Chapitre 17

Athalia


Malgré mon amitié naissante avec Alexeï, les choses de mon côté n'ont pas tant changé que ça. Je me sens certes plus légère, mais je suis toujours aussi méfiante et tendue quand je rencontre de nouvelles personnes, ou que je vais dans des lieux que je ne connais pas.

Mes mains sont légèrement humides quand je prends place sur la chaise en plastique de la petite pizzeria où nous ont donné rendez-vous Élie et Maïa.

Les odeurs des différentes pizzas de la salle se mêlent à l'atmosphère, et de légères volutes de fumée s'élèvent des tables alentour, signe que la nourriture servie est bien chaude.

Étant donné mes joues encore fraîches suite à la température extérieure, j'ai hâte que nous passions commande pour pouvoir savourer un repas qui réchauffera mon être entier.

Ces pensées me sortent un peu de mon stress naissant, mais ayant toujours les mains moites, j'essaie de les essuyer discrètement sur mon jean après avoir remercié le serveur qui vient de nous guider à notre table, et qui repart vers un couple qui le hèle plus loin.

Il n'a pas l'air de m'avoir reconnue, ce qui me soulage, au fond, puisque j'apprécierai passer ce moment avec Alexeï et ses deux amis sans que l'on vienne me déranger.

— Athalia ? Tu veux qu'on change de place ?

Alexeï m'interroge du regard en se déplaçant pour apparaître dans mon champ de vision.

Je l'ignore, absente, mes pupilles ne cessant de fouiller la pièce dans le but de trouver le logo des WC.

Je sens un nœud se former au fond de mon estomac quand je ne le vois pas, et me rabats sur la deuxième chose qui parvient à me rassurer un minimum quand je suis face à ce genre de situation.

— Je veux bien être près de la porte, s'il te plaît, je lui demande comme je peux, la gorge nouée.

Mes yeux trouvent les siens, et il hoche aussitôt la tête en me soufflant un petit — bien sûr, viens .

Je ne me fais pas prier.

Je récupère mon manteau, que j'avais déjà installé sur le dossier de ma chaise, et change de place avec lui pour me retrouver le plus près possible de la sortie.

Ainsi, je suis plus rassurée d'être proche d'une issue de secours. Si jamais je ne me sens pas bien pendant le repas, et que je dois vomir, je pourrais m'empresser de sortir pour le faire dehors.

Ce n'est pas très glamour, et j'espère du plus profond de mon être que ça ne m'arrivera pas, mais ça a au moins le don de m'apaiser.

Alexeï me lance un petit sourire pour me dire que ce n'est rien, lorsque je le remercie une nouvelle fois, puis il commence à contempler la carte sans me poser davantage de questions.

Je lui suis reconnaissante de ne pas chercher à comprendre pourquoi j'ai tenu à changer de place, et me penche aussi de mon côté sur le long dépliant au papier glacé pour observer ce que propose la carte.

— Tu devrais peut-être..., me souffle Alexeï après quelques minutes, en se penchant à demi sur la table entre l'espace qui nous sépare, mettre ton bonnet ou quelque chose...

Je relève les yeux vers lui en lâchant du regard l'image de l'imposante Régina qui me semble bien appétissante, pour plonger mes pupilles intriguées dans celles de mon vis-à-vis.

— Pourquoi ?

Plusieurs secondes s'écoulent, durant lesquelles nous nous observons, silencieux, avant qu'une petite case de lumière ne s'allume dans mon esprit.

Alexeï fait référence à ma célébrité.

Quand il voit que j'ai compris, il me lance un petit air désolé, et le tourne ensuite vers le reste de la salle pour apporter une réponse silencieuse à ma question.

La plupart des gens mangent leurs repas sans se préoccuper de ce qui se passe autour d'eux.

Ils sont là pour passer du bon temps en famille, seuls ou entre amis, et ne font pas attention à moi. Peut-être même qu'ils ne me connaissent pas.

Mais d'autres, qui pensent sûrement être discrets, braquent leurs téléphones dans ma direction en le tenant à mi-hauteur de leur visage.

Ils gloussent derrière en se pensant discrets, des sourires heureux sur les lèvres alors qu'à moi, ils m'apparaissent plus démoniaques que jamais.

— Écoute, si tu veux, on peut changer d'endroit, d'accord ? Je peux demander à Élie et Maïa, ils comprendront, commence Alexeï en reposant ses yeux clairs au fond des miens.

Ses mèches châtains qui débordent de son bonnet, qu'il n'a pas retiré, lui couvrent de manière délicate le haut du visage, et accentuent la légère rondeur de ses joues ainsi que la juvénilité de ses traits.

— Non, ça sera pareil ailleurs, je finis par lui répondre, en esquissant un pâle sourire qui s'estompe dans la seconde qui suit. Ça va aller, j'ai l'habitude.

— Ça ne devrait pas l'être, Athalia. Ce n'est pas normal ce genre de comportement, insiste-t-il.

Je détourne les yeux pour les reporter sur la rue et les passants extérieurs, et essaie de me focaliser sur autre chose, ne trouvant rien à lui répliquer.

Je sais qu'il a raison, mais je n'ai pas à faire l'éducation des gens.

Et si je me lève pour aller leur demander poliment d'arrêter, les autres personnes autour pourraient filmer la scène et tout détourner pour me faire passer pour une personne ingrate sur les réseaux sociaux.

— Laisse-les faire, je soupire faiblement, en décrochant mon regard de tous ces gens dehors qui n'ont pas à se soucier de la disparition de leur liberté, et qui peuvent se promener à leur guise et dire ce qui leur passe par la tête, sans craindre de quelconques répercussions. Je vais juste passer un bon moment avec vous, et leur montrer que leur comportement ne me fait ni chaud ni froid

Alexeï ne semble pas pour autant convaincu malgré le ton déterminé que je prends, mais il acquiesce tout de même en essayant de faire abstraction de toute cette situation pour se reconcentrer sur la carte.

Malheureusement ça ne fonctionne pas vraiment, au vu de la ridule contrariée qui apparaît entre ses yeux.

— Au moins, il y a peut-être des chances que je devienne célèbre aussi, déclare-t-il après quelques minutes dans un demi-sourire. Ça me ferait une belle promotion.

— Une promotion pour quoi ? je le questionne en me mettant à rire.

Je laisse mon dos retomber contre le dossier de ma chaise, et rejette un peu la tête en arrière, amusée.

— Pour ton incroyable coup de pinceau ? "Filatovitch Alexeï, le maquilleur en herbe qui vous fera ressembler à Beyoncé."

— C'est ça, moque-toi. En attendant, avant de bosser pour Némésis, je travaillais pour le parc Walt Disney aux États-Unis, et crois-moi, j'étais très souvent demandé, argumente-t-il en abandonnant le menu face à lui pour croiser fièrement ses bras sur son torse bombé.

Le petit air supérieur qu'il se donne et l'œillade assurée qu'il me lance, finissent par me faire craquer, et je me mets à rire ouvertement en secouant la tête.

— Ah oui, je vois. Tu devais être très prisé oui, je n'ai aucun doute là-dessus. Surtout chez des petits êtres de moins de cinq ans, non ?

Il me lance une moue scandalisée, et s'apprête à répliquer durement au vu de l'expression farouche que prennent ses traits, mais c'est le moment précis que choisit son ami Élie pour arriver à nos côtés.

Grand et souriant, il tient dans sa main celle de sa petite-amie, et tous deux nous saluent poliment quand ils se placent à notre niveau.

— Ça alors, Alexeï ! T'as la classe aujourd'hui. Ça change de tes vieilles tenues, ça te va bien, le charrie Élie en lui faisant un clin d'œil taquin.

Alexeï lui sert un sourire forcé accompagné d'un doigt d'honneur, avant de l'ignorer pour se tourner plutôt vers la jeune femme au carré roux qui s'installe à ses côtés.

Elle porte un sweat basique sur un jogging large qui fait assez tenue du dimanche, tandis qu'Élie lui, de son côté, a plutôt opté pour une tenue élégante avec son pantalon fluide au ton de cuivre, et son pull en cachemire couleur olive.

Les deux couleurs se mélangent à la perfection, et font par ailleurs ressortir son teint mat, plutôt surprenant au vu de la rareté du soleil en Russie.

— Vous êtes toujours le jour et la nuit vous deux, déclare Alexeï d'un ton amusé, en leur désignant d'un geste du menton leurs tenues à tous les deux.

Je ne suis donc pas la seule à avoir prêté attention à cette particularité. Mais ce n'est pas étonnant venant d'Alexeï, puisqu'il doit faire attention aux moindres détails dans son travail de tous les jours.

— Surtout en matière de musique, oui ! s'exclame Élie en prenant place face à sa copine.

— Justement ! On ne serait pas arrivés en retard si tu m'avais laissé mettre ce que je voulais, réplique-t-elle en lui faisant les yeux ronds, tout en se débarrassant de son manteau qu'elle dépose, elle aussi, sur le dossier de sa chaise.

— Surtout que tu m'as quand même demandé de ne pas être en retard, et c'est toi qui arrives dix minutes après, ajoute Alexeï en haussant un sourcil vers son meilleur ami, qui, démuni face à cette soudaine opposition envers sa personne, se tourne vers moi pour essayer d'obtenir du soutien.

Sa copine se met à rire en voyant les yeux qu'il me fait, et je finis par sourire moi aussi en rentrant dans son jeu.

— C'était quoi la musique en question pour laquelle vous vous battiez ? je demande d'une voix scrupuleuse et pondérée, telle celle d'une avocate en plein procès qui interroge des témoins.

— The Weeknd, Save Your Tears, me répond aussitôt Maïa dont le sourire s'élargit quand elle évoque ce qui a l'air d'être l'une de ses chansons préférées.

Je pince alors les lèvres et secoue lentement la tête avec consternation, lançant un regard désolé à Élie qui semble pendu à mes lèvres dans l'attente que je prononce la sentence.

— The Weeknd c'est un classique Élie, désolée.

Il finit par rire face à l'expression que j'ai prise, et se renfonce dans son siège en croisant avec paresse l'une de ses jambes par-dessus l'autre.

— Elle est douée, très douée, prononce-t-il en direction d'Alexeï sur sa droite.

Ce dernier esquisse un léger sourire silencieux, ses iris plongés au fond des miens, tandis que Maïa m'interroge d'une voix curieuse et spontanée.

— Et tu as joué dans quoi ? Alexeï nous a dit que tu étais actrice ! me dit-elle agréablement sur un ton qui laisse entrevoir la douceur de sa personnalité.

Surprise, je perds un instant mon sourire, et laisse mes lèvres retrouver une courbe neutre alors que stupéfaite, j'observe tour à tour Élie et Maïa qui me fixent en attendant que je leur apporte une réponse.

— Eh bien, je...

Je suis étonnamment prise au dépourvu. Les mots me manquent, alors qu'on m'interroge sur une chose qui rythme mon quotidien depuis plus d'un an maintenant. Plus rien ne parvient à sortir d'entre mes lèvres, tandis que je me demande s'ils sont sérieux.

Mais à voir leur expression attentive et intriguée, je suis très vite fixée.

— Je ne leur ai rien dit te concernant, m'explique soudain Alexeï en se servant un verre d'eau après avoir attrapé le pichet qui repose au centre de la table. Seulement que tu étais une amie. Et ils ne sont pas vraiment films et séries. Élie adore la mode, et bosse chez l'une des enseignes les plus prisées de la ville. Et Maïa, elle, est passionnée de parfum.

— Et donc, c'est censé lui indiquer pourquoi on ne regarde pas la télé ? le charrie Élie, un sourire naturellement charmeur au coin des lèvres.

Il a l'air si rayonnant sous le plafonnier doré, que je crois comprendre, du moins en partie, pourquoi Maïa est tombée amoureuse de lui.

— C'est surtout pour dire que vous êtes pas mal occupés, et puis quand vous avez du temps libre, vous adorez sortir. Donc oui, réplique Alexeï, dont l'expression égayée illumine un peu plus ses traits face à l'ignorance des deux autres.

Élie hausse les épaules en acquiesçant pour lui signifier qu'il n'a pas tout à fait tort, avant de retourner son attention vers moi.

Mais Maïa le devance, comme si quelque chose venait de faire soudain tilt dans son esprit.

— Tu es quelqu'un de célèbre, c'est ça ? souffle-t-elle pour ne pas parler trop fort, au cas où sa supposition s'avérait vraie.

Je m'empresse alors de le lui confirmer d'un timide hochement de la tête, avant de baisser pendant une brève seconde les yeux vers mes cuisses.

Je ne sais pas pourquoi je suis gênée lorsqu'on découvre qui je suis vraiment. Peut-être ai-je peur au fond que l'on me traite différemment dès lors qu'on a conscience de toute la popularité qui me suit au quotidien ?

C'est tellement récurrent, les changements de comportement quand les gens franchissent mon périmètre d'intimité.

Alors, je ne peux pas m'empêcher de prier pour que Maïa et Élie n'abordent pas une attitude différente parce qu'ils sont avec moi.

Après tout je ne suis que moi, et rien d'autre. Je suis comme tout le monde.

— Tu n'avais pas fait attention aux téléphones braqués dans notre direction ? lui dit Alexeï dans un sourire, le regard posé sur le reste de la salle, méfiant et soucieux. Parce que non, ce n'est pas ton mari qu'ils filment.

À la fois amusée et éberluée, Maïa se met à rire en bousculant gentiment le bras d'Alexeï. Mais je ne fais plus attention à leur chamaillerie, et dévisage tour à tour Élie et la jeune femme qui se trouve à mes côtés, comme si je les voyais pour la première fois.

Est-ce que j'ai bien entendu ?

— Vous... Vous êtes mariés ? je balbutie, interdite face à cette nouvelle.

Non pas que j'aie quelque chose contre le mariage, chacun fait ce qu'il veut à l'âge qu'il veut, mais je ne m'y attendais tout simplement pas.

En tout cas, mon effarement a l'air de bien les faire rire.

— Et oui. C'est ce qui arrive quand on demande quelqu'un en mariage en étant bourré, m'annonce Maïa en se mettant à ricaner lorsqu'Élie face à elle roule des yeux vers le ciel. Il faut assumer derrière.

— Mais j'assume, mon trésor. T'épouser a été la plus belle chose qu'il ne me soit jamais arrivée, minaude Élie en battant des cils.

— Au secours, toussote Alexeï en prenant un faux air dégoûté dans le seul but de les faire réagir.

Ce qui ne manque pas d'arriver lorsqu'Élie lui renvoie une œillade aussi noir que les abysses, qui a le don de faire éclater de rire toute la tablée.

C'est ainsi que nous poursuivons le repas dans une bonne ambiance qui, pour la première fois depuis un long moment, me permet de me détendre en public. Je ne pense plus une seule seconde à ceux qui me filment.

Nos pizzas, dont le diamètre fait le double de nos têtes, finissent par arriver après que nous ayons passé commande, et je dois avouer que je n'ai jamais rien mangé d'aussi divin. Celles qu'on commande le vendredi soir avec Alexeï ne sont pas à la hauteur, même si elles sont très bonnes également.

Mais celles-ci sont réellement faites avec tout un savoir et des coutumes italiennes, comme me l'explique Maïa, ce qui change considérablement la donne.

Je prends cependant le temps de manger, tout en jetant parfois quelques coups d'œil à l'extérieur pour me rassurer quand j'en ressens le besoin.

Mon geste ne semble d'ailleurs pas échapper à Alexeï, qui me regarde parfois avec plus d'intensité, comme pour s'assurer que j'aille bien.

Dans ces moments, je lui confirme d'un sourire que ça va, puis nous nous remettons à manger et à converser jusqu'à ce que nos estomacs ne puissent plus rien contenir.

Nous passons même le reste de la journée à discuter à l'intérieur de la pizzeria, et lorsque je me retrouve confortablement installée dans la voiture d'Alexeï le soir venu, prête à rentrer, je ne me cache pas de lui dire que j'ai passé une incroyable journée.

Loin des caméras, et considérée comme quelqu'un de normal, j'avais enfin pu profiter comme une personne de mon âge, sans me soucier de quoi que ce soit.

Et ça, c'était la plus belle chose qui pouvait m'arriver avant le voyage qui m'attendait.

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