III
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S'il y avait bien une chose que Yoongi haïssait le plus au monde, c'était les sentiments. Et il se détestait rien que pour le fait de détester quelque chose. Haïr, c'est éprouver de la haine pour quelqu'un ou quelque chose. Éprouver de la haine voulait dire ressentir de la haine, une profonde colère, un dégoût. Yoongi haïssait le fait qu'il était capable de ressentir ce dégoût, il se détestait car lorsqu'il regardait autour de lui, la colère courait dans son sang. Oh oui, ce qu'il aimerait être comme tous les autres, ne rien ressentir jusqu'à s'oublier. Son cœur lui faisait mal, il pleurait des larmes de sang qu'il lui était impossible de sécher. Jour après jour, il agissait comme si son âme était faite de pierre, espérant convaincre le monde qu'il n'avait rien de différent, espérant se convaincre qu'il n'était pas différent des autres. Et à force de se répéter ce mensonge, il avait finit par y croire. Le visage fermé et le regard vide, il était présent sans pour autant l'être. Il avait fait taire ses sentiments, mais il ne les avait pas définitivement supprimer.
Alors la nuit, lorsque tout le monde dormait et que le sommeil dépassait son nom sans faire attention à lui, il se dépêchait de rejoindre son sous-sol. Dedans, il y avait caché ce qui lui était de plus cher, ce qui l'avait accompagné depuis son enfance, depuis que ses parents l'avaient abandonné, depuis que son cœur avait commencé à lui faire mal. Dans l'obscurité de la pièce se dressait un majestueux piano, un instrument de musique que l'on utilisait autrefois pour divertir la population, avait-il lu quelque part. Cet instrument avait toujours été dans cette pièce, caché du regard de tous. Et la première fois qu'il avait posé son doigt sur les vieilles touches, la mélodie qui s'était envolé dans l'air l'avait fait tombé amoureux. Il était tombé amoureux de ce doux son qui caressait ses tympans. La nuit, seul, il laissait ses sentiments déborder de son cœur, coulant dans ses veines, s'échappant par la pulpe de ses doigts. Mille et unes couleurs s'évadaient de lui pour venir se loger dans les touches du piano, exprimant pour lui ce qu'il refusait d'exprimer, ce qu'il refusait de croire. Parce que le dire à haute voix voulait dire que c'était vrai, et il ne voulait pas que ce le soit. Il ne voulait pas ressentir. Alors il laissait sa mélodie parler à sa place dans l'espoir d'oublier un instant ce monde dans lequel il était né.
Ce jour-là, il avait vu pour la énième fois, allongé sur le trottoir fait de pavés irréguliers, un enfant à la peau pâle, au visage cadavérique. Les os soulignés par sa fine couche de peau, il gisait là, regardant le ciel de ses yeux vides, ses lèvres sèches entre-ouvertes. Personne ne faisait attention à son corps, alors il n'y fit pas non plus attention. Néanmoins, son image planait devant ses yeux, si bien qu'il eu envie de se les arracher dans l'espoir de faire disparaître ce souvenir, dans la peur de faire couler ses larmes devant le public qui l'ignorait mais qui, au moindre geste de déviance, pointerait son regard sur lui.
Alors le soir-même, sortant de l'usine dans laquelle il passait ses journées à travailler, il se dépêchait de rentrer chez lui, essayant de ne pas se faire remarquer par le public, se battant avec lui-même pour ne pas s'enfuir en courant. Ce soir-là, à peine fut-il arrivé chez lui, il s'empressa de rejoindre le sous-sol, sentant son cœur s'alléger à la vision de son ami le plus fidèle. Et, faisant doucement courir ses doigts sur les touches blanches et noires, il laissa la pensée du corps sans vie s'échapper dans sa mélodie, espérant lui offrir un semblant de liberté, de mort paisible. Sa peur, sa tristesse, sa colère silencieuse, ses larmes se transformèrent en notes de musique qu'il laissa partir sans regret. Les yeux fermés et les lèvres droites, Yoongi était un bon acteur. Le seul moyen de comprendre qui il était vraiment était en écoutant sa musique. Froid et impassible, seul sa musique lui permettait d'extérioriser ces sentiments qu'il voulait faire taire à tout jamais.
Au fond, il se posait beaucoup de questions, mais celle qui revenait le plus, tournait en boucle dans sa tête, c'était celle-ci : pourquoi continuer ? Pourquoi continuer à prétendre d'être quelqu'un qu'il n'est pas, lui qui voulait en finir au plus vite, il n'avait qu'à se laisser attraper par le gouvernement, et alors les yeux jugeurs du public le tuerait en un rien de temps, lui et ses émotions n'existeraient plus. Peut-être qu'il espérait pouvoir un jour arrêter de ressentir. Mais malheureusement, essayer d'oublier quelque chose d'aussi fort, d'aussi intense, c'est comme essayer de se souvenir de quelque chose que l'on a jamais connu. Il avait beau le savoir, il avait beau se le dire chaque matin, il voulait croire que c'était possible, il voulait croire qu'un jour il trouverai sa place dans ce monde.
Sentant sa gorge se nouer, il resserra ses doigts sur les touches du piano et se pencha légèrement, laissant sa tête retomber en avant. Les lèvres serrées et les sourcils froncés, il se leva soudainement, écrasant la paume de ses mains avec force sur le piano. Le tabouret sur lequel il était assit se renversa sur le sol. Il se servait de sa musique pour exprimer ce qu'il ne voulait pas ressentir, mais ce soir-là, sa mélodie ne parvint pas à atténuer sa douleur. Alors, brisant le silence bruyant qui l'entourait, il hurla, de toutes ses forces. Un cri de rage, de désespoir, provenant de son cœur où régnait ce sentiment d'incompréhension, de peur. Il avait peur. Peur d'être lui-même. Peur d'être différent. Peur d'être encore plus seul qu'il ne l'était. Jusque là, la vie qu'il avait mené ne vivait pas le coup d'être vécu. Se cacher des autres, n'avoir personne à qui parler, personne à qui faire confiance, personne à aimer, pas même soit-même. Il ne voulait pas continuer comme cela, il ne pouvait pas. Il n'en était tout juste incapable.
La respiration rapide, il se redressa et jeta sa tête en arrière, les yeux fermés. Il donnerait tout pour trouver une raison de vivre, quelque chose à quoi se raccrocher, quelqu'un sur qui veiller. Mais tout ce qu'il avait, c'était lui, son vieux piano désaccordé, ses sentiments et son cœur brisé.
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