3. Le Fantôme de l'opéra (2/2)
Ses yeux gris n'exprimaient aucune émotion tandis que Suzanne s'installait dans la chaise en cuir, le dos reposant au fin fond du dossier. Les cheveux bruns de son interlocuteur gominé à l'arrière de son crâne, ainsi que son costard lui donnaient une apparence de mafieux. Quand il était seul avec sa mère, une certaine douceur émanait de lui, mais à ce moment rien ne se dégageait si ce n'était qu'une extrême froideur.
— Vous savez pourquoi vous êtes ici ?
— Non.
Sa réponse ne sembla guère plaire à son interlocuteur puisque à peine eut-elle prononcé la négation qu'il retourna sur son papier à griffonner une quelconque phrase. Plus le silence s'installait dans cette pièce, plus l'aide-soignante regrettait d'être venue à ce rendez-vous. Si elle n'avait pas écouté Kuchel, jamais elle n'en serait là à regarder un homme juste écrire et signer des documents. La scène qui lui sembla durer une éternité prit fin quand l'homme en face d'elle reboucha sa plume et le plaça minutieusement à côté de la feuille désormais remplie, parfaitement parallèlement à cette dernière. Ses yeux se relevèrent, analysant désormais sa visiteuse.
— J'ai été impressionné par le timbre de votre voix, les sopranos lyriques qui arrivent à atteindre de telles notes sans entraînement ne cours pas les rues. Je comprends pourquoi ma mère à jeter son dévolu sur vous, chacun de ses mots étaient détachés et prononcés lentement comme pour être certains que la personne en face de lui comprenne bien tout ce qu'il raconte.
Suzanne se contint de dire quelque chose face à son ton condescendant le laissant continuer son discours. Dans certaines de ses mimiques, elle retrouvait les mêmes manières que sa patiente. Ils avaient tous deux la même façon de regarder les personnes avec qui ils discutaient, relevant de temps à autre les ridules autour de leurs yeux se relevèrent en même temps qu'ils avalaient leurs salives. Entre chaque phrase, une pause de quelques dixièmes de secondes était marquée, leur laissant le temps de choisir les mots les plus justes et les plus appropriés. Leur façon de respirer était également là même, une manière calme et lente, telle une préparation avant un grand concert. La seule différence notable qui existait entre cette mère et son fils était l'aura qu'ils dégageait, tous deux charismatiques, Ackerman Junior dégageait quelque chose de plus sauvage, de plus dangereux qui donnait presque envie de ne pas croiser sa route.
— Et si nous en venions au fait ? coupa soudainement la blonde, vous m'avez fait venir pour une bonne raison, je suppose.
Le brun en face d'elle se stoppa avant de la regarder longuement. Un éclat noir passa dans ses yeux faisant retenir malgré elle sa respiration quelques secondes. Par ce simple geste, il venait de lui faire comprendre de ne plus lui couper la parole ou de mal lui répondre. Le silence pesant commençant à s'installer face à leur jeu de regard finit par être interrompu par Livai.
— Je vois, ma mère avait raison quant à votre sujet, une personne grossière sans réelle élégance, le travail sera d'autant plus complexe pour vous transformer en véritable cantatrice. (Sans qu'il ne le remarque, les poings de Suzanne se refermèrent pour contenir sa frustration et son envie de répondre.) Si telle est votre demande, je ne vais pas y aller par quatre chemins, je veux que vous appreniez à chanter et à jouer sur scène pour réaliser le rêve de ma mère.
La phrase avait été prononcée de manière à sembler la plus naturelle du monde. Pour lui, que quelqu'un réalise l'ambition de sa mère était normale. Il cautionnait parfaitement la demande que Kuchel lui avait faite, mettant en place les premiers rouages pour que cela réussisse. Suzanne resta estomaquée de cette demande, elle ne savait pas encore qui était le plus fou entre la mère et son fils, cependant au fond d'elle, elle jalousa cette relation fusionnelle. Alors qu'elle allait répondre, le brun consulta sa montre attachée à son poignet gauche.
— Suivez-moi, se leva-t-il soudainement de son bureau.
Décontenancée, Suzanne se leva à son tour suivant son hôte à travers un dédale de couloirs. A ses yeux, tout se ressemblait, seules les peintures accrochées par-ci par-là permettait de différencier les couloirs qu'ils empruntaient. Au bout de l'un d'entre eux, un ascenseur identique à celui qu'elle avait pris pour venir.
— Vous avez déjà chanté devant un public ? finit par demander Livai par-dessus la musique de l'ascenseur.
— Juste devant mes classes de collège, pendant les cours.
Un léger sourire naquit sur les lèvres du brun qu'elle ne peut analyser tant il repartit aussitôt.
Le reste du leur trajet se passa dans le silence, Suzanne essayant de maintenir ses pas à la même allure que Livai. Après quelques minutes supplémentaires de marche, le directeur finit par s'arrêter devant une porte, une petite porte noire qui dénaturerait avec le reste du décor. Cette dernière ressemblait plus à une sortie de secours qu'à une porte utilisé quotidiennement, mais les contemplations de la jeune femme s'arrêtèrent bien vite en voyant le brun la pousser sans réfléchir et s'engouffrer dans une pièce à la lumière plus que réduite. Pour ne pas le perdre, elle y entra également sans savoir à quoi s'attendre derrière. Très rapidement, la salle se révéla à elle, juste un petit espace avec quelques tabourets, le sol gris était en feutrine réduisant au maximum le son des pas des quelques personnes qui s'y trouvait. Juste devant elle, un grand rideau noir qui allait du sol au plafond.
Suzanne n'était pas dupe, et la voix qu'elle entendait chanter ne faisait que confirmer ses soupçons, le directeur artistique l'avait emmenée dans les coulisses, juste derrière la scène où quelqu'un était en train de performer.
— Vous pouvez m'expliquer ? chuchota-t-elle assez fort pour être sûr que son interlocuteur l'entende.
— Je ne suis pas le seul décideur dans cet opéra. Si vous avez réellement le potentiel pour devenir une grande soprano, il va falloir le prouver à tous. (La voix au fond se tut laissant quelques secondes de flottement.) Allez-y, c'est votre tour, désigna-t-il le petit interstice pour se rendre jusqu'à la scène.
Le corps de Suzanne se bloqua, sans même qu'elle ne s'en rende compte, la peur de l'inconnu la figeait sur place ainsi que le stress qui commençait à la gagner. Agacé de ne pas la voir bouger, Livai la poussa légèrement dans le dos pour lui donner une impulsion et la fit avancer de quelques mètres jusqu'à arriver sur le côté visible de la scène. La salle de représentation était immense, telle que lui avait décrit Kuchel. Elle qui avait du mal à s'imaginer ce que pouvait représenter plus de deux mille places assises, avait juste devant elle, le parfait exemple. Les sièges s'étendaient encore et encore, parfaitement alignés en pente pour que tous les spectateurs puissent voir la scène. Cette dernière n'était pas en reste, inclinée vers l'avant, l'aide-soignante estimait le plateau à plus de cinq mètres de profondeur.
— Avancez jusqu'au milieu de la scène s'il vous plaît, lui somma une voix qu'elle n'avait jamais entendu.
Plus par instinct que par réelle volonté la jeune femme suivie l'ordre avant de se retourner complètement vers les spectateurs. La lumière des projecteurs l'éblouit et la fit froncer des yeux quelques secondes avant qu'elle ne puisse s'y habituer. Au loin, elle pouvait distinguer des formes, des silhouettes humaines qui semblaient la scruter de toute part. Elle ne put cependant distinguer aucun visage à cause de l'obscurité.
Placer sur le milieu de la scène sans savoir ce qu'elle devait faire, ne faisait qu'augmenter son stress. Les regards braqués sur elle la terrifiaient au plus haut point. Du coin de l'œil, elle put apercevoir Livai qui la regardait, mécontent de son manque de réaction. Ses lèvres bougèrent lui indiquant ce qu'elle devait faire « Chante ! ».
Alors, elle essaya de l'écouter, toujours tourner vers les silhouettes lointaines. Aucune musique n'était là pour l'accompagner, elle était seule face à son malaise et à son épreuve. Bien qu'elle le voulait, aucune note ne sortit de sa bouche. Elle était paralysée. Elle pouvait sentir ses mains trembler contre son corps et sa tête tournée, un malaise vagal commençait à s'installer. Alors elle fit ce qui lui semblait le mieux à faire pour elle, elle quitta la scène en courant de l'autre côté s'enfuyant tant bien que mal par la première porte qu'elle croisa.
Quel bourrin ce Livai quand même à ne pas prendre en compte les sentiments des autres.
Si vous ne vous sentez pas à l'aise à l'idée de faire quelque chose c'est votre droit et personne ne doit vous forcer à le faire !!
J'espère tout de même que ce chapitre vous aura plu. N'hésitez pas à voter ou/et commenter pour me dire ce que vous en avez pensé.
J'ai une nouvelle lubie avec mes tournures de phrase que je trouve assez lourde, si vous avez des conseils pour améliorer ça, je suis preneuse !
A bientôt pour savoir comment va Suzanne après son coup de stress.
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