7. Salome (1/2)
Derrière son comptoir, confortablement installé dans sa chaise de bureau, l'hôtesse d'accueil ne cessait de regarder la jeune femme qui se tenait debout près des canapés. Parfaitement droite dans son tailleur, le regard pointé vers le tableau, Suzanne ne cessait de se demander comment on pouvait placer une telle horreur dans son salon et surtout qui avait eu cette idée saugrenue de l'installer depuis son dernier passage. La peinture sur toile, un Picasso, reconnu-t-elle du premier coup d'œil par le style, représentait tout simplement un clown installé sur une chaise qui regardait dans le vide. À part les quelques couleurs vives qui relevaient la tenue blanche du Pierrot, aucune joie ne se dégageait de la scène, plongeant la spectatrice dans une banale contemplation.
— Qu'est-ce qui vous vient à l'esprit en voyant cette œuvre ? susurra une voix près d'elle.
— J'ai l'impression qu'il se demande comment il en est arrivé là. Même lui ne semble pas comprendre la situation dans laquelle il est.
Livai ne dit rien, se contentant de regarder la toile en silence avant de soupirer et de repartir d'où il venait d'arriver.
— Suivez-moi ! Nous avons peu de temps devant nous avant le début de la représentation.
Sans un mot, la blonde emboîta le pas du directeur artistique, non sans un dernier regard à l'hôtesse qui les regardait stupéfaite que Monsieur Ackerman vienne chercher quelqu'un comme elle. Dans le petit couloir annexe, Suzanne fut attendrie de la micro seconde où Livai s'arrêta pour regarder la photo de sa mère, un hiatus sans temps dont il n'avait peut-être même pas connaissance.
Encore une fois, les couloirs semblaient interminables et tous se ressemblaient aux yeux de l'aide-soignante qui commençait à se demander si cette balade silencieuse avait un réel intérêt. Ce ne fut qu'au bout de quelques minutes de marche, en attendant un ascenseur que son hôte enclencha enfin la conversation.
— Nous allons sous la scène voir l'espace de stockage des décors ainsi que leur atelier de confection.
— Il y a la place de tout mettre ?
Un fin sourire apparut sur les lèvres de Livai, cette remarque lui rappelait la première fois qu'il avait fait le tour de l'Opéra avec sa mère. De l'ancien opéra, celui qui avait encore des charpentes de bois et où les escaliers ne cessaient de craquer au moindre passage. Le trentenaire se souvint de la douceur de la main de sa mère à ce moment-là et de la passion qu'elle avait quand elle lui expliquait dans le moindre détail l'envers des décors.
— L'intégralité du sous-sol est réservée au décor et ce dernier est lui-même composé de plusieurs étages pour stocker ou créer de nouveaux décors. À chaque nouvel acte, il y a une nouvelle scénographie, les fonds sont donc montés sur scène par un système d'ascenseur caché dans le sol. Nous avons également la possibilité de faire descendre des éléments sur scène par des câbles.
L'aide-soignante ne répondit que par un bref signe de tête, ses yeux perdus dans le vague elle essayait de concevoir les informations qu'elle venait d'apprendre. Elle resta ainsi muette jusqu'à la sortie de l'ascenseur où un hoquet de surprise lui vint. Devant elle, une véritable fourmilière humaine se déchaînant à travers machines, toiles peintes et autres reproductions.
— Tous ces décors seront utilisés ce soir lors de la représentation de La Bohème de Puccini. Si vous ne connaissez pas, vous devriez au moins savoir où va se passer l'action.
— A Paris, souffla-t-elle après un énième regard au décor qui se présentait telle une photographie de XVIIIème siècle.
Pour toute réponse, elle n'eut le droit qu'à un signe de tête approuvant sa réponse, avant que le directeur ne continue de flâner à travers la marée humaine qui s'activait bruyamment. L'homme traversait la foule comme si cela était naturel pour lui, à aucun moment un ouvrier ne se retourna sur son passage par curiosité de sa présence. Il était parfaitement dans son élément à travers ces décors et autres installations artistiques. Suzanne peinait à le suivre tant il voguait sans soucis, les quelques regards curieux lui était réservés avant qu'ils ne retournent se poser sur la tâche qu'il devait accomplir. Ce ne fût que quelques secondes plus tard, qu'elle vit le brun s'arrêter net, un regard de dégoût tourné vers le sol.
— Où est Auruo ?
D'une simple phrase, il venait d'installer le silence dans toute la salle faisant s'arrêter chaque travailleur dans sa tâche, le ton de sa voix venait de jeter un froid dans le brouhaha ambiant. Avançant d'un pas peu sûr, un homme se distingua parmi la foule, jusqu'à se présenter à côté du Ackerman. Les cheveux coupés en undercup de la même façon que Livai relevait son regard noir et ses sourcils parfaitement épilés. Contrairement à ce qu'aurait pu penser Suzanne, le nouveau venu était parfaitement apprêté et pas une once de poussière ou de peinture n'était venue salir son habille.
— Oui Monsieur ?
— Pourquoi reste-t-il de la sciure de bois par terre ?
L'interlocuteur blêmit quelque peu et le temps qu'il retrouve ses mots, l'aide-soignante regarda le sol, source de cette improbable remontrance. Sur le sol noir parfaitement balayé, quelques copeaux de bois signent d'un précédent ponçage étaient coincé entre le tapis feutré et le décor. Alors que le prénommé Auruo allait enfin en venir aux explications, le brun ne lui en laissa pas le temps.
— Combien de fois je vais devoir me répéter ! Cet endroit doit être impeccable ! Dès que vous avez terminé un décor, de faire de la soudure, de la peinture ou autre, l'aspirateur et le balai doivent être passé. Vous voulez reproduire l'incendie d'il y a vingt ans ?
Le regard gêné de l'homme ne quittait pas celui de son supérieur. Malgré sa faute, qu'il reconnaissait, il avait le courage de lui faire face. Tout autour d'eux, le reste des travailleurs regardaient la scène, certains indifférents, d'autres en colère ne comprenant pas pourquoi leur chef se faisait remonter de la sorte pour quelques copeaux. Suzanne, elle, comprenait le comportement de Livai. Un incident peut survenir de seulement quelques résidus, la propreté était une préconisation minime face au danger qu'elle pouvait contrer, en tant qu'aide-soignante elle ne pouvait qu'approuver ce geste, même si la forme pour l'exprimer n'était pas la plus délicate. Le silence commençait à devenir pesant, tel que plus personne n'osait réellement bouger de peur d'être le prochain à subir les foudres du directeur. Ce dernier finit cependant par soupirer avant de repartir comme si de rien était :
— Je veux que tout soit impeccable quand je reviendrai et finissez moi ces préparations pour ce soir ! Nous n'avons pas le droit à l'erreur.
Parfaitement conscient de son charisme, Ackerman Junior ne se retourna pas pour vérifier si tout le monde reprenait correctement sa tâche et continua sa route jusqu'au prochain lieu qu'il souhaitait faire découvrir à la chanteuse néophyte. Un énième ascenseur pris les fit monter au plus haut étage dans un silence entrecoupé par la musique que diffusaient les enceintes. Bien qu'elle appréciait le calme, elle était assez peu habituée à se retrouver face à une personne aussi taciturne que le fils de Kuchel. Au centre médical, même le plus rabougri des patients finissait par lui ouvrir son cœur. Son cerveau était en ébullition, à la recherche de la moindre phrase, de la moindre question pour rompre le mutisme qui s'était imposé depuis leur visite des coulisses, mais rien ne lui venait en tête.
Les portes finirent par s'ouvrir donnant directement sur une pièce parfaitement éclairée. De part et d'autre, des portants aux costumes multicolores de toute époque et de toute matière étaient entreposés. Certains tissus étaient accrochés à même le néon, les dépliants intégralement. Si les quelques brisures de bois avaient suffi à faire sortir le brun de ses gonds, l'état de cette pièce avait de quoi lui provoquer un arrêt cardiaque immédiat. Pourtant, toutes les teintes se mélangeant, fascinant l'aide-soignante et lui donna de suite le sourire. Depuis le début, cette salle semblait la plus vivante de l'opéra.
— Hanji, s'écria Livai par-dessus la musique rock mis à fond dans la pièce.
Nom qu'il scanda plusieurs fois avant qu'un amas de vêtements ne se mette à bouger et révèle enfin l'être humain qu'il contenait. De nombreuses mèches folles s'échappaient de la queue-de-cheval brune et venaient encadrer le visage barbouillé de peinture. Même les lunettes n'avaient pu être épargnées par les nombreuses projections qu'il y avait dû avoir tantôt.
— Tiens Livai te voilà, je viens de tester une nouvelle technique de coloration qui devrait te plaire.
J'espère que ce nouveau chapitre vous aura plu ! Je suis très contente de pouvoir vous présenter Hanji et la représentation que j'en ai fait (haute en couleur comme vous pouvez le constater !)
Comme d'habitude, n'hésitez surtout pas à me dire ce que vous en avez penser en commentaire. Je suis preneuse de toutes critiques !
J'espère que vous commencez également à vous attacher aux personnages ~~
A vendredi prochain !
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