4. Turandot (1/2)
— Tu peux t'en occuper s'il te plaît ? supplia Suzanne pour la énième fois de la journée son collègue.
Ce dernier la regarda longuement avant de soupirer. Cela faisait maintenant deux semaines que l'aide-soignante évitait de toutes les manières possibles Kuchel Ackerman, laissant Porco le soin de s'occuper d'elle. Si la situation au début lui semblait grotesque, cette dernière avait fini par totalement tourner au ridicule quand la blonde s'était cachée sous une table pour ne pas croiser son ancienne préceptrice de chant.
— En échange, tu prends mon tour de garde cette nuit.
Une moue s'afficha sur le visage pâle de la femme avant que cette dernière ne capitule, elle lui devait au moins ça pour toutes les fois où elle avait échangé son planning à la dernière minute.
— Tu sais, libre à toi de faire comme tu le veux, mais fuir Madame Ackerman pour toujours ne semble pas être une super solution.
— Oui, je sais, il me faut juste encore un peu de temps. (Le blond aux cheveux gominés la regarda fixement signe qu'il attendait la suite des explications.) Je n'ai juste pas encore le courage d'affronter son regard après la dernière fois.
— Pour t'être enfui de la scène sans chanter ? pointa sans aucune gêne ni pitié Porco.
— Oui, pour ça.
La vieille pendule de la salle de loisir mit fin au silence qui venait de s'instaurer entre les deux. Onze heures venaient de sonner et plusieurs tâches à terminer leur incombait avant que tous les pensionnaires ne viennent manger. Profitant de la diversion, Suzanne détala au plus vite pour ne pas à avoir à continuer la conversation et à recroiser le regard jugeur de son homologue. Le poids de la honte et de ses responsabilités lui pesait déjà suffisamment, plus elle se remémorait l'histoire plus elle réalisa à quel point elle était ridicule. Elle qui avait accepté, par pure folie, de réaliser le rêve d'une pensionnaire s'était retrouvée coincée à la première épreuve. Elle aurait pu juste fermer les yeux pour se remémorer le ciel bleu qui s'étendait à perte de vue, et se perdre dans sa bulle. Mais à la place, elle s'était juste figée telle une collégienne passant un oral. Un long soupir sortit de ses lèvres faisant s'affaisser ses épaules, aujourd'hui encore elle tenterait d'aller voir Kuchel en espérant ne pas rester devant la porte comme toutes les autres fois.
— Suzanne, pouvez-vous venir à mon bureau s'il vous plaît ? l'intercepta Madame Fingers entre deux chambres de patient.
Ne lui laissant guère le temps de répondre, la directrice de l'établissement retourna dans sa salle, laissant Suzanne la suivre en trottinant pour rattraper sa marche. Les convocations de ce genre n'étaient pas rares venant de la brune, préférant leur demander de venir à un détour de couloir plutôt que de les convoquer de manière officielle. Cette manière informelle, assez surprenante au début, était finalement devenue naturelle, voire amicale pour elle et Porco. Peak Fingers était un personnage atypique quand on ne la connaissait pas, souvent dans la lune, elle n'hésitait pas à dire de manière franche et directe tout ce qu'elle pensait que ce soit à ses collaborateurs ou à ses pensionnaires. Son bureau était par ailleurs à son image, malgré le nettoyage de printemps diverses feuilles volantes s'étaient fait la malle de part et d'autre de la pièce, allant jusqu'à se glisser sous les armoires situées de l'autre côté. L'état de ce bureau demeurait un des plus gros mystères de la maison de repos, toujours dérangé au quotidien, le désordre semblait se volatiliser par magie quand les familles des pensionnaires venaient lui rendre visite ou demander des comptes. Suzanne suspectait qu'elle n'acceptait que les visites sur rendez-vous pour avoir justement le temps de tout remettre en ordre.
— Je ne m'attendais pas à devoir vous reprendre sur votre comportement Suzanne, commença la directrice, vous semblez avoir oublié où vous étiez. S'attacher de trop à un pensionnaire est une grossière erreur, nous sommes un centre médical où nous accompagnons des patients dans leurs pathologies jusqu'à la fin de leurs vies. (La voix de Peak était calme posant comme une fatalité chaque mot qu'elle prononçait, malgré la joie de vivre qui régnait en ces murs, la faucheuse restait éternel maître.) En plus de cela, votre travail n'est plus correctement fait, je suis au courant de votre manège avec Porco, à vous refiler des tâches contre des heures de nuit et autres. Les plannings ont une utilité, tâchez de vous en rappeler et de vous y maintenir à l'avenir.
Malgré les reproches qui lui étaient faits, Suzanne faisait de son mieux pour ne pas baisser la tête et soutenir le regard de son employeur. Elle savait pertinemment que chaque réprimande avait lieu et plus Madame Fingers lui listait ses fautes plus elle se trouvait ridicule d'avoir agi de cette manière.
— Je n'oublierai pas, murmura-t-elle à demi-mot pour ne pas se laisser submerger par ses sentiments.
Le silence plana quelques minutes entre les deux femmes, l'une essayant de cacher son mal-être tandis que l'autre l'analysait. Ce ne fut que le long soupire de la brune qui finit par rompre le mutisme, s'étirant le dos contre son dossier la femme reprit une position plus décontractée avant de poursuivre ce qu'elle avait à dire d'une voix plus enjouée.
— Honnêtement, nous sommes très heureux de vous avoir parmi nous, les pensionnaires ne cessent de chanter vos louanges à tout-va. Par votre caractère et investissement, vous êtes devenu un élément indispensable à cette maison. (Un fin sourire se posa sur ses lèvres avant d'enchaîner.) De plus, je n'avais jamais vu un tel éclat dans le regard de Madame Ackerman, en seulement quelques semaines vous lui avez rendu plus de joie de vivre que quiconque ici. Est-ce que vous souhaitez continuer dans le chant ?
La question posée de but en blanc sans arrière-pensée, décontenança quelque peu l'aide-soignante. Elle s'était lancée dans cette voix totalement par hasard sans réellement réfléchir à son avenir. Chanter n'était pas sa vocation, elle souhaitait avant tout aider les gens et le domaine médical était parfait pour ça. Mais le plaisir qu'elle ressentait et la sensation de liberté qu'elle ressentait à chaque note, chaque progrès aussi notable soit-il, était un délice pour elle.
— Je suis un peu perdue pour le moment. Travailler à vos côtés et voir les patients sourire tous les jours est la chose qui me procure le plus de bonheur. Cependant, découvrir ce domaine est très plaisant et je ne peux nier que j'ai pris beaucoup de bon temps.
Madame Fingers ne dit rien, réfléchissant calmement à ce que lui disait son employée. D'un geste rapide, elle monta son poignet gauche à la hauteur de ses yeux pour constater l'heure sur la montre.
— Aller voir Kuchel maintenant et excusez-vous de votre comportement. C'est sûrement elle qui détient la clef de votre dilemme. Si elle ne souhaite pas continuer avec vous, au moins, vous serez fixé.
Aussi cruelle que la phrase pouvait paraître, elle avait le mérite d'être franche et véridique. Sans Kuchel, Suzanne ne deviendrait jamais soprano. Si elle avait commencé à entraîner sa voix, c'était avant tout pour elle. Elle était la seule à détenir la clef de sa réussite et l'aide-soignante en avait pleinement conscience. Poliment, elle remercia sa supérieure, avant de prendre congé pour se diriger vers la chambre de sa patiente. Jamais le chemin entre les deux salles ne lui avait paru aussi long qu'aujourd'hui. Ses jambes lourdes la guidaient timidement jusqu'à sa destination tandis qu'elle se répétait en boucle les excuses qu'elle devait sortir. Ce ne fut qu'une fois devant la porte entrouverte que ses pas s'arrêtèrent net, la peur lui tirant l'estomac. Et si Kuchel ne lui pardonnait pas son comportement ? De s'être enfui à la première occasion de chanter devant des professionnels ? L'idée de s'enfuir de nouveau lui passa par l'esprit, mais une force inconnue lui donna la force de faire le contraire. Dans pas lent, elle entra dans la chambre qu'elle connaissait désormais par cœur. Comme à son habitude, la maîtresse des lieux était installée à sa fenêtre, regardant le paysage qui défilait devant elle. Pour une fois, aucun courant d'air ne pénétrait la chambre, la lourdeur de l'atmosphère laissait entrevoir une tempête dans la soirée.
— Il vous en aura fallu du temps.
A la place de Suzanne comment auriez-vous réagi ? Vous aussi vous auriez fui ?
J'espère que ce nouveau chapitre vous aura pu !
Pour le moment moins de 10% des lecteurs de cette histoire votent ! N'hésitez pas à appuyer sur la petite étoile pour que je puisse connaitre votre avis ;)
A bientôt pour l'affrontement entre Suzanne et Kuchel ~
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