Chapitre IV - Remords

La Salle Commune de Serpentard était plongée dans un silence inhabituel. Les lampes rondes et verdâtres diffusaient une lumière maladive et les courants d'eau du lac propageaient leurs reflets mouvants contre le mur. Les crépitements de la cheminée étaient le seul bruit audible dans la pièce souterraine.

Daphné était assise sur le sofa de velours vert, à lire Une étincelle de vie de Reyre Ackson, un des seuls livres qui n'avait pas plu à Pansy et un des seuls qui plaisait à son amie. Théo et Millicent s'offraient un peu plus loin une partie d'échec version sorcier et Blaise s'assoupissait tranquillement près de la cheminée. Goyle et Crabbe étaient certainement allés terroriser des premières années tandis que d'autres Serpentards travaillaient autour de la table principale leurs cours.

Drago soupira et se leva du canapé qu'occupaient Pansy et Daphné. Il sortit de sa poche une cigarette et l'alluma en l'approchant du grand feu qui brûlait dans l'âtre. Il appuya son dos contre le rebord de la cheminée puis cracha sa première gorgée de fumée. Dans ces moments là, Pansy se trouvait hypnotisée par la beauté et la noblesse que dégageait son corps. Sa chemise était  déboutonnée sur son torse et ses manches étaient retroussées jusqu'aux coudes. Sa cravate dénouée pendait avec nonchalance de chaque côté de son cou. Elle détourna la tête lorsqu'elle se surprit à le fixer trop longtemps. L'odeur du tabac s'infiltra dans ses narines et voulut la faire tousser mais elle se retint. Il ne fallait pas qu'il pense la gêner. Pour éviter ce désagrément, elle se leva et passa à côté de lui. Mais au dernier moment, il lui attrapa la main et la retint. Immobile, elle resta. Selon ses désirs. Comme toujours.

Il détailla ses doigts, les bagues qu'elle portait autour de ceux-ci tout en emmenant le rouleau de papier entre ses lèvres. Elle ne se permit pas de faire le moindre geste. Elle ne disait rien.

Comme toujours.

Sa peau était froide. Comme si, en fumant, il pouvait se réchauffer de l'intérieur. Comme si, en la touchant, il pouvait s'emparer de sa chaleur et la faire sienne. Et elle le laissait faire.

Comme toujours.

-Eh, Malefoy. Si tu veux fumer, c'est dehors.

Le Préfet-en-Chef s'aventura dans la pièce, le regard sévère. Drago lui adressa un sourire forcé.

-Oh, c'est vrai. J'avais oublié.

Et comme pour le provoquer plus encore, il plaça sa cigarette entre ses lèvres et expira une grande bouffée de fumée, peut-être la plus longue qui puisse jamais exister. Fawley, le Préfet-en-Chef, devint rouge de rage. Il alla pour sortir sa baguette quand sa sœur posa une main sur son bras.

-Laisse tomber. Ça vaut pas le coup de faire ça avec lui.

-J'aimerais qu'il comprenne qu'ici il y a des règles, pour tous. Et surtout pour les préfets.

Il dévia son regard vers Pansy qui baissa la tête immédiatement, sa main toujours lovée dans celle de son meilleur ami.

-Vous faites de bons exemples tous les deux, cracha-t-il, dégoûté.

-Je t'emmerde, répliqua le blond.

Ce fut la goutte de trop. Fawley dégaina sa baguette sous le rire moqueur de Drago. Daphné se leva brusquement et s'interposa entre les deux, agacée.

-Ok, calmez-vous les gars, ça sert à rien de jouer les gamins.

Victoria Fawley parvint tant bien que mal à faire renoncer son frère et ce dernier baissa son arme, la mâchoire serrée. Daphné arracha ensuite la cigarette des doigts de Drago avant de la jeter au feu.

-Et toi arrête de te faire des ennemis pour rien. Grandis un peu.

Elle s'affala de nouveau sur le canapé et reprit la lecture de son livre comme si de rien n'était, ce qui lui valut le regard admiratif de Théo. Les Fawley sortirent de la pièce quelques peu irrités et Drago plongea son regard au loin, soudainement transporté par ses propres pensées. Pansy l'observa mais ne bougea pas sa main.

Il avait changé. Il se rebellait, comme le faisaient la plupart des adolescents de quinze ans, mais pas de la même manière. Il en avait juste assez. Assez des règles qui avait guidé son enfance, assez de contenter tout le monde, d'être trop parfait. Il brisait tout ce qu'il avait construit et laissait les morceaux au sol, pour hurler au monde entier « Regardez ce qu'est devenu Drago Malefoy ! Regardez ce que vous avez fait de moi ! ». Sauf que personne n'en avait rien à foutre. Mais ça, il n'avait pas encore compris, non. Il avait grandi en se sachant le centre de toutes les attentions et ne savait pas, qu'en réalité, il ne l'était que pour sa mère. Le reste du monde s'en foutait complètement. Le reste du monde s'intéressait à Harry Potter. Pas à lui. Lui, il n'était rien.

Pansy, elle, savait. Elle l'avait appris bien assez tôt. Dès son arrivée à Poudlard, elle avait voulu leur montrer sa superbe, son talent et sa beauté. Elle avait voulu attirer l'attention mais tout ce qu'elle avait réussi à faire c'était se voir assigner le nom de « garce ». Au fond, Drago et elle étaient pareils. Ils voulaient tous deux être importants, vus et admirés dans un monde où seul le nom de « Harry Potter » avait de la valeur. Et tous deux le haïssaient pour cela. Lui et tous ses petits chiens rampant derrière lui. Alors ils se rendaient importants entre eux, se voyaient admirés dans les yeux de l'autre. C'était ça qui rendait leur relation unique.

-Je vais jouer du piano, lâcha-t-il finalement.

Il détacha sa main de la sienne et s'en alla vers l'instrument placé plus loin dans un recoin. Elle observa ses doigts avec une envie soudaine de pleurer. Sa main était vide sans celle de Drago. Elle se sentait vide sans lui. Pourquoi finissait-il toujours par partir quand elle s'y attendait le moins ?

Elle dut sentir le regard curieux de Blaise sur elle car elle releva la tête et lui adressa un petit sourire. Super, elle était passée pour une droguée en manque d'herbe en fixant sa main de cette manière. Surtout qu'il n'en fallait qu'un peu pour animer l'imagination de Blaise.

Le son du piano envahit la Salle Commune. Elle reconnut la nocture n°21 en C minor de Chopin. La mélodie était lourde et chargée de remords.

Les remords.

Les vers du poème trouvés ce matin lui revinrent en mémoire.

Pouvons-nous étouffer le vieux, le long Remords,
Qui vit, s'agite et se tortille

Elle déposa son regard sur la figure de Drago  assise devant l'immense instrument.

Non.

Impossible.

Déposer des poèmes en secret n'était pas son style du tout. Et pourtant... il était venu vers elle seulement quelques minutes après sa découverte. Il avait été dans la bibliothèque. Et il avait ignoré son geste brusque à son arrivée.

Le cœur de Pansy s'emballa.

Et si c'était lui qui avait déposé le poème ?

Blaise se leva et passa à côté d'elle sans même qu'elle ne le voit. Ses yeux bruns restaient figés sur Drago. Elle n'arrivait pas à y croire. Le texte pouvait pourtant lui ressembler. Sombre, douloureux... Ce qu'il était en ce moment. Elle mit de côté tous les sourires qu'il avait arboré depuis le début de l'année. Peut-être n'était-ce qu'un masque cachant ses réels sentiments et qu'il voulait faire part de ces derniers à elle, et seulement à elle...

Elle soupira de rage et se dirigea vers la grande table où elle y avait laissé ses livres quelques heures auparavant. Elle s'y assit et, tout en prenant un ouvrage avec sa main, aperçut un petit papier virevolter au sol. Pansy se baissa pour l'attraper mais s'immobilisa immédiatement. Il s'agissait du même parchemin que le premier poème. Rigide, légèrement jauni. Elle se redressa, le déplia et, le cœur battant, lut :

Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !

Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige,
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.

Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige,
Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ;
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige.

Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir,
Du passé lumineux recueille tout vestige !
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige...
Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir !

Un poème parlant de la mélancolie, le parfum des fleurs qui s'évapore, la tristesse du soir et une antithèse opposant l'ombre à la lumière. Elle reporta son regard sur la source de la mélodie. À quoi jouait-il ? Ces vers laissaient également ressentir une approche à l'amour, mais c'était un amour brisé, un souvenir tout au plus. Et puis pourquoi...

Un gloussement de filles à sa droite la coupa dans ses pensées. Sous son regard noir, elle s'arrêtèrent immédiatement mais une d'entre elles avança son visage et murmura :

-On a vu Zabini déposer le papier sur tes livres, ainsi que la rose.

Elle désigna du menton la fleur aux pétales de jais qui gisait à quelques centimètres des ouvrages.

Blaise.
Les poèmes.
La rose.

Non.

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