Chapitre 24
Athalia
— Non, pitié ! Je vous en supplie ! Je me tiendrais bien dorénav-
Trop tard. Mon doigt appuie sur la gâchette de mon arme et le corps de l'homme face à moi s'écroule au sol dans une effusion de faux sang qui me gicle au visage.
Je peux déjà entendre Alexeï râler quant au travail qu'il devrait de nouveau fournir pour me l'enlever et me remaquiller par-dessus.
Cette simple pensée fait d'ailleurs naître un doux sourire au coin de mes lèvres, qui s'estompe cependant bien vite, mais qui semble plaire à Sayn, assis plus loin en-dehors du champ de tournage sur sa chaise amovible.
— Coupé ! s'écrie-t-il en jetant un coup d'œil à l'immense écran de la caméra qu'il tient devant lui. C'est dans la boîte ! J'ai bien aimé ton sourire improvisé à la fin, Athalia. Ça rend super bien.
Je hoche légèrement la tête dans sa direction, plus réservée quand je pense à ce qui m'a réellement fait sourire. J'essuie ensuite vaguement mes joues maculées d'hémoglobine, et aide Nike, l'acteur qui se trouve face à moi, à se relever en lui demandant si ça va.
Sa chute paraissait tellement réaliste, que pendant quelques secondes, j'ai eu un doute concernant la véracité du faux pistolet. Les cascadeurs l'ont visiblement bien formé avant la prise d'aujourd'hui.
— Wow !
Je suis en train de tapoter l'épaule de Nike pour m'assurer qu'il ne soit vraiment pas blessé, lorsque Jenny pénètre dans mon champ de vision.
Elle sautille de bonne humeur, et vient glisser l'un de ses bras autour de mon cou quand elle s'arrête à ma hauteur.
— Cette scène était incroyable ! Bravo à vous deux !
Son enthousiasme si communicatif me contamine bien vite, et je la remercie à voix basse en entendant des applaudissements qui se mettent à résonner autour de nous.
Je tourne la tête vers l'origine du bruit, et souris en saluant poliment les touristes et les habitants de la ville dans laquelle nous tournons, qui sont prostrés derrière les barrières de sécurité.
Le plateau de tournage se déroulant en plein air, il nous avait été impossible d'évacuer toute la population pour seulement jouer quelques scènes.
Et comme très souvent quand cela arrive, nous mettons en place des barrières pour délimiter le périmètre, permettant ainsi aux curieux de s'approcher pendant que nous filmons.
— J'ai vraiment cru que tu étais mort, c'était super bien joué ! continue Jenny en couvrant Nike de louanges, qui se frotte nerveusement l'arrière de la nuque malgré la courbe qui étire ses lèvres.
— Merci beaucoup, mais je n'ai pas fait grand-chose, dit-il gêné, tandis que je secoue ma tête dans sa direction.
— Ne dis pas ça, c'était super ! Refaire les figures des cascadeurs, ce n'est pas évident, tu as beaucoup de mérite !
Je l'encourage en lui donnant une petite tape dans le dos, avant de m'approcher du reste du staff, resté à l'ombre sous les parasols que nous avions érigés à un certain endroit pour protéger les machines du soleil.
— Elle a raison. Tu sais, la seule fois où Athalia a voulu faire une figure d'elle-même, elle s'est fait une déchirure au poignet, à l'entraînement !
Je lance un regard faussement réprobateur à Jenny, qui n'a aucun scrupule à afficher publiquement ce genre d'anecdotes.
Mais au lieu de se démonter, elle soutient mon regard en jouant des sourcils, tandis que je lève les yeux au ciel, amusée, et me sers une bouteille d'eau dans l'une des glacières mises à notre disposition.
— Quelqu'un veut de l'eau ?
Je lève le regard du bac plein de glace, et observe le reste des professionnels qui travaillent avec nous sur le tournage, et qui sont tous complètement affalés dans leur chaise en plastique.
On dirait presque qu'ils sont en train de fondre. On sent que c'est la fin de journée pour tout le monde. La chaleur cuisante nous a tous épuisés.
Même Alexeï se repose plus loin à l'ombre, sa casquette rabattue sur ses yeux pour ne pas qu'on le dérange.
Je me plais à l'observer discrètement pendant une fraction de secondes, détaillant la manière dont sa tête penche vers l'arrière, contre le dossier de la chaise, et révèle ainsi à la vue de tous sa mâchoire anguleuse et sa pomme d'Adam proéminente.
Sa peau semble un peu plus foncée depuis que nous avons mis les pieds en Croatie, et je me demande pendant un court instant quel goût pourrait-elle bien avoir si j'appuyais mes lèvres contre.
Mais aussitôt, mes pensées déplacées me ramènent brusquement à la réalité, et je détourne bien vite le regard en ayant soudain très chaud.
D'accord, il fait plus de 30 degrés, mais cette fois-ci, ça n'a rien à voir avec le soleil.
Le fourmillement qui court sous ma peau à la simple pensée du corps d'Alexeï, pressé contre le mien le matin même, n'a rien à voir avec la température qui fait onduler le paysage autour de nous.
Seigneur.
J'ai toujours du mal à me familiariser avec cet étrange sentiment qui s'empare de moi dès que je suis près de lui. Ou dès que mon regard s'attarde un peu trop sur les courbes de sa silhouette.
Des images et des sensations me viennent mécaniquement sans que je ne puisse les contrôler.
Au début, j'en avais peur. J'en étais même terrifiée. Non pas à cause de nos professions respectives ; c'était surtout physique et psychique.
Car nombreuses sont les fois où Jenny m'a compté ses diverses aventures passionnelles, amoureuses ou non.
Je n'ai pas vraiment de connaissance en la matière. Du moins, je sais des choses, bien entendu, mais je n'ai jamais pratiqué. Que ça soit dans ma vie privée, ou dans les tournages.
Je n'ai jamais embrassé quiconque. Et entendre Jenny m'en parler pendant des heures était parfois un supplice, autant qu'un bon divertissement.
Mais j'avais appris des choses, des choses qu'on ne lisait pas dans les romans, qu'on ne voyait pas à la télé, ou qu'on n'entendait pas dans les chansons.
— Embrasser, m'avait-elle dit, ça peut te faire ressentir quelque chose de puissant, voire même d'incontrôlable, si tu tiens à la personne. Certains, incapables de surmonter ce sentiment, s'en sont même rendus malade. Ça n'arrive qu'au début, le temps de s'y faire. Mais ça peut arriver.
C'était surtout ça qui me remplissait d'épouvante. Pouvait-on vomir à la suite d'un baiser ? Pouvait-on vomir si on était trop amoureux ? À quel degré ces sensations étaient-elles si puissantes ?
Rien que d'y penser, mon cœur se retrouvait serré dans un étau créé par mon anxiété. Je me sentais idiote de ne pas en savoir davantage sur la question. Je devrais peut-être regarder sur Google.
Mais ce qui se passait quand j'étais avec Alexeï n'avait rien de terrifiant, au contraire. C'était très plaisant. Comme si j'avais des centaines de papillons qui prenaient tous leur envol en même temps dans le bas de mon ventre, et dans ma poitrine.
Au début, ça m'avait inquiétée. Ça, ainsi que la chaleur qui se répandait sous ma peau malgré les températures de la Russie. Je pensais avoir de la fièvre. Que j'étais tombée malade. C'était un peu les mêmes symptômes après tout, mais en bien mieux.
Et plus le temps était passé, plus j'avais peu à peu appris à comprendre les nouvelles réactions de mon corps et à me les approprier.
Ça n'avait pas été si compliqué que ce que je pensais, même si ce n'était pas encore tout à fait ça. Car si jamais ça devait aller plus loin entre Alexeï et moi, peut-être que je n'en mènerais plus aussi large, mais...
Attendez, plus loin entre lui et moi ?
Cette idée, aussi fugace soit-elle, fait tout à coup bourdonner mes oreilles. Mon cœur loupe un battement, et je m'empresse de vider d'une traite le reste de ma bouteille d'eau qui refroidissait jusque-là mes paumes brûlantes.
En temps normal, le liquide frais m'aurait fait mal aux dents, mais j'en tiens à peine compte vu l'urgence de la situation.
Si je ne peux rafraîchir mes pensées qui ne cessent de s'accroître, autant me rabattre sur mon corps. Voilà pourquoi je me retrouve à me saisir d'une seconde bouteille d'eau, pleine cette fois, que j'écrase sur mon front et mes avant-bras, après avoir relevé les manches longues qui les recouvraient.
Non, en effet, rien n'est fait pour m'aider à supporter toute cette chaleur. Mais porter des hauts sombres et des gilets pare-balle est nécessaire quand on joue un chef de gang puissant.
J'aurais préféré garder les vêtements avec lesquels j'étais partie plus tôt dans la matinée, mais j'avais dû me résoudre à les changer. Accroupie dans l'une des petites tentes qui abritait le matériel pour le son, je m'étais ainsi changée dès notre arrivée sur le site pour enfiler mon harnais et mon cargo noir de combat.
Certains stylistes m'ont lancé des regards intrigués quant à mon action, même s'ils en ont l'habitude. Leur professionnalisme oblige, je sais qu'ils auraient bien aimé venir arranger mes vêtements.
Mais c'est hors de question. Je peux me débrouiller seule.
Et puis, il y a bien assez à faire avec le reste des acteurs et actrices du casting. Même Jenny n'y a pas échappé, et est toujours recouverte de la tête aux pieds d'une tenue identique à la mienne.
Nous avons ainsi joué plusieurs scènes ensemble, car en tant que mon bras-droit dans la série, nous sommes sans cesse liées l'une à l'autre par la hiérarchisation du gang.
Mickael est là, lui aussi, à l'ombre des parasols, en train de s'entretenir avec sa femme à qui il a fait profiter du voyage.
Il me lance un petit sourire en s'apercevant que je le regarde, et je le lui rends aussitôt avant de sentir un poids se poser sur mon épaule.
— Tu es en train de tout boire, ou je rêve ?
Je ne sais pas si le violent frisson qui me parcourt de la pointe de mes orteils au sommet de mon crâne est dû à la surprise de la présence d'Alexeï dans mon dos, ou si c'est dû à son souffle qui frôle le bas de ma nuque.
Je mets un certain temps à lui répondre, prenant conscience de nos positions et me rappelant des pensées que j'ai eues quelques secondes auparavant.
Je sens le dessin de son torse contre mes reins et le carré de sa mâchoire s'emboîter à la perfection dans le creux de mon épaule.
— J'ai demandé qui voulait boire, je réponds d'une voix faible, avant de toussoter pour me l'éclaircir et reprendre contenance. Tu n'avais qu'à te manifester, au lieu de ronfler sur ta chaise.
Je tourne la tête pour lui lancer un regard amusé, mais regrette dès lors mon geste lorsque nos lèvres se retrouvent seulement séparées que par la fine barrière de nos respirations respectives.
Je sens mes joues s'empourprer et détourne les pupilles d'un mouvement vif pour les baisser sur la glacière à mes pieds.
Respire, Athalia.
Il faut que je me calme. C'est la première fois que je suis autant anxieuse avec Alexeï. Pourtant, il ne se passe rien d'extraordinaire. Mais le désordre de mon esprit ne m'aide pas à y voir clair aujourd'hui, en plus de ce qui s'est passé cette nuit.
— C'est ça la reconnaissance dont fait preuve Saïtovna Athalia pour son maquilleur préféré qui se lève à sept heures du matin pour lui faire le petit-déjeuner ? s'offusque Alexeï après un instant, en haussant un sourcil dans ma direction.
Il se déplace pour se mettre face à moi et ouvre la glacière pour en sortir une canette de soda qu'il s'empresse d'ouvrir.
— Tu es ingrate, poursuit-il en me lançant un regard faussement dédaigneux.
— Et toi, vieux. Tu dormais en plein tournage, papi.
Ma remarque le scandalise au vu de l'expression outrée que prennent ses traits, et je me mets à rire en esquivant sa main qui tente de venir me chatouiller les côtes.
— Redis-le en me regardant dans les yeux si tu l'oses !
Il me défie du regard, même si le frémissement qui étire légèrement ses lèvres me prouve qu'il s'amuse tout autant que moi de nos petites taquineries.
— Mais vous n'êtes jamais fatigués, vous deux ? Il reste de l'eau ?
Sayn se répond très vite à lui-même puisqu'il ouvre la glacière pour jeter un œil à l'intérieur. Et en s'apercevant qu'il reste encore le précieux liquide dont raffolent ses papilles, il en attrape une bouteille avant d'en boire de longues gorgées, tout en nous fixant tour à tour.
— J'apprécie les tons que tu utilises pour la peau d'Athalia, Alexeï. Ça ressort très bien à la caméra et ça se fond à la perfection avec certaines zones d'ombre de son visage, indique-t-il en pointant son index en direction de différents endroits de mon faciès.
— Oui, j'ai changé les couleurs que j'utilisais habituellement. Puisqu'on tourne dans un pays chaud, je voulais lui donner un teint plus lumineux, argumente-t-il en me lançant un petit regard.
— Parce que d'habitude je ne suis pas lumineuse ? je rétorque en arquant un sourcil.
— À ma connaissance, non, tu n'es pas une ampoule.
Sayn éclate de rire, tandis que j'enfonce mon coude dans les côtes d'Alexeï. Il finit par rire lui aussi, jusqu'à ce qu'Isaac ne vienne déposer l'une de ses mains sur mon épaule en m'appelant. Il me ramène à la réalité et je pivote sur mes talons pour lui faire face, intriguée.
Il porte toujours son costume qui moule les arabesques de son corps, et lui donne une stature professionnelle, même si les traits sérieux de son visage suffisent largement.
Comment fait-il pour ne pas mourir de chaud là-dessous ? Cet homme est inhumain. Je suis sûr qu'il dort avec sa tenue.
— Je suis désolé de vous déranger. Je voulais simplement prévenir Athalia qu'elle n'avait aucune obligation ce soir, annonce-t-il en relevant finalement les manches de son tailleur, avant de se pencher en avant pour attraper à son tour une bouteille dans la glacière.
Je le regarde, assez stupéfaite, et attends qu'il se soit redressé pour être sûre d'avoir bien compris ce qu'il est en train de me dire. Mais au regard affirmatif qu'il me lance, puis au léger hochement de tête qu'il fait pour l'accompagner, je laisse sans plus attendre un grand sourire étirer mes lèvres.
— Aucune ? Pas d'interview pour la chaîne de télé locale ? Pas d'autres célébrités à rencontrer ? Pas de marques à contacter ?
Impatiente, je ne peux m'empêcher de le questionner, voulant bien être certaine de ce qu'il me dit.
— Rien, me confirme-t-il d'un signe du menton en appuyant le plastique frais de sa bouteille contre sa joue, sous les regards attentifs d'Alexeï et de Sayn toujours près de nous. Et ça sera comme ça pendant toute la semaine, après les tournages. Alors, profites-en.
— J'y compte bien !
Même si je ne suis pas très sortie, sauf lorsque c'est pour le travail, j'ai bien envie d'exploiter le temps libre mis à ma disposition pendant le temps que je serais en Croatie. Après tout, c'est comme si nous étions en vacances.
Et puis, ici, tout est différent de la Russie, des États-Unis, du Japon, ou encore du Royaume-Uni où j'ai pu séjourner. J'ai des fans qui me reconnaissent, mais la plupart sont des touristes. Ils ne nous embêtent pas. C'est ce que j'ai pu constater avec Alexeï lorsque nous nous baladions sur les remparts.
Je suis donc un peu plus tranquille et plus à même de faire des choses qui me plaisent, sans avoir peur d'être pistée dans les rues de Dubrovnik.
Je n'irai peut-être pas dans des endroits clos, je n'ai pas encore passé ce stade-là. Mais soudain, l'idée que nous a proposé Jenny la veille, de sortir en soirée sur le bord de la plage, me tente bien plus que de rester assise sur le canapé du salon comme j'en ai l'habitude.
Même si regarder Alexeï jouer aux jeux vidéo est une activité fort plaisante, surtout quand je peux me blottir contre lui, nous aurons encore de nombreux soirs pour nous adonner à notre occupation préférée.
Je finis alors d'une traite le fond d'eau qu'il me reste, et croise le regard pétillant d'Alexeï à mes côtés.
Je n'ai pas besoin de l'entendre prononcer le moindre mot pour savoir qu'il pense la même chose que moi. Ses yeux, ainsi que l'expression que laisse transparaître les méandres de son portrait, ainsi que sa bouche vermeille, parlent pour lui.
— Visiblement, on a rencard cesoir, chuchote-t-il près de moi, en autorisant son sourire malicieux à migrervers le coin de ses lèvres.
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