𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟏𝟑 (corrigé)

Anthony n'avait pas prononcé un mot sur le chemin du retour.
Un silence lourd et opaque, presque étouffant, emplissait la voiture.

Une fois rentré à la maison, il envoya sa sœur jouer dans sa chambre, puis se réfugia dans son bureau. Là, il se servit un verre de whisky qu'il vida d'une traite avant de le reposer, le regard perdu.

Soudain, il s'immobilisa.
Ses yeux vides de toute expression fixèrent le fond du verre. Un éclat de rage silencieux passa dans son regard. Il attrapa le verre d'un geste sec et le projeta violemment contre le mur.

Le bruit du cristal éclatant résonna dans la pièce comme une déflagration.

Quelques secondes s'écoulèrent. Anthony, le souffle court, passa une main tremblante sur son visage. Lorsqu'il se retourna, il aperçut son frère Leo, appuyé dos au mur, les bras croisés. Son teint était livide, ses traits tirés par la fatigue — on aurait dit qu'il n'avait pas dormi depuis des jours.

— Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-il d'une voix grave.

Anthony poussa un long soupir avant de se résigner à répondre.

— C'est Mia... Je crois savoir d'où vient son traumatisme.

— Dis-moi, Tony. Qu'est-ce que tu sais ?

Le jeune homme marqua une courte hésitation, puis lâcha d'un ton abrupt :

— Je pense que maman et Mia étaient battues, quand elles vivaient encore en France.

Un silence pesant tomba dans la pièce. Leo resta figé, abasourdi.

— Quoi ? balbutia-t-il.

— Tu m'as bien entendu, Leo.

— Putain... grogna-t-il avant de tourner brusquement les talons et de foncer vers le couloir.

Pendant un instant, Anthony demeura immobile, interdit, avant que son corps ne réagisse. Il bondit à sa suite, et se plaça devant lui pour lui bloquer le passage.

L'ancien militaire le saisit aussitôt par le col et le plaqua contre le mur avec une violence contenue.

Mais Anthony ne broncha pas. Son visage était impassible, son regard d'un calme glacial.

— Ose aller plus loin, Leo... et tu sais très bien comment ça va finir.

Les deux frères se fusillèrent du regard, immobiles, jusqu'à ce que Leo relâche brusquement sa prise.

— Putain... putain, gronda-t-il entre ses dents serrées.

— C'est quoi ton problème, Leo, hein ? répliqua Anthony, la voix dure. Cette petite, ma petite, tu ne lui as pas adressé un mot depuis ton arrivée. Même après les menaces de Matthew, tu n'as pas essayé de lui parler. Alors pourquoi, pourquoi tu te mets dans des états pareils maintenant ?

— Parce que putain, Anthony ! éclata Leo, la voix brisée. Je l'aimais, moi, maman ! Tu crois que c'est facile, de revenir ici et d'apprendre tout ça ? Sa mort, la disparition de papa, l'existence de Mia...

Sa respiration se fit saccadée. Les larmes montèrent, traçant des sillons silencieux sur ses joues.

— Je suis parti sans donner de nouvelles parce que j'étais un foutu gamin violent, plein de colère contre tout le monde. Maman était partie, et moi, je m'enfonçais dans les bagarres et les conneries pour essayer de calmer cette violence que j'arrivais pas à contrôler. J'avais besoin d'être redressé... Alors je suis parti dans cet enfer, Tony. Là-bas, j'ai vu des frères crever sous mes yeux. J'ai failli y rester, merde...

Sa voix se brisa sur le dernier mot. Le silence s'installa de nouveau, épais, ponctué seulement par le souffle court des deux hommes.

Alors Anthony s'approcha, posa d'abord une main ferme sur son épaule puis finit par l'enlacer. Dans un murmure à peine audible, il lui dit :

Alright, brother. It's okay.

[D'accord, frérot. C'est fini maintenant.]

À cet instant, un léger bruit se fit entendre. Les deux hommes se retournèrent.

C'était Mia.
La petite se tenait là, figée, les yeux grands ouverts. Elle avait tout entendu — encore une fois.

Anthony ouvrit la bouche pour s'excuser du vacarme, mais avant qu'il n'ait pu prononcer un mot, Mia s'avança lentement vers Leo. Et, à la surprise générale, elle se blottit contre lui, entourant maladroitement ses jambes de ses petits bras.

Leo resta un instant pétrifié, puis s'agenouilla à son niveau et la serra contre lui, ses grands bras refermés avec précaution autour de son minuscule corps.

— C-c'est p-pas grave, Leo, dit-elle d'une voix tremblante tout en lui caressant le dos de sa petite main. M-maman m'a toujours dit q-que tout finit p-par s'arranger.

Un frisson parcourut Anthony. Ces mots réveillaient en lui une douleur ancienne, une cicatrice jamais refermée.

Quand il était enfant, chaque fois que son père se montrait dur, sa mère lui soufflait que tout finirait par s'arranger.
Quand il n'arrivait pas à dormir, elle lui murmurait ces mêmes paroles auxquelles il avait cessé de croire.
Et le seul soir où il avait craqué devant elle, elle avait encore prononcé ces mots.

Quelques mois plus tard, elle s'en était allée.

Anthony se racla la gorge pour chasser la brûlure dans sa poitrine, puis observa les deux êtres enlacés devant lui : la douceur de la fillette et la force brisée du soldat. Sa famille. Ce qu'il lui restait.

— Tu es une adorable petite fille, tu sais ça ? murmura Leo, ému. Et t'es la plus belle chose que maman nous ait laissée...

Les yeux de Mia s'embuèrent. Elle n'avait connu de tendresse que dans les bras de sa mère. Les adultes, d'ordinaire, étaient durs, indifférents, parfois cruels. Les enfants, eux, moqueurs.

Et voilà que, soudain, elle avait une famille.
Une vraie.
Quatre grands frères prêts à tout pour chérir ce qu'il restait d'elle — l'héritage d'une mère partie trop tôt.

— Toi aussi, tu es mon frère pour la vie maintenant ? demanda-t-elle d'une voix fragile.

Leo esquissa un sourire tremblant.

— Petite puce... tu es ma chair et mon sang, déclara l'ancien militaire. Je te promets que je te protégerai jusqu'à mon dernier souffle.

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