J'allume ma première cigarette depuis que je suis rentrée, j'aurais passé trop de temps devant les fourneaux pour éviter de faire à manger avant un petit moment. Je soupire et monte dans ma chambre, la cigarette à la bouche, le téléphone dans l'autre. Je finis par m'approcher du balcon et me pose contre la rambarde, qu'est-ce que ça fait du bien parfois de se poser.

- Qui vient ce soir ? demande la voix que je reconnais à coup sûr comme étant celle d'Adrien.

Je vois d'ailleurs ce dernier me rejoindre sur mon balcon et il se pose à côté de moi. Je tourne la tête pendant quelques instants pour l'observer un peu mieux, c'est vrai que je n'ai même pas pris le temps de le regarder. Il est beau, je dois l'avouer. Il a une mâchoire assez carrée, des cheveux noirs en désordre, et le corps plutôt bien taillé, pour quelqu'un de son âge en tout cas. Je le vois tourner les yeux vers moi, comme pour me permettre de mieux les observer, et ils sont émeraudes, d'un vert profond, je pourrais peut-être même m'y perdre. Il est même canon.

Je l'entends se racler la gorge en me voyant le regarder, ce qui me fait détourner les yeux pour me reconcentrer sur le jardin et la vue sur ce dernier.

- T'avais un truc sur le visage, dis-je en sentant les joues me chauffer légèrement, ce qui m'énerve un peu. Et pour répondre à ta question, ce sont des amies de ma mère, qui viennent souvent à la maison.

- Tu es énervée... finit-il par dire au bout de quelques secondes de silence.

Je reste silencieuse sur le moment, tournant les yeux vers lui pour essayer de comprendre ce qu'il veut me dire. Je me pince les lèvres avant de me reconcentrer sur l'horizon, c'est bon, je vois ce qu'il me demande. C'est sa façon à lui de me demander pourquoi leur arrivée m'énerve.

- Tu vas vite comprendre quand tu les verras.

Je soupire recrachant la fumée de ma cigarette déjà terminée et l'écrase sur le cendrier de mon balcon avant d'en prendre une autre. Je la lui donne avant d'en coincer une autre entre mes lèvres pour l'allumer, alors qu'il fait de même. Tandis qu'il comptait me l'arracher de la bouche, j'attrape son poignet pour l'en empêcher. Je tourne les yeux vers lui avant de sentir un décharge électrique traverser mon corps quand son regard croise le mien et sous la surprise, je lâche doucement son bras.

Il ne dit rien avant de tendre à nouveau sa main vers mon visage, et je le laisse faire, trop occupée à garder mes yeux plongés dans les siens, comme subjuguée par le vert que ses yeux portent. C'est si beau, je n'arrive pas à décrocher de son regard, et j'avoue que ça me perturbe beaucoup. Je le sens doucement mettre une de mes mèches de cheveux derrière mon oreille, et ça me provoque une autre décharge. Je reste immobile pendant quelques instants, comme sous le choc, incapable de bouger. Je le sens qu'il s'approche, sans me quitter des yeux, et je sens ses lèvres frôler les miennes.  Alors qu'il s'apprêtait à m'embrasser, je lui mets une gifle, et me recule, comme si c'était un réflexe. Je le vois froncer les sourcils, commençant à s'énerver mais je le devance en me remettant à fixer l'horizon, fumant à nouveau sur la cigarette que j'avais délaissé.

- Va-t-en, lâchais-je en fermant les yeux.

Je le sens qui reste à mes côtés pendant quelques secondes avant de s'en aller. Je garde les yeux fermés avant de les rouvrir, de vieux souvenirs me reviennent, mais je ne me laisse pas le temps d'y penser, et je ravale ces bouts de ma mémoire en soupirant un peu. J'attrape mon paquet de cigarette avant de descendre dans la cuisine.

Je commence donc à mettre la table pour nos invités, avant qu'une main ne vienne m'aider. Je fronce les sourcils et lève les yeux vers l'individu en train de poser les assiettes, il s'agit là de Raphaël, qui me sourit légèrement.

- Tu es bien silencieuse dis donc, rit-il

Je ne réponds rien, encore perturbée de ce qui a faillit se passer entre son fils et moi. Je me mords la lèvre et soupire en sortant tout ce que j'ai cuisiné pour ce soir sur le plan de travail, sous les yeux ébahis de Raphaël.

- Merci d'avoir cuisiné pour ce soir, c'est très gentil de ta part

- C'est pas comme si j'avais eu le choix, soupirais-je en levant les yeux au ciel.

- J'ai voulu t'aider, mais ta mère m'en a empêcher, avoue-t-il d'un air coupable.

Je ne dis rien et apporte l'entrée sur la table avant de venir me poser contre le comptoir, fatiguée. Je prends une cigarette et l'allume sous le regard à nouveau surpris de mon invité.

- Je peux t'en prendre une s'il te plaît ? demande-t-il finalement

Je fronce les sourcils en l'entendant avant de lui tendre le paquet. Je le vois en prendre une avant de l'allumer à son tour grâce à mon briquet. Je le vois tirer sur sa cigarette comme si c'était le saint Graal, ce qui me fait lâcher un petit rire.

- Ne dis rien à mon fils s'il te plaît

J'hoche la tête comme simple réponse, et bien, on peut dire qu'ils ont au moins ça en commun.

- Tu es trop silencieuse, est-ce que tu es sûre que ça va ? finit-il par demander

Je ne dis rien pendant plusieurs minutes, trop occupée à tirer sur ma cigarette avant de hausser simplement les épaules, ne sachant pas vraiment quoi répondre. Je n'ai pas envie de voir Kelly et Natasha, je n'en ai jamais eu envie d'ailleurs, et je n'arrive toujours pas à comprendre ce qu'il vient de se passer avec Adrien, bien que je n'ai même pas pris le temps de réfléchir aux actes passés, je ne sais même pas si j'en ai envie.

- Tu as fini ? Nos invitées ne vont pas tarder à arriver, annonce ma mère en rentrant dans la pièce.

Rapidement, elle s'approche de moi pour prendre une cigarette et l'allume rapidement avant de regarder ce qu'il y a sur le comptoir, prenant un air déçu.

- Tu ne t'es pas foulée dis donc, t'aurais pu faire autre chose que des trucs basiques, soupire-t-elle alors que je lève les yeux au ciel

- Eh, j'ai fait à manger, tu pourrais au moins me remercier au lieu de me pourrir. Si ça ne te plaît pas, t'avais qu'à le faire toi-même, râlais-je.

Cela fait très longtemps que je n'ai pas râler ainsi sur ma mère, mais il faut dire que parfois, c'est vraiment violent, et que je ne peux m'empêcher de répliquer, c'est comme hors de ma portée. Je la vois lever les yeux au ciel à mon commentaire avant de tirer une taffe sur sa cigarette d'un air supérieur.

- Arrête de râler, on sait toutes les deux que tu adore cuisiner, alors je ne vais pas t'empêcher de faire ce que tu aimes. Et puis je suis ta mère, alors tu me parles autrement, dit-elle avec un ton amusé et hautain à la fois, ce qui me fait soupirer un peu

- Ouais ça va, j'suis ta fille et je ferme ma gueule, j'ai compris, concluais-je avant de cracher ma fumée en la regardant.

Je la vois hésiter à me répondre, mais elle ne fait rien, et je sais pourquoi, nous ne sommes pas seuls, si nous l'avions été, cette discussion aurait pris une tout autre tournure, à commencer par le fait que je n'aurais sûrement pas dit ça à voix haute. Je finis par soupirer à nouveau ma fumée avant d'écraser ma cigarette dans le cendrier, la tension est plus que palpable. Elle ne veut pas me réprimander devant nos invités, et elle ne veut pas non plus me laisser gagner cette manche, ça jamais. Je vais le payer pendant le dîner, je le sens.

La sonnerie finit par retentir à mon plus grand désarroi et je me déplace lentement, accompagnée de ma mère, pour ouvrir la porte de nos invités. Je vois d'ailleurs Adrien descendre des escaliers, il est habillé simplement, mais je dois avouer que ça lui va vraiment bien, j'arrive à deviner le contour de ses muscles à travers son tee-shirt. Je finis par tourner la poignet de la porte, détournant les yeux de mon colocataire temporaire et ouvre la porte, arborant l'un des sourires les plus hypocrites que j'ai fait de ma vie aux deux personnes qui me détestent le plus. 

Natasha et Kelly sont devant nous, un grand sourire aux lèvres et une bouteille de champagne en main, pas besoin de regarder l'étiquette pour deviner qu'il s'agit d'une bonne bouteille et de loin.

- Bonjour Emma ! disent en coeur nos invités avant de se tourner vers moi, perdant un peu de leur sourire. Oh, et bonjour Lucy.

- Bonjour les filles ! commence donc ma mère

Comme d'habitude, je me décale pour les laisser entrer tandis qu'elles parlent et se racontent les quelques potins sans même me calculer. Et comme toujours, ma mère ne remarque rien. Je ferme la porte derrière elles alors qu'elles sont déjà rendues dans la cuisine et prends une grande inspiration pour me donner du courage. Je reste quelques instants, plantée là, avant de finir par les rejoindre, et c'est sans grande surprise que je les retrouve à table, en train de se servir, il ne manque que moi. Elles sont de plus en plus rapides, c'est un exploit. Je viens donc m'asseoir et me sert moi-même, car je sais pertinemment que personne d'autre ne le fera et soupire en croisant légèrement les bras. Je ne sais pas de quoi elle parlent, mais je vois Natasha finir par se lever en prenant la bouteille avant de regarder ma mère.

- A ta promotion Emma, et au fait que tu vas pouvoir faire ton propre emploi du temps ! déclare-t-elle avant d'ouvrir la bouteille.

Je fronce les sourcils en l'entendant et balaye du regard la table, personne ne semble surpris, Adrien n'écoute pas, alors je ne le compte pas, mais Raphaël et Kelly hochent la tête en applaudissant, tout le monde était au courant.

- Tu a été promue maman ? Je n'étais pas au courant, finissais-je par dire

- C'est normal, tu n'écoutes jamais rien, alors elle a arrêté de t'annoncer des choses, crache Kelly sans même me regarder, gardant ce sourire au visage.

J'arque un sourcil mais ne réplique rien, je sais que ça ne servirais à rien, et je n'ai pas envie de me fatiguer plus qu'autre chose. Que ma mère ne m'ait pas dit qu'elle avait une promotion me fout déjà un coup, que tout le monde soit au courant n'aide pas, savoir qu'elle a arrêté de me dire ce genre de chose me désole, mais savoir qu'elle va avoir un emploi du temps personnalisé me fais peur. Dieu seul sait à quel point la savoir seule est dangereux.

Natasha finit par servir tout le monde, excepté moi, bien évidemment, et elle pose la bouteille sur la table avant que Raphaël ne la coupe :

- Et Lucy ? Elle n'a pas le droit ? 

Elle le regarde longuement avant de prendre la bouteille et de faire la grimace, elle est vide, je m'en doutais. Je secoue la tête avec un autre sourire hypocrite et prends la bouteille.

- Je vais vous apporter une bouteille de vin, dis-je

- Ne boit pas tout en chemin, on sait tous que tu le fais, rétorque Natasha

Je me pince les lèvres pour me retenir de lui répondre et me dirige vers la cuisine en soupirant. Une fois arrivée, je pose la bouteille vide et m'allume une cigarette, j'avais déjà oublié à quel point ça pouvait être physique de les recevoir. Je fume assez rapidement ma cigarette et revient à table après l'avoir écrasé. C'est sans grande surprise que je vois qu'ils ont terminés, et d'un regard stricte, ma mère me désigne l'entrée et la cuisine des yeux, signe que je dois aller chercher la suite, je n'ai encore rien avalé.

Je soupire un peu et prends l'entrée et mon assiette avant de retourner à la cuisine. Je me prends une nouvelle assiette avant de venir l'apporter ainsi que mon plat et la bouteille de vin que j'aurais dû ramener. Je sers tous le monde, en commençant par nos deux pestes d'invités, puis termine par ma personne avant de servir le vin. Je ne m'en sers évidemment pas, je n'ai pas envie de recevoir une autre critique.

Alors que j'allais mettre ma première bouchée dans ma bouche, ma mère m'interrompt en soupirant légèrement d'un air agacé, comme si j'aurais dû deviner ce que je devais faire.

- Va me chercher mon ordinateur, il est dans ma chambre.

Je la regarde longuement, attendant de savoir si elle est sérieuse avant de finalement soupirer pour pouvoir reposer ma fourchette dans mon assiette. Laissez-moi tranquille bordel.