Chapitre 26 - Presque
Ash demeurait dans la peur de ne plus pouvoir exercer un rôle convenable au sein du Bataillon. Ainsi, elle redoublait d'efforts, physiquement et mentalement, pour se remettre d'aplomb.
Elle avait délaissé la mélancolie qui l'avait pesée depuis son réveil. Elle avait cessé de pleurer, le soir, lorsque ses amis s'éclipsaient pour lui laisser du temps pour elle, à se morfondre sur son sort, à redouter de devenir qu'une éclopée sans devenir dans cet environnement qu'elle avait appris à aimer, qu'elle aimait tant, désormais.
Elle s'efforçait d'être réceptive à la bonne humeur de ses amis, de la partager avec eux. Lorsqu'ils partaient, elle passait son temps à solliciter chacun de ses muscles, à les réhabituer au mouvement à mesure que la douleur constante qui traversait son corps s'amenuise. Une véritable rage bouillonnait à l'intérieur d'elle même, celle de vaincre ses maux, de passer outre la douleur, de pouvoir tenir debout à nouveau.
Hanji passait ses journées en sa compagnie, lui administrant tous les soins possibles et imaginables en vue de revoir la jeune femme se relever d'ici peu. Malgré les doutes qui empiétaient sur le moral de la scientifique quant au rétablissement de Ash, elle s'efforçait de montrer à la malade sa facette la plus détendue, enjouée et encourageante, refusant de lui faire part de son scepticisme qui ne feraient qu'entraver les efforts de la bouclée.
La nuit, Livaï prenait la relève. Souvent, Ash dormait déjà lorsqu'il passait la porte de l'infirmerie, la jeune femme étant trop exténuée par toute la peine qu'elle se donnait des heures durant pour rester éveillée.
Livaï se demandait souvent pour quelles raisons il persistait à rendre visite à sa subordonnée alitée, sachant pertinemment qu'elle n'était pas en état de faire ces "conneries" qu'Hanji redoutait tant en son absence. Et pourtant, il se surprenait, chaque nouvelle nuit, à voir ses pas se diriger naturellement vers l'infirmerie, puis à apprécier la présence de la jeune femme même endormie, et se complaisait à veiller sur elle, à observer des heures entières son buste s'élever et se rabaisser au rythme de sa respiration apaisée, qui lui démontrait indéniablement qu'elle n'avait pas perdu la vie ce jour là, qu'elle n'avait pas passé l'arme à gauche par sa faute. Il s'était surpris à trouver lui aussi le sommeil quelques fois, affalé sur cette fameuse chaise qui lui servait presque de refuge, là où il calquait inconsciemment sa respiration sur celle de la balafrée, à l'image d'un somnifère qui lui permettait enfin de tomber dans les bras d'une inconscience calme, sans aucun mauvais rêves pour le torturer. Seulement, Ash souffrait toujours des ravages de ses terreurs nocturnes et il n'était pas rare qu'elle se réveille en criant, tremblante et le souffle court, marmonnant le noms de gens qu'il ne connaissait pas, le regard voilé par les bribes de ces images bouleversantes qui imprégnait son être tout entier. C'était une attitude qui était malheureusement familière au caporal, et il comprenait plus que quiconque les tourments de la jeune femme.
Ash semblait toujours aussi abasourdie de réaliser la présence du caporal à chacun de ses réveils forcés, ne comprenant pas plus que son supérieur la raison de sa compagnie permanente à son chevet. Elle s'efforçait d'y voir clair dans son esprit troublé: elle était quelque peu vexée de se voir attribuer un garde de nuit, mais aussi soulagée que l'impartiale solitude ne vienne pas la retrouver à chacun de ses retours à la réalité, comblée par la présence de cet étrange jeune homme qui semblait curieusement si bienveillant et compatissant, tout en étant atrocement confuse d'exposer sa faiblesse sous cette paire d'yeux orageux, de demeurer sous le contrôle indéniable de cet aura aussi oppressante qu'enivrante. La présence du noiraud avait tout de même un avantage, aussi étrange qu'indéniable: elle se sentait apaisée de se savoir sous la protection de cet homme qui l'intriguait autant qu'elle redoutait, et s'abandonnait à nouveau dans les bras du sommeil presque aussitôt s'être réveillée.
Une fois de plus, les deux soldats fonctionnaient par l'intermédiaire d'un accord tacite sans pour le moins sincère: ils ne parlaient pas mais s'entendaient par les yeux, et chacun y trouvait son compte, sa tranquillité partagée, approfondissant plus encore la teneur de l'étrange relation qui les liait dans un silence équivoque, dans une compréhension latente, informulée et pourtant bien réelle, authentique. Ils réprimaient leur confusion quant à la singularité de la situation et de leurs sentiments respectifs, passant outre les seules questions qui avaient le mérite d'être prononcées à voix haute et qui leur taraudaient l'esprit.
Néanmoins, vint un soir, après que la jeune femme se soit brusquement réveillée, où le caporal prit parole; Ash s'était redressée dans son lit, et fixait le vide d'un regard horrifié depuis de longues minutes, livide.
- Eh, merdeuse?
Elle tourna doucement la tête vers son interlocuteur, comme si elle remarquait à peine sa présence. Ses fins sourcils se froncèrent alors qu'elle regardait le caporal sans réellement le voir.
- Tu vas bien? insista Livaï, de plus en plus déconcerté par l'expression tordue de la jeune femme qui lui faisait face.
Une lueur s'alluma dans le regard de la balafrée, comme si elle venait de prendre conscience de la présence du jeune homme.
- Je peux vous poser une question, caporal? demanda t-elle finalement d'une voix faible.
Livaï se contenta d'hausser un sourcil pour l'inviter à poursuivre.
- Est ce que vous pensez que je vais bientôt pouvoir reprendre du service?
Livaï sembla réfléchir quelques instants. Il était plutôt du même avis que sa collègue débraillée: Ash était dans un sale état, et les séquelles de son combat n'étaient pas des moindres. Comment lui dire que son rôle au sein du Bataillon était compromis?
- Pour ça, il faudrait déjà essayer de marcher, finit-il par lâcher platement, cherchant visiblement ses mots. Je pense que... Eh eh eh! Qu'est ce que tu fais?
Ash s'était brusquement dégagée de ses couvertures et se tenait assise sur le bord de son lit, le visage ridé de concentration. Sans tenir compte des protestations de son caporal, elle finit par poser les pieds sur le sol et tenta de se redresser doucement. Alors qu'elle pensait tenir sur ses jambes, ces dernières lâchèrent sous son poids, et elle se sentit s'effondrer comme si ses membres avaient été faits de papier.
Deux bras puissants vinrent alors soutenir sa silhouette et la maintinrent fermement en place, la soulevant presque à quelques centimètres du sol.
- T'es butée, merdeuse. Qu'est ce qu'il te prend?
Ash tourna lentement sa tête pour venir plonger son regard océan dans celui visiblement agacé du caporal qui la soutenait sans peine. La sensation de proximité avec son supérieur vint frapper sa poitrine comme si elle venait d'encaisser un violent coup en plein dans les côtes, à moins qu'il s'agisse de son cœur battant, bien décidé à s'évader de sa cage thoracique?
- Je... Vous venez de me dire qu'il fallait que j'essaie de marcher, bafouilla t-elle entre deux hoquet de douleur, sentant ses jambes s'enflammer comme si elle venait de marcher sur un brasier.
- Tss, t'es vraiment stupide quand tu t'y mets, soupira le jeune homme en levant les yeux au ciel, exaspéré.
Il tenta de pousser la jeune femme doucement sur son lit, mais Ash lui fit part de son opposition en usant des maigres forces qu'elle possédait, raide comme piquet.
- Sérieux, merdeuse, tu...
- Est ce que vous voulez bien m'aider?
L'intonation désespérée dans la voix suppliante de la gamine l'électrisa. Il croisa ses yeux embués, brillants dans cette marée de bleu ensorcelant, témoins de tout ce mal être qui la tourmentait depuis son réveil. Elle appelait à l'aide pour la première fois, et il rendit les armes.
- Dis moi quand t'en peux plus, finit-il par soupirer, vaincu.
Un véritable feu d'artifice avait explosé dans les iris azurées de la jeune femme à l'entente de cette réponse. Ses lèvres s'étirèrent en un sourire éclatant de reconnaissance, le premier depuis sa renaissance, et Livaï fut profondément déstabilisé par tant de gratitude et de beauté insensées logés dans une seule et même expression. Il secoua la tête avant de raffermir sa prise sur la silhouette de la jeune femme, calant précautionneusement sa paume au creux de ses reins, arrachant instantanément un long frisson à la balafrée. Cette dernière s'autorisa de passer son bras sur les épaules de son supérieur de sorte à avoir un appui, et, le feu aux joues, s'élança timidement, balançant doucement une de ses jambes flageolante en avant. Elle sentit une vive douleur embraser sa cheville, et crut se voir s'effondrer sur le champ, mais Livaï resserra sa taille avec plus de force pour l'aider à maintenir son équilibre.
- T'es sûre de ce que tu fais, morveuse?
Ash hocha vigoureusement la tête, les traits tirés par sa concentration inébranlable et la douleur vivace, une lueur résignée dansant dans son regard. Quelle était cette fille, si déterminée à s'infliger une telle souffrance rien que pour retrouver sa place dans ce corps d'armée où chacun était de toute manière irrévocablement condamné? Livaï ne saurait répondre, trop ébranlé par l'audace inflexible de cette étrange soldate qui n'avait apparemment pas fini de l'impressionner.
La jeune femme parvint à enchaîner quelques pas maladroits grâce au renfort de Livaï, sa silhouette se faisant toujours plus chevrotante à chacun d'eux. Lorsque le souffle de la jeune femme se fit erratique, le haut gradé décréta qu'il était grand temps de mettre fin à cet exercice fastidieux.
- On fait une pause, déclara t-il, implacable.
Avant que la bouclée ne puisse protester, il passa habilement un de ses bras derrière ses genoux et la souleva aisément, avant de se diriger vers le lit sous les assauts des poings de la balafrée qui se débattait faiblement au creux de ses bras.
- Mais lâchez moi! Je peux pas m'arrêter là, je...
- Oh, tu veux que je te lâche?
Le dos de la jeune femme heurta alors lourdement le matelas. Elle tourna la tête et foudroya du regard le jeune homme qui se laissait choir gracieusement sur sa chaise, soutenant sans broncher les deux perles azurées saturées de reproches de la jeune femme. Livaï posa son menton au creux de sa paume et dévisagea sa subordonnée sans ciller: il naquit alors sur son visage d'albâtre une pointe de défi, totalement conscient que la jeune femme n'était pas en état d'envisager une quelconque revanche.
"Alors, c'est comme ça, hein?" fulmina t-elle silencieusement face à l'arrogance de son supérieur.
Elle rassembla alors les maigres forces qui lui restaient et se redressa furieusement, prête à se ruer sur le caporal. Mais avant qu'elle ne puisse esquisser le moindre geste, et se sentit plaquée durement contre le matelas par la main ferme du caporal posée à la base de son cou. Il ne lui laissa pas le plaisir de se débattre plus encore, se penchant doucement vers la jeune femme jusqu'à presque coller son nez au sien.
Oubliant un instant le trouble d'une telle proximité, Ash s'agita derechef, mais ses maigres efforts furent vains; la poigne du caporal s'amplifia, et la douleur d'un tel acharnement lui brûlait les veines si intensément que ses gestes finirent par s'adoucir, jusqu'à s'immobiliser totalement, vaincue.
- C'est bon, t'as fini tes conneries, morveuse? jubila Livaï, satisfait.
Ash, le souffle court, lui lança un regard meurtrier.
- Arrêtez de profiter de mon état pour vous sentir supérieur, caporal, lâcha t-elle sèchement. Vous n'avez aucun contrôle sur moi.
- Ah oui?
Livaï approcha son visage plus encore, sous les traits déformés par la stupeur de sa subordonnée qui retenait son souffle. Elle sentit son cœur rater un battement lorsque les mots de son supérieur vinrent s'écraser contre son visage:
- Vois-tu, merdeuse, je pense que je suis en bonne position pour te coller une bonne raclée, murmura t-il en resserrant sa poigne sur la base du cou de la jeune femme, comme pour appuyer ses propos. T'es pas en état, alors arrête de faire l'imbécile, sinon...
Ses mots moururent dans sa gorge tandis que ses sourcils se froncèrent de manière plus prononcée qu'à l'accoutumée. Livaï détailla le visage abasourdi de cette gamine si près de lui, comme s'il constatait seulement à quel point ils étaient proches l'un de l'autre. Il balaya avidement du regard chaque détail de cet étrange faciès lacéré, de ces deux océans de bleu effarés jusqu'à ses pommettes rougies par l'embarras, en passant par ses lèvres pleines et entrouvertes, laissant passer son souffle haché qui venait s'écraser contre son propre visage.
Qu'était-il en train de faire? Il n'en savait foutrement rien. Il avait l'impression qu'une main dans son dos le poussait doucement à s'approcher plus encore de ce bout de femme qui le fascinait tant, qui n'avait jamais quitté ses pensées depuis qu'elle avait fait irruption dans ce foutu Bataillon. Une tension insoutenable naquit dans l'air, et, paralysé, le jeune homme ne cessa de la dévorer du regard silencieusement, sentant son discernement le quitter doucement.
- Sinon quoi? murmura d'une voix faible la balafrée, torturée par l'anthracite de ces yeux affamés qui la lavaient de toute part.
La raison n'avait plus lieu d'être. La main de Livaï qui tenait fermement Ash prisonnière se mit à se mouvoir presque naturellement, ses doigts remontant lentement le cou de la jeune femme, lui arrachant un long frisson. Fasciné par la chaleur de cette peau si sensible à ses touchers, Livaï aventura ses doigts jusqu'à la frontière blanchâtre de la longue balafre sillonnant son cou, caressant lascivement sa jugulaire, se délectant de l'effet de ses gestes paresseux sur le souffle de la bouclée sous lui. Ses doigts suivirent tendrement la courbe sinueuse de la cicatrice jusqu'à atteindre le sommet de sa mâchoire. Après une légère hésitation, il posa sa paume brûlante sur la joue lacérée de la jeune femme, et finit par enfin croiser ses perles bleues.
C'est à cet instant que le charme se brisa.
Livaï ne put savoir s'il devait être terrifié ou réjoui par la teneur d'un tel regard. Sidéré par ses propres gestes, il retira brutalement sa main et se redressa furtivement tout en fuyant les prunelles surprises de la jeune femme, fermant subitement son visage en une expression dure et impénétrable.
- Sinon rien, finit-il par murmurer à son tour, amer.
Sous le regard hébété de sa subordonnée, Livaï détourna la tête et se dirigea prestement vers la sortie de l'infirmerie.
- Attendez, caporal, je...
Mais la porte s'était déjà refermée derrière lui.
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