Chapitre 28 - Tracas

Ash pénétra dans la pièce, hésitante.

Elle se trouvait dans ses nouveaux quartiers.

Bien plus grande que les anciens, elle ne pouvait contester cet avantage complaisant allant de pair avec sa promotion. Et surtout, elle avait à présent une salle de bain, à elle toute seule!

Qu'allait-elle faire de tant de place? Elle qui avait toujours été habituée à vivre dans les planques les plus étroites, Ash se trouvait à présent presque étouffée par tout l'espace qui lui était accordé. Elle avait l'envie irrémédiable de le combler, de l'accabler de toutes sortes de babioles sans intérêt, seulement pour cesser de se sentir noyée par le vide immense de cette pièce, de son esprit. La salle de bain était peut-être le seul avantage, finalement.

- Ça te plait?

Ash se retourna. Erd, dans l'encadrement de la porte, contemplait la pièce d'un regard envieux.

- C'est sacrément grand, commenta t-il en passant lentement sa main sur l'immense bureau de bois poussiéreux. Par contre, je te conseille de passer un coup de balai vite fait, avant que le caporal ne débarque. Il va faire une crise cardiaque en voyant ça!

Ils pouffèrent en cœur en imaginant respectivement le visage déformé par le dégoût de leur supérieur.

- Qu'est ce que tu vas faire, maintenant?

Ash leva un sourcil interrogateur vers son collègue et ami.

- Pour l'instant, rien, répondit-elle, pensive. Je dois attendre l'arrivée des bleus pour espérer recruter.

- Tu vas nous manquer.

La jeune femme contempla son comparse, étonnée. Dans sa voix vibrait un soupçon de tristesse, comme s'il regrettait déjà l'absence de son amie.

- Arrête, Erd, rit-elle comme pour détendre les traits tirés par l'amertume du blond. Tu parles comme si je quittais définitivement le Bataillon. Ma chambre n'est juste plus au même étage, c'est tout.

- Non, tu es aussi ma supérieure maintenant, dit Erd avec un sourire amusé.

Ash explosa de rire, ébahie par l'absurdité d'une telle situation.

- Comme si j'allais user de mon autorité sur toi! gloussa t-elle en essuyant ses larmes d'hilarité.

- Pourquoi pas? murmura le blond en s'approchant de la bouclée.

- Parce que j'en ai pas, articula t-elle dans un nouvel éclat de rire nerveux.

Son rire s'étrangla dans un hoquet surpris lorsque Erd encadra son visage balafré de ses paumes.

- Erd, qu'est ce qu...

- Dis-moi, chef, as-tu assez d'autorité pour m'empêcher de faire ça?

Ash déglutit douloureusement lorsque le blond pencha dangereusement la tête vers elle. D'abord paralysée de stupeur, elle finit par poser sèchement les mains sur le torse de son ami pour le repousser.

- Erd, je...

- Je sais, coupa t-il, le visage soudainement fermé. Je voulais quand même vérifier, histoire d'être sûr. Je t'embêterai plus, maintenant.

Bouche bée, Ash contempla le visage torturé de son ami, impuissante. De longues minutes insoutenables passèrent, aucun des deux soldats ne sachant comment gérer pareille situation. A cet instant, la jeune femme souhaitait plus que tout partir en courant, fuir l'ombre sur le visage de son précieux ami qu'elle avait elle-même douloureusement installé; et pourtant, elle voulait aussi prendre Erd dans ses bras, lui expliquer à quel point elle l'aimait, seulement pas de la manière dont il voulait.

Mais elle n'esquissa pas un geste. Aucun mot ne s'évada de sa gorge nouée. Elle se contenta d'écouter douloureusement son cœur cognant contre ses tempes, qui ne battait malheureusement pas pour ce jeune homme qui lui faisait face.

- C'est le caporal, hein?

Ash sortit de sa torpeur honteuse pour enfin affronter le regard cuisant de son ami.

- Me regarde pas comme ça. Tu sais de quoi je parle.

Piquée à vif, Ash ouvrit la bouche pour répliquer.

- Je...

- C'est bon, dis rien. Je sais.

Erd se retourna lentement et avança vers la porte, son expression affligée échappant au regard abasourdi de la jeune femme.

- Erd...

Mais le jeune homme avait déjà refermé la porte sur sa silhouette voutée, laissant Ash seule au milieu du vide immense de sa nouvelle chambre, reflet de celui qui avait encore enflé dans son propre cœur.

***

- Eh oh, Ash, tu m'écoutes? Coucou?

Hanji passait machinalement sa main devant les yeux vides de la balafrée en espérant obtenir un peu de son attention. Ash papillonna des paupières comme si elle venait d'émerger d'un très long sommeil et ses joues rosirent légèrement.

- Ah, pardon, Hanji...

- T'as pas l'air dans ton assiette, toi.

Au milieu du fouillis de son bureau, la scientifique avait invitée la jeune femme à lui tenir compagnie tandis qu'elle s'attelait à remplir toute sorte de paperasses. Hanji avait cru bon de lui montrer à quoi ressemblait ce genre de tâches, puisque la balafrée toute fraîchement promue devrait sans doute découvrir les joies de ces formalités tôt ou tard. Seulement, la bouclée n'avait jamais cessé d'arborer un air abattu et son regard restait irrémédiablement stérile de tout sentiments, et cela n'avait évidemment pas échappé à la vétérane.

- Tu m'expliques ce qui va pas, Ash? J'ai pas envie de me coltiner un zombie toute l'après-midi, tu sais.

- Je suis juste un peu fatiguée, répondit la jeune femme en faisant mine de bailler.

- Ben voyons... Tu es toujours fatiguée, et pourtant ça ne t'empêche pas de faire preuve d'un peu plus de vitalité d'habitude, non?

Ash soupira longuement.

Entre ses doutes quant à sa récente promotion, ses blessures à peine refermées qui la tiraillaient sans arrêt, ses entraînements impitoyables pour espérer recouvrer son niveau d'antan, Erd qui s'improvisait spécialiste du mélodrame et ce foutu caporal qui ne quittait jamais ses pensées, Ash ne savait plus où donner de la tête.

-... Alors oui, Hanji, je suis fatiguée, et je me cogne de ce que tu me racontes depuis tout à l'heure. Contente?

Un énorme sourire naquit sur les lèvres de la scientifique. Elle remonta lentement ses lunettes sur son nez, faisant scintiller les verres malicieusement.

Ash venait d'exposer tous ses tourments à voix haute. Elle le regretta amèrement.

- Place à la discussion! s'écria Hanji joyeusement en venant placer sa chaise juste en face de celle de la jeune femme.

"Place à l'interrogatoire, oui", soupira cette dernière silencieusement.

- Bon, tout d'abord, je vais te rassurer sur certaines choses, commença la scientifique, menton posé sur ses mains, scrutant avidement la jeune femme. Déjà, n'aie pas peur de ton nouveau rang. Crois-moi, je sais déceler les atouts des gens, et je pense que tu sauras parfaitement assumer tes nouvelles responsabilités.

Ash savait très bien qu'en tant qu'amie, Hanji n'avouerai jamais à voix haute ses suspicions quant à sa probable efficacité en tant que cheffe d'escouade. Néanmoins, entendre de tels propos de la bouche d'une soldate aussi expérimentée que la scientifique avait de quoi la rassurer un peu.

- Ensuite, je t'interdis de te plaindre de tes blessures. Je t'ai prévenue, Ash. La force de ta volonté est louable, mais ce n'est pas une raison pour tenter le diable. Essaie de trouver un rythme plus adapté, que ton corps ait le temps d'encaisser. Et te connaissant, tu le retrouveras bien vite ton niveau, t'en fait pas pour ça. Maintenant, on va rentrer dans le vif du sujet...

Hanji se frotta les mains, et la lueur avide qui dansait dans le fond de ses prunelles sombres en disait long sur son vif intérêt pour la vie amoureuse de la jeune femme. Cette dernière soupira une nouvelle fois, lassée.

- Tu as brisé le cœur de ce pauvre petit Erd, faut pas lui en vouloir s'il a mal réagi. En même temps, t'es tellement obnubilée par notre petit caporal chéri que t'as jamais remarqué les sentiments qu'Erd avait pour t...

- Hanji! s'indigna Ash, le feu aux joues.

- Quoi? J'ai pas raison? T'es une pro en matière de déni, ma parole. Quoique, t'es pas la seule. Livaï en est un as!

Elle éclata de rire sous les yeux écarquillés de la jeune femme.

- Hanji, je...

- Chut! Laisse moi finir. Je suis pas en train de vous imaginer un scénario à l'eau de rose, loin de là. C'est juste que... Y'a un truc qui se trame entre lui et toi. Toi, je ne te connais pas depuis assez longtemps pour comprendre vraiment tes réactions. Mais le nain, depuis que tu es arrivée au Bataillon, crois-moi que je ne l'ai jamais vu comme ça!

Bouche bée, Ash fronça les sourcils tandis qu'Hanji poursuivait sa logorrhée enjouée.

-..., mais toi, t'as pas l'air de t'intéresser à lui seulement pour sa belle petite gueule. J'ai l'impression... Qu'il t'intrigue, rien de plus. Et de son côté, c'est la même chose. Vous vous tournez autour comme deux lions affamés, prêts à s'entre-tuer, mais aucun de vous ne s'autorise à baisser sa garde, à laisser pénétrer l'autre sur son territoire. Et dès que par malheur une telle chose vint à arriver, l'un se braque et fuit, l'autre est blessé. Vous n'arrivez pas à vous l'avouer, par méfiance ou par fierté, j'en sais rien, mais vous vous retrouvez l'un dans l'autre, vous fonctionnez pareil, parce que vous avez les mêmes origines. Et je sais que...

- Les mêmes origines? coupa Ash, intriguée.

- Ah, tu ne sais donc pas. Livaï, lui, il l'a su tout de suite.

La jeune femme scruta son amie, rongée par la curiosité.

- De quoi, Hanji?

- Tu es une enfant de la rue, Ash. Livaï l'a compris très vite puisque lui aussi, il est originaire de la faim et de la misère.

Un long silence prit place dans le bureau de la scientifique, comme pour laisser le temps à la jeune femme d'intégrer ce lot de révélations. Puis une question naquit dans l'esprit de la bouclée.

- Hanji... Tu connais le caporal depuis quand?

- Pas avant son entrée au Bataillon. Je ne sais presque rien de sa vie avant, si ce n'est quelques échos. Je peux pas te renseigner sur ce point là, ma jolie.

- Est ce que...

- Est ce qu'il a toujours été cet espèce de petit nain grognon et grossier? A ma connaissance, oui. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ce n'est pas les horreurs qu'il a pu affronter au sein du Bataillon qui ont fait celui qu'il est aujourd'hui, même si cela a sûrement contribué à renforcer son amertume. Non, ses démons semblent provenir d'une époque bien antérieure à celle de son arrivée ici, malheureusement.

Ash ouvrit la bouche pour lui poser une nouvelle question qui avait germé dans son esprit, mais Hanji sauta de sa chaise et s'empara vivement d'une liasse de papiers sur son bureau.

- Oh! Mais c'est qu'il nous reste du travail, ma jolie, j'avais complètement oublié!

La jeune femme leva les yeux au ciel dans un soupir agacé. Avec cette fameuse tentative de diversion exagérée digne d'une cinglée telle qu'Hanji Zoe, Ash savait pertinemment qu'elle ne pourrait plus en placer une de l'après-midi. Réprimant son envie frénétique de creuser le sujet, elle finit par s'accouder à la table pour observer Hanji sautiller entre divers tas de papiers, les paroles prononcées par cette dernière remuant inlassablement dans son esprit embrumé.

- Eh, Ash.

Si des minutes ou des heures étaient passées, Ash n'aurait su faire la différence. Elle leva une nouvelle fois ses prunelles harassées vers son aînée qui avait soudainement cessé de se tortiller dans tous les sens. Hanji dévisagea la jeune femme et lui offrit un sourire bienveillant.

- Arrête de réfléchir. Suis ton instinct, comme tu sais si bien le faire.

A cet instant, sans trop savoir l'expliquer, Ash se sentit profondément proche de la scientifique,  qui semblait avoir vu en elle toute l'étendue de ses capacités, toute la profondeur de ses maux.

- Fais.

***

Erwin se dressait sur l'estrade devant la foule silencieuse de jeunes gens qui le fixaient, effrayés. Suite au discours paradoxalement lugubre et énergique du major vantant l'idéologie téméraire du Bataillon d'Exploration, un calme plat avait fait place au milieu des rangées de jeunes soldats qui devaient à présent juger s'ils étaient capables ou non de se sacrifier pour la cause de l'humanité.

- Ce sera tout. Ceux d'entre vous qui préfèrent intégrer un autre corps d'armée peuvent disposer.

La foule s'éparpilla vivement pour laisser place à ces quelques individus tremblotants qui s'étaient résolus à se joindre à cette quête de liberté que prônait le Bataillon. Les torches disposées çà et là éclairaient les mines parfois déconfites, terrorisées ou déterminées des jeunes volontaires qu'Erwin scrutait minutieusement, jugeant cette lueur léchant les traits de ces visages qu'il s'apprêtait à emmener avec lui en Enfer.

- A compter de cet instant, vous voilà membres du Bataillon d'Exploration! Loué soit votre courage!

En un même geste, les nouvelles recrues posèrent leur poing droit sur leur poitrine, tandis que le major leur demandait une nouvelle fois de prêter serment sur le coeur.

A quelques mètres de là, Ash ne manquait pas une miette de cette scène, qu'elle trouvait à la fois macabre et pleine d'espoir. Alors, c'est ça qu'elle aurait dû affronter, si elle était passée par les Brigades d'Entraînement? Elle ne savait que penser. Est ce qu'annoncer de but en blanc à ces jeunes que leurs vies étaient à présent dévouées à se dresser perpétuellement devant les portes de la mort était une bonne idée? Elle n'en savait rien. Rien ne servait de leur mentir, évidemment; il n'y avait rien de pire que d'envoyer au casse-pipe un soldat plein de désillusion. Ces gens savaient dans quoi ils s'engageaient, et contrairement à elle, ils avaient eu le choix.

Tandis que le major achevait son discours et que la foule de jeunes recrues se dispersait, la bouclée tourna les talons et s'éloigna d'Hanji et Mike qui débattaient sur le prétendu potentiel de cette promotion et des prunelles acérées du caporal qui n'avait cessé de lui jeter des regards en coin.

Suite aux conseils douteux d'Hanji, Ash avait finalement décidé de faire confiance en son jugement. "Suis ton instinct", lui avait-elle dit. Compliqué, lorsqu'on ne savait plus distinguer la raison des émotions.

La balafrée s'était ainsi efforcée d'oublier ses tracas et de se concentrer sur son nouveau rôle qui n'était décidément pas de tout repos, au vu de la lourde tâche administrative que cela impliquait. Mais ce soir, elle n'avait pourtant pas eu le cœur d'analyser les nouvelles recrues qui se dressaient devant l'estrade depuis de longues minutes, s'imaginant encore très mal l'idée d'avoir quelques uns d'entre eux sous son commandement. Décidément, elle ne parvenait pas à se sentir à sa place au sein de son nouveau rang, et détenir de telles responsabilités au creux de ses mains lui nouait les tripes.

Un peu à l'écart du groupe, son éternelle cigarette entre ses lèvres, elle leva les yeux vers le ciel étoilé en soupirant, lasse de se voir si déstabilisée par le tumulte de ses pensées vivaces. Fascinée par le scintillement des astres au dessus de sa tête, elle oublia un instant où elle se trouvait, égarée dans l'immensité des ténèbres perlées de ces astres lumineux, en se disant pour la première fois que, peut-être là-haut, son père l'observait et la couvrait de tout sa fierté, et qu'il la guiderait peut-être.

Ainsi, Ash ne remarqua pas la grande silhouette s'approcher d'elle à pas de loup. Sa rêverie s'estompa seulement lorsqu'une voix enjouée se fit entendre derrière son dos.

- Ça faisait longtemps, frangine.

La jeune femme se pétrifia et son cœur manqua un battement. Après quelques secondes à se demander si elle n'avait pas rêvé, la jeune soldate finit par pivoter lentement, découvrant enfin le visage de l'homme qui lui faisait face.

Elle croisa une paire d'yeux sombres obstruée par de longues mèches de cheveux en bataille. Ce sourire imprimé sur ce visage à l'expression rieuse lui fit l'effet d'un coup de pied dans l'estomac.

La dizaine d'années passée avait marqué son visage, mais c'était bien lui qui souriait inlassablement, comme si rien n'avait changé.

Noah.

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