Défi 5.1 - If I was to walk away [Sakumo Hatake]

Et si je devais m'en aller?

Sakumo se le demandait souvent.

Il avait l'impression de passer ses journées devant la fenêtre, à regarder la pluie tomber. Sauf que bien souvent, le ciel ne pleurait pas. Lorsqu'il l'avait réalisé, il s'était demandé pourquoi il croyait voir de la pluie partout. Sakumo l'aimait bien, lui, la pluie; il avait l'impression qu'elle le lavait de tout ses torts, qu'elle les trainait dans la boue comme tous ces gens l'avaient fait avec lui, pour finir par l'effacer au premier rayon de soleil s'évadant de la grisaille de ces nuages. Sauf que lui, il ne le voyait jamais, ce rayon de soleil. Du moins, c'est ce qu'il pensait.

Parce que lorsqu'il finissait par baisser les yeux vers la petite tête grise qui quémandait son attention en tirant sur son pantalon, Sakumo cessait de voir la pluie tomber.

Et si je devais m'en aller?

Mais cette question, cette volonté de partir, persistait toujours, malgré le petit rayon de soleil qui faisait souvent irruption à ses pieds. Parce qu'il avait mal, tellement mal. Il avait toujours bien supporté la souffrance physique, pourtant. Mais celle-ci, plus vicieuse, plus perçante, s'attaquait à son âme elle-même, rongeait sa dignité, effondrait ses convictions. Il semblait égaré dans les vapeurs nauséabondes du jugement acide de ses pairs, qui l'avaient dénaturé, lui avaient arraché tout repère. Il ne savait plus qui il était ni ce qu'il devait faire, et plus le temps passait, plus ce sentiment sinistre étendait ses racines à l'intérieur de lui. Cela avait fini par lui faire mal, et cette douleur mentale s'était étendue sur l'intégralité de son corps, jusqu'à ce qu'il finisse par souffrir de chaque regard cuisant posé sur lui, comme si tout le monde semblait désirer le voir brûler par la seule force des yeux. Et cette brûlure, il la sentait à même sa peau. Tous ces gens lui écorchaient la chair rien qu'en le regardant, et il avait l'impression de se consumer petit à petit, et de voir ses propres cendres voleter dans les airs avec le temps.

Ca lui faisait mal. Il voulait que tout cela cesse. Alors, Sakumo se demandait souvent s'il ne valait pas mieux qu'il s'en aille. Puisque le monde entier semblait désirer le voir disparaitre, pourquoi pas, après tout? Plus le temps passait, plus il réalisait que finalement, il le voulait, lui aussi.

Malgré tout, Sakumo ne parvenait pas à mépriser le reste du monde, qui l'avait abandonné. Il trouvait plutôt en sa propre force le véritable fautif de sa détresse, car elle avait planté chez les autres cette aigreur et cette calomnie qui faisait de lui désormais plus qu'un soldat déchu, bafoué, essoufflé sous le poids du déshonneur. S'il n'avait pas été fort, ils seraient tous morts. Et durant les jours les plus sombres, Sakumo se disait qu'il aurait mieux fallu que cela se passe comme ça.

Alors, un soir, il avait posé sa lame de chakra blanc, l'incarnation même de sa force, sur le dessus de la commode de sa chambre et s'était promis de ne plus jamais la toucher. 

Pourtant, toutes les nuits, il avait ses yeux sombres posés dessus. Elle l'attirait, l'enjôlait. Alors, il tendait une main tremblante, et, comme hypnotisé, il semblait l'entendre l'appeler. Elle lui disait qu'elle avait le pouvoir de mettre un terme à toute sa souffrance, qu'il avait juste à s'emparer d'elle, de tourner sa lame droit vers son cœur. Alors, le supplice finirait enfin. 

- Papa?

Le charme se rompait toujours à cet instant là, au même titre que l'ouragan de pensées macabres qui déferlait dans sa tête. A l'instant où le petit garçon aux cheveux gris qui se tenait sur le pas de sa porte l'appelait de sa petite voix ensommeillée, et le regardait de ses grands yeux noirs, les sourcils froncés, se demandant pourquoi son père dormait les yeux ouverts en tendant un bras en avant. Il semblait toujours le sentir déraper, ce petit garçon. Parce qu'à chaque fois, sans exception, alors que Sakumo s'apprêtait à mettre à exécution les désirs de sa lame déchue, Kakashi lui rappelait qu'il n'avait pas le droit de s'y laisser emporter. Parce que son fils était là, et qu'il avait encore besoin de lui.

Alors, l'espace de quelques instants, Sakumo oubliait qu'il avait mal et qu'il aimerait partir. 

Car dans ces deux yeux semblables aux siens, il n'y avait jamais vu le venin des autres. Oui, il y avait encore une personne en ce monde qui ne lui en voulait pas d'exister, qui lui rappelait qu'il y avait encore quelque chose pour lequel se battre.

Alors, Sakumo ouvrait ses bras au jeune garçon, et voyait en cette petite silhouette blottie contre lui tout l'espoir du monde que lui-même ne possédait plus.

Et si je devais m'en aller?

Sakumo s'accrochait à son fils comme à la dernière pierre à laquelle en s'agripperait avant de tomber dans le précipice. Il avait souvent cru qu'un père devait être un pilier pour son enfant, mais finalement, Sakumo avait réalisé que c'était l'enfant qui érigeait les fondations de son existence. 

Parce que Kakashi n'avait pas conscience de la façon dont son entité même maintenait son père en vie.

Un soir, Sakumo était allé border son fils après une longue journée plongé dans les bruines de son mal-être. Kakashi était blotti dans ses chaudes couvertures, et son père était assis au bord de son lit, triturant machinalement les plis de la couette de ses doigts, sans trop savoir quoi dire ni faire. Sakumo aimait porter son fils jusque sommeil, mais c'était un fait: Kakashi, du haut de ses cinq ans, n'avait déjà plus vraiment besoin de lui pour s'endormir.

- Tu n'es plus obligé de venir à mon chevet tous les soirs, Papa.

Bien sûr, qu'il le savait. Mais Sakumo, dans son désarroi, avait besoin de s'accrocher à ces choses futiles mais sans pour le moins chaleureuses qui lui donnait l'impression d'avoir encore un rôle, une raison d'être. Il avait besoin d'être père et de se comporter comme tel, même si son fils lui donnait l'impression de lui filer entre les doigts à mesure qu'il grandissait. Et bon Dieu, qu'il grandissait vite.

- Tu te souviens du soir où nous sommes allés à la fête de Konoha, l'année dernière?

Kakashi se redressa sur ses coudes et observa son père de ses yeux sombres. Ses mèches désordonnées luisaient légèrement sous l'éclat de Lune qui passait à travers la fenêtre, et Sakumo se dit qu'il aimait décidément voir à quel point ce petit être lui ressemblait. Puis son estomac se retournait violemment à cette pensée, car il ne souhaitait pour rien au monde que son fils ait une quelconque similitude avec le vaurien qu'il était devenu. 

- Ah oui! Quand on a vu des gens danser du flamenco et qu'on s'est goinfrés de tartes au citron?

- Ce n'était pas forcément du flamenco, mais plutôt un mélange de danses étrangères, dit le plus vieux en se grattant le menton, pensif.

Il était rare que Sakumo puisse encore corriger le jeune garçon. Malgré son jeune âge, Kakashi était un enfant très précoce, qui semblait déjà avoir la plupart du temps les réflexions et l'intellect d'un jeune adolescent.

- C'est pareil, répliqua le garçon en haussant nonchalamment les épaules. Je me souviens juste qu'il y avait plein de couleurs, c'était beau. Mais le feu d'artifice à la fin était un peu raté.

Sakumo rit doucement au commentaire de son fils, amusé. Mais son hilarité se tarit bien vite lorsque ces chaleureux souvenirs firent surface dans son esprit, et qu'il réalisa que les belles couleurs dont parlait Kakashi ne lui disait plus rien, qu'il ne demeurait dans sa mémoire qu'une vision terne et froide de ces moments heureux.

- Kakashi?

L'enfant leva à nouveau la tête vers son père. Sakumo passa ses yeux vides sur le visage encore enfantin de son fils, déjà dissimilé sous le masque qui incarnait tout un symbole de la famille Hatake. Depuis que Sakumo avait fait part au jeune garçon de leur histoire ancestrale, ce dernier ne se séparait plus de ce bout de tissu, même pour dormir. Le déchu Croc Blanc de Konoha avait été touché par le sérieux avec lequel Kakashi avait pris l'héritage familial, qui contraignait le petit argenté à endurer le calvaire quotidien de ne jamais pouvoir respirer à l'air libre, et avait été surpris du crédit incontestable que Kakashi accordait à son père. 

Sakumo avait l'impression de se tordre de douleur rien qu'en songeant à quel point son fils l'admirait, à quel point il n'avait d'yeux pour lui. Parce qu'une telle adoration pour le misérable qu'il était devenu lui était absurde, intolérable. Il ne méritait pas qu'un enfant aussi fabuleux l'adule, l'idolâtre de la sorte. Et en même temps, il aurait aimé être l'homme merveilleux que Kakashi dépeignait rien qu'à travers ses yeux fiers. 

- Et si je m'en allais?

Sakumo avait chuchoté ces mots étranglés sans s'en rendre vraiment compte, égaré dans la torture que ses pensées lui infligeaient continuellement depuis des mois.

L'enfant observa son ainé, décontenancé. Quelle était cette étrange lueur qui dansait désespérément dans ces yeux si semblables aux siens? Malgré sa sagacité extraordinaire pour son âge, ce soir là, Kakashi ne vit pas que l'existence de Sakumo ressemblait aux éclats misérables d'un vase en porcelaine brisé. Il ne compris pas l'agonie dans la question de son père.

- T'en aller? Comment ça?

- Je sais pas... Loin, longtemps.

Sakumo pivota la tête vers la mine incrédule de sa progéniture.

- Qu'est ce que tu ferais?

Le jeune garçon croisa les bras sur son petit torse, pensif. Sakumo voulut se gifler d'avoir posé une telle question à son enfant si jeune, mais fut soulagé de voir que Kakashi ne semblait pas prendre ses mots au sens littéral. Oui, c'était un jeu. 

Mais au fond de lui, Sakumo savait que sa volonté d'exister était à présent entre les mains de son garçon de cinq ans. 

- Hum... Je serai triste, déclara finalement Kakashi. Mais je saurai me débrouiller en attendant que tu reviennes. Je sais déjà me défendre et m'occuper de moi-même, grâce à tout ce que tu m'as appris. Je pense que je m'en sortirai.

Sakumo sourit doucement, tristement. Il était soulagé.

Par les mots de son fils, il était devenu un homme condamné.

- Et je t'attendrai, conclut Kakashi en lançant un regard curieux à son père, lui demandant par les yeux s'il lui avait donné une réponse convenable.

Sakumo tendit le bras et ébouriffa le soyeux des cheveux argentés de son fils, tendrement.

- Je ne voudrais pas que tu m'attendes. Je voudrais que tu vives comme tu l'as décidé, que tu sois heureux, et que tu te souviennes que juste là, quelque part, il y aura toujours moi qui pensera à toi. 

Kakashi acquiesça vivement, heureux d'apprendre une nouvelle leçon de son père adoré. 

Sakumo, lui, sourit une nouvelle fois.

Il en était certain, à présent. Son fils n'avait plus besoin de lui.

Il était libre de partir.

- Je t'aime, Kakashi. Oublie pas.

Le jeune garçon grimaça.

- J'ai plus l'âge pour ces niaiseries, Papa.

Sakumo se leva du lit en riant doucement, avant de recouvrir les épaules de son fils avec les couvertures de son petit lit.

Alors qu'il s'apprêtait à refermer la porte sur la chambre de son fils, une petite voix ensommeillée l'appela doucement.

- Eh, Papa... Tu sais, je t'aime aussi.

Sakumo sourit, et referma doucement la porte.

Et si je devais m'en aller?

Ce soir là, Sakumo aurait aimé dire à Kakashi que le monde est beau, que c'est beau d'aimer. Qu'il aurait construit un empire juste pour voir un sourire sur le visage découvert de son fils que lui seul avait le droit de voir, qu'il aurait fait battre le ciel pour un futur plus beau.

Mais il n'y pouvait rien. C'était plus fort que lui. Ce monde n'était pas pour lui, ce n'était pas le sien. 

Son fils était assez grand. Il avait pris sa décision.

Alors, à force de se demander à quoi bon, il partit.

Il avait dit au revoir à Kakashi dans son sommeil, avait doucement caressé les mèches de cheveux grises si semblables aux siennes. Il s'était excusé, oh comme il s'était excusé. Il avait pleuré si longtemps au chevet de son fils paisiblement endormi, cet être qui incarnait l'avenir qu'il ne toucherait jamais lui-même du bout des doigts. Il se maudissait de ne pas être assez fort, mais était déjà si fier de voir en son fils le courage, la sagesse et la ferveur dont il était lui-même démuni. 

- Je suis désolé. Oh, comme je suis désolé.

Par ses murmures étranglés dans l'obscurité épaisse de la chambre de son enfant, Sakumo disait adieu à ce monde. Il laissait sa beauté entre les mains de Kakashi, cet enfant prodige qui, il en était sûr, parviendrait à garder la tête haute malgré les horreurs de l'existence. Parce qu'il savait que son garçon avait entre ses mains le pouvoir de changer les choses, parce qu'il était la version améliorée de lui même.

Parce qu'il était son fils.

Alors qu'il se redressait pour s'en aller définitivement, une de ses larmes tomba sur la joue rebondie du petit être assoupi à qui il avait fait ses adieux. Sakumo se pencha alors, et posa ses lèvres sur la bruine de ses yeux qu'il avait laissé tomber sur son enfant adoré. Alors, il dit une dernière fois à Kakashi qu'il l'aimait.

Il referma la porte sur ce monde que représentait l'existence même du petit être aux mêmes cheveux que les siens.

Et Sakumo s'en alla.


***


- 2 233 mots -


Mmh. Pardon. Vous voulez un Kleenex? J'en ai plein.

J'aurai voulu développer encore tellement de choses. Mais le suicide est un sujet délicat, alors je n'ai pas voulu m'y attarder plus. J'espère que ça vous a plu quand même.


Voici mon défi:

Nombre de mots: Libre
Œuvre: Naruto
Univers original ou non: Libre
Protagoniste à choisir: Hinata, Sakura, Ino ou Tenten
Cinq mots à placer: Aigle / Epoux / Timing / Intelligent / Perle
Thème: Libre
Genre: Libre
Limite de temps d'écriture : Aucune 

Place aux filles, mesdames et messieurs.


Au tour de Obito pour le prochain one-shot!

A tout de suite,

Emweirdoy

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