Chapitre 3 ~ Débuts

"C'est d'accord"

Le temps s'était suspendu un instant. La réponse avait sonné comme une évidence, flagrante.

Il n'y avait pas de place pour l'incertitude dans les yeux de la jeune fille. Ils brillaient d'un éclat qui inspirait le renouveau, la détermination.

Erwin sourit. C'était décidé. Il tendit sa main d'un geste cordial.

- Je suis le major Erwin Smith. Bienvenue au Bataillon d'Exploration, Ash.

***

- Qui est cette fille, bordel, Erwin?

Le major soupira. Le caporal ne semblait avoir plus que cette question en bouche. Depuis leur retour au QG, Livaï avait gardé une expression dure, fermée. Il ne comprenait pas la décision de son supérieur. Ils auraient très bien pu laisser passer ce putain de voyou qui vagabondait dans les rues de Trost, ce n'était pas leur problème. Mais le jeune homme avait le pressentiment que tout ce qui était arrivé avait été totalement anticipé par Erwin, et qu'engager cette jeune femme avait été son objectif dès lors qu'il était entré en trombe dans le bureau du caporal pour lui dire qu'ils sortaient faire un tour à Trost.

- Assied-toi, Livaï.

Appuyé sur le mur, les bras croisé contre sa poitrine, Livaï leva un sourcil inquisiteur mais obéit néanmoins, curieux.

- Sais-tu ce qu'est l'espoir, Livaï?

- Et c'est quoi le rapport?

- Justement. Il est là le rapport.

Exaspéré, le jeune homme leva les yeux au ciel. Il avait envie de dire à son supérieur de se foutre son explication bancale là où il le pense.

- Cette fille, c'est l'espoir, Livaï. Tu le comprendras bien assez tôt.

***

Livaï fut contraint de prendre en charge la nouvelle recrue, car d'après Erwin, "il était le soldat le plus qualifié pour s'en occuper".

"Mon cul, oui" fulminait-il en se dirigeant vers les nouveaux quartiers de la jeune femme. Il avait personnellement tenu à la garder à l'œil, c'est pourquoi sa chambre se trouvait à quelques mètres de la sienne.

Il était six heures pétantes du matin, et Livaï n'attendit pas la permission d'entrer lorsqu'il ouvra brutalement la porte de la jeune fille.

A sa plus grande stupéfaction, Ash était prête, vêtue de sa nouvelle tenue de soldat, parée pour l'entrainement.

Il croisa les yeux bleus de la jeune fille. Il ne savait pas pourquoi, quelque chose le dérangeait dans ce regard. Une lueur trop imperceptible, trop insaisissable y demeurait. Ash soutint son regard, le détaillant de la même manière. Elle jeta un œil furtif au pansement qui trônait sur son nez, souvenir cuisant du seul coup qu'elle avait réussi à lui porter.

Elle trouvait cet homme étrange. A peine plus grand qu'elle, elle scrutait son visage dur, ferme, comme s'il avait été coulé dans du marbre. Son regard glacial ne lui adressait rien d'autre qu'un mépris mal dissimulé.

Et pourtant, cet homme dressé devant elle n'était autre que le soldat le plus fort de l'humanité, le fameux caporal-chef Livaï Ackerman. Elle ne savait pas quoi en penser.

Le caporal rompit leur contact visuel et déambula sans gêne dans la chambre de la nouvelle recrue, inspectant chaque recoin de la pièce, chaque millimètre carré de surface, passant sa main derrière chaque meuble, chaque détail, même le plus subtil. Arrivée la veille, la jeune femme n'avait pas eu le loisir de s'installer correctement, et la chambre avait une allure plus ou moins impersonnelle pour l'instant.

- C'est crade ici, morveuse, cracha le caporal avec une moue dégoutée en fixant la poussière qu'avait retenu ses doigts. T'as intérêt à me briquer ça.

Ash ne releva pas. Le jeune homme lui intima alors de le suivre pour procéder à son premier entraînement, à l'extérieur.

Le court trajet se déroula en silence. Le caporal jaugeait sa nouvelle recrue de haut en bas.

Elle avait de longs cheveux bouclés qui brillaient au soleil. Mais ils étaient longs, beaucoup trop longs. Ils risquaient de la gêner le moindre de ses gestes.

- Faudra me couper ça, s'enquit-il, en piochant une de ses mèches de cheveux.

- Non, répondit-elle le plus simplement du monde.

- Pardon?

La jeune femme planta ses yeux indéchiffrables dans les siens, tandis qu'elle nouait ses longs cheveux en une queue de cheval.

- Ça devrait aller comme ça, monsieur.

- C'est caporal. Et n'essaie pas de me prendre la tête sinon ça va mal se passer pour toi, merdeuse.

- D'accord, caporal.

Il n'y avait aucune trace d'insolence dans sa voix, seulement une parfaite neutralité contrairement à ce qu'il s'était attendu. Elle ne cherchait pas à attiser sa colère, c'était déjà ça.

Livaï poursuivit son analyse sans gêne. Son visage était rond, mais ses traits fins, et cette conjugaison de détails lui accordaient une belle harmonie, quoique étrange. Quelque chose sur son visage lui allouait une expression déconcertante, insolite, sans pouvoir discerner qu'est ce qui lui donnait cet attrait exactement. La courbe de son nez avait une drôle de forme, comme s'il avait été brisé en mille morceaux et qu'on avait tenté de le recoller maladroitement. Malgré sa jeunesse évidente, le temps et les épreuves avaient marqué son visage à jamais, et elle avait le regard de celle qui en avait trop vu. Quel âge avait elle exactement? Difficile à déduire lorsqu'on associait l'apparence de sa peau gracile à la teneur de son regard.

Et surtout, une longue et épaisse cicatrice lui ciselait le cou, partant de l'extrémité droite de sa joue et s'enfonçant droit vers sa clavicule. Le jeune homme se surprit à se demander jusqu'où allait cette dernière.

La jeune fille le guettait du coin de l'œil, sans pour autant tourner la tête en sa direction. Elle avait évidemment remarqué ses yeux gris qui la lavaient de toute parts, mais elle ne fit aucun commentaire. Elle ne semblait même pas gênée, comme si elle avait l'habitude de ce genre de comportement. Décidément, le caporal trouvait l'attitude de la jeune femme de plus en plus étrange.

Le peu de soldats qu'ils croisaient à cette heure-ci fixaient curieusement la nouvelle recrue. Son arrivée n'était pas passée inaperçue, et beaucoup de membres du bataillon se posaient des questions. Ce soir aurait lieu sa présentation officielle, mais beaucoup semblaient ne pas parvenir à patienter jusque là.

Le caporal et la recrue parvinrent finalement au niveau du grand terrain en plein air situé au cœur du quartier général où se tenaient la plupart des entraînements.

Le jeune homme la jaugea une dernière fois avant de lui donner son premier ordre, simple et sec.

- Cours.

- Juste courir?

- T'es bouchée?

Ne relevant pas, une fois de plus, et sans lui accorder un regard, elle se mit à trotter tout autour du terrain, tandis que le caporal analysait méthodiquement ses gestes.

L'endurance était le B.A.BA de tout entraînement militaire, il devait commencer par ça. Ils consacrèrent ainsi leur matinée à la course.

Son souffle était bon, et elle tenait des demi-heures entières. C'était un bon début, et il se demanda comment elle avait acquit une telle endurance sans entraînement au préalable. Il ne put s'empêcher de faire le rapprochement avec sa propre existence; la rue l'avait obligé à avoir du souffle. Sinon, la rue l'aurait bouffé. Il secoua la tête, annihilant ces drôles de pensées qui avaient fusé dans son esprit sans qu'il puisse s'y préparer.

Livaï estima au bout de quelques heures qu'il serait temps de nourrir cette nouvelle recrue. Il avait remarqué les traces de son corps qui témoignaient des ravages de la malnutrition, tant ses joues creusées que son ventre aussi épais qu'une table à repasser. Il lui fit ainsi signe de le rejoindre pour se diriger vers le réfectoire, d'où émanait l'odeur habituelle sans pour autant moins alléchante de légumes frais bien assaisonnés. Elle était essoufflée, mais avait tenu bon, sans se plaindre une seule fois de ses exigences de plus en plus sévères, ce qui persistait à l'étonner. Un soldat normal aurait déjà rampé à ses pieds en le priant de lui donner à manger.

- Tu mouftes pas, toi, commenta le caporal.

La jeune fille leva les sourcils, ne sachant pas comment interpréter ces mots.

Sur le chemin, Ash prit la parole pour la première fois depuis de longue heures.

- Au fait, monsieur...

- Caporal.

- Caporal. Je suis désolée pour votre nez.

Et sur ce, elle lui faussa compagnie, s'installant vivement à une table au coin le plus reculé de la pièce, laissant un caporal hébété, qui se massait machinalement le nez sur lequel trônait depuis deux jours maintenant son grand pansement.

***

- Alors, ça fait quoi d'avoir cassé le nez du soldat le plus fort de l'humanité?

Ash jaugea la drôle de femme qui s'était autorisée à s'asseoir à ses côtés et qu'elle ne connaissait ni d'Adam ni d'Eve, qui lui parlait comme si elles avaient toujours été amies.

Ses cheveux châtains étaient attachés en une queue de cheval ébouriffée, et elle la fixait avec fascination à travers une grosse paire de lunettes posée sur son nez.

- Hanji, Livaï t'as entendu, je crois qu'il va te tuer, lui informa un homme à la chevelure blonde qui l'avait suivi.

Il se tourna vers la nouvelle recrue qui les fixait d'une moue hébétée.

- Je suis Mike Zacharias, et voici Hanji Zoe. Nous sommes les chefs des principales escouades du bataillon, avec Livaï.

- D'accord, se contenta de répondre Ash en les détaillant quelques secondes avant de se retourner vers son repas.

Surpris de cette réaction quelque peu fade, Mike la fixa longuement, tentant de déterminer ce qui clochait chez elle.

- Mike, elle a collé un coup à Livaï!, s'exclama la dénommé Hanji. Alors, alors? Ça fait quoi?

La jeune fille se tourna brusquement vers son interlocutrice surexcitée, avant de déclarer d'une traite:

- Écoutez, y'a quelques heures je savais même pas qui c'était, et franchement, j'en ai pas grand chose à faire. Je me fous des noms, des grades, des appellations de je ne sais pas qui, ce n'est pas ça qui va déterminer à qui j'accorde mon respect ou mon admiration, que ce soit pour vous, ou pour lui.

Elle avait accentué ce dernier mot en désignant le caporal, à deux tables de là, qui avait suivi l'échange à partir du moment où Hanji avait prononcé son nom.

- On m'a contrainte, mais puisque je suis là, j'ai plus trop le choix. Je ferai ce qu'on me dira de faire parce que c'est comme ça que ça marche ici, autant me faire à l'idée. Mais c'est pas pour ça que j'accorderai une quelconque importance à qui que ce soit ici, gradé ou pas. Franchement, j'en ai rien à foutre.

Elle avait parlé sur un ton morne, insipide, comme si elle racontait une simple histoire qui ne la concernait même pas, qui tranchait avec la lueur de ses yeux qui s'était allumée avec conviction.

Ash abandonna ses compagnons de table sans un regard, et s'éclipsa.

Malgré l'embarras général, Hanji sourit.

- Elle ressemble un peu à Livaï, tu trouves pas?

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