Bercée par le filet d'eau qui dévalait son corps, Ash ferma les yeux. Les paumes de ses mains reposèrent sur la paroi froide tandis qu'elle baissait la tête vers le siphon par lequel s'écoulait l'eau mêlée à toute cette crasse qui semblait avoir imprégné sa peau autant que son esprit.

Elle ouvrit les yeux et ses prunelles tombèrent nez à nez avec la vision des marques indélébiles qui imprégnaient son corps. Elle passa une main humide sur sa cuisse lacérée par les entraînement de ces derniers mois, et afficha un étrange sourire.

Tout cela valait-il le coup de se meurtrir davantage? Est-ce que s'unir à ses semblables par ces cicatrices était une bonne idée, comme lui avait dit Hanji? N'allait-elle pas se consumer encore et toujours, finalement, dans cet étrange Bataillon de marginaux avides de renouveau, de liberté? N'était-ce pas ce qu'elle prônait, elle aussi? La liberté?

Bien sûr que si. C'était bien pour cela qu'elle avait finit par se complaire ici, au milieu de cette myriade de talents, sous le drapeau émeraude aux ailes blanche et bleue du Bataillon.

Mais si elle était parvenue à unir ses idées et ses principes à ceux du Bataillon, pourquoi son existence demeurait-elle si éprouvante? Pourquoi ne parvenait-elle donc pas à retrouver la quiétude allant de pair avec cette impression de se battre pour l'idéal dont on rêve tant?

Une ombre semblait la suivre sans arrêt, comme une maladie, et lui rappeler chaque seconde qu'elle n'avait pas réglé certaines affaires avec son passé. Était-ce pour cela qu'il semblait lui coller à la peau jusqu'à devoir se retrouver nez à nez avec son ami d'enfance, celui qu'elle croyait avoir tué son père?

Elle doutait, à présent. Elle doutait affreusement, bien plus qu'elle en avait l'habitude. Tellement d'hypothèses passaient la barrière de son esprit, laissant derrière eux le chaos de l'incertitude et de l'hésitation. Que lui dictait donc son instinct alors qu'elle baignait dans le flou?

Elle n'en savait foutrement rien.

Plus le temps passait, et plus le tumulte de ses sentiments prenaient le pas sur son flair et son bon sens. Elle qui pensait qu'une vie à manger à sa faim, à pouvoir dormir dans un vrai lit et à pourchasser le fruit de ses cauchemars pour y mettre un terme suffiraient à laisser son esprit en paix, elle s'était bien trompée. Elle ne s'était jamais sentie aussi bien et mal à la fois, tiraillée entre le bonheur de pouvoir enfin donner un sens à sa vie et sa colère contre le monde entier. Pourquoi cette foutue rage persistait à lui brûler les veines, pourquoi refusait-elle de s'éteindre, bon sang?

La jeune femme passa une main sur son visage puis sur ses longueurs humides, et finit par éteindre l'eau, en se demandant combien de temps avait-elle bien pu passer à broyer du noir sous cette douche qui lui était maintenant exclusive.

Après avoir enroulé une longue serviette autour de sa poitrine, elle s'approcha timidement du miroir au dessus du lavabo, et rencontra son propre reflet.

Ses traits tirés et sa mine abattue représentaient tout ce qu'elle ne voulait pas voir. Ne s'était-elle donc pas promis de cesser de se torturer, de vivre comme elle l'entendait?

Elle secoua vivement la tête et défia son reflet du regard.

"Toi, tu vas me rallumer ce visage éteint, et fissa. Tu vas régler tout ce qui ne va pas, cesser de te paralyser à chaque nouvelle épreuve, et te bouger le cul, ma vieille. T'as prêté serment sur le cœur pour cette foutue liberté dont tu rêves tant, et tu vas t'y tenir!"

Presque par automatisme, elle posa son poing sur le cœur, et offrit un sourire malicieux à son reflet balafré.

Elle gardera espoir.

***

Livaï sentit son regard attiré par la silhouette qui entrait dans le réfectoire bondé. Les cheveux encore humides, Ash s'avança vers la table des gradés dont elle avait à présent une place de droit, le regard braqué loin devant elle.

Quelque chose dans son comportement avait encore changé, le caporal en était certain. Elle dégageait soudainement une prestance nouvelle, celle d'une femme sûre d'elle, fière de ses faits et de ses choix, avec pas moins d'humilité et de sagesse.

Elle avait l'allure d'une véritable cheffe d'escouade.

D'où provenait un tel retournement, elle qui s'était laissée aller à une rage indicible et incontrôlée seulement quelques heures auparavant? Rien que le fait qu'elle se rende au réfectoire ce soir là était quelque chose de notable. Ces dernières heures recluse dans ses quartiers semblaient lui avoir été secourables, apparemment.

Mais Livaï écarquilla les yeux lorsque la jeune femme changea de cap pour se diriger vers la table des jeunes recrues, droit sur Noah qui la scrutait lui aussi avec une surprise mal dissimulée. Allait-elle déferler à nouveau toute sa colère ici, au milieu du réfectoire?

Le caporal la vit alors poser une main ferme sur l'épaule de son ancien ami, sans que son visage n'exprime quoi que ce soit de notable; Noah leva une paire d'yeux sidérés vers les deux océans de bleu à la lueur déterminée, lorsqu'elle finit par ouvrir la bouche pour annoncer, d'une voix maîtrisée:

- Je te veux dans mon escouade.

Un silence semblait avoir envahit la pièce entière malgré tout le monde agglutiné, pratiquement chaque regard rivé sur les deux amis d'enfance dont l'altercation du matin même n'avait échappé à personne.

- Q... Quoi? s'étrangla Noah, abasourdi.

- Je veux te tenir à l'œil. Une fois que tu m'auras prouvé que tu n'es pas un assassin, on pourra se faire ces fameuses retrouvailles auxquels tu tiens tant.

La bouche grande ouverte, Noah dévisagea la jeune femme qui le surplombait de son regard effroyablement calme et sévère. Était-ce bien la même personne qui s'était jetée sur lui à peine quelques heures auparavant?

- Ça te convient, frangin?

Noah acquiesça machinalement sans jamais cesser de suivre du regard la balafrée qui avait à présent tourné les talons pour s'assoir à la table des gradés, juste ne face du caporal-chef Livaï.

Ce dernier leva également les yeux vers Ash et la transperça du regard, tandis qu'elle lui demandait silencieusement si ce qu'elle faisait était juste par la lueur indécise qui dansait dans ses prunelles azurées.

Il finit par acquiescer imperceptiblement, comme pour lui confirmer qu'elle avait fait le bon choix. Elle sourit alors, de ce sourire qui le fascinait tant, celui qu'elle affichait lors de ses instants les plus véritables, lorsque pendant un instant, elle se libérait de ses entraves et dévoilait qui elle était vraiment.

Une véritable lueur d'espoir incarné dans ce même sourire sincère.

***

- C'est d'accord, finit par trancher Erwin en reposant la liasse de papier qu'il étudiait sur le bureau.

Les bras croisés derrière son dos, Ash se tenait debout au centre de la pièce et observait les traits indéchiffrables du major.

- Noah Ulrike, vingt-trois ans, originaire du district d'Utopia, septième de sa promotion, poursuivit le blond en survolant des yeux le rapport sur son bureau. Il a d'abord formulé le souhait d'intégrer les Brigades Spéciales avant de se tourner vers le Bataillon au dernier moment. Tu accuses ce jeune homme d'avoir tué la personne qui avait ta garde, et c'est la raison pour laquelle tu veux l'intégrer à ton escouade. C'est bien ça?

Ash acquiesça en tentant de soutenir le regard sévère d'Erwin qui avait finalement levé les yeux vers la jeune soldate.

- Sur quoi sont fondés tes suspicions?

- Sur de simples hypothèses, major, avoua Ash avec monotonie. J'aimerais simplement pouvoir croire qu'il est innocent, et c'est pourquoi je veux le surveiller de près.

- Bien, déclara le major en se levant. Comme je l'ai dit, c'est d'accord. Je te laisse la liberté de pouvoir régler tes affaires. Mais n'oublie pas que c'est uniquement pour que tu puisses de consacrer pleinement au Bataillon par la suite.

- Bien, major.

- Tu peux disposer.

Ash frappa sa poitrine de son poing droit avant de tourner les talons et de se diriger vers la porte à grandes enjambées. Mais alors qu'elle tendait la main vers la poignée, elle se figea subitement, une idée germant dans son esprit.

- Excusez-moi, major...

Ce dernier leva à nouveau la tête pour adresser à la balafrée un regard interrogateur.

- Savez-vous qui est Stefan Rotschild?

Le major arqua un sourcil surpris.

- Ce nom ne m'est pas étranger, en effet, commença t-il en fixant intensément la jeune femme, restée sur le pas de la porte. Il a fait couler beaucoup d'encre à l'époque où je n'étais qu'une jeune recrue. Un haut commandant de la garnison qui déserte durant une attaque de titans, c'était une première, vois-tu.

Ash ouvrit la bouche pour poser une nouvelle question, mais le major la devança:

- Je n'en sais pas plus, navré.

La jeune femme acquiesça malgré sa déception apparente, salua une nouvelle fois son supérieur et ouvrit la porte pour prendre congé.

Elle tomba alors nez à nez avec le caporal-chef Livaï qui s'apprêtait à frapper la porte du major.

D'abord surprise, Ash sentit sa poitrine se serrer au vu du regard glacial que lui lançait le jeune homme. Où était donc passée l'expression tendre et conciliante qui avait imprégné son visage à son égard ces derniers jours? Le Livaï dont elle était proche avait encore disparu, laissant place à cet être dur, froid et impénétrable connu de tous. Elle s'interrogea une fois de plus sur le pourquoi d'un tel revirement, pourquoi s'efforcer ainsi de s'éloigner à chaque fois qu'ils semblaient effleurer une certaine proximité.

Et surtout, elle se demandait pourquoi une telle indifférence de la part de cet étrange caporal lui faisait si mal, au fond d'elle. N'avait-elle pas l'habitude, après tout?

Elle ravala son amertume en s'écartant du chemin de Livaï, non sans lui jeter un regard insolent, qu'il ignora royalement en entrant dans le bureau du major et en refermant la porte au nez de la jeune soldate.

Il allait la rendre folle.

***

- On se remue!

- Mais chef, je...

- Y'a pas de "mais chef" qui tienne, Koehler! T'es une soldate du Bataillon, à présent, il va falloir t'y faire si tu veux pas finir dans l'estomac d'un titan. On reprend!

Suite à son ordre implacable, Ash entama une nouvelle session de course, les membres de sa nouvelle escouade dans son sillage.

Voilà une semaine que ces jeunes gens étaient sous son commandement. Après avoir minutieusement étudié chaque compétence de chaque nouvelle recrue, elle avait fini par faire son choix quant à la constitution de son escouade pour quatre éléments prometteurs qui avaient attiré son attention.

Tout d'abord, Mélanie Koehler, une adolescente douée d'une agilité exceptionnelle doublée d'une langue bien pendue. "Va falloir penser à soigner ce côté râleur", pensa Ash en jetant un œil à la recrue qui traînait les pieds en bougonnant derrière elle.

Venait ensuite Silke Richter, un jeune homme quelque peu effacé mais qui se révélait être un prodige dans le maniement de l'équipement tridimensionnel. Il exécutait toujours les ordres sans broncher et sa vivacité d'esprit se lisait dans la brillance de son regard, révélant parfois un côté sournois qu'on ne lui penserait pas au premier coup d'œil.

Kerstin Friedman était, quant à lui, un concentré de force brute. De nature enjoué et blagueur, il faisait néanmoins preuve d'un sérieux extrême lorsqu'il le fallait. Il semblait vouer un respect presque religieux à la hiérarchie militaire, appliquant au pied de la lettre tout ce que Ash pouvait demander sans rien remettre en question.

Et enfin, Noah Ulrike. Bien qu'elle l'ait intégré à son escouade dans le but de le tenir à l'œil, Ash ne pouvait renier ses aptitudes flagrantes en tant que soldat. Il n'avait pas fini dans le peloton de tête pour rien; il exécutait chaque exercice avec une aisance presque désintéressée. Il lui rappelait douloureusement ses propres débuts au Bataillon, tant son attitude et ses méthodes étaient similaires aux siennes. Leurs origines étaient les mêmes, et c'en était d'autant plus flagrant quant à sa façon de se comporter.

Elle n'avait pas rassemblé ces quatre recrues uniquement pour leurs talents respectifs; Ash avait remarqué l'amitié qui les unissait profondément, et elle avait tenu à ne pas les séparer, sachant qu'une confiance mutuelle et inconditionnelle était primordiale quant à l'exécution optimale de leurs atouts. Elle l'avait appris à ses dépends, mais une bonne entente entre chaque membre d'une escouade faisait l'unité du groupe, et lorsque ce dernier se faisait indicible, leurs chances de survie était d'autant plus grande.

Car son but premier n'était pas d'avoir une escouade d'élite juste pour le plaisir de se savoir commander des prodiges.

Elle voulait juste les tenir en vie.

Alors qu'elle ordonnait à ses nouveaux subordonnés de poursuivre l'exercice, Ash dévia sa trajectoire pour venir trottiner jusqu'au bord du terrain où elle finit par s'adosser contre un muret de pierre. Elle massa machinalement sa cheville qui l'élançait douloureusement, et se maudit de ne même plus pouvoir courir en paix sans être obligée de faire de nombreuses pauses pour soulager le mal qui lui montait le long de la jambe à longueur de temps. Elle était déjà presque entièrement balafrée, et voilà qu'elle se retrouvait éclopée en prime. "A ce train là, je vais pas faire de vieux os", pensa t-elle avec amertume.

- Tu vois, je t'avais dit que tu te débrouillerais bien!

Ash pivota pour voir Hanji s'approcher, son éternel sourire enjoué plaqué sur son visage. Après avoir lâché un "Hmpf" sceptique, la jeune femme finit par rendre un sourire à la vétérane qui s'était adossée à ses côtés.

- Alors, c'est comment la vie de gradée?

- Moins compliqué que je le pensais, avoua la balafrée en jetant un œil au groupe de jeunes à présent sous son commandement. Même si j'ai du mal à m'imaginer les envoyer au casse-pipe, tu vois.

- T'inquiète donc pas, vu comment tu t'occupes d'eux, ils ont peu de chances de finir dans l'estomac d'un titan. Sauf peut-être celui-là, là-bas.

Elle pointa son doigt vers Noah qui entamait un nouveau tour de terrain, concentré.

- Lui, t'avais pas l'air de tenir sincèrement à sa survie, la semaine dernière, poursuivit Hanji en lançant un regard réprobateur à la bouclée.

- Ça va, bougonna Ash en grimaçant. Je me suis déjà fait passer un savon par le caporal, j'en ai soupé. T'as déjà vu une gradée de corvée de récurage aux écuries, toi?

- Oh, gradé ou pas, le nabot en a rien à cirer, rit Hanji au souvenir des dures sanction qu'elle s'était prise de la part de Livaï par le passé. Tout le monde est éligible au ménage dans sa tête, y'a pas de différence.

Ash joint son rire à celui d'Hanji, avant de réprimander Mélanie qui s'était crue libre d'arrêter de courir, croyant que la jeune femme ne l'avait pas vue.

- Et pourquoi donc as-tu attenté à la vie de ce jeune homme? renchérit Hanji, le regard pétillant.

La balafrée soupira bruyamment, lassée.

- De vieilles histoires, murmura t-elle sans conviction. Je vais régler ça.

- Je sais, répondit simplement Hanji en sondant la jeune femme de ses yeux sombres. Tu as encore changé depuis la semaine dernière, c'est fascinant.

Ash arqua un sourcil et interrogea la vétérane du regard. Cette dernière avait tourné les talons et s'éloignait déjà, la main levée pour la saluer.

- Tu te débrouilles très bien sans mes conseils, ma jolie. Je te laisse faire!

La jeune femme observa ainsi la vétérane partir, ses dernières paroles flottant dans son esprit sans qu'elle n'y trouve un sens.

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Coucou!

Je ne suis pas trop satisfaite de ce chapitre... C'est une sorte "d'intermédiaire" pour la suite, il est donc nécessaire, mais je sais pas, je l'aime pas. Malgré ça, j'espère que vous aurez aimé le lire!

Je stagne un peu, niveau idées pour cette histoire. J'espère que ça se ressent pas trop, et je vais faire de mon mieux pour y remédier!

Je vous remercie une nouvelle fois de prendre le temps de lire cette petite fiction sans prétention et pour le soutien que vous m'apportez!

A très bientôt pour la suite!

Emweirdoy