Nous sommes un souvenir
Je me souviens encore de la fois où nous nous sommes rencontrés. Sous le porche de cette vieille maison abandonnée en haut de la colline, un jour de mai, et nous étions cachés derrière les jupes en lin de nos mères.
Nous habitions dans les contrées d'un petit village perdu au milieu de rien, et là-bas, l'hiver n'était qu'un mythe que les dames âgées nous contaient. La pluie se faisait rare, et les forêt où les arbres et les fougères n'étaient que des combustions d'émeraude et de sinople, où les feuilles humides s'emmêlaient avec des branchages épars, ce n'étaient seulement qu'une de ces dizaines de choses que nous racontions avec fascination, comme une réalité lointaine et inaccessible que nous effleurions du bout des doigts.
Je me souviens encore de la première fois où tu as posé tes yeux sur moi, de cette sensation qui m'avait brûlée l'estomac, le temps d'une Eclipse, de ce fourmillement le long de mes doigts que j'avais tenté d'échapper en serrant encore plus la jupe de ma mère entre mon poing de petit garçon.
Tu avais un regard si étrange et si beau à la fois. Les yeux rouges, un mélange incandescent de toutes les nuances de feu, de la lumière liquide en fusion. Tu avais des yeux brûlants, Kacchan, qui ravageaient le monde sur leur passage, et c'était la seule véritable couleur au milieu de ce désert qu'était notre village. Et moi, du haut de mes quatre ans, j'avais d'ores et déjà décidé qu'elle serait ma favorite.
Nous nous étions rencontrés sous le porche, dans les décombres d'une vieille maison au sommet de la plus haute colline de notre univers. Nous y avons vécu.
Et le temps avait fait son travail, les minutes s'étaient égrenées aussi vite que la cendre des cigares de nos pères, des hommes du quartier, et nous avions grandi.
Tu étais devenu celui que tout le monde connaît, le garçon ambitieux, qui rêvait de conquérir le monde à coup de gueulantes et de baffes, et tu étais si entouré, si admiré de tous. Tu étais devenu ce Katsuki si beau et si fort.
Et moi, je n'avais pas changé. J'étais celui que personne ne voyait vraiment, ce garçon timide à la couleur de cheveux improbable, ce garçon qui tremblait pour un rien, et qui pleurait en grandes pompes pour les choses les plus futiles. J'étais de ceux qui rasaient les murs, qui se prenaient des coups d'épaules vers les casiers, de ceux dont le monde rit. J'étais resté cet Izuku là.
Rien de plus, rien de moins.
Mais peut-être qu'au final, nous n'étions pas vraiment comme cela toi et moi , et que nous ne dévoilions juste qu'une facette, des entités de nous-même qui s'effritaient dans le vent. Peut-être qu'au final, nous étions juste des autoportraits de nos vies, des impostures qui ne nous reflétaient pas réellement. Quand il y avait des pleurs dans tes yeux insolents et fiers, des bleus et des cicatrices sous mes vêtements.
Nous étions ces miroirs, ces histoires oubliées dans les coffres à jouets des enfants. Nous prenions la poussière, salis par nos propres mensonges. Nous étions ces tableaux qu'on admire de loin, mais dont personne ne cherche jamais à déceler ce qui s'y cache.
Nous étions si vrais et si faux à la fois.
Et puis, il y avait le porche qui tombait en ruine avec le temps. Pour toujours et à jamais, c'était notre endroit secret, là où nous pouvions être nous-même, sans regret, juste tous les deux. Et ensemble, nous étendions nos jambes frêles d'adolescents sur les lattes de bois ravagées par les termites, qui n'étaient plus que poussière, et nous observions la vie du village qui se jouait sous nos yeux brillants, cet horizon de sécheresse, ces milliers de soleils qui brûlaient nos rétines, ce ciel éclatant malgré tout. Dans ces moments là, où nous n'étions rien et tant à la fois, nous nous sentions les rois de ce petit bout de pays, de monde.
Dans ces moments-là, nous étions juste Kacchan et Deku, et nos propres ombres disparaissaient dans la chaleur.
Nous avions tellement vécu, et nous avions peur aussi. Cette peur irrationnelle du lendemain qu'ont tous les ados, ce refus de grandir, de se voir arracher ce qui compte vraiment à nos yeux. Mais à quinze ans, tout ce qui compte pour toi est juste ce garçon avec qui tu as allumé pour la première fois une cigarette sous le porche, ce n'est rien. Mais c'est tellement, aussi.
Et puis la vie, qui nous avait fait nous rencontrer, nous connaître, avait brusquement changé nos directions respectives. Quand tu es parti à l'étranger pour tes études, et que je n'ai jamais pu dépasser les frontières de la région. Quand tu avais été promis à un grand avenir et que ma destinée avait été de ranger des livres toute ma vie dans les rayons poussiéreux de la librairie où plus personne ne met un pied.
Nous étions si différents, nous n'étions plus les mêmes.
Et puis, sans crier gare, à la vue de tous, tu es revenu un matin. Tu lançais des sourires à la cantonade, tu riais si fort, c'était si vrai, si beau. Mais tu n'étais pas revenu seul.
A ton bras, il y avait une femme. De ces déesses qu'on ne croise qu'une fois dans sa vie, à la longue cascade d'ébène dans le dos, ce sourire si envoûtant, si charmeur aussi. Il y avait une alliance qui brillait à son doigt.
J'étais heureux pour toi, sincèrement. Et j'avais ignoré en silence les fissures qui se multipliaient dans mon cœur.
Nous n'étions plus Kacchan et Deku. Juste Katsuki et Izuku, ces rêves qu'on voulait de nous, ces déguisements que nous revêtions chaque jour.
Plus jamais nous n'avions réellement existé.
Et aujourd'hui, le vent a emporté les derniers vestiges du porche tout en haut de la colline, et ces particules de bois qui gardaient le secret de nos moments volés dans le temps, se sont dégradées dans l'air, si loin, emportant avec elles le souvenir de Kacchan et Deku.
Le souvenir que nous sommes devenus...
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