Chapitre XXIV - Promesses d'avenir
Un oiseau gazouilla près de la tombe récemment posée. Une brise vint caresser son plumage marron. Il piailla deux ou trois fois, puis dévoila ses ailes et s'envola au loin. Pansy le regarda jusqu'à ce qu'il ne devienne qu'un point noir dans l'horizon. Elle dut relever un peu plus la tête à cause de la bordure de son chapeau. Le filet qui lui recouvrait le visage ne lui empêcha néanmoins pas de le voir disparaître.
Le feuillage craqua dans son dos. Elle n'eut pas à se retourner pour savoir de qui il s'agissait. Millicent s'avança jusqu'à arriver à sa hauteur, puis ses yeux injectés de sang se posèrent sur la pierre tombale. Dessus, un monticule de fleurs et de plaques de marbre avaient été déposés. Certaines inscriptions n'apparaissaient que devant la personne qui l'avait écrite.
-Toi aussi tu préfères la solitude.
-Je ne supporte pas les hypocrites qui se goinfrent de nourriture juste après un enterrement.
-Moi non plus.
Les deux filles restèrent silencieuses un moment, chacune plongées dans leurs sombres pensées.
-Comment va Marcus ? finit par demander Pansy.
-Mieux depuis qu'il a fait souffrir Alecto. Mais il a quand même perdu sa sœur.
-Et Leila ?
-Elle est montée dans sa chambre juste après la cérémonie.
Elle ne demanda pas pour ses parents. Ils restaient des parents qui avaient perdu une fille. Demander s'ils allaient bien serait mal poli.
-Et toi ?
Millicent ne répondit pas. Elle serrait son verre si fort qu'il aurait pu se briser à tout moment.
-Camille m'avait dit. Pour vous deux.
-Ah oui ?
La fin de sa phrase avait été secouée par un tremblement.
-Je suis désolée.
-J'ai l'impression de... d'avoir perdu une partie de moi-même, avoua-t-elle faiblement, les yeux toujours fixé sur la pierre et le nom de son amante. J'avais trouvé le bonheur, et puis tout d'un coup... tout d'un coup, tout s'est envolé.
Elle était la mieux placée pour savoir ce que cela faisait.
-Te dire que ça passera serait un mensonge. On finit par s'habituer. Puis quand on y arrive pas, l'esprit change. On change. On se protège nous-même contre la douleur.
-C'est ce que tu as fait, n'est-ce pas ?
Millicent la regardait, à présent, mais Pansy n'eut pas le courage de faire de même.
-La seule chose que je peux te conseiller c'est ne pas faire comme moi. On finit par en souffrir, et on fait souffrir les autres au passage.
-Pourtant, tu as l'air si... indifférente, comme si rien ne t'atteignait.
Cette fois-ci, elle se tourna vers son amie et plongea ses yeux dans les siens.
-Ne me prend pas comme exemple, Millicent. Jamais. Souffrir, c'est vivre. Quand l'esprit se ferme pour ne plus souffrir, on se sent mort de l'intérieur. Cela paraît être une bénédiction, mais on se sent anormal, différent des autres. Je ne veux pas que quelqu'un reproduise la même erreur que moi.
-C'est à cause de Drago tout ça, non ?
Oui, lui souffla sa petite voix. Pourtant, elle savait que la faute revenait à elle. Elle l'avait laissé la faire souffrir. C'était ça, son erreur. Comme une idiote, elle l'avait laissé lui prendre ses espoirs, son cœur, et il les avait réduit en bouillis sans même s'en rendre compte. Puis son mensonge l'avait enfoncé plus encore, son hypocrisie, son silence. Elle était aussi fautive que lui.
-C'est... compliqué.
Millicent tourna de nouveau son regard vers l'objet de son désespoir.
-Camille avait deviné depuis le début que ça allait mal finir, vous deux.
Mais visiblement, elle n'avait pas deviné que ça allait être la même chose pour elle.
-Camille avait raison sur de nombreux points. Même si on ne l'a jamais écoutée.
-Non. Et voilà où nous en sommes.
Qui aurait cru que la tragédie de leur ancien groupe d'école allait s'étendre jusqu'à de tels horizons. Deux ans auparavant, ils étaient si heureux. Insouciants, naïfs certes, mais heureux. Ils étaient ensemble, pour le moins. La mort de Camille avait rendu officiel la dissolution de leur groupe.
-Théo et Daphné vont partir de l'Angleterre, annonça Millicent après quelques minutes de silence.
-Je sais. Elle me l'a dit.
-Ils vont se marier.
Parler de mariage après un enterrement était vraiment le pire que l'on pouvait imaginer. Pourtant, la vie continuait. Le temps ne s'arrêtait pas de s'écouler pour un corps moisi dans une tombe.
-Moi aussi.
Ces mots laissèrent un goût amer dans la bouche de Pansy.
-Blaise est attentionné. Il saura être meilleur que ne l'a jamais été Drago. Et puis il t'aime.
-Mais pas moi. Pas de la manière dont il voudrait. Je me marierai pour contenter mes parents que je déteste, pour me faire une place dans cette société de merde. Je suppose que l'on partira aussi quelques années, le temps que tout se pose ici, même si ni lui ni moi portons la marque. Quel avenir brillant.
-Au moins toi, tu en as un. Pas comme elle.
-Si on peut appeler cela un avenir.
Elle secoua la tête et fixa les feuilles d'arbres qui se mouvaient lentement sous la brise fraîche du printemps.
-Je te connais, Pansy. Tu n'es pas le genre à te laisser. Peut-être avant, mais plus maintenant.
-Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
-Je le vois dans ton regard. Tu es décidée à mener ton propre chemin, à dégager le monde entier si c'est nécessaire. Et je sais que tu le feras. Parce que tu es comme ça. Une fois que tu as une idée dans la tête, tu la retournes mille fois avant de l'appliquer. Sauf que c'est souvent trop tard.
Elle fit une pause puis reprit :
-Je sais que je suis nulle en conseil. Mais avant que tu ne regrettes une nouvelle fois tes choix, je te conseille une seule chose : n'attend pas. On a qu'une vie.
Puis elle posa sa main sur son bras et partit, la laissant seule. Devant la tombe de son amie, Pansy cessa de se remémorer le passé et se tourna enfin vers les promesses de son avenir.
***
Sa robe de mariée glissait sur le chemin dallé en un doux sifflement. Tous les visages étaient tournés vers elle et son père, cheminant jusqu'à l'autel. Sous son voile blanc, son expression était glaciale et stoïque. Son bras ne demandait qu'une chose, briser le contact avec son géniteur qui la dégoûtait. Encore quelques mètres. Juste quelques mètres.
Elle monta les marches de l'escalier blanc lentement, comme si ralentir le pas allait lui permettre de reculer. Son père lui prit la main. Elle frissonna à ce contact mais le laissa la déposer dans celle du jeune homme face à elle.
Blaise.
Dans son costume noir et blanc, il semblait costaud et imposant. Il la dévisageait avec tendresse, comme il l'avait toujours fait avec elle. La culpabilité commença à lui ronger l'âme. Ce n'était que le commencement.
-Nous nous joignons à ce mariage pour unir deux âmes dans un amour éternel, prononça solennellement le mage.
Derrière lui, la coupe traditionnelle était posée sur le coussin en velours, déjà remplie du sang qu'ils avaient fait coulé quelques heures auparavant.
Pansy inspira lentement, préparée à écouter le discours hypocrite qu'ils déballaient à chaque mariage. Ensuite, elle devrait écouter celui de Blaise, puis elle devrait dire le sien. Ah oui, le sien. Son cœur accéléra ses battements à cette pensée.
-La magie unie aujourd'hui Blaise Augustus Zabini, sang-pur et héritier de ses terres et ses fortunes à Pansy Elena Parkinson, sang-pur et dernière héritière de la noble maison des Parkinson.
À ces mots, son père redressa son menton, fier que l'on ait qualifié sa maison de « noble », ce qu'elle n'était pas.
Blaise sut que c'était son tour et récita :
-Moi, Blaise Augustus Zabini, je promet d'être fidèle à mon épouse, de l'aimer et de prendre soin de ses enfants, de sa maison et de ses terres. Je m'engage à respecter ses droits et ses obligations. Je lui fait la promesse de rester à ses côtés toute sa vie... jusqu'à ce que la mort nous sépare.
La lueur dans son regard vacilla. Il espérait une réaction de sa part. Un sourire. Un hochement de tête. Quelque chose qui lui signifierait qu'elle le remerciait pour cette promesse. Ses doigts se resserrèrent autour des siens. « Jusqu'à ce que la mort nous sépare ». Malheureusement, ce n'était pas la mort qui les séparerait, mais sa propre volonté.
Le silence qui régnait lui fit comprendre que c'était à son tour de parler. Alors elle commença.
-Moi, Pansy Elena Parkinson, je cède tout mon héritage, mes richesses et mes terres à mon cousin Dorian Frédérique Parkinson, en toute connaissance des risques et du reniements de mes géniteurs.
Des murmures indignés s'étendirent dans la foule comme une poignée de poudre. Blaise continuait de la fixer avec cet air profondément triste et déçu. Il savait. Il avait toujours su. Cela finirait par arriver. Lorsqu'elle reprit la parole, le silence gouverna de nouveau en maître.
-Je renonce à mes droits de mariage. Je renonce à tout.
Sa main lâcha la sienne. Blaise déglutit difficilement. Le souffle de la jeune fille se fit difficile, mais elle eut le courage de se tourner vers les invités pour continuer son discours.
-J'aimerais juste, avant de m'en aller et quitter l'Angleterre, avouer une vérité qui m'a pesé sur le cœur depuis trop longtemps.
Puis elle regarda Drago qui était assis en deuxième file. Ce-dernier ne comprit pas. Il attendit qu'elle parle, il attendit la vérité.
-Je n'ai jamais couché avec Blaise.
Son visage perdit toutes ses couleurs. Ses doigts se crispèrent à la chaise si fort que ses jointures devinrent blanches.
-Je... je pensais que cela allait se découvrir à la naissance de l'enfant. On aurait deviné le père à sa chevelure blonde.
Elle respirait tellement vite que l'air n'avait pas le temps de passer dans son corps.
-Mais l'enfant n'est pas né. Et j'ai continué de mentir.
Une petite larme sortit de son œil. Elle dévala lentement sa peau de sa joue, puis de son cou.
-On s'était promis tellement de choses, prononça-t-elle d'une voix faible. Toi et moi, c'était une évidence. Et puis tout s'est écroulé. Tu as su te relever, pas moi. Je suis désolée. Je n'ai pas eu le courage. C'était trop dur.
Elle inspira une nouvelle fois. Ses poumons la brûlèrent. Elle pivota vers Blaise, les larmes plein les yeux. Pourtant, elle ne ressentait aucune douleur intérieur. C'était respirer qui lui faisait mal. Vivre lui faisait mal.
-J'espère que tu comprendras un jour que je le fais pour ton bien. Tu mérites tellement mieux que moi, Blaise. Tellement mieux.
Elle approcha son visage du sien et lui déposa un baiser sur la joue. Ses larmes lui donnèrent un goût salé. Enfin, elle recula, parcourut son regard sur les invités silencieux et estomaqués puis releva sa robe pour descendre les escaliers. Elle partit seule. Drago défit son nœud de cravate, étouffant sous son costume. Astoria lui posa une main sur son bras mais il la repoussa. Il voulut la suivre, demander des explications, pourquoi elle lui avait caché une telle chose, pourquoi elle partait maintenant, sans un au revoir digne, sans intimité, mais ses jambes lâchèrent et il ne put la rejoindre.
Pansy était partie. Où, nul ne le sut. Elle s'était juste envolée, comme un doux papillon dans la nuit.
Comme une ombre dans la nuit noire.
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