ne pas déjà imploser. Du coin de l'œil, elle vit un caporal toujours aussi impassible qu'à l'accoutumée, le regard braqué droit devant lui avec son éternel air indéchiffrable plaqué sur son visage. Alors que sous la table, il s'amusait à effleurer lascivement son poignet, la voix de Pixis résonnait à nouveau dans la pièce pour conter sa propre histoire, sans qu'elle ne sache comment le commandant en savait tant sur elle.
Les doigts de Livaï montèrent lentement le dos de sa main, avant de s'attaquer au creux de son pouce, avec une douceur insoupçonnée. Ash comprit alors que l'intention du caporal n'était pas de la perturber plus qu'elle ne l'était déjà; il semblait au contraire vouloir l'apaiser, la soulager de sa tension par des gestes qui se voulaient être tendres et secourables. A cette pensée, la boule de chaleur logée dans son thorax se déversa dans son corps tout entier, et son agitation générale s'adoucit quelque peu.
Elle aurait tant voulu fermer ses oreilles comme l'on ferme les yeux lorsque Dot Pixis s'était mis à raconter l'instant où des soldats des Brigades Spéciales avaient retrouvé le corps sans vie de son père il y a dix ans de cela, dans cette grange abandonnée en bord de forêt. Mais son intérêt se raviva lorsque le haut commandant de la Garnison invita son voisin de droite à témoigner la suite des évènements.
Noah. Elle allait finalement découvrir la version de ce garçon qu'elle aimait tant, mais qu'elle avait refusé de croire. C'était peut-être l'étape de trop.
Elle se sentait tellement noyée au milieu de ces révélations qui affluaient trop vite, de ce tumulte d'émotions qui ravageait son esprit esquinté qu'elle eut un moment d'oscillement, où elle réprima difficilement un sanglot à travers un hoquet timide, étriqué.
Lorsque Livaï sentit le malaise de la jeune femme remonter violemment, il cessa ses lentes caresses pour retourner complètement sa main et venir doucement entrelacer leurs doigts, amenant une deuxième vague de chaleur déferler dans le corps de la bouclée.
- Tiens bon, souffla t-il, si bas qu'elle fut la seule à l'entendre.
Elle resserra presque automatiquement ses phalanges autour de celles du caporal dans un geste presque suppliant, affligé, et le jeune homme répondit solidement à l'étreinte de ses doigts tout en caressant du pouce le dos de sa main.
Ash s'accrochait à leurs paumes liées comme on s'accroche à la dernière pierre avant de tomber dans le précipice, et c'est avec ce sentiment d'amarrage qu'elle parvint à écouter Noah, qui s'était levé et avait posé son poing sur le cœur.
- Recrue Noah Ulrike, membre de la 4e escouade du Bataillon d'Exploration, se présenta t-il avec ferveur, le regard résolu.
Il balaya la pièce de ses yeux sombres, sans ciller face à la vingtaine de visages tournés vers lui à cet instant.
- Je suis originaire du district d'Utopia et suis devenu orphelin suite aux évènements, il y a quinze ans. J'ai également été recueilli par Stefan Rothschild et Remy Schiffer durant mon adolescence et j'ai partagé de nombreux moments avec eux, malgré le fait que Remy n'ait jamais été d'accord avec l'idée que j'intègre le groupe à mon tour. Mais comme tous ceux qui l'ont vue, j'étais résolu à savoir qui était cette enfant qui a réussi à triompher d'un titan, et j'avais enfin réussi à la trouver.
Il marqua une pause et baissa les yeux vers son amie d'enfance qui le scrutait de ses yeux effarés. Noah lui sourit tendrement, avant de reprendre:
- Le jour de la mort de Stefan, je me trouvais à l'extérieur de la grange tandis que Remy s'occupait des chevaux que nous avions récemment apprivoisés. Stefan était à l'intérieur et étudiait un gros livre qu'on avait souvent l'habitude de voir entre ses mains. Lorsque Ash est sortie aller chercher de l'eau, Remy est venu me voir et m'a demandé mon couteau, celui dont je ne me séparait jamais car il était le dernier souvenir de mon père, en me disant qu'il y avait un problème et que je ne devais surtout pas bouger. Il est entré dans la grange et est ressorti quelques minutes plus tard, ensanglanté, et m'a ordonné de fuir avec lui car quelqu'un nous avait découvert et avait tué Stefan avant de s'enfuir à l'arrière de la grange. A l'époque, j'étais très crédule, et je l'ai cru immédiatement, sans me poser de question à propos de mon couteau qu'il n'avait pas ramené ni du livre de Stefan ensanglanté qu'il tenait dans sa main. Il m'a assuré que Ash était au courant et qu'elle nous rejoindrait, et nous sommes partis.
Noah souffla un grand coup et ferma les yeux. Ash remarqua que ses mains tremblaient et qu'il semblait donner de lourds efforts pour contrôler son agitation. Elle n'était pas la seule à souffrir de cette réunion, et cela la conforta dans l'idée que Noah ne pouvait mentir, tant ses réactions lui ressemblaient.
- J'ai ainsi vécu quelques années seul en compagnie de Remy, sans que Ash ne se montre jamais. Remy m'avait fait croire qu'elle était sûrement morte, que la personne qui avait tué Stefan l'avait retrouvée et assassinée à son tour. J'étais complètement déboussolé, affligé par la prétendue mort de nos deux autres compagnons que j'affectionnais tant, alors j'ai suivi aveuglément Remy en pensant que ce sentiment de perte le pesait autant que moi, que nous vivions la même chose. Je ne l'ai jamais vraiment apprécié, ni été d'accord avec ses méthodes et ses pensées, mais je ne peux pas nier qu'il a contribué à me maintenir en vie durant toutes ces années en nous trouvant à manger et un endroit où dormir tous les soirs.
Noah serra fermement ses poings et rouvrit les yeux.
- Remy s'absentait très souvent la journée en emportant ce livre qu'il ne quittait jamais et dont il n'a jamais voulu me parler, et me demandait à chaque fois de ne pas bouger de la planque en me faisant croire qu'il craignait pour ma sécurité. Mais lorsque ses absences s'étaient faites plus longues et régulières, par pure curiosité, j'ai décidé un jour de le suivre et de comprendre qu'est ce que qu'il pouvait bien faire. J'ai fini par découvrir qu'il rencontrait des gens louches et tentait de créer un réseau de dissidents, dont les principes semblaient toujours tourner autour de ce fameux livre. Je l'ai suivi tous les jours depuis sans jamais me faire remarquer, en essayant de comprendre ce qu'ils faisaient, puisqu'il ne voulait pas me parler malgré toutes les questions que je lui posais. C'est lorsque je l'ai entendu dire un jour qu'il avait tué Stefan de ses propres mains que j'ai tout compris.
Une nouvelle pause. Une nouvelle expiration. Une nouvelle vague de d'informations.
Ash serrait si fort la main du caporal que ses jointures avaient fini par blanchir. Livaï ne s'en offusquait aucunement, et se contentait de poursuivre les caresses de son pouce en étudiant minutieusement les réactions de la bouclée face aux dires de son ami d'enfance. Elle semblait complètement ébranlée, et pourtant, seule la pression de ses doigts autour des siens pouvaient témoigner de sa détresse, son visage tourné vers Noah n'exprimant rien d'autre qu'un vif l'intérêt.
- J'ai mis le feu au bouquin sans savoir ce que c'était, avoua Noah, mal à l'aise. La seule chose que je comprenais, c'est qu'il était à l'origine de la mort de Stefan et de la disparition de Ash. Remy ne cessait de me hurler que c'était pas de sa faute, que Stefan avait été trop téméraire, et que moi aussi, et il a essayé de me tuer à mon tour. J'ai réussi à fuir et j'ai fait de mon mieux pour qu'il ne me retrouve jamais, et c'est pourquoi, il y a trois ans, j'ai intégré les Brigades d'Entraînement. Je savais qu'il avait l'armée en horreur et qu'il ne se risquerait jamais de venir me régler mes comptes dans un environnement aussi hostile pour lui. Et puis moi, je voulais enfin consacrer mon existence à autre chose que la misère, et je me suis donc donné les moyens d'intégrer les Brigades Spéciales pour enfin vivre sans avoir peur de ne pas pouvoir manger le lendemain. Et puis, il y a quelques mois, un peu avant de faire notre choix sur notre affectation entre les trois corps d'armée, j'ai entendu deux vétérans parler d'une nouvelle recrue chez les explorateurs. Une vagabonde balafrée, apparemment, tout droit sortie de la rue par Erwin Smith, le deuxième cas aussi saugrenu dans l'histoire du Bataillon d'Exploration.
Noah se tourna franchement vers la bouclée et planta ses yeux sombres criants la sincérité dans les siens. Il ne parlait plus à l'assemblée de soldat, mais à elle, pour la première fois depuis des années.
- J'ai tout de suite su que c'était toi, Ash. Ça ne pouvait pas être autrement. J'ai vécu toutes ces années dans l'espoir de te retrouver, en sachant au fond de moi que tu n'avais pas encore fini de marquer l'esprit des gens comme tu l'avais fait avec le mien. J'ai alors laissé tomber mon ambition de vivre chaudement, pour aller risquer ma vie chez les explorateurs. A quoi bon croire que ces murailles nous protègent, après tout? C'est pas vrai, et ça n'a jamais été vrai. L'horreur et la misère imprègnent ces murs, autant à l'intérieur qu'à l'extérieur, et personne ne le sait aussi bien que toi et moi.
Ash serra la main de Livaï une dernière fois. Noah sourit lentement, et conclut d'une voix faible et forte à la fois:
- Alors j'ai décidé que la seule chose qui en valait la peine, finalement, c'était de te revoir, et d'aller découvrir les secrets de notre monde que j'ai brûlé avec toi.
________
Ça roule ?
Hehe, je sais que ça fait longtemps, j'espère que vous m'en voulez pas.
Voilà ledit chapitre long et lourd à lire que j'ai tellement hésité à poster, et qui met un terme aux mystères qui tournaient autour de notre bouclée préférée. J'espère que c'est crédible, et pas trop imbuvable !
Je tiens réellement à finir cette histoire, ça me tient tellement à coeur. Je pense disparaître encore quelques semaines, le temps de conjuguer écriture et vie étudiante qui s'annonce déjà très prenante.
Mais normalement, la prochaine fois que vous recevrez une notification pour vous dire qu'un nouveau chapitre a été posté, la fin de cette fiction attendra bien chaudement dans mes brouillons dans l'attente de vous faire découvrir la suite des aventures d'Ash et Livaï 😇
N'hésitez pas à me faire savoir que vous êtes toujours là, et que je ne vous ai pas perdu après tous ces mois passés !
(Presque 30k vues. Ça fout la pression. Merci.)
Des bisous!
Emweirdoy
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