Chapitre 17 ~ Fête

- Alors, tu es définitivement des nôtres?

Erd scrutait la bouclée, les yeux pétillants.

- Apparemment, sourit Ash. Au moins jusqu'à la prochaine sortie extra-muros, en tout cas.

- Et après? demanda Gunther, dubitatif.

- Avant de penser à après, faut voir si elle arrive à survivre, se moqua Auruo.

- Moi, je ne me fais pas trop de soucis pour toi, dit Petra, radieuse.

Rassemblés autour d'une table, à l'extérieur, les membres de "l'escouade Livaï" profitaient de leur jour de relâche, généreusement accordé par le caporal, le temps d'organiser les détails de la nouvelle formation de son escouade qui ne comprenait maintenant plus cinq mais six membres à son actif. Ainsi, l'élite des soldats du Bataillon se détendaient ensemble sous les derniers rayons du soleil de l'année, qui se faisaient moins doux et chaleureux, laissant place à un froid plus mordant, hivernal.

- Faudrait t'organiser une fête de bienvenue, s'enquit Erd, guilleret.

- C'est pas très sérieux, ça, rétorqua Gunther.

- Sors-toi un peu les doigts du cul, Gunther, ça peut être marrant! s'exclama Auruo.

- En plus, y'a quelques stocks de gnôle dans les cuisines, ça pourrait le faire, réfléchit Erd.

- S'il vous vient en tête de les voler, soyez sûrs que je ne serai pas de la partie!

- On a qu'à demander la permission aux supérieurs d'empreinter une ou deux bouteilles, ils diraient pas non, dit Petra.

- Tu parles de quels supérieurs? Parce que je suis pas sûr que le caporal-chef soit d'accord...

- On ira voir Hanji! Je suis sûr qu'elle viendra même faire la fête avec nous!

- Ça te dit, Ash?

La jeune femme, quoique gênée, acquiesça avec un sourire timide.

- D'ailleurs, t'es pas trop jeune pour boire de l'alcool, gamine? railla Auruo.

- Je travaillais dans un bar, avant, rétorqua la balafrée. Crois-moi, j'en ai déjà vu de belles.

Le jeune homme siffla, impressionné.

- Eh bien, si tu tiens le coup ce soir, tu mériteras définitivement ta place parmi nous, la charria t-il en frappant le dos amicalement.

Ils rirent alors en cœur, dans l'impatience de voir la journée défiler, la vision alléchante de s'enivrer une dernière fois leur trottant dans le fond de l'esprit.

***

- T'es pas obligé d'en faire des caisses comme ça, Erd, grommela Ash avec tout de même une petite intonation amusée dans la voix.

Le jeune homme avait posé ses mains sur les yeux de la recrue, et la guidait avec entrain vers le lieu de la fête qui avait finalement été minutieusement organisée par ses coéquipiers dans l'après-midi. Ash, quelque peu embarrassée par tant d'attentions et d'efforts en sa faveur, avait passé son temps à essayer de les en dissuader, en vain. Trop enthousiastes, ses camarades s'étaient contentés d'ignorer royalement ses protestations, vacant à leurs préparations, surexcités. La balafrée avait songé que cette prétendue fête n'était finalement pas seulement dédié à sa petite personne; les soldats y voyaient probablement une opportunité pour enfin lâcher prise, d'oublier quelques heures qu'ils étaient peut-être condamnés, que la mort rôdait et les écrasait de tout son poids, à chaque instant. Les occasions comme celles-ci devaient être rares, au Bataillon, ainsi les protecteurs de l'humanité s'y jetaient à cœur joie.

Aveugle, Ash s'efforçait de mettre un pied devant l'autre sans craindre de se cogner, guidée par la voix enjouée de Erd dans son dos. Malgré elle, l'engouement du jeune homme était contagieux, et elle se surprit à sentir ses lèvres s'étirer en un sourire radieux, sincère, spontané, comme elle n'en avait jamais eu. Elle n'avait jamais eu de fête en son honneur. Elle n'avait même jamais eu d'amis. Elle se promit de savourer chaque minutes, chaque secondes de cette première soirée, de s'en imprégner pour que jamais les détails ne s'envolent.

Au bout de quelques minutes de leur avancée maladroite et claudicante, rythmée par leurs éclats de rires respectifs, Erd finit par détacher ses mains des yeux bleus de la jeune femme qui découvrit alors, éblouie, ce que ses coéquipiers lui avaient réservé.

Ash se trouvait à l'entrée du réfectoire, dont les nombreuses tables avaient été poussées contre les murs, laissant un seul et unique comptoir jonché de diverses bouteilles et verres au centre de la pièce, autour duquel l'attendaient patiemment ses amis qui acclamèrent sont arrivée. La jeune femme se sentit rougir.

- Sérieusement, les gars... grommela t-elle, faussement exaspérée, tandis qu'elle détaillait les membres de la petite bande qui se ruaient sur elle en criant joyeusement.

- Bienvenue dans l'escouade tactique, Ash! s'exclama Petra en serrant l'intéressée contre elle.

La balafrée ne put lui souffler qu'un vague "merci" avant de se sentir attirée par le poignet vers le reste de l'escouade, dont aucun des membres n'avaient manqué à l'appel. Chacun d'entre eux la saluèrent solennellement, comme s'il s'agissait d'une espèce de cérémonie qui confirmait son entrée au sein du groupe. Hanji lui sauta dessus à son tour, sa joie perpétuelle à présent décuplée par l'atmosphère festive qui régnait, et Ash remarqua qu'à son plus grand étonnement, Mike était également présent, accompagné de...

La bouclée écarquilla les yeux. C'était bel et bien le caporal, là, discutant avec son collègue, un peu plus à l'écart? Son éternelle expression ennuyée et ses bras nonchalamment croisés sur sa poitrine n'en faisaient aucun doute. Ash ne se serait jamais doutée une seconde que le taciturne vienne participer à un événement si dérisoire, puéril. Et pourtant, il était bien là, et dès qu'il sentit les prunelles bleutées de la recrue se poser sur lui, Livaï dévia son regard anthracite pour le planter dans le siens. Elle décela immédiatement une étrange lueur s'allumer dans ses iris d'argent, celle qu'il lui avait déjà été donné de voir parfois, dont elle ne savait définir la nature. Elle n'en comprit pas la raison, mais la simple présence du jeune homme ici lui réchauffa doucement le cœur, et elle hocha la tête pour le saluer silencieusement, un large sourire plaqué sur ses lèvres. Elle lut de la surprise dans les yeux de son supérieur, qui ne devait sûrement pas saisir la raison de cette expression resplendissante qui lui était adressée, mais finit par hocher la tête à son tour, imperceptiblement.

Ash fut vite détournée de son attention pour le noiraud par Erd, qui l'attira plus au centre de la pièce, au cœur du brouhaha ambiant créé par ses amis enflammés. Les verres furent vites servis, les conversations plus vives également. 

- Alors, ça te plait? lui demanda Hanji en se glissant à ses côtés, guillerette.

- Je m'attendais pas à tant, répondit la jeune femme en trempant ses lèvres dans son verre, les forts relents d'alcool s'imprégnant dans ses narines, lançant furtivement un regard appuyé au caporal qui n'avait pas bougé.

- On l'a un peu obligé à venir, mais bizarrement il n'était pas tellement réticent, déclara la scientifique, perspicace, qui avait capté la direction que prenait les yeux brillants de la bouclée.

Ash sentit une fois de plus ses pommettes s'échauffer, perturbée par une telle clairvoyance de la part de sa supérieure qui avait habilement décelé son interrogation sous-jacente. 

- Je ne pensais pas que de telles fêtes pouvaient être organisées ici, dit-elle en tentant de dévier la conversation.

- Ça effectivement, c'est exceptionnel! intervint alors Gunther. Mais tu n'as pas eu le droit à la fête de fin de promotion habituel des brigades d'entraînement, fallait bien que tu passes le cap aussi!

- Eh Gunther! T'étais pourtant pas vraiment pour, au départ, ajouta Petra, suspicieuse.

L'interpellé ne lâcha qu'un bref "Hmmpf!" avant de se cacher derrière son verre, l'air de rien.

- Bah, il assume juste pas de vouloir s'amuser un peu aussi, pouffa Erd. 

- Et tout ça, c'est grâce à moi! s'exclama fièrement Auruo en flanquant une énorme tape dans le dos de Ash qui s'étouffa à moitié dans son verre face au choc.

- N'importe quoi! rétorqua Erd, sous les rires et regards amusés de leurs coéquipiers qui assistèrent ensuite aux chamailleries puériles des deux hommes, hilares.

L'ambiance bouillonnante de joie guérit toute l'amertume et les préoccupations de la balafrée le temps d'une soirée. D'abord quelque peu réservée face à l'effervescence de ses collègues enjoués, elle se dérida bien vite sous l'afflux des verres qui s'enchaînaient, les rires à gorge déployées qui fusaient et finit par joindre son ardeur avec les leurs. Montée chaleureusement dans chacune de ses veines, l'ivresse s'emparait de tout son être, ses idées se faisaient floues et la tête lui tournait agréablement, comme délestée de tout ce poids qui pesait sur ses épaules depuis tout ce temps. Malgré les hurlements de cette voix qui lui criait, tout au fond de sa conscience, de ne pas s'abandonner à cette extase détachée, elle s'enivra, sombrant dans les doux remous de son jugement altéré, envahie par cette euphorie qu'elle n'avait pas expérimentée depuis des années.

Ses coéquipiers découvrirent ainsi une facette de la balafrée qu'ils ne lui connaissaient pas: avec un coup dans le nez, elle se montrait étrangement éloquente, un véritable éclat de joie sans plus aucune retenue. Elle ne se gênait plus pour s'immiscer vivement dans les conversations, rire aux éclats à chaque nouvelle plaisanterie, sans aucune frontière pour contenir son allégresse. Elle ne remarquait même plus le regard pesant du caporal qui n'avait jamais cessé de la scruter sans gêne. Ses pupilles anthracite ne la perçaient plus comme ils en avaient l'habitude, et glissaient à présent simplement sur son être endigué, voilé par une mystérieuse protection éphémère.

Le caporal avait assisté à l'entierté du changement de comportement de la jeune fille. Etant probablement le seul à ne pas avoir touché à cette - immonde - boisson, il pouvait toujours compter sur ses capacités d'analyse affûtées, refusant de se perdre dans les méandres de cette vague liberté factice. Il tenait à son jugement comme l'on tient à sa vie, toujours sur le qui-vive, à l'affût de chaque danger potentiel, quel que soit la situation. De bonnes vieilles habitudes qui ne se perdent pas, comme lui dirait-on; mais avoir vécu des années durant dans la peur et la méfiance perpétuelle avait laissé ses traces, et il se demandait justement pourquoi la jeune femme n'en faisait pas de même, sachant pertinemment qu'elle venait d'un milieu similaire au siens. 

Mais il avait évidemment remarqué la réticence première de la gamine à s'abandonner, qui avait une fois de plus confirmé ses hypothèses. "Elle n'a pas totalement perdu ses habitudes non plus", avait-il pensé. Il ne pouvait ainsi pas lui en vouloir d'avoir finalement succombé à la tentation; après tout, elle était en sécurité ici, et elle avait indéniablement besoin d'oublier, même quelques instants, la profonde détresse qui l'habitait. 

Livaï l'avait alors regardée sortir peu un peu de son mutisme éternellement embarrassé pour lui révéler finalement une répartie audacieuse, une immense joie de vivre frisant l'euphorie. Le caporal se surprit à penser que cette facette de la bouclée, bien que déconcertante, la rendait incroyablement resplendissante, lui allouant un détachement malicieux, séduisant. Elle n'était pas tombée dans l'ivresse pâteuse de ces ivrognes assoiffés; la sienne semblait parfaitement maîtrisée, lucide, lui octroyant seulement en prime une assurance plus appuyée, celle qui délie les langues, qui ose faire parler fort sans pour autant débiter tout un tas d'insanités à longueur de temps. Voilà à quoi elle devait réellement ressembler, sans toutes ces ombres qui rodaient sans arrêt autour de son être et qui venaient ternir son visage ensoleillé, désinhibé. A une femme belle, joyeuse, épanouie. Cette bribe de l'être qu'elle aurait dû incarner se montrait à présent au grand jour, et Livaï se promit, inconsciemment, de lui redonner un jour cette expression éblouissante qui la rendait si belle.

La jeune femme finit par remarquer cette paire d'orbes orageuses qui ne l'avaient jamais quittée. Elle s'approcha du caporal d'un pas plus assuré qu'à l'accoutumée, comme si elle avait été moins sujette à l'aura intimidante qu'il dégageait en permanence et qui la perturbait tant d'habitude. Ash s'affala à ses côtés, non sans lui lancer ce sourire resplendissant dont il n'arrivait décidément pas à s'habituer.

- Vous ne buvez pas, caporal?

- J'ai pas besoin de cette merde.

Cette réponse s'apparentait plus à une réprimande mal dissimulée qu'à une expression de pur dégoût, ce qui n'échappa pas à la jeune femme.

- Je sais que je devrais pas, commença t-elle, consciente qu'il comprenait parfaitement ce qu'elle voulait dire. C'est pas dans mes habitudes, je vous assure. Mais je sais rester alerte tout de même.

Effectivement, malgré ses joues rougies et ses yeux brillants, embués d'une ivresse palpable, elle parlait d'une voix claire, perspicace, et son regard demeurait indéniablement lucide.

- Et puis...

Elle plongea ses prunelles azurées dans celles argentées du caporal qui la dévisageait en silence.

- Je sais que vous êtes là, alors il ne peut rien m'arriver.

Avant qu'il ne saisisse l'intégralité de la teneur de ses mots, elle s'était relevée, non sans lui lancer un dernier sourire ravageur. Elle semblait s'amuser de son expression abasourdie car la jeune femme éclata d'un rire claironnant qui vint ravir ses tympans à l'image d'une douce mélodie. Elle se détourna sans plus lui lancer un seul regard de la soirée, mais il était à présent certain qu'elle était consciente sa présence autant que lui ressentait la sienne, irrévocablement. 

S'était manifesté dans leurs êtres un profond élan de curiosité mutuelle, et ce depuis la première fois qu'ils s'étaient jaugés. Mais à présent, un tout autre type de flamme s'était doucement allumé dans leurs cœurs au fil du temps, leur révélant un sentiment qu'aucun d'eux n'étaient encore apte à concevoir.

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