𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟓 (corrigé)

 Matthew resta figé, le souffle suspendu.

La question de Mia venait de le frapper en plein cœur. Pourquoi ne l'aimait-il pas...? Les mots lui manquaient, comme si quelqu'un venait de lui voler sa voix.

Il aurait voulu se jeter à genoux, l'enlacer, lui dire qu'il l'aimait plus qu'il n'aurait cru possible. Mais sa gorge était nouée, ses émotions en désordre, prisonnières d'un mur invisible.

— Euh, mais je...

Le reste se perdit dans l'air, étouffé par une sonnerie de téléphone qui fendit le silence.

— Ne bouge pas, d'accord ? Je reviens.

Sa voix se voulait douce, mais la tension la rendait plus sèche qu'il ne l'aurait voulu. Il se leva, glissa son téléphone dans sa main et sortit sur le balcon. Le bruit de la porte qui se referma doucement résonna comme une petite gifle dans le cœur de Mia.

Elle resta immobile, le regard rivé sur le dessin abandonné sur la table. Qu'avait-elle fait de mal ? Pourquoi cette fuite soudaine ? Son estomac se serra, une inquiétude sourde lui serrant la poitrine.

De l'autre côté de la porte vitrée, Matthew décrocha. Sa voix, basse, se perdait dans le vent extérieur. Puis le déclic sec de l'allumette. Une bouffée de tabac s'envola. Il tira longuement, cherchant dans la nicotine un courage qui se dérobait.

Quelques minutes plus tard, il écrasa le mégot sur la rambarde, glissa son téléphone dans sa poche et revint dans le salon, l'air déterminé.

Le jeune homme s'agenouilla devant la petite, se mettant à sa hauteur. Ses genoux craquèrent dans le silence. Ses mains tremblaient légèrement, mais il les posa bien à plat sur ses cuisses, comme pour se donner de l'ancrage.

I don't know how to tell you this, murmura-t-il d'une voix basse. Then I'll tell you in another language so you won't understand... I love you, sweetheart. I'm just too afraid to tell you.
[Je ne sais pas comment te dire ça... Alors je vais te le dire dans une autre langue pour que tu ne comprennes pas... Je t'aime, ma chérie. J'ai juste trop peur de te le dire.]

Il la regarda, le cœur battant, comme s'il venait de se jeter dans le vide.

Mia, immobile depuis quelques secondes, esquissa soudain un sourire espiègle.

You know I understand English, right ? dit-elle, sa petite voix teintée d'un accent irlandais qui fit vaciller le sérieux de la scène.

[Tu sais que je comprends l'anglais, hein ?]

Matthew cligna des yeux, surpris. Puis, un large sourire fendit son visage. Il baissa la tête, incapable de retenir un rire franc qui fit vibrer sa poitrine.

— Tu es une vraie petite cachotière, tu le sais ça ? lança-t-il en redressant le menton, tout en pinçant doucement la joue ronde de la fillette.

Le rire de Mia jaillit. Cristallin, presque irréel. C'était la première fois qu'il l'entendait rire. Ce son, léger et pur, lui traversa le cœur comme une caresse.

Okay, little one, reprit-il avec un éclat complice dans les yeux, on va faire une chose. Anthony et Tommy n'ont pas l'air d'être au courant que tu parles notre langue. Alors, ça va rester notre petit secret. Comme ça, on se marrera bien quand on les verra se ridiculiser sans le savoir devant toi. T'es partante ?

[Bon, ma petite,]

Le sourire de Mia s'élargit jusqu'à illuminer tout son visage. Elle tendit son minuscule doigt en guise de promesse. Matthew, attendri, croisa l'énorme auriculaire de sa main calleuse avec le sien. Le contraste de taille fit naître une chaleur douce au creux de sa poitrine.

Mia inclina la tête, un éclat de malice dans les yeux, comme si elle acceptait ce secret de famille avec tout le sérieux du monde.

La petite Mia jouait tranquillement sur le tapis, entourée des quelques jouets qu'elle avait emportés dans son nouveau foyer. Ses petites mains s'activaient avec une concentration presque solennelle, alignant des figurines, les faisant se parler dans un murmure que personne n'aurait su déchiffrer. Dans la cuisine, Anthony était venu se servir un verre d'eau, ses gestes mesurés trahissant une fatigue qu'il dissimulait mal. Plus loin, Matthew finissait de boutonner sa chemise, prêt à partir travailler à l'hôtel. Quant à Thomas, il était avachi sur le canapé, un coussin en travers du torse, les yeux fixés sur l'écran de télévision qui diffusait un programme sans intérêt.

Anthony leva le regard vers son cadet et lança, un sourire en coin :

Alright, Tom', stop being so lazy. You look like an old bear and stink like a hairy street dog.
[Allez, Tom', arrête d'être aussi fainéant. T'as l'air d'un vieux grizzli et tu sens comme un chien errant poilu.]

Thomas tourna la tête avec une moue faussement indignée.

Don't call me like that, you grouchy grandpa.
[Ne m'appelle pas comme ça, vieux grincheux.]

Mia leva aussitôt les yeux, surprise par ce duel improvisé. Son frère aîné, habituellement si sérieux, venait vraiment de traiter Tommy de « vieux ours qui sent le chien de rue » ? Et Tommy venait de répliquer en le comparant à un grand-père grincheux ? L'image fit éclore un sourire discret sur le visage de la fillette.

Même Matthew, qui d'ordinaire se serait contenté d'ignorer la pique de l'aîné, esquissa un rictus amusé. Son regard croisa celui de Mia : un échange muet, complice, scella leur petite connivence.

Thomas, intrigué, s'apprêtait à se lever lorsqu'il remarqua ce sourire partagé.

— Qu'est-ce qui te fait sourire, toi ? lança-t-il en plissant les yeux vers Matthew.

Anthony arqua un sourcil, étonné de voir son frère réagir ainsi. Il avait pourtant l'habitude des petites piques échangées entre eux.

— Oh, rien... répondit Matthew d'un ton léger. Je me dis juste que vous ne devriez peut-être pas vous parler comme ça devant une petite fille de sept ans.

Anthony se redressa, ajustant machinalement les manches impeccables de sa chemise.

— Matthew, voyons... C'est une petite française. Elle a grandi en France, elle ne comprend pas l'anglais.

Le sourire de Mia s'agrandit, ses yeux pétillant d'espièglerie. Elle jeta un coup d'œil malicieux à Matthew, son confident silencieux.

— Rappelle-moi d'où vient sa mère, Tony... souffla ce dernier, un coin de lèvre relevé.

Un éclair de compréhension traversa le regard d'Anthony. Un sourire en coin trahit son amusement.

Thomas, lui, écarquilla les yeux et secoua la tête avec un air incrédule.

No way...
[Pas possible...]

Il s'approcha de Mia, qui baissa instinctivement la tête, mais dont le rire retenu faisait vibrer ses petites épaules.

— Petite coquine, dit-il en français, tu nous comprenais depuis le début, en fait !

Sans attendre, il se pencha vers elle et se mit à la chatouiller. Ses doigts rapides déclenchèrent une cascade de rires éclatant en petites bulles, avant de se transformer en éclats clairs et cristallins. C'était la première fois que les frères de Mia entendaient son vrai rire, un son pur qui résonna dans le salon comme une musique oubliée.

Anthony sentit son cœur fondre à cette mélodie inattendue. Matthew, adossé au mur, resta figé un instant, le regard attendri, comme si ce simple rire avait balayé des années d'ombre.

Les chatouilles redoublèrent, et le rire de Mia emplit toute la pièce, plus fort, plus franc, jusqu'à se mêler au souffle des garçons qui riaient eux aussi.

— Ok, ok, ça suffit Tommy, déclara finalement Anthony d'un ton calme mais ferme. Tu vas finir par la tuer de rire.

Il s'agenouilla devant sa petite sœur, qui reprenait son souffle, les joues roses et les yeux encore brillants. Avec une tendresse infinie, il lui pinça doucement le bout du nez avant de glisser une main dans ses cheveux pour en caresser les mèches soyeuses.

— Tu es une magnifique et très intelligente petite princesse, tu le sais, ça ? murmura-t-il, ses yeux débordant d'amour.

Mia battit des paupières, puis, d'une petite voix tremblante, demanda :

C-Can I be your sister forever ?
[Est-ce que je peux être votre sœur pour toujours ?]

Anthony sentit sa gorge se serrer. Il glissa un bras autour de sa frêle silhouette.

— Bien sûr, ma puce. Bien sûr que tu seras toujours notre adorable petite sœur.

À ces mots, Thomas s'approcha et déposa un baiser tendre à l'arrière de sa tête. Matthew, après une brève hésitation, les rejoignit et déposa, lui aussi, un baiser discret sur la tempe de la fillette.

Mia se retrouva ainsi lovée au cœur de ce trio, enveloppée dans une bulle d'amour si douce qu'elle en oublia, l'espace d'un instant, la douleur de ses souvenirs.

Mais derrière ces étreintes et ces rires, des ombres demeuraient. Car si Mia croyait avoir trouvé une nouvelle famille, elle ignorait encore tous les secrets que ces trois garçons s'efforçaient de cacher.

Et eux, malgré leurs promesses silencieuses, étaient loin de tout savoir sur le passé de la petite.

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