Interlude

Sirius porta sa main à l'endroit où son père l'avait frappé quelques heures auparavant. Son reflet était affreux. Des cernes entouraient ses yeux gris, plusieurs bleus se dessinaient sous sa peau pâle. Il ne parlait pas de son dos. Plus il grandissait, et plus les coups étaient violents. Alors plus il répondait. Il savait que ce n'était pas dans son intérêt mais le plaisir de les voir blessés par ses remarques était plus grande que la douleur.

Pourtant, aujourd'hui, il n'y arrivait plus. Ces murs qui l'enfermaient commençaient à le rendre paranoïaque. Quoi de pire pour un prisonnier quand il sait que la porte de sortie est juste en face de lui.

Il boucla sa valise et la redressa sur son lit. À ce moment là, la porte de sa chambre s'ouvrit. C'était à prévoir. Sirius savait que c'était quelque chose d'inévitable. Pourtant, il ne pouvait s'empêcher de vouloir le repousser.

-Qu'est-ce que tu fais ?

Régulus se tenait sur le pas de la porte, la mine sombre dirigée vers son bagage. Comme son frère ne répondait pas, il continua.

-Je ne savais pas que tu partais en vacances quelque part.

Le ton de sa voix signifiait clairement qu'il ne croyait pas ce qu'il disait.

-Je ne pars pas en vacances. Je pars. Tout court.

-Non.

Il l'avait lâché si naturellement que cela surprit les deux. Voilà. C'était lancé. Sirius avait jeté l'annonce en l'air et attendait à présent de voir si elle se fracassait lamentablement au sol ou si son frère arriverait à amortir sa chute et le laisser passer.

-Régulus, je ne peux pas continuer de vivre ici. Je n'y arrive plus. Je suis juste... fatigué. Fatigué de devoir endurer les coups à chaque fois, fatigué de...

-Arrête de faire ton dramatique. Si tu ne les provoquais pas, tu n'aurais pas eu à endurer quoi que ce soit.

Sa voix était glaciale et sèche. Pourtant, son regard reflétait clairement la crainte de le voir partir.

-Ouais. Mais si me laisse faire, je deviendrai leur pantin, et je n'en ai aucune envie.

-Parce que tu me vois comme un pantin ?

Un silence. Sirius détourna la tête. Il n'avait pas envie de lui dire que oui, il le voyait comme un pantin. C'était ce qu'il était et ce qu'il serait toute sa vie. Un vulgaire pantin à qui on avait ordonné de prendre soin d'un héritage à la con en se sacrifiant pour une cause cruelle et perdue.

-Tu sais quoi ? Laisse tomber. Défais tes bagages et arrête tes conneries.

-Tu ne me retiendras pas.

-Je l'ai fait des années. Aujourd'hui ne sera pas l'exception.

Ces mots percutèrent Sirius en pleine face. Il savait. Son frère savait que la raison qui le retenait ici était lui. Évidemment. Régulus était intelligent et il l'avait sous-estimé. Ce-dernier se retourna pour repartir de la chambre quand il répliqua :

-Je ne souffrirai pas plus pour toi.

Le jeune Serpentard fit volte-face, ses yeux lançant des éclairs.

-Pour moi ? cracha-t-il comme si ces mots l'avaient personnellement insulté. Tu te caches derrière moi depuis le début, j'en ai plus qu'assez de te servir de bouclier humain. Ce n'est pas moi qui insulte Mère tous les jours, pas moi qui plombe l'ambiance des repas de famille, alors arrête de me prendre comme excuse parce que je commence à avoir du mal à le supporter. Ce n'est pas de ma faute si tu es né rebelle.

-Et pas de la mienne si tu es né victime.

Il regretta les mots qu'il venait de dire à l'instant où il vit Régulus chanceler. La rage obscurcit ses pupilles vertes et ses poings se serrèrent. Dans son costume noir, il était intimidant mais Sirius l'était plus encore, avec costume ou sans.

-Tu te prends pour qui, dis-moi ? Mon sauveur ?

Un petit rire le secoua.

-Non, Sirius. Tu n'as rien d'un saveur. Rien du tout. Tu te caches derrière moi depuis que je suis né. Je n'aurais pas existé que tu aurais subit exactement la même chose, pour la simple et bonne raison que tes actes ne visent à protéger que ton propre égo.

-Je t'ai protégé toi ! riposta-t-il avec rage. Tu n'as pas eu à souffrir les coups grâce à moi !

-Non ! hurla son frère en le pointant du doigt. Non, parce que Mère ne m'aurait jamais touché, jamais ! Quand tu es parti pour Poudlard, tu n'étais pas là, et elle ne m'a rien fait ! Alors putain, arrête de te prendre pour le héros que tu n'es pas !

-C'est comme ça que tu me remercies alors ? Au final je me demande pourquoi je suis resté toutes ces années ici.

Quelque chose se brisa dans les pupilles de Régulus. Même la colère ne réussit à surpasser la douleur.

-Je pensais que tu étais resté parce que tu m'aimais. Mais je me rends compte que c'est uniquement pour te consoler dans tes actes inutiles de me protéger. Je ne suis rien pour toi. Rien du tout.

-Si, mais je...

Les mots s'étranglèrent dans sa gorge. Il se rendait à présent compte que toutes les paroles de Régulus étaient véridiques. Il avait toujours su que sa mère ne toucherait pas à son petit frère. Toujours. Et pourtant, il avait continué à le protéger. Pourquoi ? Même lui ne saurait répondre.


-Si tu veux avoir une chance de te pardonner, alors reste.

-Je ne peux pas.

-Si tu peux ! hurla-t-il en tapant le mur avec son poing.

Sirius sursauta. S'il y avait une chose qu'ils avaient en commun, c'était leur tempérament à la limite du dangereux. De l'extérieur, Régulus paraissait plus en colère qu'autre chose. Pour une raison que Sirius ignorait, il se démenait pour qu'il reste, et il tentait de le convaincre par ses mots emplis de haine. Il était comme en train de se contredire lui-même. Car on ne parlait pas d'amour avec cris de rage.

-Je dois partir avec que Père et Mère ne revienne.

-Tu n'iras nul part.

-Laisse-moi passer.

-Non.

-Régulus !

Il tenta de le pousser sur le côté mais son frère réagit au quart de tour. Il le poussa lui-même au centre de la pièce, une grimace lui tordant le visage.

-Je ne veux pas que ça se finisse comme ça, tenta l'aîné de le convaincre. Laisse moi passer, s'il te plaît.

-Pour ne plus jamais te voir ? Pour voir Mère brûler ton portrait sur l'arbre généalogique, entendre la famille me répéter que tu es un traître, que je devrais te considérer mort ? Dans tes rêves. Je ne souffrirai pas plus à cause de toi.

-À cause de moi ? Et pourquoi as-tu souffert à cause de moi ?

-Vraiment, Sirius, réfléchis. Qui a eu la plus belle vie jusqu'à maintenant ? Toi et tes « amis merveilleux » comme tu le répètes tout le temps ou moi avec ma solitude permanente et ton ombre sur mes épaules ? Que penses-tu que ressent un gamin de onze ans quand il voit son frère nager dans un bonheur dans lequel il n'a pas sa place ? Que penses-tu qu'il fait, après ça ? Que penses-tu que j'ai fait ? J'ai envoyé le monde entier aller se faire voir. Je me suis vu comme l'inutile, l'indésiré. Tu te rappelles le jour où je suis parti ? J'avais tenté de t'oublier. Un court instant j'ai réussi. Mais à chaque fois que je me regardais dans le miroir, je voyais la ressemblance que nous avions et tu revenais toujours dans mes pensées.

Une larme coula sur sa joue.

-Je me suis rendu compte que sans toi je souffrais. J'ai souffert à l'instant où tu es parti à Poudlard. Avant, tout avait été parfait.

-Nous étions des gamins.

-J'aimerais que nous le restions toute notre vie.

Une deuxième larme coula. Pourtant, son visage restait aussi froid qu'un mur de glace. Voilà ce qu'il était devenu. Une muraille indestructible, cachant ses fissures du mieux qu'il pouvait. Le petit garçon qui pleurait parce qu'il s'était tordu un doigt était mort depuis longtemps. Celui qui riait à ses blagues avait été enterré six pieds sous terre depuis longtemps aussi. Alors comment voulait-il qu'ils redeviennent ce qu'ils avaient été avant si même lui n'était plus le même ?

-Je dois partir. Je suis désolé.

Alors la muraille explosa. Il secoua la tête en répétant le mot « non » inlassablement, tandis qu'un sanglot lui déchirait la poitrine. Ses yeux s'emplirent de larmes, sa bouche se tordit. Finalement, peut-être que le fantôme du petit garçon qu'il avait été subsistait encore quelque part en lui. Il s'approcha de son frère pour tenter de le repousser un peu plus au fond de la chambre, mais Sirius passa un bras derrière ses épaules et l'attira si fort contre lui que Régulus ne put résister. Les mains du jeune homme s'accrochèrent à son tee shirt comme si le lâcher était synonyme de mort. Dans cette démonstration d'amour se trouvait toute la douleur de leur fraternité. Un lien si fort aurait pu rester intacte avec les années, malgré les obstacles, mais ce n'étaient pas la guerre qui les avait séparé, ni leur famille. C'était ce qu'ils étaient, ce qu'ils avaient fait l'un envers l'autre. Ce qu'ils n'avaient jamais compris des actes de chacun, tout ce qu'ils avaient cru et qui avait été faux. Régulus ferma les yeux, puis respira l'odeur de son frère.

-Tu sais que je ne t'abandonnerais jamais, hein ?


-Et si tu étais réellement mort ? La Mort ne chercherait pas à savoir ce que tu veux ou non.


Sirius fronça les sourcils devant de tels paroles.


-Je négocierai avec la Mort pour qu'elle vienne me chercher après toi. Comme ça, je serai toujours avec toi, et tu m'auras à tes côtés jusqu'à la fin.


-Même quand je serai tout vieux et tout flétri comme grand-père Pollux ?


-Ouais. Même là.


-Tu me le promets ?

-Promis, chuchota Régulus entre les larmes incessantes.

Ces paroles auraient dû être dites par Sirius. Mais quand il ouvrit les yeux, Sirius était déjà parti. Il était seul au milieu de la chambre, planté là comme si tout ce qui venait de se passer n'était qu'un rêve.

Pourtant, le claquement de la porte lui signifia clairement que ce n'en était pas un.

À quoi servaient les promesses si personne ne les tenait ?



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