Chapitre 11 ~ Crise
Cela faisait des heures que Ash se terrait dans les écuries.
Après une nouvelle journée de tâches ménagères qui l'avaient empêchée une nouvelle fois de s'exercer à la tridimensionnalité, et bien trop déçue de ne pas avoir pu approfondir ses capacités dans ce domaine qu'elle aimait tant, la jeune femme avait décidé de s'isoler et de ruminer toutes sortes d'injures silencieuses envers ce tyran de caporal.
"Et Petra arrive à le trouver séduisant? Non mais sérieusement..."
Ash ne saisissait pas la raison pour laquelle le jeune homme s'efforçait encore et toujours de la punir pour le seul et unique affront qu'elle avait osé lui faire. Elle s'était juste élancée dans les airs avant qu'il ne lui donne son consentement, ce n'était pourtant pas un drame... Mais voilà des jours qu'elle était contrainte de nettoyer de fond en comble toutes sortes de pièces vétustes, d'éplucher des pommes de terres pendant des heures et d'aider Hanji dans ses expériences pour le moins étranges. Cette dernière corvée n'était pas la pire, au contraire; la recrue s'était beaucoup rapprochée de la scientifique et comprenait beaucoup mieux l'importance de son rôle au sein du bataillon.
Bien que submergée par les interminables théories et explications de sa supérieure, Ash se délectait de ne plus être obligée d'assister aux cours théoriques dont elle savait déjà tout, et se contentait d'approfondir son savoir au travers des dires d'Hanji. Tout le bataillon avait en effet vite réalisé que la recrue connaissait les caractéristiques et faiblesses des titans sur le bout des doigts, sans pour autant avoir perçu aucune formation particulière au préalable. Lorsque l'on questionnait la jeune fille sur l'origine de tout son savoir, elle se braquait et restait vague, comme si un sujet tabou avait été abordé. Le caporal-chef avait alors jugé les enseignements théoriques inutiles pour la jeune fille, et avait profité de ce temps libre fraîchement acquis pour la coller à toutes sortes de corvées, non sans se demander comme tous les autres avec stupéfaction: comment pouvait-elle savoir tout cela?
Chaque jour, lorsqu'elle achevait ses lourdes corvées quotidiennes, Ash passait quelques heures soit à bricoler l'épave de sa guitare, soit à pouponner les chevaux en se cloîtrant aux écuries. Ce soir là, elle avait opté pour son deuxième passe-temps préféré.
Lors des premiers jours de son intégration, on lui avait longuement expliqué l'importance capitale des chevaux au sein du Bataillon d'Exploration. Ils étaient les seuls êtres capables de distancer les titans en terme de vitesse et donc le moyen de locomotion essentiel lors des expéditions. Dans les premiers temps, lorsque Ash se sentait encore prisonnière du Bataillon, les écuries avaient été son refuge; ces bêtes étaient son son point d'attache, la seule source de douceur dans ce monde inconnu dans lequel elle était récemment entrée. Elle s'était vite familiarisée puis prise d'affection pour le cheval qu'on lui avait attitré: une magnifique jument couleur sable, aux yeux vifs et brillants d'intelligence, qui semblait s'être rapidement accoutumée à la présence de la jeune femme.
On lui avait également expliqué à quel point nouer un lien fort et profond avec sa monture était primordial; si la bête avait confiance en son cavalier, il serait plus facile de la monter mais surtout elle reviendrait instinctivement vers son soldat attitré, comme preuve d'une loyauté inébranlable.
Ash n'avait pas attendu de tels conseils pour accorder toute son affection à sa nouvelle monture, et ce dès le premier jour. On lui avait présenté la jument à priori comme étant de nature farouche, hargneuse et très nerveuse, et jamais personne ne s'était essayé à la monter de peur de la réaction de cette bête à l'allure indomptable. Seulement, sous les yeux éberlués du palefrenier et malgré ses mises en gardes alarmées, Ash s'était approchée sans crainte de la bête, étrangement apaisée en sa présence, et l'avait montée quelques secondes après leur premier contact, comme s'ils avaient toujours été de fidèles compagnons. La recrue n'attendit pas de savoir si sa nouvelle amie avait déjà un nom; elle la nomma naturellement Adaye, à l'image d'une personne formidable qu'elle avait connue autrefois.
La jeune femme aimait la beauté innée de sa nouvelle protégée, sauvage et majestueuse, la douceur et la couleur de son crin, l'éclat intelligent et lucide de ses yeux, comme si la jument comprenait parfaitement les douces paroles qu'elle prononçait à voix basse en lui flattant tendrement l'encolure ou en lui brossant minutieusement le poil. Ash avait ainsi en premier lieu préféré de loin la compagnie des chevaux plutôt que celle de ses coéquipiers.
Seulement, puisqu'elle avait bien vite fait ses preuves en équitation, on l'avait un peu contrainte à délaisser cette activité pour privilégier d'autres domaines, à sa plus grande déception. De plus, depuis que la jeune femme s'était prise à s'investir de plus en plus dans les enjeux du bataillon, elle avait accordé encore moins de temps à Adaye et aux autres chevaux, consacrant ses journées à ses activités éreintantes de soldat. A présent, elle se délectait de chaque instant en présence de sa monture, aussi rare soit-il.
Elle appréciait en cet instant les lueurs orangées de cette fin de journée, le bruit du vent dans le feuillage des arbres qui les encerclait, le souffle calme des bêtes à ses côtés. Cigarette à la bouche, elle murmurait des paroles inintelligibles en caressant doucement le museau de sa monture, le regard vague. La jeune recrue ne décela pas la présence dans son dos et sursauta lorsqu'une voix fusa derrière elle.
- Faudrait que t'arrête de fumer cette merde, tu sais.
Ash se retourna brusquement pour faire face au nouveau venu, et sa soudaine tension s'atténua quelque peu lorsqu'elle reconnut le caporal-chef, adossé à l'entrée de l'écurie, les bras croisé sur le torse. Il la toisait de son éternel regard vide et glacé, que la jeune femme soutint fermement.
- Vous faites bien la même chose, rétorqua t-elle, agacée de l'intrusion soudaine de l'objet de son exaspération depuis plusieurs jours maintenant. Vous voulez quoi?
Son ton était plus sec qu'elle ne le voulait, et le caporal arqua un sourcil.
- Je crois encore avoir le droit d'aller voir mon cheval, merdeuse. T'as intérêt à baisser d'un ton avec moi.
La jeune femme haussa les épaule nonchalamment, et recentra son attention sur sa jument qui semblait légèrement agitée par la tension que sa cavalière dégageait. Cette dernière s'empressa de rassurer l'animal en lui flattant tendrement l'encolure et en poursuivant ses murmures réconfortants, sous les yeux énigmatiques de son supérieur qui ne manquait pas une miette de la scène.
- Ou est ce que tu as appris à t'occuper des chevaux comme ça?
Il avait prononcé une des interrogations qu'il voulait silencieuses tout haut. Grimaçant imperceptiblement de s'être une fois de plus permis une telle curiosité envers la jeune femme, il n'en attendit pas moins une réponse.
- Sauf votre respect, caporal, ce n'est pas vraiment vos oignons.
La jeune femme acheva ses soins, caressa une dernière fois la jument et s'apprêta à quitter les lieux en amenant une nouvelle cigarette à sa bouche. Elle se dirigea d'un pas qui se voulait insolent vers l'entrée des écuries, où Livaï se dressait toujours. Arrivée à sa hauteur, ce dernier lui empoigna furieusement le poignet et approcha son visage à l'expression monstrueuse de celui de la jeune fille.
- J'allais te dire que tu pourrais reprendre l'entraînement demain, mais apparemment c'est pas ce que tu veux, merdeuse, lui cracha t-il au visage.
Ash se raidit brutalement et leva la tête vers son supérieur qui, malgré sa petite taille, semblait la surplomber de toute son aura imposante. Livaï crut un instant percevoir un éclat apeuré dans les iris de la bouclée, mais cette dernière ne broncha pas face à la fermeté du jeune homme. Elle soutint le regard orageux de ses prunelles à la couleur du ciel où brillait à présent une lueur effrontée, et ne tenta pas de se dégager de la poigne de fer du noiraud qui lui broyait l'avant-bras. Ils s'affrontèrent du regard quelques instants, jusqu'à ce que Ash finisse par lui souffler une vague de fumée de cigarette au visage.
Les nerfs du caporal cédèrent. Son poing fondit sur elle, et à la plus grande surprise du caporal, elle le para sans mal.
- Que me vaut un tel accès de colère de votre part, mon caporal? ricana la jeune fille dans un étrange sourire, d'une voix cassante.
Livaï était sur le point de se ruer sur elle, mais se ravisa au dernier instant et tenta de calmer non sans mal sa pulsion meurtrière. Comment une telle gamine pouvait le faire sortir de ses gonds aussi facilement?
- D'où te vient un tel accès d'arrogance, sale morveuse? rétorqua t-il sur un ton qu'il voulait calme, mais qui restait néanmoins teinté d'une irascibilité peu maîtrisée.
Le rictus distordu de la jeune femme disparut instantanément pour laisser place à son expression désabusée familière, et elle recula de quelques pas. Cette soudaine transition sur le visage de la jeune fille déconcerta beaucoup le caporal. Il n'avait pas l'impression de se trouver devant la même gamine dédaigneuse qui se dressait devant lui seulement quelques secondes plus tôt. Ash arborait à présent une expression terrifiée et regardait ses mains qui tremblaient, les yeux écarquillés.
- Qu'est ce qui te prend, bordel?
Ash leva les yeux vers le caporal, comme s'il elle constatait à peine sa présence. Hébété, il détaillait l'expression empreinte d'une nouvelle et profonde détresse sur le visage de la jeune fille dont les tremblements avaient à présent envahit tout son corps.
Il fit un pas vers elle mais se stoppa lorsque la jeune femme lui hurla d'une voix étranglée de ne pas s'approcher. Ash ferma les yeux, son visage contracté par l'effort surhumain qu'elle employait pour tenter d'atténuer ses tremblements incontrôlables. Le jeune homme se décida tout de même de continuer son approche, doucement, comme s'il craignait qu'elle ne s'effondre au moindre de ses mouvements. Arrivé à sa hauteur, il prit doucement le visage de la jeune femme dans ses mains pour la forcer à le regarder, mais elle persistait à garder ses paupières fermées. Elle sursauta violemment à ce toucher, et il crut sincèrement qu'elle était une bombe à retardement qui s'apprêtait à exploser.
- Eh, merdeuse, calme toi, calme toi. Regarde moi.
Sa voix était douce et ferme à la fois. La jeune femme finit par ouvrir ses yeux terrifiés et les plonger dans les prunelles argentées de son supérieur.
- Voilà. Maintenant souffle un coup, profondément.
Ash s'exécuta, comme hypnotisée par le regard du caporal qu'elle ne quittait pas. Sa respiration se fit moins hachée, et la terreur dans ses yeux se dissipa peu à peu.
Il enchaîna en lui donnant délicatement toutes sortes d'ordres visant à faire sortir la jeune fille de sa transe apeurée, cette dernière s'accrochant à son regard comme si sa vie en dépendait. Elle finit par recouvrer un semblant de calme, mais lorsqu'elle se défit des prunelles orageuses du caporal, ses jambes lâchèrent et Livaï dût la rattraper pour qu'elle ne s'effondre pas de tout son long. Il la traîna vers un grand arbre où il l'aida à s'assoir contre le tronc, puis s'assit à son tour en tailleur, face à elle.
La balafrée semblait à présent avoir reprit possession de tous ses moyens, et avait la tête baissée, honteuse. Livaï lui laissa quelques instants, avant de finalement briser le lourd silence qui s'était installé.
- C'était quoi, ça?
Ash garda le silence, le regard fuyant.
- Eh, me refait pas la gamine insolente, merdeuse. Explique-toi.
Le caporal s'efforçait de ne pas céder à la colère à nouveau et patienta. Il attendrait tout le temps qu'il faudra.
- Je... commença Ash, timidement.
Mais sa voix mourut dans sa gorge.
Livaï, comprenant alors qu'elle ne dirait rien d'elle-même, spécula quelques instants sur la raison d'une réaction si étrange. Puis il comprit.
- C'est quand je t'ai prise par le bras, déclara t-il, songeur. C'est bien ça?
Ash acquiesça silencieusement.
- Tu ne supportes pas de te faire toucher contre ton gré, surtout si c'est violemment, j'imagine?
Elle hocha la tête positivement à nouveau.
- Pourquoi tu aimes tant le combat, dans ce cas?
- C'est pas pareil! s'exclama t-elle alors, osant croiser enfin le regard de son supérieur.
Les prunelles océan de la jeune femme étaient indéchiffrables. Livaï se sentait déconcerté. Qu'avait-il pu arriver à cette gamine pour qu'elle se mette dans un état pareil alors qu'il lui avait seulement empoigné le bras? Elle avait l'air profondément traumatisée. Ce qui était totalement paradoxal, compte tenu de l'ardeur qu'avait la jeune femme pour engager les combat au corps-à-corps.
Il restèrent quelques minutes au cœur du plus grand des silences. Livaï gardait son regard ancré sur la jeune femme tandis que cette dernière peinait à le soutenir. Son visage était déformé par la honte, les sourcils froncés, les yeux perdus dans le vide, quelques rides d'anxiété parsemant son front. Elle se sentait horriblement mal, de part cette étrange situation, son propre comportement et surtout l'homme assis en face d'elle.
- Eh, merdeuse, appela ce dernier, en se levant.
Ash suivit son geste des yeux, le détaillant en train d'épousseter son pantalon en quête de quelques brindilles restées accrochées à son vêtement.
- T'as l'air d'avoir un truc qui te pèse sur la conscience, gamine. Tu t'obstines à ne pas vouloir en parler ou à faire comme si tu étais aussi dure que du roc, mais ça n'a pas l'air de fonctionner tous les jours. T'as tes faiblesses, tes propres cauchemars, faut les accepter. Fais pas les mêmes erreurs que nous autres.
Livaï la fixa alors intensément d'un regard énigmatique.
- Te laisse pas bouffer par tes démons.
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