6. La bohème (1/2)
Le temps semblait se figer tandis que les deux s'observaient ne sachant trop comment réagir. L'un fasciné par la prestation qu'il avait entendu à travers la porte, l'autre gêné de se retrouver devant la personne qui l'avait forcé à aller sur scène. L'aide-soignante peinait à soutenir le regard de l'Ackerman Junior, mais elle savait qu'elle ne devait pas baisser la tête devant lui. Elle n'était pas en tort contrairement à lui qui lui devait des excuses. Pendant ses dernières semaines où elle s'était entraîné avec Kuchel, la femme lui avait beaucoup parlé, essayant de lui donner davantage confiance en elle et en ses capacités. Le premier conseil qu'elle lui avait donné était qu'elle ne devait pas baisser la tête face à une personne, cela lui donnerait davantage d'ascendant.
Mal à l'aise de la situation, elle attrapa son bras de sa main inverse, avant de prendre la parole :
— Excusez-moi, il faudrait que je retourne travailler, tenta-t-elle de faire bouger l'homme qui lui bloquait le chemin.
— C'était vous ? (La coloration des joues passant intensément au rouge lui confirma son impression, elle savait de quoi il parlait.) Pourquoi chantez-vous encore ?
La question, bien que brutale, avait été posée sans intention de blesser. Livai était réellement curieux à ce sujet. Lui qui l'avait vu fuir de toutes ses forces sans se retourner sur son passage était plus que surpris de la revoir en plein entraînement avec sa mère.
— Je...
Cette fois-ci, l'embarras l'avait emporté, en plus de ses bras croisés trahissant son mal-être, elle se mettait à buter sur les mots. Elle prit une grande inspiration le temps de remettre ses idées en place avant de répondre de but en blanc.
— J'aime chanter.
Elle crut avoir dit une bêtise tandis que les sourcils de son interlocuteur se fronçaient. Alors qu'il allait renchérir, la voix de Dot Pixis résonna dans le couloir.
— Ma petite Suzanne, pouvez-vous venir ?
Surpris par cette interruption soudaine, les deux regardèrent le vieil homme dans son fauteuil qui attendait patiemment devant la porte de sa chambre. Le léger sourire sur ses lèvres fit soupirer Suzanne qui se dirigea vers lui, le passage enfin libéré.
— Qu'est-ce que vous ferez sans moi Monsieur Pixis ? plaisanta-t-elle alors qu'elle le raccompagna à sa chambre sans un regard en arrière, laissant l'autre trentenaire au milieu du couloir.
— Et si tu rentrais enfin pour qu'on parle ? le coupa à ses réflexions la voix de sa mère l'invitant à rentrer dans sa chambre.
Cette dernière debout près de sa fenêtre le regardait de haut en bas un sourire aux lèvres, elle semblait parfaitement apaisée, voire heureuse. Sans un mot, il pénétra dans la chambre fermant derrière lui la porte pour plus d'intimité. Tandis que sa mère se rasseyait sur son siège, Livai alla remplir le vase qui avait été parfaitement nettoyé depuis sa dernière visite lui laissant tout le loisir d'y remettre un nouveau bouquet.
— Elle va réaliser ton rêve ? demanda le directeur artistique. Il était plus que rare que ce dernier commence la conversation, mais la curiosité le poussait à délier sa langue.
— Non, répondit tout simplement la femme.
Surpris, le trentenaire suspendit son mouvement en l'air avant de reprendre contenance et de replacer la dalhia qu'il avait entre les mains dans le bouquet. Ses pensées allaient à vive allure, pourquoi sa mère semblait si sereine malgré cette nouvelle ? Pourquoi l'aide-soignante continuait à apprendre à chanter avec sa mère ? Il y avait quelque chose derrière qu'il ne comprenait pas, une simple information qu'il lui manquait. Voyant le trouble de son fils, Kuchel s'en amusa un instant, il était rare de le voir aussi perturbé, lui qui tentait à toute occasion de faire bonne figure y compris devant elle.
— Elle veut chanter pour elle-même. (De cette simple phrase, elle sut qu'elle avait l'intention de son garçon.) Elle est bien plus pure que ce que j'aurai cru, Suzanne ne court pas après le succès elle veut simplement vivre tout en faisant ce qu'elle aime.
— Je vois, répondit plus pour lui-même Livai.
— Elle a un des plus grands talents que j'ai pu entendre depuis des années et en quelques semaines elle a su apprendre bien plus que certaines chanteuses qui pratique depuis des années. Elle est bien plus impliquée et passionnée qu'elle ne pense le croire. Si elle monte sur les planches, elle provoquera un ouragan.
— Cette situation semble te convenir.
Pour toute réponse, il dut se contenter d'un doux sourire avant qu'elle ne lui fasse signe de venir et d'attraper tendrement sa main.
— Si elle désire réellement continuer sur cette voie, elle sera convoitée, sûrement piétinée. Protège-la s'il te plaît. Tu sais aussi bien que moi à quel point ce milieu est destructeur quand on est mal entouré.
Dès la fin de la phrase, Livai resserra la pression sur les mains de sa mère. Cette phrase était un aveu silencieux de tout ce qu'elle avait subi quand elle était cantatrice, un sombre passé emplit de violence en tout genre. Il savait tout ce qu'elle endurée et le simple fait d'y penser le mettait en rage, et pourtant, elle continuait à se tenir droite et fière.
— Si c'est vraiment ce que tu désires, je le ferai, répondit-il comme une promesse avant que tout ne se taise, profitant simplement de la présence de l'autre.
Le ciel était dégagé ne laissant apercevoir aucun nuage à l'horizon. La chaleur humide commençait à coller à la peau des moins résistants, cet été encore serait lourd à supporter. À l'ombre des arbres, sur un banc installé pour les balades, une petite famille discutait avec l'un des pensionnaires que la brune avait déjà aperçu dans le réfectoire.
Toutes leurs contemplations furent coupées par une voix de femme qu'ils reconnurent de suite :
— C'est non, Monsieur Pixis, imposa Suzanne d'un ton ferme avant de s'éloigner dans pas rapide reconnaissable par le couinement de ses crocs.
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