Chapitre XXXVII

Si pics et lames filèrent sur Xi dans toutes les directions, cette scène disparut si brutalement qu'elle lui flanqua la nausée. Une sensation glacée l'assaillit dès qu'elle quitta les Cieux et plongea dans les Enfers ; l'exacte même l'ayant tirée de ceux-ci, tandis que Neeh avait hésité à l'achever. Ce monde était bien cruel de lui forcer la main pour le haïr, alors que la responsable était la Phoe Diablesse d'un autre monde.

Sur qui Xi devait-elle cracher son venin ? Je veux m'aveugler, encore. Je veux penser que tout est la faute du Diable. Je veux maudire et retourner le Paradis dans le processus. Je veux tous les anéantir. Et se restreindre est si frustrant...

Une dernière fois, la jeune femme s'accorda le loisir de haïr telle une gamine, de se laisser noyer par les cris déchirés de Loë et Phoe et la face éclatée de Liz. Elle avait promis à celle-ci qu'elle allait la venger, qu'elle allait dévouer sa vie à elle. Alors, même si elle se perdait ensuite dans la démence au bord de laquelle elle dansait déjà, à se gausser face au cadavre du Diable et peut-être même de ses acolytes, au moins devait-elle remplir sa première mission.

Si le Diable ne voulait pas de sa vengeance, elle n'avait qu'à prendre sa place. Elle allait clore sa discussion avec Liz ; et si elle ne pouvait pas voir le fantôme de celle-ci, parler à sa tresse nouée autour de son poignet allait suffire. Peu importait si on la pointait du doigt en ricanant, chaque rieur allait mourir sous son cimeterre et finir dévoré par le dragon gardant les Enfers.

Sur ces désirs se matérialisa de nouveau la vaste salle qu'elle avait quittée : hauts gradins dignes d'une assemblée, sol de marbre toujours ensanglanté, soleil joyeux rebondissant sur les cloisons de vieilles pierres. Neeh, il se trouvait à l'exacte position où elle avait disparu. Ils se retrouvèrent nez-à-nez ; l'un hoquetant, l'autre ravagée par un mélange d'extase et d'horreur.

Mais je veux encore m'aveugler... car si je ne le fais pas, je deviendrai folle.

Xi se laissa donc bercer par la haine. Elle saisit Neeh par l'épaule avec force, planta violemment son genou dans son entre-jambe et enfonça son talon dans son plexus. Il lâcha un hoquet ou un juron ou une supplication, que savait-elle, elle n'en avait cure ; tout ce qu'elle savoura fut le regard désorienté qu'on lui servit. Le Diable se pliait devant elle, à se tenir ridiculement les testicules !

Le sabre de Xi fendit vivement l'air ; sa lame se planta dans la chair à nu du cou de Neeh, pour la dévorer dans une lente famine. Les paupières de son ennemi, elles s'écarquillèrent sous un choc prodigieux. Excellent, si excellent. Elle finit son geste en criant du plus profond de son coffre ; la tête de Neeh vola, suivie à la trace par une pluie vermeille.

Dès qu'elle rebondit ridiculement au sol, puis que son corps découronné s'avachit aux pieds de Xi, celle-ci ploya sous le brusque mutisme funeste qui suivit. Finis, les souvenirs des égosillements de sa partenaire ou de son amie. Il ne restait plus qu'elle, le cadavre d'un gars victime de sa futile soif de sang, et une Liz tantôt radieuse, tantôt écrabouillée par une calèche. Ces deux dernières images l'ankylosèrent peu à peu. Elle finit par chanceler en arrière, à absorber contre son gré les pouvoirs du chef des Enfers.

Elle n'avait vraiment pas visé la bonne personne, car la carcasse de Neeh ne lui offrit pas la moindre satisfaction. Tout ce qu'elle vit, ce fut le reflet de son visage épuisé et terreux dans la mare pourpre léchant ses bottes. Sa manie naissance y flottait tel un cheveu dans une soupe.

Ces dix dernières années venaient de payer : elle avait « tué le Diable », elle avait « pris sa place » ; alors, pourquoi n'était-ce toujours pas assez ? D'où venait la frustration grignotant son pauvre coeur réduit en poussières ? L'affreuse impression de n'avoir rien fait pour Liz, de n'avoir agi que pour elle-même, la fit peu à peu tourner en bourrique. Elle entendit tout juste son propre rire haché et nerveux. Elle sentit tout juste ses propres larmes cramer ses joues. Ses souvenirs avec Liz placardaient tout le reste.

Quelque chose ne tournait décidément pas rond : qu'elle pense à son amie d'enfance était attendu, mais pourquoi ces réminiscences s'intensifiaient de la sorte ? Bientôt, elles allaient l'asphyxier, elles allaient la crever. Même tenter de penser à Loë et Phoe s'avéra vain. Liz, il n'y avait que Liz, il n'y avait que son timbre doux ou bougon et ses grands yeux lumineux.

Et pour cause : elle se tenait juste devant Xi, à lever sa petite figure ronde avec surprise.

— Xi ? Pourquoi tu as du sang sur toi ?

Sa simple voix la dévasta.

Non. Ce n'est pas ce que tu crois. Ne regarde pas derrière toi – ne fais pas un pas en arrière ! Xi tendit une main secouée de sauvages soubresauts vers la jeune enfant ; elle traversa celle-ci comme si elle pénétrait un frais nuage de vapeur.

Un fantôme ? Une hallucination ?

— T'es pas aussi passée sous la calèche ?! s'affola soudain Liz.

Ses longues mèches ébène se balancèrent dans tous les sens lorsqu'elle courut vers la jeune femme et tenta d'attraper sa cotte de mailles. D'innocentes et enfantines larmes roulèrent sur ses joues généreuses. Sa panique semblait à son paroxysme.

Mais Xi ne répondit rien, car Xi était clouée sur place et ne parvenait plus même à respirer. Et face à ce silence, la jeune fille renifla tous ses sanglots, les paupières déjà rougies.

— T'es pas morte, dis ? tremblota-t-elle. Je sais que t'es pas morte. T'es pas comme moi, ta peau est toujours chaude. Mais t'es pas passée chez le poissonnier non plus. Et t'as grandi... Donc, ce sang, il ne vient pas de toi ni des poissons, c'est ça... ?

Le craquement de son timbre ravagea les tripes de Xi : elle se réveilla aussitôt, puis chuta à sa hauteur.

— Non ! s'écria-t-elle. Non, ce n'est rien, d'accord ?! J'ai juste dû régler une affaire. Maintenant, je vais bien, tu le vois ! Regarde, Liz, je voulais finir ce que j'avais dit – tu veux savoir, pour les Diables ? Je suis venue pour te dire pour les Diables ! Tu te souviens de ce que je t'ai dit, n'est-ce pas ?

Son amie d'enfance, ou son fantôme, ou son hallucination, hocha la tête en s'essuyant le visage.

— T'as dit qu'il y avait qu'un Diable, mais aussi plusieurs, et j'ai pas compris..., hésita-t-elle. Mais après ça, tu me dis pourquoi tu as aussi du sang comme moi. Promis juré craché !

— Oui..., souffla faiblement Xi. « Promis, juré... »

Elle se recroquevilla sur elle-même dans un gémissement. Non, elle n'en pouvait plus, le moindre de ses mots contractait sa trachée. Liz – elle l'avait attendue durant dix ans. Cependant, dix ans, ce n'était rien, absolument rien, à côté d'un siècle. Alors, Xi n'avait pas le droit de ressentir l'once d'une souffrance.

— Promis, juré, craché, chevrota-t-elle. Les Diables, il n'y en a qu'un, mais il y en a plusieurs... Tu sais, c'est car c'est comme nos Empereurs.

À ces mots, les traits de Liz s'éclairèrent légèrement ; Xi continua donc son court récit jusqu'à l'épuisement. Les archives s'étaient trompées, s'étala-t-elle. Les Diables ne se relayaient pas leur poste par le sang ou de pur pouvoir. Ils s'élisaient, puis ils coopéraient, puis ils laissaient leur place au gré des habitants des Enfers.

Tous ces mots lui arrachèrent la langue, mais l'allégèrent tout autant. Elle finissait enfin la discussion si abruptement coupée il y avait une décennie de cela. Toutefois, ses dires lui explosaient à la face : l'ordre qu'elle expliquait à Liz, elle venait de le détruire.

Mais comment lui raconter une telle exception, lui rapporter un tel massacre et son absence complète de regrets ? Entendre qu'un Diable perdait sa place s'il mourait, c'était trop violent aux oreilles d'une enfant. Et Liz était la dernière personne que Xi souhaitait bouleverser. Et pourtant, aussi fort tenta-t-elle de la préserver de la folie l'ayant rongée, les traits de l'enfant se teintèrent d'une douce tristesse.

— Mais Xi, l'arrêta-t-elle de sa petite voix, tu n'as pas l'air contente.

— Je suis contente, débita-t-elle derechef. Te voir, j'ai attendu dix ans pour ça, je te le promets !

— Alors pourquoi tu pleures ? Et j'ai l'impression que tu es en colère. Contre qui tu es fâchée ?

« Contre qui. » Simples mots, l'horrifiant pourtant du plus profond de son être. Car elle eut beau fouiller parmi toutes ses cibles, au final, personne ne la satisfit. Déjà avait-elle massacré et décapité un innocent ; ensuite avait-elle peu à peu réalisé que le seul problème, dans ses mésaventures, était elle-même.

Elle avait blâmé les Cieux et les Enfers. Elle s'était engagée dans un voyage en traînant ses amis jusqu'à la mort. Elle avait tué, elle avait bousillé, elle avait maudit. Même dans le monde d'où venait sa Phoe, c'était elle qui avait initié tout cela.

Xi avait été l'élément déclencheur de ses propres mésaventures. Au lieu de faire ses deuils, elle s'en était assommée d'autres, pour mieux cracher sur le Diable et les Dieux. Et le pire, le pire était qu'apaiser sa haine restait hors de portée. Assassiner l'avait tant séduite ; décapiter n'avait pas suffi.

Elle avait déclaré d'elle-même la guerre contre la Terre et les Cieux.

— Je ne sais pas contre qui je suis fâchée, énonça-t-elle difficilement. Je suis juste fâchée, c'est tout. Liz, ne t'en fais pas...

— Mais j'aime pas quand tu grondes, tremblota l'enfant.

Je voulais juste te revoir... Eh, j'ai attendu dix ans, tu ne vas pas me rejeter... ? Je t'ai même donnée ma tresse. Est-ce que tu la veux, ma tresse ?

— Dis, j'ai voulu t'offrir la vie, barbota-t-on de nouveau. Si t'es fâchée car je suis morte, il faut pas, parce que j'ai voulu te sauver. J'avais même voulu te parler de ma tresse, je me l'étais dit, avant que la calèche arrive. Tu l'as retrouvée ? Tu l'as gardée ?

Et Xi de s'écrouler, au bord de l'agonie. Le visage tristounet de Liz la surplombait désormais, ses grands yeux se baissaient sur elle en se plissant sous les larmes. La combattante leva faiblement le poignet où se trouvait sa torsade ; là où elle crut qu'on allait la rouspéter, un grand soulagement allégea l'expression de l'enfant.

Elle eut beau se jeter à son cou en riant, seul un nuage glacé saisit Xi. Cette Liz-ci était morte, et elle ne pouvait pas même l'enlacer.

Ces retrouvailles allaient la démolir.

— J'ai eu peur ! continua-t-on de s'exclamer, entre le rire et les sanglots. J'avais coupé le début pour toi, puis t'es arrivée, donc elle est tombée dès que je suis tombée. Elle est à toi, garde-la, hein ? Et arrête d'être fâchée !

La jeune femme déglutit avec difficulté. Le moindre de ses muscles la torturait, tant ils se contractaient sous la pression. Elle ne parvenait plus à parler ni à respirer. Chaque phrase de cette Liz perdue depuis longtemps la poignardait dans une innocente cruauté. Elle ne savait pas que, parfois, Xi avait souhaité échanger sa vie contre la sienne. Elle ne savait pas non plus qu'elle avait versé sueur et sang pour la venger, là où on aurait bien préféré de la paix et de la guérison.

Je suis un monstre.

— Maintenant que tout va bien, sourit alors faiblement Liz, fais la paix avec le monde. Juste ça, et je serai pas fâchée car tu es fâchée...

— Liz ? chuchota faiblement Xi.

Mais la silhouette de celle-ci se fondait déjà avec les gradins derrière. Elle ne semblait pas même consciente qu'elle disparaissait, à continuer de parler d'un ton toujours allégé, et pourtant de plus en plus ténu. De nouveau, Xi allait la perdre.

Elle se précipita en avant ; sa paume glissa sur le sang de Neeh et elle s'écrasa la face contre le marbre. Un goût métallique titilla sa langue.

— Promesse, hein ? persistait Liz. C'est une promesse ! Redis-le, sinon, je te croirai pas. Promesse...

— Je promets ! s'époumona-t-elle. Alors, reste là !

Des mèches dorées virevoltèrent dans le liquide pourpre. Venait-elle de s'arracher des cheveux ? Sa nausée, sa frénésie, noyaient toute sensation physique. Elle ne percevait plus que son tournis et un monde dansant follement autour d'elle et le corps mourant de son amie.

— Le Diable, débita-t-elle, il a forcément des pouvoirs pour ramener les gens, je peux forcément te garder là, tu ne vas pas disparaître... Liz, tu ne vas pas disparaître ? Je vais devenir tarée. Reviens. Liz, je crois que je deviens tarée, reviens.

À l'instant où elle tendit les mains vers son fantôme, celui-ci s'évapora pour de bon. Elle chuta de nouveau en avant, pour tomber avec lourdeur sur le cadavre de Neeh ; et, cette fois-ci, elle ne se releva pas. En réalité, elle n'essaya pas même.

— Je t'en supplie..., gémit-elle une dernière fois.

Puis, ses cordes vocales éclatèrent de mille et un mugissements. Elles brûlaient, elle s'étendaient et se compressaient et s'étiraient sans une seconde de répit. Ses propres plaintes chaotiques démolirent ses tympans cillant déjà, et ses ongles craquèrent contre l'armure d'un Diable qu'elle avait vainement tué. Une souffrance abominable, une valse au bord de la mort – était-ce ce que Liz avait vécu ?

Chacun de ses organes s'apprêtait à imploser, tant elle se recroquevillait pitoyablement sur elle-même, à se démener contre l'agonie. Parfois, ses cris sautaient, crissaient, puis redoublaient d'intensité ; mais pas une seule fois ne l'épargnaient-ils. Plus elle en vomissait, plus ils la clouaient sur la carcasse de sa pauvre proie. S'ils n'en finissaient pas, elle allait crever avec eux.

Elle ne demandait qu'à revoir Shazar. Elle priait juste pour remonter auprès de Loë, et retrouver Phoe. Elle hurla même le nom de sa mère, alors qu'elle l'avait laissée foncer en Enfer avec un foutu sac de pommes et c'était tout. Mais sa mère, elle voulait la revoir quand même. Et son père aussi, et ses voisins aussi, et le chien du quartier d'à côté aussi – tous ceux à la surface, elle n'aspirait plus qu'à courir auprès d'eux en couvrant honteusement ses crimes.

Xi n'était plus qu'une bambine avec un sabre en mains, une humaine à la vie rythmée par de puérils caprices ; désormais, elle en payait le prix cher. Tuer le Diable, voler son boulot, retourner les Enfers et le Paradis ? Un ramassis de conneries : sa quête catalysait sa folie, et c'était tout.

Mais avant de rencontrer sa fin, elle devait faire la paix avec le monde, se souvint-elle. La paix, comment ça se passait ? On serrait des mains et disait pardon ? Ses mains, elles suintaient le sang. Seul un taré comme elle accepterait de les effleurer.

— Vous... ? souffla alors une voix rauque. Neeh ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ?!

Xi releva la tête vers cette Phoe des Enfers, celle aux courts cheveux bruns et aux fins yeux bleus désormais exorbités. Au plus grand dam de la nouvelle Diablesse, sa figure avait régénéré.

Elle se releva en chancelant du cadavre de Neeh et posa un œil éreinté sur Phoe. D'étranges sentiments la traversèrent : le pouvoir de communiquer par télépathie, ou de bloquer ses actions, ou même de l'achever. Cependant, Xi ne fit rien de tout cela, car sa fatigue l'ankylosait des pieds à la tête. Même son esprit tournait au ralenti.

Derrière Phoe se tenait un blondinet estomaqué, dont la bouche sèche et craquelée béait tant qu'elle aurait pu gober des mouches. Dans ses longues mains fripée, une tablette de peinture et un pinceau ; aux côtés de sa hanche boudinée, une toile vierge. Pourquoi un peintre se ramenait-il ici ? Ses prunelles minuscules blanchissaient de plus en plus à mesure qu'il l'étudiait. Elle crut même qu'il allait en mourir, tant ses traits pleins se décomposaient au fil des secondes.

— Mes excuses, murmura alors Phoe. Je voulais dire, « Ma Diablesse ».

Là-dessus s'agenouilla-t-elle – néanmoins, même le plus grand comédien du millénaire n'aurait pu cacher l'horreur la heurtant. Cette démone, elle tremblotait, elle serrait les dents, elle se retenait de pleurer. Mais cette démone, elle avait renversé Liz et torturé sa partenaire durant un siècle.

Peut-être était-ce elle que Xi souhaitait décapiter. Désormais qu'elle était sa Diablesse, rien ne pouvait plus l'arrêter. Elle avait cassé la chaîne ayant lié toutes les générations précédentes ; alors, pourquoi ne pas forcer Phoe à résilier le pacte ?

Car ce n'est pas cette Phoe-ci qui est en faute, mais celle du monde d'avant. La vérité blessait, et Xi n'y échappait plus. Je suis fatiguée. Je veux rentrer...

— Un Diable, demanda-t-elle lentement. Qu'est-ce que ça peut faire ? J'ai tué Neeh, mais je ne connais pas mes pouvoirs.

— Naturellement, Ma Diablesse ! s'affola sa subordonnée. Nous contacter, nous repérer, nous invoquer, naviguer dans nos dimensions et dans le monde mortel, faire des pactes, se lier à un mortel ou un immortel, maudire, céder son rôle, céder un fragment de son âme, sceller son immortalité...

— D'accord. Monsieur le peintre, qu'est-ce que vous foutez ?

Il se raidit derechef, le front suant. Son pinceau, il effleurait la toile à pleine vitesse, et il lui était visiblement incapable de l'arrêter.

— Il y a eu passation, je dois mettre ça en peinture, je suis un ancien Dieu de l'Art, je suis désolé !

— Vous avez vu la naissances des Enfers ? traînassa-t-elle.

Il acquiesça vigoureusement, au bord de l'arrêt cardiaque. Une souris prise au piège par un chat, un enfant pressé par son parent. Xi était le chat et la parente, tous les autres dans cette dimension étaient les souris et les bambins.

Mais je suis une gamine.

— Ma Diablesse, avez-vous pris les artefacts des Diables ? intervint rapidement Phoe.

— Je n'en veux pas. Tu vas prendre ma place dès que l'artiste aura fini son œuvre. Après, je m'en vais.

Ces deux gugusses poussèrent des hoquets stupéfaits ; elle y répondit par un flot haché de paroles qu'elle-même ne parvint pas à discerner. Néanmoins, ses disciples les assimilèrent très bien, car ils se hâtèrent à que savait-elle, tandis qu'elle s'appuyait contre une rambarde aléatoire.

Être Diablesse ne changeait rien, tuer le Diable ne changeait rien, casser la gueule de cette Phoe-ci ne changeait rien. Elle qui avait aspiré à toutes ces conneries se retrouvait désormais perdue, face à un futur dénué de tout but. Après avoir élu cette démone, qu'allait-elle faire ? Il n'y avait plus rien à accomplir, son histoire s'arrêtait là.

Peut-être voir Loë. Puis redescendre. Puis sceller mon immortalité. Et retourner auprès de Phoe. Je ne sais pas. Si je cède mes pouvoirs de Diablesse, est-ce que je redeviendrai une simple Déesse libre comme l'air ? Un sauvage ricanement franchit ses lèvres tremblotantes. Depuis le début, mon voyage n'a aucun sens...

Puisqu'il ne lui restait plus rien pour vivre que son meilleur ami Dieu et sa partenaire immortelle, autant déambuler sans but. Et si la Mort la confrontait... Je n'aurai plus aucune raison de l'esquiver, maintenant que la seule ambition qui régissait ma vie est morte.

Ce peintre se ramena enfin avec sa toile : Xi s'y vit dramatiquement penchée sur le cadavre décapité de Neeh. Cotte de mailles noire sur les épaules, sabre gisant à ses côtés, yeux ambre fixés sur le torse de l'ancien Diable. Une douce lumière traversait sa frange emmêlée et engluée de pourpre ; sur son visage pâle et ensanglanté se dessinaient une douce tristesse, des regrets, quelques larmes aussi. Ce bougre l'avait rendue élégante, là où elle transpirait pour sûr l'épuisement, avec des paupières rougies comme pas deux et un regard exempté de toute vie.

Ah, tout est si vide... Phoe, est-ce que tu as ressenti ça, lorsque tu as attendu cent ans ? Si je meurs, est-ce que tu me regretteras ? Oui, je suis bête – tu as gâché un siècle pour moi. Alors, je dois rester en vie. Même si ça a l'air éreintant...

Dans une dernière faible pulsion d'amertume, elle ramassa son épée, demanda quels étaient les artefacts des chefs des Enfers, et les brisa sans ciller. Là rendit-elle ses pouvoirs à une démone horrifiée. Une nouvelle fois, cet ancien Dieu de l'Art s'affaira à dessiner cette passation ; Xi remonta au Paradis avant que l'atmosphère des Enfers ne la nécrose jusqu'à la moelle.

Travail terminé, ne restait plus qu'à voir Loë et protéger sa Phoe d'Yllias. Et, après cela, plus rien.

Dis, Phoe, tu penses pouvoir me trouver un nouveau but ? Car je crois que j'en suis incapable.

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