5. Don Giovanni (2/2)
— Nous avons déjà joué Nabucco il y a deux ans pour célébrer le centième anniversaire de l'opéra. Le rejouer l'année prochaine n'aurait aucun sens, tenta Rhodes Reiss confortablement installé dans son fauteuil.
Autour de la massive table en chêne, plusieurs cadres hochèrent la tête pour montrer leur accord avec ce propos, faisant rougir d'embarras la personne ayant proposé l'idée. Au fond de son fauteuil, Livai observait ces personnes qui le dégoûtaient, débattre sur un sujet dont ils ne connaissaient que le nom. Choisir le prochain catalogue des spectacles n'était pas mince affaire de base, mais la tâche se complexifiait quand tous donnaient une opinion subjective en fonction de ses goûts. Que ce soit, la personne devant lui buvant goulûment son café ou ceux essayant de se faire entendre par tous les moyens, aucun ne savait réellement quoi choisir et la meilleure manière de procéder.
— Nous allons célébrer le deux cent trentième anniversaire de la mort de Mozart, décida Erwin Smith faisant taire toutes les voix qui s'élevaient dans la pièce.
Un fin sourire apparut sur les lèvres de Livai avant de disparaître aussitôt. Le directeur général était le seul à avoir un tant soit peu de jugeote et de passion pour son métier. Il avait préparé la réunion et s'était renseigné sur les événements à venir cette année.
— Avec cette commémoration, nous pourrons demander à la ville de préparer un festival spécial pour attirer plus de spectateurs et peut-être susciter l'intérêt de nouvelle carrière, enchaîna le blond toujours certains qu'il avait l'attention de tous.
— Les opéras et morceaux de Mozart sont connus dans le monde entier, comment peut-on être sûr que quelqu'un d'autre n'aura pas la même idée ?
— On est sûr de rien. Je dirai même qu'il est certain que d'autres structures pensent à la même idée que nous. (Les quelques mots d'Erwin suscitèrent de suite l'intérêt tandis que Livai soupira sachant déjà ce qui allait se dire.) Nous pouvons justement utiliser cela pour notre renommée. Nous avons de grands talents qui ne demandent qu'à prendre leur envol et cette occasion sera parfaite pour eux ! Nous ne chercherons pas à nous démarquer en proposant quelque chose d'original, mais tout simplement en faisant mieux.
Des exclamations de surprise fusèrent de part et d'autre de la salle, encore une fois, Erwin Smith, Directeur de l'Opéra Maria, avait réussi à rallier tout le monde à sa cause en seulement quelques minutes d'échange.
— Je souhaiterai dans ce cas proposer un concert du Bataillon d'exploration en plein air, prit pour la première fois la parole, le directeur artistique.
— Alors, autant également faire un récital pour piano. Votre cousine, Mikasa Ackerman a tout à fait les capacités pour faire d'un tel événement un succès, lança Pierce Balto dans sa direction, sûrement certain de lui faire plaisir en mettant en avant un membre de sa « famille ».
A la place, il ne reçut qu'un regard froid sans émotion et une réponse tranchante lui sommant de ne pas continuer la conversation :
— Non, elle n'est pas encore prête pour ça.
Un silence gêné s'installa de suite dans la pièce, visiblement, toutes les autres personnes autour de la table soutenaient la proposition de l'homme chauve. D'un claquement de main, Erwin reprit l'attention de tous, en faisant sursauter quelques-uns au passage du bruit soudain.
— Bien maintenant que cela est décidé, je laisse les choses entre les mains de Livai. Je te laisse nous faire une proposition d'opéra et de concerto avec les musiciens que tu souhaites et nous le soumettre à la prochaine réunion. Il attendit un instant ses yeux fixant Livai pour distinguer une quelconque réaction de sa part, qui ne vint jamais. Bien, mesdames, messieurs, je vous salue.
Sans plus d'égard pour ses collaborateurs, il se leva de son siège mettant un terme à la réunion de ce jour, très vite suivi par le reste des décideurs. Alors que certains préféraient rester dans la salle pour discuter avec leurs collègues, Livai en profita pour s'échapper loin de l'agitation. Grâce à Erwin la réunion qui aurait dû s'éterniser jusqu'à la fin de journée avait tourné court, lui permettant d'avoir son après-midi libre. Il savait exactement ce qu'il devait faire, une des choses les plus importantes pour lui, aller voir sa mère alitée. Ses moments, passés avec elle, lui étaient précieux tout autant que redoutables. Dès qu'il se retrouvait avec elle une certaine peur mélangée à de la quiétude venait s'installer en lui, le laissant muet tout le long de sa visite. Ses longs moments de silence ne semblaient pour autant pas déranger sa mère qui lui prenait doucement la main, caressant de son pouce le dos de cette dernière comme si elle savait déjà tout ce qu'il avait à lui dire.
Ses pas francs le menèrent de suite hors de l'opéra, dans son fleuriste habituel au coin de la rue. Cachée par les autres façades, la boutique ne payait pas de mine, mais l'étalage toujours élégant et parfaitement aligné su convaincre Livai de venir essayer la qualité de la marchandise. La vendeuse, toujours professionnelle, l'accueillit avec un grand sourire avant de le laisser regarder les fleurs qui pourraient composer son bouquet. Le brun la remerciait toujours pour cela, ne pas traîner dans ses pattes en lui donnant des conseils dont il n'avait que faire. Livai aimait choisir seul en fonction de ses humeurs et des goûts de sa mère qu'il connaissait par cœur. Son choix se porta sur de simples dahlias roses qui marquaient le début de la saison estivale.
Tandis que la fleuriste emballait son bouquet, le directeur artistique put apercevoir un regard noir le fixer. De l'autre côté de la rue, assis en terrasse, les membres du Bataillon d'Exploration semblaient avoir une discussion vive à en juger les réactions sur leur tête. Une seule personne ne semblait pas accaparer par ce qui était dit, Mikasa Ackerman, sa cousine éloignée. Cette dernière, fidèle à son image et à sa réputation conservait un visage imperturbable, seuls ses yeux noirs fixés sur lui démontraient la colère qu'elle avait envers lui. Il n'avait jamais su ce qui lui valait une telle haine, cependant cela ne le dérangeait pas le moins du monde. La brune à la parfaite peau de porcelaine n'était pas la première ennemie qu'il se faisait dans le milieu. Égal à lui-même, il lui répondit par le même regard noir avant de se retourner vers sa vendeuse qui l'avait interpellé quelques instants plutôt.
— Le bouquet est parfait. Gardez la monnaie, posa-t-il un billet de cinquante euros sur le comptoir avant de récupérer le bouquet et de partir là où était garée sa voiture.
Le trajet se fit dans le plus grand des silences et rapidement. Le brun connaissait par cœur le trajet qu'il effectuait mensuellement. La maison d'accueil se tenait à l'extérieur de la ville dans un coin plus tranquille et donnait la possibilité aux pensionnaires de faire des balades dans un grand parc entretenu avec soin. Malgré les deux bus qui s'étaient arrêtés devant lui, les trottoirs étaient vides. A cette heure-ci, personne ne venait rendre visite aux résidents, les laissant à leurs occupations. Les couloirs quant à eux étaient légèrement plus animés par le passage des infirmiers et autres personnes du corps médical. Certains le reconnaissant, le saluèrent poliment avant de continuer leur route, salue qu'il ne rendit que du bout des lèvres préférant s'éloigner le plus vite possible. Moins ils passaient de temps dans ses couloirs ayant connu trop de morts, mieux il se porterait. Livai Ackerman faisait partie de ses personnes ayant peur de la mort. Ce n'était pas tant la peur de mourir qui le dérangeait, mais la peur de perdre un être cher, pour toujours. S'il avait eu le choix, jamais il n'aurait mis sa mère dans un tel endroit cependant, la pathologie était bien trop sérieuse pour qu'il se montre égoïste.
Ses pensées furent interrompues d'un coup au bout du couloir juste avant la chambre de Kuchel. Une voix légère chantait un air d'opéra. De là où il était, il ne pouvait entendre toutes les variations, mais les quelques notes qu'il arrivait à déceler arrivait à créer un sentiment de bien-être au fond de lui. Sans s'en rendre compte, il se laissa porter par la voix cherchant sa source pour mieux l'apprécier. Ses pas le guidèrent jusqu'à la porte de sa mère où il put écouter plus distinctement la soprano chanter les dernières notes avant de se taire, reprenant certainement son souffle après une telle prestation. Bouleversant, c'était le premier mot qui lui venait en tête en repensant à ce qu'il venait d'entendre. Depuis maintenant bien des années, il n'avait ressenti un tel sentiment envers un artiste. La main sur la poignée de la porte, il se prépara à rentrer pour savoir qui était cette personne avec une voix si douce, toutefois avant qu'il ne put l'abaisser la porte s'ouvrit d'un coup, le faisant reculer de quelques pas. La personne qui se tenait face à lui, surprise de l'apercevoir, n'était d'autre que l'aide-soignante qu'il avait fait fuir la dernière fois, celle qui devait accomplir le rêve de sa mère, Suzanne Célène.
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