Chapitre 6
Alexeï
Athalia : C'est ton scandale, c'est toi qui as commencé.
Je ne peux retenir le léger frémissement qui vient secouer l'embrasure de mes lèvres, lorsque mon téléphone vibre et m'apporte la réponse d'Athalia.
Pour autant, même si notre échange m'amuse, je suis très sérieux. Après tout, j'ai bien le droit de demander une compensation en échange de toutes les critiques que je m'attire sur Internet.
C'est très simple, il y en a tellement que les mots 'chien de garde' se sont retrouvés en tendance Twitter au même titre que les prénoms d'Athalia et de Jenny.
— Donc tu aurais voulu que les autres te voient faire une crise de panique ? Que ça soit photographié et diffusé sur la plupart des écrans du monde ? Remarque, ça t'aurait fait de la pub.
Je lui envoie ma réponse en éteignant la lumière de la petite cuisine qui se trouve dans la chambre, après m'être préparé un bon bol de nouilles fumantes.
Toute cette vague de haine m'a ouvert l'appétit. Rien de tel que l'absurdité des gens pour clôturer la soirée en beauté.
J'attends patiemment qu'Athalia daigne me répondre, tout en me dirigeant vers mon lit aux draps immaculés pour m'y installer et déguster mon repas.
Je fais tourner les nouilles qui flottent dans un délicieux bouillon de volaille, et me remémore la discussion que je viens d'avoir avec Jenny.
J'ai demandé à l'un de nos agents si je pouvais avoir leurs numéros de téléphone, histoire de pouvoir prendre de leurs nouvelles après les immondices que j'ai vu circuler sur le net.
La jeune femme m'a indiqué qu'elle était heureuse, au contraire, que je sois venu les aider à se débarrasser de cette fille lors de l'after, et que nous n'avions rien à nous reprocher.
Les gens essaient de nous faire culpabiliser par n'importe quel moyen, mais nous, nous savons ce qu'il s'est réellement passé.
— Et c'est tout ce qui compte, m'avait-elle dit. Ils n'ont qu'à continuer d'aboyer si ça leur chante, c'est tout ce qu'ils savent faire.
Amusé par sa répartie, je l'avais alors laissée se reposer. J'avais ensuite décidé de commencer à me préparer à manger, tout en envoyant mon message à Athalia pour savoir ce qu'il en était de son côté.
J'attends d'ailleurs toujours sa réponse, qui ne tarde pas à venir quand je porte la première portion de nouilles à mes lèvres.
Athalia : — Tu veux combien ?
Un large sourire étire cette fois mes lèvres quand je lis ces trois petits mots, et je délaisse bien vite ma nourriture pour m'empresser d'aller enfiler mes chaussures, et de sortir ensuite dans le couloir de l'hôtel.
Même si l'intérieur est chauffé, je suis tout de même content d'avoir enfilé après ma douche un large sweat sombre sur un jogging épais de la même couleur.
Vivement qu'on retourne à Moscou demain, que je puisse retrouver l'entièreté de ma penderie.
Mon téléphone toujours en main, je chasse bien vite cette pensée et arpente le sol recouvert d'un fin tapis de velours beige. Des petits lustres illuminent le couloir, tout en soulignant la beauté du lieu, ainsi que de nombreux tableaux épurés qui s'harmonisent avec les tons clairs de la tapisserie.
J'observe toute cette décoration choisie avec minutie, et cesse ma contemplation quand j'arrive devant le numéro de la porte d'Athalia.
Je suis persuadé qu'elle ne s'attend pas à me voir me déplacer pour si peu, mais quand il est question de venir chercher mon indemnisation durement acquise, je mets les petits plats dans les grands.
Je toque alors contre le battant, et enfonce les mains dans les poches de mon pantalon, le regard posé sur la porte au travers de mes mèches châtains qui me tombent devant les yeux.
— Je suis désolée, mais je n'ai rien comman- Oh non.
Je hausse un sourcil quand la porte s'ouvre sur une Athalia toujours élégamment habillée de son col roulé, et qui se met à tirer une tête de six pieds de long dès que ses iris percutent les miens.
— Je suis ravi de te voir moi aussi, Athalia, je réplique en la fixant d'un air nonchalant.
Elle a les traits tirés et le teint plus terne que tout à l'heure, si bien que je me dis que je suis peut-être en train de la déranger, alors qu'elle comptait peut-être aller se coucher.
— T'es vraiment bizarre comme type. Pourquoi tu viens me déranger ? m'accuse-t-elle en fronçant les sourcils, sans ouvrir davantage la porte.
Ses cheveux sont en pagaille, signe qu'elle s'est soit roulée sur son lit, soit qu'elle les a tirés d'agacement entre ses doigts. Je ne sais pas vers quelle réponse pencher, les deux sont plausibles quand on voit ce qui circule sur Twitter.
Quoi qu'il en soit, ils lui donnent un air délicat qui, en association avec ses grands yeux chocolat, adoucissent les contours de son visage. On dirait une enfant qui vient de se réveiller.
— Je viens chercher mon dû. Tu m'as demandé combien je voulais, mais je préfère venir le chercher en main propre, j'argumente en faisant un pas vers la porte.
Mais mon geste a l'air de la déstabiliser plus qu'autre chose, puisqu'elle ferme brusquement le battant pour le laisser à peine entrouvert, manquant de me le claquer au nez.
Quel manque d'éducation ! Est-ce que je suis si intimidant que ça ?
Je pencherais plus vers le fait que je sois intrusif, mais pour ma défense, je suis toujours dans le couloir.
Je n'ai pas franchi la frontière de la chambre d'Athalia, alors qu'elle me fusille du regard au travers de ses sourcils froncés. C'est pourquoi, je consens à refaire un pas en arrière pour remettre de la distance entre nous.
— Ne rentre pas dans ma chambre, marmonne-t-elle froidement.
— Je suis dans le couloir, là.
— Restes-y.
Je roule des yeux devant cette réponse et penche la tête sur mon épaule en ayant l'impression de faire face à un animal apeuré.
C'est déstabilisant de voir son visage changer aussi facilement d'expression. Je comprends désormais pourquoi toutes les agences tentent de se l'arracher.
Mais qu'est-ce qui la pousse à se comporter soudainement de la sorte ? De quoi Athalia a-t-elle si peur ?
— Tu sais, ça va être compliqué d'avoir une conversation complète sur ton paillasson. Tu en es consciente ? Que fais-tu de notre toute nouvelle intimité naissante ?
Je souffle ces derniers mots d'un air dramatique en posant une main à l'emplacement de mon cœur, sur ma poitrine, mais Athalia reste impassible et indifférente à mon humour.
— On n'est pas intimes, toi et moi, réplique-t-elle, les yeux plissés.
— Mais on peut le devenir.
Je joue des sourcils dans sa direction, mais comprends que c'est la goutte de trop quand elle ferme violemment la porte devant moi, et pour de bon cette fois-ci.
Je reste pantois pendant quelques secondes et réalise qu'elle ne compte pas me ré-ouvrir quand j'entends le verrou s'enclencher de l'autre côté du battant.
Ça a au moins le mérite d'être clair.
Je finis donc par tourner les talons en ne souhaitant pas insister davantage. Mon but n'est pas de la mettre mal à l'aise ou de forcer son intimité.
Mais tout en regagnant ma chambre, le regard perdu sur la moquette en velours qui foule mes pieds, je ne peux que repenser à ses yeux effacés, remplis de méfiance et de crainte.
Nous avons tous des angoisses et des peurs secrètes, mais celles d'Athalia semblent la hanter à chaque seconde qui s'écoule. Je n'ai pas besoin d'être un grand observateur pour le remarquer.
Comme si elles n'étaient pas que des émotions, mais des entités qui la poursuivent en permanence.
Et je serais prêt à parier tout ce que j'ai que ça a quelque chose à voir avec le fait que notre équipe ait été engagée précipitamment pour le tournage de la saison deux de Némésis.
Tout ça a forcément un lien.Et je compte bien découvrir lequel.
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