Chapitre XXXVI

Où Xi venait-elle d'atterrir ? Qui était cette femme ayant empalé Loë ? Comment celui-ci parvenait-il à se relever ? Et le Diable, pourquoi le Diable avait-il fui ? L'environnement immaculé qui compressait la guerrière l'assaillit de mille et une questions.

Sa tête tournait, et la seule personne qu'elle reconnaissait ici était son ami... Blessé, enregistra-t-elle avec lenteur. Il est blessé. Au ventre. Cependant, son regard ne parvint pas à se détacher de la femme ayant clamé « c'est de ma faute. »

Le sabre de Xi avait quitté sa main si vite – son esprit éreinté, qui n'avait survécu qu'en se reposant sur ses muscles, se rafraîchit peu à peu. Désormais, son arme reposait plus loin, à côté de cette inconnue...

— Sweerias ? chevrota une voix grave.

Non, à côté de cette Sweerias inerte, dont le sang se répandait sur le marbre à une vitesse affolante. Je l'ai tuée ? Xi se remit sur ses pieds en chancelant, pour marcher en direction de « Sweerias ». Oui, elle ne bougeait plus. Sa lame avait complètement éclaté son col et ses prunelles émeraude ne reflétaient plus l'once d'une vie.

Mais je la connais. Son cache-œil et sa tresse me sont familiers. Où est-ce que je l'ai vue... ? Non, peu importait – car elle sentait désormais un furieux regard se braquer sur elle. Elle trébucha jusqu'à son épée, les muscles toujours malmenés par l'adrénaline. Ennemis. Loë, repérer Loë. Loë, à quelques mètres. Elle se hâta jusqu'à lui, et se plaça entre lui et le bonhomme la fixant désormais, le visage fantomatique.

Je l'ai combattu ! se souvint-elle pour de bon, la respiration sifflante. Et je l'ai tué – qu'est-ce qu'il se passe ?! Je dois être en train de délirer, je suis déjà morte. Le Diable m'a vaincue...

Puis, deux mains familières se plaquèrent sur ses épaules. Elle se retourna vers son ami : son expression dévastée la cloua sur place.

— Xi, s'essouffla-t-il. Je t'en supplie, arrête de tuer...

— Je vais te faire la peau, murmura-t-on au même instant.

Tous deux se tournèrent vers ce gros bonhomme chauve et baraqué. Dans sa barbe grise et toute ordonnée s'accrochaient des larmes muettes ; dire que cette situation le dévastait relevait de l'euphémisme. Cependant, il était son ennemi, car il avait voulu les tuer, elle et Shazar. Un peu plus, et il aurait même émincé Loë, si celui-ci ne s'était pas enfui...

Mais on est où, au juste ?!

Le bras de Xi flancha sous le poids de son fin cimeterre ; au même instant ce bonhomme se rua-t-il sur elle. S'ils s'affrontaient, elle allait périr. Et une fois morte, Loë aussi allait y passer. Puis, sa Phoe allait disparaître car la Phoe démone n'allait jamais devenir le Diable. Ces désastres la noyèrent par leur alarmant réalisme ; Xi n'en pouvait plus, mais elle ne pouvait pas s'arrêter. Donc, son cimeterre fin faisant flancher son bras, elle le releva avec peine.

Néanmoins, jamais ne frappa-t-elle, car jamais ne l'atteignit-on. Cet homme freina des quatre fers au beau milieu de sa course, et la dernière personne se trouvant ici s'avança enfin. Une petite jeune fille, repéra Xi, mais une jeune fille avec une grande fourche.

Plus rien n'avait de sens ; et sans Loë en train de perdurer leur pauvre contact physique, Xi aurait perdu la raison. Mais puisqu'il était là, il restait encore un peu de vrai, dans l'absurde environnement étouffant la combattante.

— Xi, s'il-te-plaît, la supplia-t-il de nouveau. Je vais bien ! Je vais expliquer beaucoup de choses – je t'en supplie, assieds-toi juste. Personne ne te fera de mal...

— Mais on t'a blessé, laissa-t-elle tomber.

— Tu le vois, je ne meurs pas ! Tu étais face au Diable, non ?! Tu comprends un peu comment tous ces mondes fonctionnent. Alors...

— Ah..., soupira-t-elle. Nous sommes donc au Paradis ? Mais, Loë, que fais-tu là ? On t'a piégé ?

Pour une obscure raison, il se jeta soudain dans ses bras et éclata en sanglots. Elle rangea derechef son sabre et se tourna vers son ami avec affolement. Ses plaintes tiraillées lui déchirèrent les oreilles ; elle crut halluciner en le voyant ainsi hurler, les mains plongées avec folie dans sa longue tignasse.

Elle eut beau l'appeler, le secouer, ce qui le décimait la battit à plat de couture. Elle ne se retrouvait plus qu'interdite, coite, incapable de faire quoi que ce soit pour lui, alors qu'il s'était tant donné pour elle des années durant.

« Loë, il s'est pendu quelques mois plus tard », l'assaillit soudain la voix de Phoe. Mais Loë n'avait pas pu se passer la corde au cou, car il n'avait aucune cicatrice visible. Cependant, sans mourir, ni se faire ramener par un être immortel, ni trouver le chemin vers les Cieux, comment pouvait-il se retrouver là ?

Une profonde terreur la transit jusqu'aux os. Plus son ami s'égosillait, plus elle réalisait qu'il vomissait une douleur incommensurable ayant dû le torturer depuis bien trop de temps déjà. Alors, puisqu'elle ne savait pas parler mais qu'elle paniquait tant, elle le précipita tout contre lui. Elle fourra son nez dans ses mèches bordéliques, et le laissa suffoquer et hoqueter et pleurer au sein de son cou.

Peu à peu, ses sanglots incontrôlables lâchèrent des mots par-ci par-là ; néanmoins, sa voix tremblait tant qu'elle n'en comprit pas un seul. Puisque elle-même sentait ses propres yeux brûler, et ainsi entravée par ses capacités si médiocres pour communiquer, elle ne répondit que par de faibles reniflements.

Elle était pitoyable.

— Je suis désolé, bégaya enfin Loë.

Xi se démena contre sa respiration saccadée, pour sortir un pauvre « mmh ? » bien plus ridicule qu'encourageant. Néanmoins, son ami connaissait son incapacité. Il ne lui en tint pas rigueur, même ainsi ravagé pour la première fois de sa vie.

Ce qu'il lui raconta ensuite fut trop gros, trop incommensurable, pour ne serait-ce que l'horrifier.

Shazar, mort. Loë... Loë, s'étant poignardé une dizaine de fois. Ces deux événements, Phoe avait tenté de les esquiver de toute son âme ; elle était allée jusqu'à attendre un siècle afin de « se racheter », de réparer la pitoyable existence qu'elle avait subi. Lorsqu'elle avait raconté tout cela, Xi n'avait qu'effleuré son conte ; se le prendre en face, en souffrir et voir son meilleur ami ainsi s'en torturer, allait retrancher Xi dans une folie meurtrière.

Avant d'en arriver à massacrer tout ce qui bougeait, elle choisit d'attendre. Son but ne s'était plus obscurci qu'à sa victoire contre Neeh, l'élection de Phoe La Démone et son retour auprès de sa Phoe à elle. Désormais, il y avait Loë, dans l'équation.

Que désirait-il ? Elle souhaitait lui donner tout sauf la mort, mais ses talents se réduisaient cruellement à ses poings et son sabre. Le bonheur, elle était incapable de le dénicher à sa place ; et elle était trop simplette pour le soutenir face à la souffrance si grave le terrassant. Alors, que pouvait-elle lui offrir sur un plateau d'argent ?

Je ne vois que la résolution de ce pacte..., dénicha-t-elle avec désespoir.

— Je ne veux pas que tu meures, débita-t-elle de but en blanc. Tu sais, je tiens énormément à toi ! Et je veux t'aider – comment je peux t'aider ?!

— Xi, l'arrêta cette petite adolescente à la voix fluette. Désormais que vous êtes au courant de la situation de votre ami, donnez-nous en échange celle dont vous souffrez.

— Qui êtes-vous, vous ? cracha-t-elle.

— La Déesse Suprême. La gérante des Cieux. Yllias.

— Mais vous n'êtes qu'une petite fille.

Yllias serra un bref instant son poing sur sa haute fourche blanche.

— Si vous ne souhaitez pas me répondre, je peux vous mettre à genoux.

— Je sais où est Phoe, et ce qu'elle est. Si vous me laissez finir le Diable...

— Xi, tu es blessée, la coupa derechef Loë.

S'il la ramena bien vivement à la réalité, aucune douleur ne suivit cette constatation-ci.

— Elle a tué une immortelle, posa Yllias. Donc, elle est immortelle.

— Je suis une Déesse ? abrégea Xi. Si je touche un démon, ça fait comme ce qu'a dit Loë – ces nécroses ridicules ? Je suis sous votre contrôle ? Désormais, vous pouvez m'utiliser comme un pantin ? Mais j'ai régénéré ?

— Oui.

— Sauf que Loë n'a eu aucune de ces « marques maudites », contra-t-elle sèchement, car il n'a pas de pouvoirs. Si je n'en ai pas non plus, ça veut dire que je peux retourner ici-bas, finir le Diable et remonter. Alors, pourquoi vous dites « oui » quand je demande si je serai nécrosée ?

Court silence, et pourtant bien suffisant. Même un sourd aurait deviné qu'en tuant Sweerias, Xi était devenue une Déesse sauvage – et qu'Yllias ne la menait pas encore par le bout du nez. Et je peux régénérer. Ma tête tourne moins. Ces Anges ont l'air pourri. Le gugusse qui est rentré, je l'ai déjà battu une fois. Cette Yllias, frêle comme elle est...

— Xi, trancha d'ailleurs celle-ci. Si vous redescendez et que vous affrontez Neeh, des humains y passeront pour de bon. Réalisez-vous seulement que vous venez de tuer une être éternelle, et avez ainsi gagné une immortalité et des pouvoirs ?

— Je me fiche des humains.

— Phoe est parmi eux, je me trompe ?

Ces paroles eurent l'effet d'un coup de massue. Phoe l'attendait dans l'Empire de Sekkya. Phoe souffrait des éclats qu'avait dû créer son duel contre Neeh, et allait les subir de nouveau. Phoe était en danger.

Cependant, Neeh n'allait pas laisser couler l'affaire aussi facilement.

— Je sais pas négocier, jeta-t-elle donc. Mais le Diable viendra me chercher. S'il trouve que je suis au Paradis, il va venir au Paradis. Sinon, il va fouiller chez les mortels, et ça sera pas mieux. Sauf que j'ai sa localisation et que je connais son style de combat. Donc, vous me laissez aller le vaincre vite fait bien fait, puis je reviens. Ça vous va ? L'horloge tourne, donc ça vous va.

— Si vous vous téléportez aux Enfers avec des pouvoirs propres aux Cieux, vous allez mourir au bout d'une minute à peine.

— Oh, rit-elle, ça prendra trente secondes !

— Sotte, contra Yllias avec fermeté. Regardez l'état dans lequel vous êtes arrivée : vous pensez que cela changera car vous avez assassiné l'une de mes camarades ? On ne contrôle pas des capacités aussi facilement – pour qui vous prenez-vous, une héroïne ?

— Non, une enfoirée.

Je dois juste me téléporter face à Neeh, dans son palais de mes deux. Si je n'y retourne pas, Phoe disparaîtra. Alors, je dois faire vite. Donc, tant pis pour Yllias.

— Loë, sourit-elle avec entrain, à tout de suite !

« J'ai tenté de me suicider, mais Sweerias a pris ces coups à ma place. » « On a retrouvé Shazar mort... » « Xi, je suis si désolé... »

« Xi, je t'en supplie, hais-moi ! »

La voix de Phoe éclata brutalement celle de Loë ; suivit un long rugissement. Le Haydus ayant débarqué face au cadavre de Sweerias bougeait enfin, droit vers elle. Détruit : seul mot pouvant désormais le décrire, tant le bras tenant sa machette tremblait, tant les larmes coulaient à flots sur son visage si dur. Pourquoi ne fonçait-il sur elle qu'à cet instant ? Yllias l'avait-elle retenu ?

Oui. Elle avait diablement l'air de vouloir la maîtriser, car elle aussi reprenait sa fourche, et ses Anges dressaient leurs épées. Pour Xi, ces cinq ennemis se hâtèrent au ralenti ; même le hoquet de Loë s'étendit sur de longues fractions de secondes. Elle aurait même pu étudier les poussières virevolter, et les larmes de Haydus se désintégrer dans les airs.

Elle désirait tant tous les éventrer ; tous ses muscles l'urgeaient à assassiner encore et encore, car le visage éclaté de Liz défilait dans son crâne et que les cris de Phoe la tiraillaient. Sauf qu'il y a Loë. Loë m'a supplié de ne plus tuer. Mais je suis désolée ; il reste une personne à abattre.

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