Chapitre 2 ~ Ultimatum

De longues boucles dorées se dégagèrent de la capuche que Livaï venait de déchirer. Il croisa une paire d'yeux bleus stupéfiés, embarrassés d'avoir été mis à découvert.

Le caporal resta interdit quelques secondes, fasciné par la découverte de l'identité du voyou, qui s'avérait être une jeune femme svelte à la peau gracile, loin de ce qu'il avait imaginé de la personne dissimulée sous cette cape.

Profitant de l'inertie de l'homme abasourdi qui avait révélé son visage au grand jour, la jeune femme se précipita sur l'un des chevaux qui se pavanait à quelques mètres de là, l'enfourcha habilement et partit au galop. Lorsque Livaï se retourna, elle avait déjà disparu de son champ de vision. Ébahi, il demeura ainsi à fixer l'horizon quelques instants, tandis qu'Erwin le rejoignait.

- Qui c'est, cette fille? parvint à demander le caporal d'une voix étranglée, en s'efforçant de contenir le sang s'échappait de son nez.

- Ça, c'est ce que nous allons voir.

***

Le bruit des sabots qui martelaient frénétiquement les pavés lui tambourinait les tympans. Lorsque le ciel se teinta d'une douce couleur orangée, la jeune femme jugea qu'elle s'était assez éloignée de ses assaillants et qu'elle pouvait se permettre de faire une pause. Elle s'accorda enfin un long soupir de soulagement, tandis qu'elle s'adossait à un muret enseveli de lierres, en passant machinalement la main sur la longue et vieille cicatrice qui démarrait de sa mâchoire et dévalait le long de son cou. Elle avait cru un instant ne pas pouvoir en réchapper. Elle flatta l'encolure du cheval volé, en remarquant que le tapis de selle arborait les couleurs jade du Bataillon d'Exploration. En plus de les avoir tenu à distance seule, elle leur avait volé un cheval! Elle sourit doucement à cette réflexion. Elle avait rempli sa mission; elle pouvait maintenant rentrer à l'auberge et entamer son service du soir.

Arrivée devant son lieu de travail, elle prit soin de cacher sa nouvelle monture à l'arrière du bâtiment. Elle ne voulait surtout pas prendre le risque de se faire remarquer.

- Alors gamine, c'est fait? fusa une voix tonitruante alors qu'elle franchissait le seuil de l'auberge.

En guise de réponse, elle jeta les sacs de toile volés dans l'après midi sur l'homme barbu au regard bienveillant qui se tenait devant elle.

Ce dernier vérifia le contenu des sacs, sourit, et frotta affectueusement le haut du crâne de la jeune fille.

- Ça, c'est du bon boulot ma jolie!

Il lui jeta à son tour une bourse d'où l'on pouvait entendre le tintement de pièces qui s'entrechoquent, qu'elle attrapa d'une main habile. La jeune fille sourit, satisfaite. Cet homme l'avait embauchée sans même la connaître, lorsqu'elle lui avait confié qu'elle avait certains talents en terme de "délinquance", à savoir le vol, la négociation, le combat. Il s'était montré être un patron loyal et respectueux, contrairement à beaucoup de personnes immondes pour qui elle avait travaillé auparavant. Les quelques semaines passées ici semblaient avoir effacé les souvenirs de l'horreur et de la misère, pour laisser place à la sérénité d'une vie simple (si toutefois on pouvait envisager que passer ses journées à voler et crapahuter sur des charpentes pouvait être qualifié comme étant une vie simple). Le soir, elle avait pour habitude de se tenir derrière le bar et ainsi satisfaire les envies d'alcool des clients; cela avait le mérite de lui apporter un petit plus sur son salaire.

Elle était ravie: le jour, elle était délinquante et savourait les frissons du danger; la nuit, barwoman, où elle partageait les rires des consommateurs. L'auberge n'était jamais bondée; ne passaient ici que de fidèles clients, pour la plupart de joyeux lurons, qui ne se gênaient pas pour plaisanter avec la jeune fille et rire à gorge déployée. Elle était bien ici, et elle avait bien plus que ce qu'elle n'avait jamais demandé.

La jeune femme s'empara de son tablier qu'elle noua autour de sa taille, porta une cigarette à ses lèvres tout en se mettant au travail, derrière le bar.

Les heures passèrent calmement, empreintes de bonne humeur, tandis que la nuit faisait le pas sur la soirée.

***

La jeune femme était tournée vers la longue étagère derrière le bar, en astiquant machinalement un verre. La soirée touchait à sa fin et, épuisée, elle ne pensait à rien d'autre qu'à rejoindre son lit.

Elle entendit la porte de l'auberge s'ouvrir et se refermer, signe qu'un nouveau client venait d'entrer. Elle discerna le bruit de pas s'approchant dans son dos, puis du raclement d'un tabouret du bar sur lequel on venait assurément de s'asseoir. Exaspérée qu'un client ose lui raccourcir sa nuit de sommeil, elle essaya néanmoins d'afficher un sourire aimable avant de lancer un "Qu'est-ce que je vous sert?" en se tournant enfin vers le nouveau venu.

Elle se figea lorsque ses yeux vinrent se planter dans un regard glacial, obstrué par quelques mèches de cheveux noirs qu'elle avait évidemment reconnu.

"Merde!"

Elle lâcha le verre qui vint s'écraser sur le sol. Elle n'entendit pas l'éclat du cristal qui se brisait en mille morceaux, puisqu'elle avait bondit au dessus du bar et se ruait vers la sortie. Seulement, alors qu'elle tentait de passer la porte, l'individu la heurta de plein fouet et ils s'écrasèrent tout deux sur le sol, dehors, après avoir dévalé les escaliers dressés à l'entrée de l'auberge. Malgré son corps endolori, la jeune femme se débattait violemment, en cherchant à coller son poing dans le visage de son assaillant. Malheureusement, Livaï Ackerman avait une poigne de fer, et la maintenait au sol en la surplombant de tout son long. Il approcha son visage du siens, en collant presque son nez cassé contre celui de la jeune femme, et la toisa d'un regard féroce.

- Je vais te faire payer, merdeuse.

Glacée d'effroi, et à la vue de l'expression monstrueuse du jeune homme, elle ne douta pas une seconde des paroles qu'il venait de lui lâcher. Elle s'évertua à s'échapper de plus belle, en gesticulant sauvagement en quête d'une issue. La panique l'envahit lorsqu'elle réalisa qu'elle n'en avait aucune, tandis que le caporal raffermissait sa prise en lui brisant presque le bras. Grognant de douleur, elle finit par s'immobiliser, vaincue.

- C'est bien, cracha-t-il avec mépris. Maintenant tu te lèves, et si tu tentes de fuir, je ferai en sorte que tu ne puisses plus jamais te servir de tes bras.

Il illustra ses dires en lui tordant le bras dans une position improbable, si fort qu'elle sentit quelque chose craquer dans son membre.

Elle réprima un cri de douleur et obéit en se levant péniblement, sans que Livaï ne la lâche d'un pouce. Il la traîna brutalement vers l'arrière du bâtiment, où se dressait dignement un homme blond sur son cheval.

Le caporal la jeta à ses pieds et la maintenait fermement à genoux. Le blond descendit de sa monture et vint faire face à la jeune femme en se baissant à sa hauteur. Les yeux bleus d'Erwin s'ancrèrent dans le regard quelque peu similaire de la délinquante.

Curieusement, cette dernière demeurait silencieuse et paraissait calme. Son regard ne traduisait aucune panique, mais plutôt un air las, désabusé. Dans la nuit, l'éclat de ses cheveux dorés était moins criant, tandis que la longue cicatrice qui lui dévorait le cou en était plus flagrante par sa pâleur.

- C'est elle? s'enquit Livaï dont toute trace de colère avait abandonné ses traits et affichait plutôt un air neutre, blasé.

- Oui, déclara Erwin, comme s'il s'agissait d'une évidence formelle. Ton nom?

La jeune fille hésita, mais sentit la poigne de Livaï se resserrer au fil des secondes.

- Ash, avoua-t-elle finalement d'une voix étranglée.

- Ash comment?

- Ash tout court.

Livaï tiqua.

- Sais-tu pourquoi tu es là?

- Parce que j'ai flanqué une rouste à vos hommes?

Cette fois elle ne put réprimer un grognement de douleur dû à la poigne cuisante du caporal qui avait réagi à sa réponse insolente. Elle se demanda comment un homme à l'apparence si petit pouvait avoir une telle force.

- En partie, répondit le major, amusé. En vérité, je viens te faire une proposition.

La dénommée Ash leva un sourcil inquisiteur. Livaï, intéressé, fit de même.

- J'ai cru entendre dire que tu avais fait pas mal de dégâts dans les villes environnantes. Je pourrais te livrer aux soldats de la garnison qui te condamneraient pour criminalité sur le champ.

La jeune femme resta impassible.

- Mais, je pourrais également t'accorder une place au sein du Bataillon d'Exploration, où tu pourrais offrir ta force et ton intelligence à bon escient, et je ferai en sorte que toutes les charges qui pèsent sur toi soient caduques.

Ash, abasourdie, ouvrit la bouche mais aucun son ne s'y échappa.

- Que choisis-tu?

Livaï était aussi ébahi que la jeune fille. Il avait l'impression d'avoir devant ses yeux la réplique féminine de ce qu'il avait été, quelques années plus tôt: bandit, enchaîné par un ultimatum de cet homme dérangé qu'était Erwin Smith, contraint d'entrer au sein de la Brigade d'Exploration à son insu. C'en était déroutant.

Il jeta un regard acide à son supérieur. Qu'est ce qu'il foutait?

Bien qu'il ne conteste pas le certain altruisme du major, il savait qu'il n'était pas non plus du genre à inviter n'importe qui dans sa brigade, surtout quelqu'un qui n'était pas passé par le lourd cursus de la brigade d'entrainement. Lui-même et ses anciens compagnons en étaient la seule exception. Qui était donc cette fille pour vouloir l'embarquer dans cette horreur avec le même stratagème qui l'avait enrôlé lui-même?

Après un long moment d'intense réflexion qui se lisait sur son visage, la jeune fille se décida enfin.

- C'est d'accord.

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