9. Carmen (1/2)


Le liquide à l'intérieur de la tasse ne cessait d'onduler, agaçant fortement la jeune femme. Les légers tremblements de la table causés par les soubresauts d'Eren faisaient vaciller le café sans jamais que ce dernier ne se renverse. Plus d'une fois, la boisson s'était heurtée aux bords sans pour autant déborder dans la soucoupe parfaitement nettoyée. Pas une tâche, pas même une goutte ne semblait vouloir souiller la blancheur de la porcelaine. Plus elle regardait la scène, plus sa frustration ne cessait d'augmenter. Elle ne pouvait s'empêcher de se comparer à ce café parfaitement confiné dans sa tasse et qui malgré la gêne ne pouvait se libérer.

— Tu en penses quoi Mikasa ?

La question lui fit relever les yeux vers les restes des musiciens qui semblaient accrochés à ses lèvres, guettant la moindre de ses réactions.

— Que c'est injuste.

Si sa voix ne laissa transparaître aucune émotion, il en était tout autre pour son regard. Habituellement calme et indifférent, ce dernier semblait à cet instant empli de rage. Une colère si intense qu'elle ne pouvait la contenir sous son masque.

— Franchement, je ne comprendrais jamais les décisions de Livai. Tu es pourtant la meilleure d'entre nous, soupira Eren avant de reprendre une bouchée de sa brioche.

Meilleur, c'était un mot qu'elle entendait souvent pour la désigner, pour décrire ses interprétations au piano sur lesquelles elle passait nuit et jour à répéter. Pourtant, plus le temps passait, moins elle se reconnaissait en ce terme. La perfection ne cessait de lui filer entre les doigts l'obligeant encore et encore à s'entraîner et à sacrifier le reste de sa vie. Quoi qu'elle fasse, elle savait qu'elle ne serait jamais à la hauteur de son cousin, le génie de la musique avec qui elle avait été comparée toute son enfance.

— Visiblement, je ne suis pas encore assez bonne pour lui, sinon il m'aurait laissé faire les interprétations solos.

Les vacillements du café n'avaient jamais cessé depuis qu'elle avait repris la parole. Tantôt penchant à droite, tantôt penchant à gauche, la gravité retenait toujours de justesse le liquide dans son récipient.

Depuis la révélation d'Historia, les membres du Bataillon d'Exploration présents ne finissaient pas de donner leur point de vue sur la question. La jeune femme avait lancé la vérité telle une bombe qui n'attentait que d'être découverte pour exploser. Le dilemme qui se jouait en elle était bien trop puissant pour qu'elle se taise et trop oppressé par le secret, la phrase était sortie toute seule :

— Livai a refusé que tu fasses un récital de piano en solo.

D'un seul coup, toute la joyeuse bande s'était tut attendant la suite de la révélation. Mikasa avait plongé son regard dans celle de la cantatrice soudant en elle, le moindre signe d'un mensonge, une mauvaise farce que la jeune fille pourrait lui faire. Mais rien ne vint, au fur et à mesure de son silence, elle sentait ses poings jusqu'à avoir mal aux jointures. La soprano mal à l'aise avait cependant continué sa phrase, révélant tout ce qu'elle avait entendu entre Monsieur Balto et son père le matin même dans les couloirs de l'opéra. Comment le directeur artistique d'une seule interruption avait décidé que la pianiste ne jouerait pas seule.

Tandis que les membres de la troupe s'étaient offusqué de la nouvelle, Mikasa, elle s'était mutée dans son silence, laissant diverses pensées la traverser. La colère et la tristesse qui sommeillaient en elle ne demandaient qu'à sortir pour tout ravager sur son passage. Encore une fois, on lui montrait qu'elle n'avait pas le niveau, quoi qu'elle fasse elle serait toujours dans l'ombre de son cousin. Elle le savait, tout le monde le savait, et pourtant, elle ne pouvait qu'espérer un jour briller plus que lui. Alors quand Eren, avait sorti sa remarque, elle n'avait pas pu s'empêcher de répliquer.

— Un jour, il reconnaîtra sa valeur, essaya de la rassurer Armin.

Pour toute réponse, il n'eut qu'un simple haussement d'épaules avant que la jeune femme ne retourne à la contemplation de sa tasse de café, qu'elle n'avait toujours pas goûté.

— À ta place, j'aurais fait un malheur. Je serai allé lui dire ses quatre vérités en face-à-face, histoire qu'il explique son choix.

Si elle n'était pas aussi enragée, cette phrase aurait pu la faire sourire. Elle y avait pensé, allant se plaindre au directeur artistique que son choix était injustifié, même si contrairement à lui, elle n'était pas un maître du piano, elle méritait ses solos. Son niveau était largement suffisant pour donner une prestation de cette envergure.

Les vagues du café se faisaient de plus en plus fortes entre les divers mouvements des uns et des autres, l'odeur amère vint lui piquer le nez éveillant la totalité de ses sens. Son sang bouillait, si elle n'était pas la seule à penser que ce rôle lui revenait pourquoi ne pas lui faire savoir. Prise d'une énergie nouvelle, elle frappa la table du plat de ses mains faisant pour la première fois déborder son café, qui se coulait lentement le long de la paroi. La goutte marron qui contrastait avec la porcelaine blanche laissait à son passage une longue traîne pour marquer son passage, même si tout le reste de la tasse était proche, on ne voyait désormais plus que la souillure du débordement.

— Tu as raison, je vais lui parler, partit-elle d'un pas pressé sans un regard en arrière pour ses amis consternés par ce qu'il venait de se passer.

Le chemin jusqu'au bureau sembla lui durer une éternité, mais chaque pas était une preuve de sa détermination. Cette fois-ci s'en était trop, elle aussi avait le droit de briller. Elle ne savait pas si c'était la jalousie ou la colère qui lui permettait de conserver sa volonté cependant, ce soudain sentiment de puissance était grisant. Elle en avait marre qu'on lui dicte sa vie, elle en avait marre d'avoir le cœur serré dès que quelqu'un la comparait à son cousin, alors pour une fois, telle la goutte de café, elle allait créer une souillure à laquelle le directeur artistique serait obligé de confronter.

Sans attendre qu'on l'invite à entrer, elle pénétra dans le bureau :

— Je dois te parler maintenant !

Voir son cousin derrière le piano en train de lui lancer un regard noir, ne tacha en rien sa conviction. La jeune femme à ses côtés, elle ne savait où trop se mettre, se demandant bien encore une fois comment elle avait pu se retrouver dans une telle situation malgré elle. 

J'espère que ce nouveau chapitre vous aura plu. Mikasa fait enfin son apparition et commence à dévoiler un peu sa perception du monde. C'est un personnage assez complexe que je n'ai pas encore entièrement cernée, mais qui risque de se dévoiler au fur et à mesure. 

Si le chapitre vous a plu, n'oubliez pas de laisser un petit commentaire ou un vote pour me soutenir. 

A bientôt~


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