Chapitre 22 - Fillette (Partie 3)

Ils arrivèrent à la planque essoufflés, mais soulagés. Malgré la tournure délicate qu'avait pris leur tentative de chapardage, ils avaient réussi à s'en sortir indemnes, et même avec quelques objets dérobés en cadeau. Mais avant de se satisfaire pleinement de leur quasi-réussite, le trio se tourna vers leur jeune sauveur.

- T'es qui? cracha Remy, méfiant.

L'adolescent les avait généreusement conduit entre divers passages et ruelles délabrées qu'il semblait connaître sur le bout des doigts, leur permettant d'éviter les troupes de la garnison qui approchaient dangereusement le lieu de leur méfait. Il leur avait sauvé la mise, sur le coup.

Le châtain soutint les regards pesants des trois acolytes qui le détaillaient de haut en bas, ce qui ne le déstabilisa pas le moins du monde. Il afficha un grand sourire et leur tendit une main amicale.

- Noah Ulrike, à votre service!

Remy partit au quart de tour. Il attrapa le gamin par le col et le plaqua violemment contre le mur de leur misérable planque, collant presque son visage furieux contre celui, terrorisé, du plus jeune.

- Tu vas nous dire qui t'es vraiment, salopard. T'es un mouchard, c'est ça? Tu nous as suivi et tu vas nous balancer, hein?

- Remy, sérieux, arrête de le martyriser, tenta de le calmer Stefan d'une voix douce. Il nous a sauvé la peau, oublie pas.

- Non Stef, c'est pas des craques. Ce merdeux nous colle au train depuis qu'on a quitté la dernière planque. Dis-moi ce que tu nous veux, bordel!

Stefan s'interposa finalement en remarquant le visage écarlate du jeune garçon qui étouffait visiblement.

- Calme-toi, vieux. On va s'asseoir et lui tirer les vers du nez, si tu veux, mais calmement.

Remy finit par lâcher le susnommé Noah, qui s'effondra sur le sol, prit d'un quinte de toux. Tandis que Stefan attirait Remy dans un pièce à part pour s'entretenir avec lui, Ash s'approcha prudemment du garçon et s'agenouilla à ses côtés. Noah leva ses yeux sombres pour les ancrer dans le bleu intense de l'adolescente, et cette dernière sut instantanément qu'il faisait partie "des gentils". Elle lui tendit une main secourable, et l'aida à se lever.

- Merci, souffla le jeune garçon en dévisageant Ash. 

Il passa son regard sur les long cheveux bouclés de la jeune fille, détailla son expression qui semblait venir d'un autre âge, puis sur la cicatrice béante de son cou. Malgré son allure intimidante et peu commune, il la trouva immédiatement très belle.

- Comment tu t'appelles? s'enquit-il timidement.

- Ash, répondit-elle simplement.

- Ash comment?

- Ash tout court.

Il parut surpris, mais se reprit rapidement.

- Le grand aux cheveux gris, c'est ton père?

- A ce que je sache, t'es pas vraiment dans la position de poser des questions, ici, rétorqua t-elle froidement sans pour autant atténuer la douce lueur chaleureuse qui flottait dans ses yeux bleus. 

Elle était méfiante pour la forme, et avait d'ores et déjà accepté l'adolescent chez elle. La jeune fille réalisa subitement que c'était la première fois qu'elle parlait avec quelqu'un de son âge, et son cœur se serra.

- C'est vrai ce qu'a dit Remy?

Noah leva un sourcil interrogateur.

- Tu nous suivais? précisa t-elle.

L'adolescent acquiesça en se grattant machinalement la tête, gêné.

- Laisse moi t'expliquer...

- Je t'écoute, trancha la fillette en croisant les bras sur sa poitrine.

Le jeune garçon bégaya un peu, avant de se lancer plus clairement:

- Je suis un vagabond, tout comme vous trois. J'ai perdu ma famille pendant l'attaque à Utopia, et comme tu dois sûrement le savoir, les soi-disant sauveteurs s'en cognaient pas mal des gosses devenus orphelins et blessés comme nous...

- "Comme nous"? Comment tu sais qu'on vient de là bas? se braqua Ash à la mention de ce macabre souvenir, cette fois réellement méfiante. 

- Parce que toi, je t'ai reconnue, lui sourit-il timidement en la lavant de ses yeux adorateurs. Je t'ai vu faire... T'es pas passée inaperçue, il y a eu beaucoup de témoins. Les gens te reconnaissent grâce à tes... heu... tes cicatrices.

Noah chercha timidement le signe qu'il pouvait poursuivre dans les yeux de la fille qui lui faisait face. A part son expression fermée et la lueur douloureuse de son regard, il décela finalement l'autorisation de continuer son discours dans le faible sourire que lui lança Ash. Elle réalisa qu'elle n'était pas la seule à avoir vu l'incarnation de l'horreur même, et cela la rassura quelque peu.

- J'ai essayé de te retrouver, poursuit-il, mal à l'aise. Mais je t'ai vite perdue de vue et j'ai cru que tu avais fini par mourir quelque part, comme tout le monde. Jusqu'à ce que je t'aperçoive par hasard, y'a deux mois avec les deux monsieurs, là, et depuis, je vous ai suivis.

- Pourquoi t'es pas venu nous voir, dans ce cas? demanda Ash, dubitative.

- Parce que j'ai bien vu que vous fuyiez quelque chose, et j'avais justement peur que vous ayez la réaction qu'a eu l'autre gars à la tête de cochon...

- Eh! Ferme la, petit salaud!

Devant l'encadrement de la porte se tenaient Stefan et Remy qui n'avaient apparemment pas manqué une miette du discours de Noah. Ce dernier, livide, craignait la rage du basané qui le toisait avec mépris, mais Stefan calma le jeu et jeta un regard indécis vers sa protégée.

- Dis, Stefan, on le garde avec nous? demanda Ash de but en blanc en lui lançant un regard entendu.

L'ancien militaire parut réfléchir quelques secondes, avant d'acquiescer, un petit sourire au coin des lèvres.

***

Les deux hommes restèrent méfiants longtemps. Ash, de son côté, avait accepté Noah comme son semblable depuis l'instant même où ses yeux s'étaient ancrés aux prunelles sombres et sincères de l'adolescent. Les deux enfants se rapprochèrent très vite; Ash exultait de pouvoir enfin avoir pour ami un enfant de son âge, qui plus est originaire de la même ville, des mêmes atrocités. Ils se retrouvaient dans l'horreur qu'ils avaient vécus comme des frères et sœurs, si bien que Noah finit bien vite par la considérer comme telle. 

Sous les yeux des deux anciens militaires se nouait une amitié puissante, sans à priori, entre deux enfants meurtris par la vie et qui se retrouvaient dans leur souffrance. Une confiance absolue s'établit bien vite entre eux, et Ash s'efforçait de convaincre les deux adultes d'en faire de même. 

Le nouveau et quatrième membre de la bande faisait tout son possible pour mettre la main à la patte, doué de nombreuses qualités de bandit malgré lui, ayant passé quelques années seul et à la rue, tout comme eux. Noah se révéla être un as du combat au couteau, ce qui déplut fortement à Stefan, qui repoussait de tout son possible toutes les formes de violences physiques au delà de l'auto-défense. Malgré la réticence de son protecteur, Ash insista vivement pour que le châtain lui enseigne son art. Mais elle était catégorique: l'adolescente ne voulait savoir se servir de l'arme blanche uniquement dans un but dissuasif, et non agressif. Là dessus, elle rejoignait l'avis de Stefan: jamais elle s'emparerait de la vie de quelqu'un, pour rien au monde.

- Tu tiens le couteau bizarrement, Ash. Regarde!

Noah lança son couteau dans les airs et le rattrapa avec une adresse presque surhumaine, comme si l'arme avait été une extension de sa main. Il s'approcha ensuite de la jeune fille et le lui tendit. Ash s'en empara, et détailla l'objet au creux de ses mains.

Le couteau était long, affûté malgré les nettes traces d'usure sur la lame. Le manche était sculpté dans un bois sombre, poli avec soin. C'était le couteau de Noah, qui ne s'en séparait jamais, et qui tenait à toujours l'avoir sur lui, même lorsqu'ils étaient à l'abri dans leur planque, tous les quatre. Lorsqu'on lui demandait d'où lui provenait ce besoin viscéral de ne jamais se séparer de son arme, Noah répondait constamment que même si l'on pensait ardemment le contraire, il y avait toujours quelque chose contre lequel on devait se protéger, une menace tapie dans l'ombre, immuable. Ce principe qui sortait sans arrêt de la bouche du châtain ne faisait qu'accentuer la méfiance des plus âgés, surtout celle de Remy qui ne parvenait foutrement pas à s'habituer à la présence de l'adolescent.

"Une gamine, c'est déjà compliqué, mais avec deux mioches, on est foutus", répétait-il sans arrêt. Malgré l'obstination de la bouclée à passer outre ces mots durs, elle ne pouvait ignorer le fait qu'elle se sente profondément blessée par cet homme versatile qu'elle avait appris à apprécier avec le temps. 

Stefan, pour sa part, s'efforçait de dissimuler sa réserve et d'offrir à sa protégée le témoignage de toute l'affection qu'il lui portait. Lorsque leurs deux acolytes partaient se coucher chaque soir, Ash et Stefan demeuraient assis sur leur bottes de paille et discutaient jusqu'au bout de la nuit, de tout ce qu'ils avaient sur le cœur. Ash avait avoué à son protecteur qu'elle ne se voyait plus vivre sans lui, le seul homme à l'avoir acceptée telle qu'elle était et de l'avoir protégée en dépit des circonstances, coûte que coûte, à l'image du père qu'elle n'avait jamais eu. Stefan l'avait doucement serré dans ces bras, lui faisant le serment d'être toujours là pour elle, cette étrange fillette qui avait fait renaître la lueur d'espoir au fond de son cœur. Depuis toutes ces années, le lien qui les unissait était devenu si puissant, si sincère et immuable, qu'il s'était développé entre eux une compréhension tacite sans failles et un amour inconditionnel, sans limites, un lien que leur deux autres compagnons ne pouvaient concevoir, totalement exclusif à Stefan et Ash. Il était son père, elle était sa fille; les liens du sang - qui n'avaient pas lieu d'être pour eux - n'étaient rien de plus qu'une simple plaisanterie comparé à tout l'univers qu'ils avaient construit ensemble et qui les maintenaient dans ce cocon chaleureux et paisible, seuls et unis contre la réalité de ce monde vicieux qui les pourchassait. 

***

Ce matin là, lorsqu'elle se réveilla d'une de ces rares nuits sans rêves, Ash sut immédiatement que quelque chose allait se produire. Quelque chose de grave.

Elle réprima le violent frisson qui lui parcourut l'échine, tenta de contenir cette immonde sensation qui lui tordait les boyaux. Elle se redressa sur sa paillasse, tendit le bras pour attraper un des ces nombreux paquets de cigarettes chipé à Remy qui traînaient par terre. Peut-être qu'un peu de cette fumée toxique et pourtant si enivrante lui changerait les idées.

Mais ce mauvais pressentiment ne la quitta pas de la journée. Une boule s'était formée au creux de son estomac, et les traits tirés par une appréhension effroyablement inconnue, elle vaqua à ses occupations en s'efforçant de ne dévoiler aucun indice de son effarement. Elle joua de la guitare avec une somptueuse habileté sous les yeux adorateurs de Noah, se fit taquiner par Remy tandis qu'il coupait du bois, s'entraîna au couteau sous l'œil attentif de Stefan, comme le voulait la routine du moment. Mais rien n'y faisait: tout, absolument tout, avait le goût amer du désespoir.

Ce qui la rendit plus anxieuse encore fut le fait qu'à l'accoutumée, ses pressentiments se révélaient presque toujours avérés.

- Dis, Ash, tu veux bien sortir chercher de l'eau à la rivière? marmonna Stefan, une mince paire de lunettes posées sur son nez, inspectant minutieusement les étranges écritures d'un livre ancien.

Ash, qui aurait habituellement rit face à la drôle d'allure du quadragénaire lorsqu'il portait des lunettes, se contenta d'acquiescer silencieusement. Remarquant le mutisme de sa protégée, Stefan leva la tête en sa direction et la détailla.

- Qu'est ce qu'il se passe?

- Rien, t'inquiète pas.

- Arrête. Dis moi ce que tu as.

Ash soupira. Il la connaissait si bien.

- C'est juste que... commença la bouclée, indécise. J'ai un mauvais pressentiment.

Stefan haussa les sourcils. Il savait pertinemment que l'incroyable instinct de la fillette ne lui faisait jamais défaut, mais il ne voyait pas comment la situation pouvait mal tourner dans l'état actuel des choses. Ils se trouvaient actuellement à l'orée d'une forêt, pour une fois assez éloignée de la ville, squattant dans une vieille ferme délabrée qui leur accordait pour la première fois plus de confort qu'ils n'avaient jamais eu. Non, vraiment, ils n'avaient rien à craindre, ici.

- J'ai peur, Stefan.

La voix tremblante de sa protégée l'alerta. Il se leva et s'approcha lentement de la fillette, et la serra doucement dans ses bras.

- Ash, murmura t-il dans ses cheveux. Tu te souviens pourquoi je t'ai donné ce nom?

- Parce que tu es celui qui a soufflé sur les cendres de ma vie, répondit-elle, le nez contre la chemise de Stefan.

- Je vais rectifier les choses: c'est toi qui a soufflé sur les cendres de la mienne.

Ash leva la tête pour planter son regard interrogateur dans celui bleu-gris de son nouveau père, brillant d'une tendresse profonde. Il encadra le visage de sa protégée avec ses immenses mains, et lui sourit.

- Je ne remercierai jamais assez le ciel d'avoir fait en sorte que je te trouve, ce jour là, Ash. Tu es l'enfant la plus incroyable qu'il m'ait jamais été donné de rencontrer, et je suis tellement fier d'avoir pu contribuer à celle que tu es devenue aujourd'hui, même si c'est plutôt toi, dans l'histoire, qui m'en a le plus appris. Tu vas faire de grandes choses, j'en suis convaincu, alors ne laisse pas la peur te paralyser. Je serai toujours là pour te sortir de tes cauchemars.

Ash sourit timidement. Son cœur se gonfla de gratitude envers cet homme qui représentait tout son univers depuis bien des années à présent.

- Tu es comme ma fille... Non, tu es ma fille.

Ils resserrèrent leur étreinte. Dans un coin de la tête de la fillette, une voix fusa, lui murmurant douloureusement à l'oreille que cette conversation avait l'étrange allure d'un adieu.

- Allez, ma p'tite, va la chercher, cette eau! rit Stefan en lui frottant affectueusement le haut du crâne.

Ash lâcha un sourire faussement enjoué, s'empara de deux grands seaux et s'apprêta à franchir le pas de la porte.

- Eh, Ash.

L'interpellée se tourna vers son père, inquisitrice.

- Je suis tellement fier de toi.

Sur ces derniers mots, elle sourit une dernière fois puis affronta la brise glaciale de l'extérieur. Malgré le froid ambiant, elle croisa Noah, s'exerçant avec son couteau aux abords de la chaumière qu'ils occupaient. Elle lui adressa un petit hochement de tête, ce dont il répondit par un grand signe de la main, enjoué, avant de retourner à ses acrobaties périlleuses avec son instrument tranchant.

Elle croisa ensuite Remy, aux abords de la forêt, nourrissant les chevaux sauvages qu'ils avaient récemment apprivoisés. N'ayant jamais approché ces êtres majestueux de près, et avec toute la fascination que traduisait sa voix lorsqu'elle en parlait, Stefan avait décidé d'apprendre à la fillette à monter, ce qui ne fut, une fois de plus, pas très difficile tant elle était enthousiaste. Pour elle, ces animaux semblaient hors du temps, à l'écart de toutes cette affliction qui torturaient les hommes, et elle les admirait pour ça. Ils étaient purs, intègres, doués de cette liberté et de cette insouciance qu'elle aurait tant voulu avoir. Ash aimait les animaux, tout simplement, tout autant qu'ils soient, pour cette fraîcheur qu'ils lui insufflaient sans le savoir.

En croisant Remy, elle remarqua l'air lugubre empreint sur son visage basané qui la fit frissonner. Le fillette décida de ne pas trop l'approcher, de peur d'attirer ses foudres une fois de plus, et se dirigea vers la rivière qui longeait la forêt, quelques centaines de mètres plus loin.

Malgré ce sentiment d'horreur qui n'avait jamais cessé de lui tordre le ventre depuis les premières lueur du matin, elle apprécia l'environnement dans lequel elle évoluait: le chant mélodieux des oiseaux, le vent faisant frissonner le feuillage des arbres au plus haut de leur superbe, le doux ruissellement de l'eau contre la roche et l'écume qui en découlait.

Elle qui n'avait jamais rien vu d'autre que la ville en ébullition, elle appréciait grandement le calme serein des plaines et de la forêt. Elle ne comprenait pas pourquoi ils n'y avaient pas été avant. Sûrement encore pour une raison que les deux vétérans ne voulaient jamais aborder avec elle.

Presque cinq ans qu'elle vagabondait à leurs côtés, et ils ne s'étaient toujours pas décidés à lui raconter la véritable raison de leur débandade. Elle se promit silencieusement d'aborder le sujet durant sa prochaine conversation avec Stefan.

La douce quiétude de la nature semblait l'avoir apaisée, du moins avait un peu étouffé l'anxiété qui régissait son être. Elle inspira une longue bouffée d'air frais qui sembla la purger de l'intérieur et reprit le chemin pour retourner à la planque.

Lorsque la petite chaumière entra dans son champ de vision, elle sut instantanément que quelque chose n'allait pas. Un calme plat régnait; elle ne voyait plus Remy à l'horizon, ni Noah à côté de la maison. Peut-être étaient-ils rentrés?

Un frisson macabre parcourut son corps tout entier. Elle lâcha les deux seaux d'eau qui s'écrasèrent lourdement au sol et se mit à courir, sans savoir pourquoi son instinct l'y poussait, vers la porte de la maison qu'elle fracassa à moitié de son pied, entrant à la volée.

Ash fut alors paralysée d'horreur lorsqu'elle sentit une immonde odeur métallique empester la pièce à vivre. Du sang.

Du sang partout. Le plancher en était imbibé. Elle remonta doucement son regard vers l'origine de la flaque, l'estomac noué, horrifiée à l'idée de ce qu'elle allait découvrir.

C'est là qu'elle le vit.

Un corps ensanglanté, désarticulé, gisant au milieu de la mare écarlate. Une grande silhouette aux cheveux blond grisonnants à peine reconnaissables par le liquide sanglant qui les recouvrait.

Stefan.

Ash s'effondra. A genoux sur le plancher vermeil, elle aurait voulu hurler toute l'atrocité de sa douleur, pleurer cette perte brutale qui avait violemment percé un énorme vide dans son cœur. Elle n'en fit rien. Elle scruta, les yeux écarquillés, le corps inerte de son père.

Le temps sembla s'arrêter quelques instants, tandis que les images de Stefan bien vivant passaient devant le regard éteint de la fillette.

Non, elle n'était plus une fillette. Elle ne l'avait jamais été. Elle n'était qu'une écorchée. Et à cet instant, elle aurait aimé que quelqu'un la lacère comme on avait lacéré son père, elle aurait voulu mourir, elle, au milieu de cette flaque de sang. Elle aurait aimé que ce soit le sien. Et cela n'aurait encore pas été aussi douloureux que l'insoutenable souffrance qui la torturait à présent, et qui creusait un vide immense à l'intérieur d'elle même.

Alors qu'elle pensait à cet instant mourir de chagrin, ses yeux stériles s'accrochèrent à un détail qu'elle avait omis.

Un couteau gisait, la lame rougeoyante, au milieu de la pièce. Sous le sang qui le maculait, on pouvait deviner un manche en bois poli. Noir.

Le couteau de Noah.

Sa douleur se mua en un rage incandescente, meurtrière, destructrice, qui broya les restes des miettes de son cœur palpitant. Sa sombre colère s'écoula doucement dans chacune de ses veines dans un frisson assassin, et elle se surprit à se délecter de cette sensation qui semblait soigner son abominable chagrin.

Personne ne pouvait savoir où ils étaient. Remy avait disparu. Il n'y avait qu'une possibilité, et aussi affligeante soit-elle, Ash s'y accrocha à l'image d'une main secourable qu'on lui tendait et qui lui permit de se relever.

Elle irait à l'encontre de la sagesse que Stefan lui avait enseigné une fois. Rien qu'une seule fois.

Elle s'empara du couteau ensanglanté et le détailla avec une avidité funeste.

Ash se fit un serment silencieux, une promesse obscure qui la maintint en vie, au bord de la folie. Elle jura d'arracher l'existence de quelqu'un comme on avait arraché celle de Stefan. De faire cesser de battre le cœur de celui qui l'avait replongé au plus profond des Enfers en lui volant la quiétude de son univers, en s'emparant de la vie de son père.

__________

Voilà, c'est la fin ce petit aparté centré sur l'enfance de Ash. J'espère que ces trois derniers chapitres vous auront plus et qu'ils vous auront mieux aidé à comprendre la psychologie de ma petite bouclée! N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé!

Je tenais également à vous remercier du fond du cœur, puisque qu'on a dépassé les 3k vues et presque 300 votes! J'en reviens pas, vous êtes tellement à suivre cette petite fanfiction issue d'un simple coup de tête, que vous votez et commentez à chaque nouveau chapitre sorti! Merci!

Dans le prochain chapitre, retour dans le présent et surtout, retrouvailles avec notre petit Caporal adoré!

A la prochaine!

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