Chapitre 22

Alexeï


C'est Athalia qui me tire de mon sommeil lors de la première nuit que nous passons dans l'appartement. L'état comateux, les pensées encore plongées dans le rêve que je viens de faire, je peine à soulever mes paupières lourdes de sommeil.

Athalia ne dort pas avec moi, puisqu'elle possède la chambre d'à côté, mais je reconnaîtrais désormais entre mille le pas lourd de ses pieds qui foulent le sol.

Je la reconnaîtrais même dans le noir, même si nous n'étions pas humains, même si nous ne vivions pas à la même époque.

Je la reconnaîtrais partout où j'irais.

À force de passer du temps avec elle, c'est comme si un lien s'était formé entre nous. Un lien qui n'était pas forcément prévu, mais un lien qui nous fait du bien.

— Merde.

Son juron me parvient avant même que je n'entende le son bruyant qui suit et qui claque dans le salon, comme si elle venait de faire tomber la télécommande de la télé.

Je me frotte paresseusement les yeux, peu enclin à me lever, surtout en voyant l'heure s'afficher sur l'écran de mon téléphone, lorsque je le tapote pour le faire réagir.

4h26.

Les lumières vives qui dessinent les chiffres se gravent derrière mes paupières en lettres de feu, et je pousse un léger soupir avant de me redresser.

J'ai toujours été assez ronchon quand, enfant, il fallait que je me lève le matin pour aller à l'école. Ma mère doit encore s'en souvenir, la pauvre. Elle en a essuyé des râles de mécontentement.

Et c'est quelque chose qui me suit encore à mon âge actuel. Élie s'en moque d'ailleurs quand je vais dormir chez lui, et prend un malin plaisir à me réveiller au beau milieu de la nuit quand je m'endors en pleine partie de jeu vidéo.

Très souvent, il fait ça quand je le bats. C'est un sacré mauvais perdant.

Mais je chasse bien vite les bribes de souvenirs que j'ai de mon meilleur ami pour poser mes pieds à plat au sol, quand j'entends le souffle d'Athalia résonner de façon bruyante dans le salon.

Ce dernier se situe juste à côté de nos chambres, étant donné qu'il n'y a pas d'étage, voilà pourquoi je perçois aisément ses déplacements.

J'enfile un t-shirt ample et reste les jambes nues, avant d'appuyer sur la poignée de la porte pour rejoindre la pièce principale et mal éclairée de la demeure.

Il me faut un moment avant de discerner Athalia, blottie au fin fond du canapé sous un épais plaid qu'elle serre entre ses bras.

Les lumières argentées qui filtrent difficilement au travers des volets dessinent une partie des contours de sa silhouette, et assombrissent le reste. Ce n'est qu'en m'approchant que je remarque le teint pâle de sa peau, ainsi que les tremblements qui secouent ses bras et ses jambes, qu'elle a ramenées près de sa poitrine.

— Athalia.

Je murmure son prénom entre les ténèbres qui nous séparent, et m'assois à l'autre bout du canapé pour ne pas l'oppresser.

Je ne veux pas pénétrer dans sa bulle d'intimité si je n'ai pas son autorisation, étant donné qu'elle m'a déjà l'air prise dans une profonde crise de panique.

Ses cheveux ondulés se fondent dans la couleur du canapé, qui semble similaire à cause de l'obscurité environnante, et bougent légèrement lorsqu'elle relève le regard vers moi. Ceux qui couvrent son front et cachent son visage glissent lentement sur ses tempes, et me permettent ainsi d'apercevoir le contour de ses yeux cernés.

Cette vision me serre violemment le cœur, alors même qu'elle tente de sourire dans ma direction.

— Excuse-moi, je ne voulais pas te réveiller, chuchote-t-elle d'une voix étranglée.

Elle tente de se redresser, mais comme prise d'un vertige, elle ferme aussitôt les yeux et inspire une brusque bouffée d'air, en plantant ses doigts dans le plaid.

Un frisson de panique la traverse, et j'ai presque l'impression d'apercevoir le cheminement qui se fait le long de son corps en voyant ses muscles se tendre sous sa peau.

— Ne t'excuse pas. Si tu te sens mal, je préfère être réveillé, je lui révèle d'une voix douce. Tu as besoin de quelque chose ?

Elle secoue la tête, le regard perdu sur la texture moelleuse de la couverture, qu'elle serre toujours entre ses doigts jusqu'à en faire blanchir ses phalanges, qui ressortent encore plus sous la lumière extérieure.

Je me sens soudain démuni, assis ici, dans le noir de cet immense salon. La télé prend une place phénoménale sur le petit meuble face à nous, et la grandeur du sofa, ainsi que le tapis rond disposé à nos pieds devant la table basse, agrandissent davantage l'espace.

Je me sens petit, et incapable de faire quoi que ce soit pour Athalia, roulée en boule et souffrante à mes côtés.

— Tu as mal quelque part ? je m'enquiers en pensant trop tard que si elle ne va pas bien, elle veut peut-être que je la laisse tranquille.

Je sais qu'Athalia est encline à faire régulièrement des crises de panique. Je le sais, parce que j'y ai déjà assisté. À l'aéroport, dans l'avion, quand elle est entourée de d'autres gens comme lors de l'after, ou même parfois sur le plateau de tournage, bien que ces crises-là soient plus petites.

Elles font partie de son quotidien, comme du mien au vu du temps que nous passons ensemble. Les seules fois où je ne la vois pas en faire, c'est quand je viens chez elle, le vendredi soir.

Je ne sais pas si c'est ma présence qui l'aide, mais les faits sont là. La seule crise d'angoisse qui a eu lieu de nuit, et qu'elle a faite en ma présence, est celle où elle m'a téléphoné.

— Je peux allumer la télé si tu veux, pour qu'on regarde un film d'animation ou quelque chose de tranquille.

Je me mords la langue après avoir énoncé le dernier mot. Malgré son manque de réponse, Athalia veut sûrement que je la laisse, et au lieu de ça, je m'évertue à essayer de lui changer les idées.

C'est ce qui a toujours marché lorsque nous nous retrouvons ensemble et qu'elle ne se sent pas bien. Or, ce soir, j'ai l'impression que c'est quelque chose de différent qui la torture. De plus profond, de plus violent. Comme si elle se battait contre son propre corps.

Elle respire plus fort pour tenter de réguler son souffle, et garde les yeux fermés, les mains crispées, le dos voûté, concentrée, comme en témoigne le creux qui s'est formé entre ses sourcils.

Elle a l'air en pleine bataille intérieure. Et ne pouvoir rien faire pour elle, pour parvenir ne serait-ce qu'à la soulager un minimum, est plus fastidieux et frustrant que je ne l'imaginais.

— J'ai... J'ai peur de vomir, lâche-t-elle brusquement, dans un souffle à peine audible.

Ce n'est pas tant les mots qu'elle vient de prononcer qui me figent brutalement sur place. C'est plus le ton faible et apeuré qu'elle a employé.

Comme si Athalia craignait que ma réaction ne soit pas ce à quoi elle s'attendait, et comme si elle avait peur que le simple fait d'énoncer cette vérité à voix haute la fasse courir en direction des toilettes.

Intrigué, je repose mes iris sur elle, pendant qu'elle me fixe avec appréhension et crainte depuis sa cachette, sous la couverture. Son teint est encore plus blême qu'il y a quelques secondes, et ses yeux sont agrandis d'une profonde terreur qui semble l'habiter nuit et jour.

— Est-ce que tu veux un médicament ? Quelque chose pour éviter que ça n'arrive ?

Je lui pose la question d'une voix calme, soucieux de sa santé, de son état. Si Athalia est malade, je veux être là pour elle.

Je sais que depuis que je suis enfant, et même encore aujourd'hui, vomir est pour moi quelque chose d'abject. Après tout, ça ne doit pas être une partie de plaisir pour grand monde.

Et si Athalia a attrapé froid, ou qu'elle a avalé quelque chose qu'elle ne digère pas, je peux comprendre que cette peur puisse refaire surface en elle.

— Non... Tu ne comprends pas...

Athalia s'exprime avec peine, comme si chaque mot qu'elle prononce lui brûle la langue. Je remarque aisément, rien qu'à l'expression qui tire les traits de son visage, que se confier sur ça n'est pas quelque chose qu'elle a l'habitude de faire.

Voire qu'elle n'a peut-être jamais faite, même si j'en doute. Vu la compagnie omniprésente de Jenny dès qu'elle fait une crise, et les mots qu'elle lui souffle en rapport avec les toilettes pour tenter de la rassurer, elle est sûrement au courant.

C'est même certain.

C'est pourquoi je me concentre davantage pour essayer de comprendre ce qu'elle tente de m'expliquer.

— Tu as peur de vomir maintenant, ou tout le temps ? je lui demande avec douceur, en repliant mes jambes sous mes fesses pour m'asseoir en tailleur, le corps tourné dans sa direction.

Je reste de mon côté du canapé, pour ne pas empiéter sur son espace vital, surtout maintenant qu'elle se confie à moi.

Même si je meurs d'envie de la serrer dans mes bras, d'enfoncer mes doigts dans ses cheveux bruns pour les caresser et la rassurer, pour qu'elle puisse sentir ma présence contre la sienne, je me retiens.

— Tout le temps..., murmure-t-elle après quelques secondes, d'une voix éteinte. Ce n'est pas juste comme si j'étais malade ou que je faisais une intoxication alimentaire, non. C'est plus profond que ça... Ça me bouffe mes journées, mon énergie, ma vie...

Elle expire bruyamment en me disant ça, le souffle tremblant. Elle colle davantage ses genoux contre son ventre, enfonce son nez dedans, avant de pivoter son regard vers le mien pour les faire entrer en collision.

— Un jour, il y a plusieurs années, j'ai fait une crise d'angoisse sans savoir que ça en était une. J'étais avec mes parents dans un parc d'attractions. On était assis dans une arène pour y regarder un spectacle, commence-t-elle à me raconter. Avant tout ça, j'avais peur de vomir, mais comme tous les enfants. Ce n'était pas quelque chose qui me terrifiait à ce point.

Athalia prend une profonde inspiration, qui la contraint à cesser de parler pendant quelques instants.

— Et puis, ce jour-là, au milieu de toute cette foule, assise au centre de l'arène, minuscule parmi cet océan de corps, j'ai commencé à avoir du mal à respirer.

Ses poings se ferment autour de la couverture qu'elle tient toujours autour d'elle, comme si c'était un bouclier. Elle la serre fort, tandis que je l'encourage à continuer d'un sourire accompagné de plusieurs mots encourageants.

— Je me sentais oppressée comme jamais ça ne m'était arrivé, poursuit-elle, ses pupilles accrochées aux miennes. Et puis, d'un seul coup, ça a commencé à monter. Quoi exactement, je ne sais pas. C'était de la panique mélangée à de l'anxiété. Un sentiment fort, dévastateur et inéluctable qui, je le savais, allait finir par me submerger.

J'acquiesce lentement, comme si je comprenais ce qu'elle est en train de me raconter, alors que ce n'en est aucunement le cas.

Je n'ai jamais fait de crise d'angoisse, du moins, pas de cette envergure. J'ai déjà éprouvé un stress soudain et intense, mais pas de la manière dont Athalia me décrit ce qu'elle a ressenti.

Ce qu'elle ressent au quotidien.

— Ce sentiment a continué de gonfler dans ma poitrine. Mon souffle ne se régulait plus, mes mains tremblaient, ma gorge s'est serrée, comme encombrée, et j'ai cru que j'allais finir par vomir, me confie-t-elle tandis que son corps est parcouru d'un violent frisson à cette évocation. J'ai cru que ces symptômes étaient ceux que je ressentais plus jeune quand j'étais malade, et qui me terrifiaient tant. Donc j'ai pris peur.

Avant même qu'Athalia n'ait prononcé le dernier mot, elle sort de la douceur cotonneuse et rassurante de sa couverture, et se déplace lentement vers moi.

Elle m'interroge du regard, quand seulement un ou deux centimètres nous séparent, et j'acquiesce sans perdre un instant pour lui faire part de mon autorisation.

Elle vient alors se blottir contre moi, et la chaleur de son corps roulé en boule contre mes côtes se diffuse au mien. Son odeur ne tarde pas à suivre et vient m'envahir le cœur, tandis que j'enroule l'un de mes bras autour de sa silhouette.

Je la rapproche ainsi un peu plus près, et colle ma joue contre le dessus de sa tête en fermant les yeux pour savourer la proximité de nos corps imbriqués l'un dans l'autre.

Je sens celui d'Athalia trembler contre le mien, si bien que j'attrape la couverture pour l'envelopper dedans, et moi avec. Même si je meurs de chaud là-dessous, je sais qu'Athalia en a besoin pour se sentir en sécurité.

— C'est à partir de là que ce que tu ressens maintenant s'est déclenché ?

Mes lèvres sont si proches de son oreille, que je la questionne en baissant d'un ton pour éviter de briser le petit cocon dans lequel nous nous trouvons tous les deux.

Elle hoche la tête de manière si subtile, que si elle n'était pas collée contre mon épaule et que mes lèvres ne frôlaient pas ses cheveux, je ne l'aurais pas senti.

— Oui, c'est à partir de ce moment-là que j'ai réellement commencé à être terrifiée par la simple pensée de tout régurgiter. Ça s'appelle l'émétophobie. C'est la phobie de vomir, m'annonce-t-elle en calant sa joue contre mon bras.

Son souffle me déstabilise un bref instant, lorsqu'il vient frôler l'épiderme nu de mon bras, et je tente de me replonger dans ce qu'elle m'explique en ignorant la chair de poule qui électrise ma peau dès que ses expirations percutent ma chair.

— Mais pour moi, c'est une maladie. Je me sens mal tous les jours. J'ai l'impression d'être sans cesse malade, d'avoir de la fièvre, d'avoir les mains pleines de microbes, d'avoir la langue blanche. Alors que je n'ai mal nulle part, pourtant. Mais je vis comme si ça pouvait arriver à chaque instant, sans prévenir.

Je tourne la tête dans sa direction, et approche de nouveau mes lèvres de son oreille pour lui répondre. Mon geste a l'air de la surprendre, puisqu'elle se fige contre moi.

Elle a l'air de retenir sa respiration, tandis que je lui murmure des mots qui, j'espère, lui apporteront un certain réconfort.

Étant donné que c'est une phobie à laquelle je n'ai jamais été confronté, je suis soucieux des pensées que je pourrais exprimer. Je ne voudrais pas rendre Athalia encore plus mal qu'elle ne l'est déjà. Surtout pas.

Alors je m'efforce de considérer mes mots pour les ordonner de la meilleure façon qu'il soit, pour qu'ils puissent ainsi lui décerner de l'apaisement quant à toute cette situation.

— Je n'ai jamais vécu ça Athalia, donc je suis mal placé pour te dire que je comprends ce que tu ressens, je déclare d'un ton bas. Mais je me doute que vivre ça au quotidien, en plus de ton métier et de ta célébrité, ce n'est pas un bon mélange.

Je repense à toutes ces fois où elle s'est retrouvée oppressée entre des dizaines de personnes. À toutes ces fois où elle s'est trouvée enfermée entre divers murs fait de chair, qui ne cessaient de la bousculer sans penser une seconde à son bien-être.

Ce genre d'évènement n'est nullement plaisant, au contraire, mais doit surtout lui rappeler la première fois qu'elle a fait sa première crise, au sein de l'arène dont elle me parlait.

J'ai soudain une montée de colère qui bout violemment en moi, comme cette fois-là, à l'aéroport, quand personne ne voulait la laisser avancer.

Pourquoi personne ne prend en considération le fait qu'Athalia soit un être humain avant tout ? Ce n'est pas parce que c'est devenu une personnalité publique, que ça donne le monopole aux gens de la persécuter quand elle veut voyager, de la prendre en photo à son insu, de la suivre dans la rue, ou de dénigrer son image sur les réseaux sociaux.

Non, Athalia n'est pas une affiche en carton qui ne ressent rien.

Athalia est comme nous. Comme moi.

Il n'y a pas plus normal que cette fille qui se goinfre de pizza quand je joue à la console, qui me râle dessus quand je ne fais pas la vaisselle, ou qui éclate de rire devant des films qu'elle a vus au moins des dizaines de fois.

— J'aurais aimé que tu n'aies jamais à vivre tout ça. J'aurais aimé que tu sois épargnée d'un tel stress. Qu'on te respecte, qu'on te ménage, je lui murmure en prenant peu à peu conscience de toute la force mentale dont elle est dotée.

Je comprends désormais pourquoi elle se sentait si mal lors de l'after, et pourquoi elle avait besoin d'aller rapidement aux toilettes.

Ses petites manies aussi, comme le fait de se laver souvent les mains, ou d'observer précautionneusement les dates de péremption de tous les aliments qu'elle cuisine. Je sais maintenant pourquoi elle fait tout ça.

Athalia pensait sûrement que je ne la voyais pas faire, et pourtant depuis plusieurs semaines, je prête plus attention à elle qu'à moi.

— Je pense que s'il n'y avait que l'émétophobie, me confie-t-elle après un court silence, je pourrais y faire face. Mais toute la pression que je subis au quotidien me pousse un peu plus vers cette anxiété que j'essaie tant bien que mal de tenir éloignée.

Athalia pousse un lourd soupir au moment où elle tourne les yeux pour me regarder, son souffle chaud venant frôler le bas de ma joue et la naissance de ma mâchoire.

Je sens le mien se bloquer dans ma gorge, alors que j'essaie de faire au mieux pour lui répondre sans penser au fait que seul un maigre centimètre sépare nos lèvres les unes des autres.

— Ça non plus, je ne peux pas le comprendre. Mais je le vois très bien quand tu fais des événements comme des défilés, ou que tu sors simplement manger au restaurant.

Elle acquiesce d'un air songeur, avant de sourire en repensant au moment que nous avions partagé avec Élie et Maïa.

— C'est ça, le problème. Je ne peux même pas essayer de vivre normalement, parce qu'il y aura toujours des personnes pour me renvoyer à la figure ma célébrité et ma perte de liberté au moment où j'essaie d'en faire abstraction, gémit-elle en secouant la tête. Mais il n'y a pas que moi.

Avant même qu'elle ne continue, je sais déjà ce qu'elle va me dire. Je le sais pour l'avoir vu de mes propres yeux sur les réseaux sociaux, il y a des semaines. Mais je le sais aussi pour l'avoir vécu après l'after, pour avoir été au centre de toutes ces rumeurs.

— Jenny en pâtit énormément, elle aussi. Tous nos faits et gestes sont espionnés. Tous, insiste-t-elle en détournant son attention vers la baie vitrée dont les volets fermés et les rideaux opaques nous empêchent de voir la vue. Il suffit qu'on ait pris un peu de poids, qu'on soit vues en soirée, ou en train de passer du temps avec des garçons. Et les foules s'enflamment, les insultes fusent, et on se fait lyncher sur la place publique.

Elle rit légèrement, d'un rire jaune que je n'avais jamais entendu dans sa bouche jusqu'à présent.

— On se fait insulter parce qu'on vit, gronde-t-elle d'un ton amer. Nos photos sont analysées, nos vêtements, nos chaussures, nos coiffures, nos accessoires. C'est pire que la police criminelle. Je dois sans cesse m'habiller en conséquence. J'ai l'impression que mon corps ne m'appartient plus, parfois.

Je resserre mon bras autour de ses hanches quand la dernière phrase sort presque dans un sanglot qu'Athalia tente de contenir.

Elle garde le regard détourné, et lorsqu'elle retire sa main de sous la couverture qui nous couvre les jambes pour la porter à son visage, je sais que c'est pour rattraper les larmes qui coulent de ses yeux et éviter qu'elles ne s'écrasent plus bas.

— J'ai l'impression que ma vie est régie par le regard des autres. Est-ce que mon t-shirt fera parler aujourd'hui ? N'est-il pas trop court ? Si je mets ces chaussettes avec ces chaussures, ça ira ? Ou est-ce qu'on me critiquera ? Si je me tatouais, qu'en penseraient les gens ? Trouveraient-ils le moyen de critiquer mes choix ? Trouveraient-ils le moyen de me faire haïr quelque chose que j'ai pris plaisir à faire ?

— Oh Athalia, chaton, viens là, je lui souffle en entendant sa voix se briser sur la dernière syllabe.

Le surnom m'échappe avant même que je n'aie le temps d'y réfléchir, et sans attendre une quelconque réaction, je m'empresse de serrer Athalia entre mes bras.

Elle éclate en sanglots contre mon torse, les bras repliés contre sa poitrine, tandis que je la berce, une main appuyée derrière sa nuque, les doigts noués à ses cheveux.

Je pose mon menton sur le dessus de sa tête après y avoir déposé un léger baiser, et sens mon cœur se serrer lorsqu'elle pleure davantage. L'écho de sa peine ricoche contre moi.

Je m'efforce de lui murmurer des mots rassurants, sans jamais cesser ce mouvement de balance avec mon corps pour qu'elle puisse se sentir en sécurité. Mes bras l'emprisonnent, et au moment où je compte descendre ma main, prisonnière de ses cheveux, pour venir caresser son dos, elle se déplace pour venir s'asseoir à califourchon sur mes cuisses.

Elle encercle mon torse, et enfouit son visage plein de larmes auprès de mes clavicules, en tremblant de tout son être.

Je fais alors de même et change de position pour glisser mes bras autour de ses hanches, au niveau de la chute de ses reins. Je remonte mes mains le long de son buste, et les laisse s'immerger cette fois complètement dans ses mèches brunes pour les masser avec toute la tendresse du monde.

Nous restons ainsi, amarrés l'un à l'autre pendant de longues minutes.

Jusqu'àce qu'Athalia ne s'endorme entre mes bras, et moi dans les siens. Jusqu'à ceque nos soufflent ne forment plus qu'un ballet harmonieux et apaisant, dontTchaïkovski lui-même serait jaloux. 

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