Chapitre XIII - Douce Ophélie

26 décembre 1995,
Cher Drago,
C'est fou comme quand on est heureux, les mots ne viennent pas. Je n'arrive pas à décrire ce que je ressens, à exprimer ma joie, cette boule qui prend forme dans mon ventre et ces papillons qui volent partout à cause de toi. Je n'arrive pas à écrire ce que je ressens, à part des « je t'aime » lancé sur ce papier qui n'auraient aucun sens si tu ne les écoutais pas.
C'est peut-être parce que le bonheur de ne s'écrit pas.

-La deuxième rangée de cristal est mal placée.

-Je ne vois pas en quoi. Si elle avait été plus basse, il y aurait plus de poids et peut-être qu'il serait tombé sur ta petite tête.

Drago adressa un immense sourire à Daphné.

-C'est ça que j'aime dans les lustres. Ça peut tuer quand tu t'y attends le moins.

Elle éclata de rire.

-C'est un lustre, Drago, pas un monstre.

Pansy sourit d'amusement et attrapa la main de son petit ami pour le sortir de sa contemplation. Son petit-ami. Jamais elle n'aurait pensé songer cela un jour.
Ils traversèrent ensemble les couloirs du manoir Greengrass, si on pouvait le qualifier de manoir. Daphné les avait invité passer une soirée, elle, Théo et Drago. Ce dernier était venu essoufflé et légèrement stressé, mais personne n'avait osé lui demander pourquoi. Camille et Millicent étaient parties en vacances et Blaise... Blaise avait été éradiqué du groupe depuis longtemps déjà.
Pansy était aux anges. C'était comme si le baiser de Drago le soir du bal avait guéri toutes ses blessures et remplit un trou profond qu'elle portait depuis qu'elle le connaissait. Elle se sentait niaise mais s'en contrefichait. Elle aimait Drago. Drago l'aimait. Elle ne demandait rien de plus dans sa vie.
Après s'être arrêté en dessous de chaque lustre existant, ils s'installèrent dans un petit salon de l'aile droite du manoir qui comportait une immense bibliothèque et un feu qui brûlait dans l'âtre. La nuit tomba rapidement et les flammes furent bientôt l'unique lumière de la pièce. Cela faisait déjà deux heures qu'ils discutaient tous les quatre activement. Les garçons s'étaient relâchés, s'étant débarrassé de leur veste trop formelle et ayant déboutonné leur chemise, affirmant qu'ils avaient chaud. Mais les deux sortaient avec deux filles Serpentard présentes dans la même pièce, alors il n'était pas difficile de connaître la raison véritable.
Encore un peu plus tard dans la soirée, Drago découvrit une bouteille de Whiskey Pur Feu et n'en fut que plus excité.

-Depuis quand date-t-elle ? s'enquit-il auprès de Daphné.

-Qu'est-ce que j'en sais moi.

-C'est ta maison non ?

-Et ? Je ne bois pas.

Un sourire mesquin égaya son visage.

-Remédions à cela. Beauté ? fit-il en se tournant vers Pansy et secouant la bouteille d'alcool dans sa main.

-Dorian me tuerait, et il a déjà assez de raisons pour le faire, refusa-t-elle sans grande conviction.

-Tu dors ici, lui rappela sa meilleure amie.

-T'es facilement influençable toi. Mais si demain je reviens avec une gueule de bois...

-Mais nooon, sourit Drago. Théo, prépare les verres. Quatre.

-Cinq, prononça une voix douce qui entra dans la pièce.

Astoria Greengrass s'assit à côté de sa sœur, les joues rougies par tous les regards qui s'étaient tournés vers elle.

-Même pas en rêve, déclara posément sa sœur.

Drago lui adressa un regard d'excuse et servit dans les verres que Théo venait de poser.

-Les filles, voici les règles d'or avant de boire, déclara-t-il solennellement.

-Parce qu'il y a des règles en plus.

-Il y a des règles pour toute chose qui se respecte, Greengrass.

-La première, continua Théo, aussi euphorique que son ami, c'est de ne rien recracher.

-Et si c'est vraiment pas bon ?

-Mais ça va être bon, Beauté.

-La deuxième, c'est de boire d'un trait. Pas de petite trempette avec les lèvres, sinon ça gâche tout.

-Et la troisième, reprit Drago, c'est à volonté.

-Objection.

-La ferme Greengrass.

-La troisième ne tient pas. Premièrement parce que c'est la seule bouteille que vous avez trouvé, deuxièmement parce que c'est déjà difficile de vous supporter maintenant alors je n'imagine pas bourré et troisièmement parce que ma petite sœur est là.

-Au revoir Astoria, sourit Drago.

-Elle n'est qu'une des trois raisons pour éliminer la troisième règle, alors ça reste non.

Théo pouffa de rire et Pansy se retint de faire de même. Finalement, elle fut la première à s'emparer d'un verre sous le regard rassurant de Drago. Elle ne chercha même pas à réfléchir sur son acte qu'elle versa tout le contenu dans sa bouche. Alors qu'elle s'était attendu à un breuvage pétillant et doux comme le champagne, elle sentit sa bouche, sa gorge, son être entier prendre feu. Son visage se tordit en une affreuse grimace alors que la flamme consumait son intérieur.

-Ça va ? s'enquit Drago en riant.

Le changement brusque de température fit briller des yeux Pansy et la saveur de l'alcool mêlé à la chaleur ambiante de la pièce rendit sa peau rouge.

-Crache pas hein, lui rappela Théo, ce qui lui valut le regard noir de Daphné.

Mais à vrai dire, elle l'avait déjà avalé et l'avait senti passer. Elle ouvrit la bouche pour faire enter un maximum d'air frais, faisant ressortir les larmes de ses yeux.

-C'est... c'est la mort votre truc...

-Un autre ?

-Non !

-Ça donne envie dis donc, grimaça Daphné.

Mais ce fut celle qui digéra le mieux. Elle avait opté aussi pour une petite gorgée, ce qui avait réduit considérablement les effets. Les garçons se chargèrent de continuer à vider la bouteille, plus euphoriques que jamais. Astoria observait Drago en rougissant, ce qui n'échappa pas à l'œil vigilent de sa sœur.
Après quelques temps, Pansy aussi se prêta au jeu, au plus grand bonheur de son petit ami. Elle n'en but pas beaucoup mais suffisamment pour se sentir plus légère, détendue et paisible.

-Je m'ennuie, se plaignit Drago après s'être dramatiquement jeté au sol.

-Prend un livre et lit, soupira Daphné.

Cette dernière caressait tendrement les cheveux de Théo qui avait la tête posée sur ses cuisses, plus heureux que jamais. Alors que cette réponse était censée être une blague, Drago se releva subitement et chercha dans la bibliothèque un livre intéressant. Pansy observa sa démarche puissante et souple, sa chemise ouverte pour laisser admirer son torse bien dessiné. À présent, plus rien ni personne ne l'empêcherait de le toucher.

-Beauté ?

-Oui ?

-Ton livre préféré ?

-Tu le sais, non ? dit-elle avec lassitude.

Il sortit de derrière son dos un exemplaire d'Hamlet, le sourire aux lèvres.

-Toujours lui ?

-Ouais. Rien ni personne ne pourra surpasser Shakespeare.

-C'est son côté dramatique qui en demande toujours plus, se moqua Daphné.

-Très drôle, vraiment.

-C'est qui Shakespeare ? demanda innocemment Astoria.

Pansy crut que ses yeux allaient sortir de leurs orbites.

-Elle blague là ?

-Pans', c'est un auteur moldu.

-Il était sang-mêlé d'abord.

-Quand ça t'arranges, hein.

-Il faut remédier à ça, déclara soudainement Drago, lui aussi choqué par le manque de culture des Greengrass.

Il tendit la main à Pansy qui la prit avec plaisir. Il la mena devant l'âtre en la regardant droit dans les yeux, ce qui fit fondre la partie sensible de son esprit.

-Nymphe, commença-t-il, récitant de mémoire les répliques qu'il admirait tant, dans tes oraisons, tous mes péchés sont-ils rappelés ?

-Monseigneur, j'ai des souvenirs à vous que j'ai longtemps langui de vous rendre, parla-t-elle à son tour, les joues en feu. Je vous en prie, maintenant, reprenez-les.

-On ne peut pas rendre des souvenirs.

-Tais-toi Astoria.

-Non, pas moi, je ne vous ai jamais donné rien.

-Mon honoré seigneur, je ne sais trop bien que si. Et tout ensemble des paroles mêlées de si douce haleine qu'elles faisaient tout cela plus riche. Leur parfum perdu, reprenez-les. Car, à l'âme noble, les dons riches se font pauvres quand les donneurs se montrent cruels. Voilà, monseigneur.

-Mais c'est triste si elle refuse leurs souvenirs !

Personne n'avait remarqué que leurs deux mains s'étaient jointes devant les flammes féroces d'un feu d'hiver.

-En réalité, expliqua Pansy, ne quittant pas des yeux Drago, leurs paroles ne sont pas sincères, car on les écoute. Ophélie et Hamlet se rejettent pour cacher leur amour aux yeux du roi et de sa cour.

-Et qu'advient-il d'eux ?

Elle se mordit la lèvre inférieure car elle tremblait. Et Drago était assez près pour le remarquer.

-Ophélie meurt.

Le visage du blond se troubla. Ses mains resserrèrent les siennes, sans aucune raison apparente, ou peut-être pour lui intimer de rester près de lui, maintenant, à jamais. Astoria assistait au spectacle sans rien en commenter, continuant de poser ses questions alors que son cœur se serrait. L'idée qu'Ophélie meurt la réjouissait.

-Comment ?

-Non, souffla Drago.

Mais Pansy connaissait ce passage par cœur et le récita en ignorant le regard suppliant de son petit ami. Lui détestait ce passage. Surtout quand c'était elle qui jouait Ophélie.

-Il y a au bord d'un ru un saule oblique, qui mire ses feuilles chenues à la vitre de l'eau ; là, elle descendit avec de fantasques guirlandes de soucis, d'orties, de pâquerettes et de ces longues fleurs pourpres à qui les rudes bergers donnent un nom plus grossier, mais que nos froides filles appellent doigts-de-mort : et, comme elle se haussait pour couronner les branches pendantes de ses diadèmes d'herbes, un méchant rameau se rompit, et... et voilà que trophées agrestes, elle-même, tout tomba dans le ru qui pleure. Ses robes flottèrent large et, comme une ondine, un temps la firent nager ; et, dans ce temps, elle chantait des paroles de vieux airs, comme inconsciente de sa détresse, ou comme une créature native habitante de l'eau. Mais guère ne dura que ses hardes, lourdes et embues, ne firent plonger la pauvre fille de son lai mélodieux dans une vase de mort.

Le feu crépita plus fort à cet instant là.

-Hamlet aurait du la sauver, murmura-t-il.

-Mais Hamlet n'était pas là lorsqu'elle se noya.

-Dans ma version il est là.

Pansy secoua la tête vivement, les yeux brillants d'émotions.

-Cela enlèverait tout le charme à sa tragédie.

-Est-il obligé d'y avoir une tragédie ?

Mais il ne lui donna pas l'occasion de répondre qu'il l'embrassa passionnément, grisé par les effluves d'alcool. Oui, songea-t-elle alors qu'elle savourait le goût de ses lèvres, une histoire d'amour ne serait pas intéressante sans une belle tragédie.
Leur baiser fut coupé par l'entrée soudaine de la mère des sœurs Greengrass, une expression sévère inhabituelle plantée sur ses traits.

-Drago. Ta mère est ici.

Daphné écarquilla les yeux au moment où elle comprit. L'intéressé se détacha à contrecœur de Pansy, la mine devenue sombre.

-Je suis pas dans la merde, marmonna-t-il en suivant les pas de la maîtresse de maison.

La brune soupira d'exaspération et s'empara de la veste et la cravate qu'il avait laissé traîner dans la pièce.

-Je l'accompagne jusqu'en bas.

Elle eut seulement le temps d'entendre le ricanement de Théo et descendit en vitesse les escaliers. Elle se retrouva aux côtés de Drago qui s'était figé au milieu de ceux-ci, fixant sa mère avec une expression fermée. Narcissa Malefoy avait laissé ses longs cheveux blonds tomber en cascade dans son dos. Sa cape verte émeraude faisait ressortir son teint qui paraissait plus pâle que jamais.

-Ton père ne sait pas que tu es ici, alors il vaudrait mieux rentrer avant qu'il ne s'en rendre compte. C'est à dire maintenant.

-Mère, je...

-J'ai dit maintenant.

Il baissa la tête et Pansy eut un petit pincement au cœur en le voyant si désolé. Elle l'aida à reboutonner en vitesse sa chemise, lui présenta sa veste et lui déposa un baiser sur la joue en guise d'au revoir. Alors qu'elle s'apprêtait à remonter, la voix de Narcissa la força à se retourner.

-Pansy ?

-Madame ?

-Viens donc dîner avec nous demain. Je suppose qu'à présent tu sais où se trouve notre Manoir.

-Ce serait un immense honneur, Madame, accepta-t-elle, les joues bouillonnantes.

Drago lui adressa un petit sourire avant de disparaître derrière la porte avec sa mère. Elle se rendit alors compte qu'elle tenait toujours la cravate dans ses mains. Doucement, elle la porta à son nez et inspira son odeur.

Elle était folle.
Folle de son parfum.
Folle de lui.

Folle d'amour, comme Ophélie et sa couronne de fleurs.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top