18. Les contes d'Hoffman (2/2)
Lentement, la salle retrouvait son calme habituelle et réapparaissait telle qu'elle l'avait laissé. Suzanne soufflait lentement pour récupérer sa respiration après les dernières notes chantées. Le nouveau morceau choisi par l'Ackerman Junior lui avait plu dès la première fois qu'elle l'avait écouté – même si elle aurait souhaité quelque chose de joyeux pour une fois.- Plongée dans la folie d'Ophélie constituait un exercice étrange qui demandait une mise en abîme de ses propres réflexions et sentiments. La démence de son amour perdue lui semblait à la fois si risible et pourtant si beau. Une émotion si intense qu'elle lui en avait fait perdre la tête jusqu'à trouver la mort.
Afin de chanter le monument qu'était Hamlet, Livai lui avait ordonné de relire l'entièreté de la pièce de théâtre pour mieux comprendre son personnage. Et bien qu'elle y était allée à reculons de replonger dans cette lecture de collège, elle devait s'avouer qu'elle y avait pris du plaisir à redécouvrir chacun des événements tragiques, comprenant davantage l'intrigue et les enjeux des protagonistes.
Le siège de velours rouge grinça lentement, en même temps que le directeur artistique se relevait pour s'étirer les jambes.
— C'était beaucoup mieux.
Mieux. Oui, elle le ressentait aussi au fond d'elle. Après sa prestation devant les pensionnaires, quelque chose en elle avait disparu, un sentiment indicible qui ne cessait de la martyriser et qui d'un coup venait de s'envoler.. Elle n'était pas encore prête pour retenter l'expérience rapidement, mais l'apaisement qu'elle ressentait ainsi que la satisfaction du moment la confortait avec l'idée.
Tranquillement, elle ramassa ses possessions disposées sur le sol à côté du canapé. Son sac à dos était plus volumineux qu'à son habitude, promettant de rompre si d'autres affaires devaient s'engouffrer. Dans quelques heures, elle entamerait un service de nuit, afin de ne pas s'ennuyer, elle avait emporté quelques biscuits et ramené un livre dont elle avait parlé avec Monsieur Pixis pour lui tenir compagnie.
— Qu'est-ce que vous aimez ?
La question sortit du but en blanc, surpris Suzanne dans son geste avant que cette dernière ne rougisse. Livai n'avait pas pour habitude de l'accoster après les répétitions, l'observe prendre son sac avant de s'installer à son bureau. Le regard qu'il lui lançait à cet instant s'avérait indéchiffrable et elle n'arrivait pas à savoir ce qu'il désirait réellement derrière cette question.
— Comment ça ? tenta-t-elle pour en savoir plus.
— Je souhaiterais vous remercier pour ma mère.
Cette révélation la toucha et la fit rire en même temps. Plus elle passait de temps avec sa famille, plus elle voyait l'incroyable lien qu'ils avaient noué. Un amour si pur, si unique qui se ressentait à chaque instant.
—- Vous n'avez pas à me remercier pour ça. Je n'ai fait que mon travail. Ça me fait aussi plaisir de savoir que votre mère est en forme.
Elle lui sourit sincèrement avant de retourner à ses occupations, certaines que la conversation était terminée.
— Voyez ça comme une récompense pour vos progrès alors.
L'insistance de Livai fit de nouveau rougir la jeune femme, qui ne s'attendait pas à ce que l'homme est tant d'attention à son égard. De ce qu'elle connaissait de lui, il n'était pas de ceux qui offraient des choses par politesse ou par conventions sociales. Si le brun, lui proposait, c'était qu'il le souhaitait réellement.
Suzanne réfléchit à la proposition sérieusement tout en observant son entourage et le directeur artistique. Petit à petit, ses yeux balayèrent la pièce se posant sur le piano, puis sur la bibliothèque, sans oublier la grande table qui présidait l'espace. Ce fut en regardant la jolie tasse de thé -du Earl Grey, avait annoncé son assistante plus tôt – que son choix fut pris. Elle savait ce qu'elle désirait à cet instant.
— J'aime les pâtisseries, déclara-t-elle le plus sérieusement du monde tout en imaginant le goût de ces douceurs.
— Parfait. Nous irons donc au Sina's, leur pâtisserie devrait vous convenir.
Lui convenir ? Suzanne ne connaissait l'endroit que de réputation tant il lui paraissait impossible d'y accéder. On ne pouvait y aller que sur réservation, tout en déboursant un acompte pour la prestation. Les images des gâteaux qu'elle avait vu passer lui mettaient l'eau à la bouche et chacune de leur création devenait de suite un best-seller. Plusieurs fois, l'aide-soignante avait tenté de réserver un créneau où elle aurait pu déguster ces mets, mais le hasard du calendrier jouait toujours en sa défaveur.
— Je ne demandais pas tant de luxe, s'agita-t-elle, réalisant la proposition. Juste une tarte aux citrons suffira.
L'Ackerman Junior soupira avant de secouer la tête doucement de gauche à droite.
— J'aurais également des choses à vous dire. L'endroit me semble parfaitement approprié pour le moment.
Curieuse, la blonde regarda l'homme qui lui faisait face. Que pouvait-il bien vouloir lui annoncer pour lui offrir un salon de thé hors de prix ? Ne pouvait-il pas le lui dire ici tout simplement ? Suzanne soupira avant de se rappeler qui elle avait en face. Le fils de Kuchel se révélait décidément comme elle, aimant les mises en scène subtiles, au bavardage direct. Ce trait de personnalité partagé leur permettait un certain ascendant sur leur entourage qui ne savait réellement pas à quoi s'attendre.
— Très bien, je vous enverrai mon agenda et nous ferons en fonction du votre, capitula-t-elle sachant que dans tous les cas, elle ne pouvait dire non.
La moue boudeuse que la jeune femme tirait de s'être fait avoir amusa Livai. Sans même s'en apercevoir, elle gonfla ses joues comme une enfant les faisant rougir par la pression. Ses sourcils en bataille, plus foncés que la couleur de ses cheveux, s'étaient quant à eux froncés. Ces mouvements s'étaient également accéléré signe de contrariété. Une fois certaine de n'avoir rien oublié, la jeune femme se releva. Son expression avait de nouveau changé pour laisser place au visage toujours souriant qu'elle abordait.
— Merci pour aujourd'hui. Je continuerai à travailler le morceau dans la semaine, votre mère souhaiterait voir si j'arrive à le chanter tout en étant en mouvement.
Comme à son habitude, le pianiste hocha la tête pour approuver, avant de se décaler pour laisser le passage à la soprano.
Tandis que cette dernière se dirigeait vers la porte d'un pas décidé pour entamer sa « seconde journée », la voix de Livai résonna dans la salle :
— En plus de votre planning, envoyez-moi votre adresse. Je viendrai vous chercher si cela vous convient.
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