Chapitre 9

Alexeï


— Allô la terre, tu m'entends ?

Mon meilleur ami secoue sa main devant mes yeux avec une telle énergie, qu'il manque à plusieurs reprises de renverser le contenu de son verre sur son pantalon.

Je me mets alors à rire en le voyant faire, et termine ma propre boisson que j'ai entre les doigts, cul sec.

L'alcool descend dans ma gorge telle une douce coulée de lave, et me permet de savourer le goût prononcé de la vodka mélangée à celui de la pomme.

— Arrête Élie, tu vas te déboîter le bras.

J'élève la voix dans sa direction pour me faire entendre à travers la forte musique qui pulse dans les enceintes de la boîte, avant de demander au serveur de me resservir un verre.

Les lumières qui tournoient au-dessus de nos têtes se reflètent sur le bar lisse et poli, et me renvoient mon reflet épuisé après cette longue journée.

J'avais vraiment besoin d'un verre.

Ce n'est cependant peut-être pas le meilleur endroit pour espérer y trouver calme et silence au vu de toute la foule qui fourmille dans la boîte, mais c'est un lieu où on aime bien se rendre avec Élie pour décompresser.

— Bon, tu disais quoi ? je lui redemande en tournant mon regard dans sa direction, en m'apercevant qu'il ne compte pas relancer la conversation.

Mais je ne croise que son sourcil haussé et son faux air condescendant qui me fixe de haut en bas.

Avec ses cheveux sombres qui lui tombent de manière fluffy devant les yeux, son visage rond, et sa peau lisse typique des personnes asiatiques, on pourrait presque croire que c'est un ange.

Mais croyez-moi, je le côtoie depuis assez longtemps maintenant pour savoir que sous ses airs angéliques, se cache en réalité un petit démon qui, plus jeune, enchaînait bêtises sur bêtises.

On a bien grandi depuis la cour de récréation de notre école primaire. Mais même encore aujourd'hui, à vingt-quatre ans, il nous arrive de revenir à nos anciennes habitudes. Comme ce soir où on préfère fuir nos responsabilités, à savoir se coucher tôt, plutôt que d'être raisonnables.

— Va te faire voir, je répéterais pas, réplique-t-il en vidant lui aussi son verre d'une profonde couleur ambrée, d'une traite. Les vrais amis, ça écoute du premier coup.

Il me sourit en coin après m'avoir dit ça d'un ton railleur, avant de me montrer la sortie de la boîte d'un mouvement de la tête.

— Je vais fumer, tu viens ?

J'acquiesce en indiquant au barman qu'on ne sera pas longs, et que je boirais mon verre en revenant, avant de suivre la chevelure sombre d'Élie à travers la foule.

Avec son blouson en cuir, son t-shirt large délavé, et son jean noir qui lui serre les cuisses, il n'est de toute façon pas très difficile de le repérer dans tout cet attroupement de gens qui se sont bien apprêtés pour sortir en boîte.

Mais je ne peux pas vraiment en dire autant, puisque moi non plus, je n'ai pas fait de réels efforts. Je porte toujours le costume que j'avais en début d'après-midi, même s'il est désormais froissé.

Je n'ai pas eu le temps de me changer lorsque nous avions terminé la journée de tournage, puisqu'Élie m'a aussitôt proposé de venir me chercher pour qu'on sorte.

Malgré mon état de fatigue profond, j'avais fini par accepter, puisqu'avec le boulot et tous les déplacements que j'avais effectués ces derniers temps, j'avais bien besoin de me détendre un peu.

Nous étions restés tard au studio, car Athalia, Jenny, Mickael, et d'autres de leurs collègues, avaient dû refaire une prise près d'une vingtaine de fois suite à la demande de l'assistant-réalisateur. Le ton n'était pas assez bon, les gestes non plus, ce qui avait conduit à un départ du studio à trois heures du matin.

Dure journée oui, en effet.

— Donc, tu me disais quoi ? je persiste lorsque nous rejoignons l'air glacial de l'extérieur, en venant m'appuyer contre le mur de la boîte près d'Élie.

Je remonte mon écharpe sous mon nez, et enfouis le bas de mon visage contre le tissu cotonneux à la recherche d'un brin de chaleur au travers de cette température rude et intense.

Quelle motivation ai-je bien pu avoir pour revenir dans ce pays ?

Ah oui, l'argent. Avoir un travail, la vie active, tout ça.

Que des problèmes d'adultes.

— Je parlais de Maïa. Je ne comprends pas son obsession de vouloir trier le linge de la machine à laver ! s'exclame-t-il en sortant une cigarette de son paquet, après s'être calé contre le mur.

Il attrape également son briquet stocké précieusement dans la poche de son jean, et baisse un peu d'un ton quand il prend conscience de tous ceux qui nous entourent.

Étant donné que nous sommes sortis par l'avant de la boîte, nous ne sommes pas les seuls à vouloir prendre l'air pour échapper à l'ambiance étouffante et humide de l'intérieur.

— Comment ça trier ? Le blanc et les couleurs ? je lui demande en haussant un sourcil, tout en le dévisageant.

Ça ne se voit peut-être pas, mais je me retiens du mieux que je peux pour ne pas céder à l'envie de rire qui me démange quand je le vois hocher vivement la tête.

Est-on vraiment en train de discuter de ce genre de sujet ? Élie et moi ? Les deux mecs qui passaient le plus clair de leur temps, plus jeunes, à jouer aux jeux vidéo et à garder pendant plus de deux semaines les mêmes survêtements ?

— Oui ! me confirme-t-il en secouant la tête d'un air désespéré et en appuyant l'un de ses pieds contre le mur. Qu'est-ce que ça peut faire ? On ne joue pas aux dames, elle pourrait tout mélanger !

Sa comparaison fait craquer le demi air sérieux que j'essayais de garder jusque-là, et j'éclate de rire en lui donnant une tape sur l'épaule. Il lève les yeux au ciel face à mon geste, tandis que j'enfonce mes mains au fond des poches de mon manteau en me déplaçant pour lui faire face.

— T'as grandi mon Élie, j'énonce en souriant.

— Parce que je fais des machines à laver ?

— Oui, clairement. Je me rappelle qu'avant, tu ne changeais pas de caleçon jusqu'à ce qu'il sente le chat mouillé.

— La ferme Al'.

Il se met à rire en tirant sur sa cigarette, et secoue ensuite la tête en laissant la fumée sortir d'entre ses lèvres et se dissiper dans l'air. On pourrait presque la confondre avec le nuage qui sort de notre bouche à cause du froid.

— Et toi, alors ? Raconte. Ton métier te plaît toujours autant ? Tu as réussi à trouver un beau projet, je suis fier de toi. Ça doit te changer de ce que tu faisais avant.

Je hoche la tête pour confirmer ses dires, et lève légèrement la tête vers le ciel pour contempler le peu d'étoiles qui parviennent à se frayer un passage parmi l'amas imposant de nuages gris.

— C'est plutôt pas mal, oui. Mais travailler sur une aussi grosse série, c'est beaucoup de pression, je lui avoue dans un souffle en haussant les épaules. Je soupçonne aussi qu'elle ait un important passif pour certains acteurs, et pas un bon, je lui précise.

— Comme quoi ? me questionne-t-il en reportant le filtre de sa cigarette à ses lèvres.

Il tire dessus en fourrant lui aussi l'une de ses mains dans la poche de son blouson en cuir, et en le voyant comme ça, la démarche décontractée, nonchalante, le regard sombre, caché par quelques-unes de ses mèches corbeau, et la cigarette au coin des lèvres, je comprends pourquoi Maïa est sans cesse en train de l'admirer.

Avec son aura charismatique et mystérieuse, il aurait pu jouer à la perfection le rôle du chef de gang dans Némésis.

— Je ne sais pas encore. Mais je crois que ça a un rapport avec la précédente équipe de HMC.

Je ne préfère pas entrer dans les détails, même si j'ai une confiance aveugle en Élie. Il en va du passé et de l'intimité d'Athalia, et je n'ai pas envie de bafouer ça.

C'est une histoire qui la regarde elle, et elle seule, avec sûrement d'autres acteurs aussi, mais déjà que j'ai eu du mal à me rapprocher de la jeune femme, je ne voudrais pas tout foutre en l'air maintenant.

D'autant plus que je ne sais pas de quoi il s'agit exactement.

— HMC ? Arrête avec tes termes techniques d'érudit.

Élie plisse les yeux en attendant que je lui explique, et je me mets à rire en relevant mon visage vers le sien.

— C'est habillage, maquillage et coiffure, je lui indique sur un ton qui trahit mon amusement.

— Je le savais oui, c'était pour voir si tu suivais, réplique-t-il dans un petit sourire en coin.

Il se met à ricaner pendant que je lui enfonce mon coude dans le ventre. Mais je me recule bien vite lorsqu'il tente de m'ébouriffer les cheveux, déjà électriques à cause du tissu de l'écharpe. Je lui renvoie un regard noir, alors que lui se marre.

— Au lieu de faire ça, finis de fumer parce que je me pèle ! je râle pour le presser.

— Plus tu me diras de me dépêcher, plus je prendrais mon temps, déclare Élie en sortant son paquet de sa poche d'un geste provocateur. D'ailleurs, j'ai bien envie de m'en prendre une deuxième.

— Élie !

Je tente de lui mettre un coup de genou au niveau de la cuisse en maîtrisant évidemment ma force pour ne pas lui faire mal, mais il se dérobe à la dernière minute et essaie à son tour de me faire un croche-pied.

S'ensuit un pêle-mêle de bras et de jambes, accompagnés de nos rires rythmés par nos respirations, qui deviennent bien vite rapides à mesure qu'on se bouscule.

Je ne fais plus attention à ceux qui nous entourent, préférant me laisser porter par l'instant présent pour ne plus penser à toute la charge de travail qui m'attendra le lendemain, ainsi qu'à l'énigme qu'est Athalia.

J'ai beau tenter de toujours rester indifférent face à cette fille qui semble tout faire pour laisser un fossé entre nous, je suis bien décidé à tenter de résoudre tous les mystères qu'elle renferme.

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