Chapitre 15

Athalia


Vous avez fait quoi ??

Le haut des pommettes recouvert d'une chaleur aussi légère que celle qui nait quand le printemps s'installe sur les parterres de notre planète mi-mars, je cesse de jouer avec le crayon que je tiens entre mes doigts pour répondre à Jenny.

— On a dansé dans la rue... Comme ça, je veux dire, sans musique ni rien ! Et c'était tellement libérateur, je lui avoue dans un souffle qui étire délicatement mes lèvres.

Ces souvenirs restent encore frais dans ma mémoire, bien que cela fasse déjà plus d'une semaine et demie qu'ils se sont produits.

Je n'avais pas eu le temps de voir Jenny depuis, trop occupée à courir à droite et à gauche avec Isaac et Alexeï.

J'avais enchainé un nombre incalculable de photoshoot pour plusieurs marques différentes, tout en faisant des dizaines d'essayage de robes et des tenues pour les prochaines scènes que je dois tourner dans Némésis

Sur le plateau, les rares jours où j'y étais, j'avais entraperçu Jenny, mais n'avais pu lui confier tout ce qui s'était passé ce jour-là, ainsi que les jours suivants.

Puisqu'entre Alexeï et moi, quelque chose avait véritablement changé dans notre relation, depuis notre danse improvisée.

Tel un bourgeon qui tenterait déclore derrière sa carapace de verdure, bercé par les doux prémices d'une brise chaudement printanière, un tout nouveau sentiment avait commencé à s'épanouir dans ma poitrine.

— Oh toi, tu commences à bien l'apprécier ce maquilleur !

Jenny glousse derrière le combiné, et malgré moi, je ne peux m'empêcher d'en faire de même.

Installée derrière la table de mon salon, précédemment occupée à annoter mes répliques, je finis par m'en éloigner pour aller m'allonger de tout mon long sur le sofa recouvert de plaids.

— Peut-être, oui...

Mes dents tiraillent ma lèvre, soudain intimidée.

— Il est plutôt gentil, attentif...

Beau garçon, joueur, séduisant, et plutôt musclé aussi, en vrai, poursuit Jenny, le ton malicieux.

Elle s'extasie, la voix partant dans les aigüe, tandis que je me réfugie sous un des oreillers du canapé.

— Arrête tes bêtises, je rouspète sans réellement de conviction, un petit sourire incrusté dans le coin de la bouche. De toute façon, il ne va pas tarder à arriver ! Je vais devoir te laisser...

Eh ! Tu te défiles là ! Tu sais que j'ai raison, ce que je viens de citer, tu l'avais remarqué toi aussi, avoue !

Je ris, preuve irréfutable qu'elle a en effet raison, bien que je n'oserais pas l'avouer à voix haute.

— Bisous bisous, je t'aime !

Que... Je t'aime aussi, mais tu ne paies rien pour attendre ! On en reparlera !

Je lui promets que je le ferais, puis nous continuons d'en rire jusqu'à ce que je raccroche.

De bonne humeur, je retourne dans l'une de mes salles de bain pour aller rapidement jeter un coup d'œil à la tête que j'ai.

Moins stressée depuis l'appel que je viens de passer avec Jenny, je prends le temps de réorganiser mes cheveux, tout en me remémorant ce qui nous a conduit à passer ce genre de soirée ensemble, avec Alexeï, puisque ce n'est pas la première.

Comme un rituel, et de façon totalement naturelle, chaque vendredi soir, nous avions désormais décidé de nous retrouver tous les deux chez moi pour commander des pizzas, histoire de se les partager devant un bon film.

C'est moi qui étais à l'initiative de ce genre de rendez-vous, et si le premier soir, l'angoisse me tordait les entrailles puisque c'était nouveau pour moi d'invité quelqu'un à dormir depuis que mon émétophobie me rongeait, cette fois, je me sentais étrangement bien.

Savoir qu'Alexeï dormait près de moi, dans l'une de mes chambres d'amis, me procurer un sentiment d'apaisement sans pareil.

Si au début j'avais eu peur qu'une crise ne me prenne en pleine nuit, et que je sois malade devant lui, maintenant, je me rends compte que je parviens à les amoindrir avec plus de rapidité.

Je suis encore loin de réussir à bien dormir, mais je note les progrès que je fais, aussi petits soient-ils.

Ce n'est pas simple, c'est loin de l'être, mais tandis que je me tresse les cheveux, le cœur impatient d'entendre la sonnette carillonner dans tout l'appartement, je me donne l'autorisation d'aller mieux, peu importe le temps que ça prendra.

***

Titanic.

— Non.

Je lève les yeux au ciel, exaspérée, et roule sur le lit à côté de lui pour atterrir sur le ventre et l'observer jouer assidûment au jeu vidéo qui s'agite sous ses iris concentrés.

Il est tant focalisé dessus, que sa mâchoire carrée ressort plus que d'habitude et qu'une légère ride de concentration vient barrer la peau habituellement lisse et délicate de son front.

— C'est à moi de choisir, je réplique en haussant un sourcil. Donc Titanic.

— Athalia, ce film est super... Niais ! s'insurge-t-il en évitant de justesse une banane qu'un adversaire vient de lancer sur son circuit dans Mario Kart. Moi vivant, jamais je ne le regarderais.

— Ne jamais dire jamais, je rétorque, un grand sourire aux lèvres.

Je ne lui laisse pas le temps d'ajouter quoi que ce soit, et réduis considérablement la distance qui sépare son visage du mien. Je me rapproche d'un seul geste, et savoure la surprise qui traverse le centre de sa pupille quand il me sonde, déstabilisé.

Mon nez frôle presque sa tempe, ses cheveux se soulevant légèrement au rythme de ma respiration quand elle voltige dans sa direction.

Je reste silencieuse un instant, puis m'emploie à lui faire les yeux doux pour le faire craquer. Je tente de ne pas prêter attention à l'odeur parfumée qui se dégage de sa peau, enivrante, saisissante, et observe les muscles de ses bras se raidir légèrement face à mon approche.

C'est tellement subtil, abscons, que je ne peux m'en apercevoir que grâce à notre soudaine proximité.

Mais Alexeï ne laisse rien paraître, malgré son regard qui, lui, peine à rester focalisé sur l'écran. Il semble être attiré vers le bas de mon visage, à quelques centimètres du sien.

Je vois ainsi avec plus de netteté les légères cicatrices de sa peau, ses rougeurs, ses pores, sa texture, son grain, son inégalité qui fait toute son authenticité.

— S'il te plaît, je minaude en laissant mon souffle volatile s'échouer contre sa mâchoire.

Il inspire bruyamment. Ses doigts se tendent autour des cornes de sa manette.

— Putain, Athalia..., soupire-t-il lourdement, comme si ce simple rapprochement entre nous venait de dérégler une partie de son métabolisme.

Je sais que je ne me serais jamais permise de m'approcher de lui de la sorte quelques semaines plus tôt. Je n'aurais même jamais pensé que j'aurais l'audace de le faire un jour.

Mais beaucoup de choses ont changé depuis ce fameux vendredi, qui a comme scellé un pacte silencieux entre nous.

Alexeï dort désormais chez moi une fois par semaine, dans la chambre d'à côté, étant donné que j'en possède bien assez pour moi toute seule. Et nous partageons très souvent mon lit ou le canapé quand nous regardons la télé ou qu'il joue aux jeux vidéo pendant que je lis un livre près de lui.

Notre proximité a considérablement augmenté de manière naturelle, et ni lui ni moi ne nous en formalisons, bien au contraire.

Je me sens mieux quand il est à mes côtés. Et je crois que lui aussi.

— Allez, dis oui. C'est mon film doudou, je renchéris en me mordillant la lèvre pour contenir le cri de victoire qui menace d'en sortir lorsque je remarque les traits de son visage qui se durcissent pour ne pas céder.

Il plisse le nez, pince ses lèvres entre elles, et resserre sa prise autour de l'outil qui lui sert à jouer, sans que je n'en comprenne la raison.

Une palpitation aiguillonne sa peau de son coude à son avant-bras, y dessinant une faible traînée de chair de poule, avant qu'il ne ferme brusquement les yeux, comme s'il se battait avec une centaine de ses pensées.

— Alexeï ?

Je murmure son prénom du bout des lèvres, inquiète de le voir réagir ainsi. Le temps d'un battement de cil s'écoule, puis il finit par tourner son visage vers moi, nos nez plus que séparés par un mince filament d'oxygène.

Ses orbes ont l'air plus adouci, malgré ce tourbillon d'émotions vives qui semble les agiter. L'espace autour s'est arrêté dès lors que nous nous observons dans le blanc des yeux, sans nulle autre parole que le langage qui se dégage de l'oscillation de nos iris.

C'est difficile, mais je prends sur moi pour ne pas laisser les miens s'égarer vers ses lèvres, dont la couleur profonde est semblable à la chair de la grenade.

Je ne sais pas à partir de quand j'ai commencé à ressentir ce genre d'attraction, le genre qu'on ne contrôle pas, mais il m'est très difficile de m'en détacher.

J'ai l'impression que c'est dur pour lui aussi de maintenir un certain sang-froid, une limite entre son visage et le mien, au vu de la ride devenue plus profonde entre ses sourcils. Mais avant que l'un de nous n'ait pu dire quoi que ce soit, Alexeï finit par se reculer.

Il hoche doucement la tête, et met ainsi un terme aux sensations étranges qui commençaient à fourmiller sous ma peau.

Je ne sais même plus de quoi on parlait.

— T'as gagné, ok. Va pour Titanic, capitule-t-il en se reconcentrant sur son jeu. Mais une seule fois.

Il ne laisse rien paraître quant à cette étrange atmosphère qui s'est installée entre nous il y a à peine quelques secondes. Je me demande même si je n'ai pas été la seule à l'avoir ressentie.

— Une seule fois ? je lui lance après un petit moment, un sourcil haussé. Tu ne diras pas ça après l'avoir vu. Tu vas en redemander.

Je souris avec malice malgré mes mains un peu moites, et tente de dissiper le léger malaise que je sens encore au fond de moi.

Ce n'est pas un malaise désagréable ou négatif. C'est juste... Nouveau, inattendu.

Je médite encore là-dessus, perturbée, et voit que mon petit air relâché le détend puisqu'il se met lui aussi à sourire en levant les yeux au ciel.

— C'est ça oui, compte là-dessus.

J'aurais bien aimé lui proposer de parier pour voir qui aura raison au bout du compte, mais je suis bien vite stoppée dans mon geste lorsque George vient se frotter lentement contre le lit à nos pieds.

Il nous fixe avec ses yeux humides, la truffe en l'air, dans l'attente qu'on réagisse à sa soudaine présence.

— Ah oui, c'est l'heure de manger, je déclare en passant mon bras par-dessus le bord du lit pour venir gratter l'arrière de ses oreilles. J'arrive, George.

Je le caresse encore quelques instants, et ressens la lourdeur du regard d'Alexeï qui fait de discrets allers-retours entre l'écran de la télé et moi, comme s'il pensait que je ne le voyais pas.

Mais je n'y prête pas plus attention, et finis par me lever pour aller nourrir mon chien, et pour commander nos habituelles pizzas.

J'extirpe mon téléphone de la poche de mon jogging pour contacter la pizzeria, et marche ensuite vers la porte de la chambre en sentant les pupilles d'Alexeï me brûler les omoplates dans ma progression.

Je tente de ne pas me retourner lorsque cette agréable sensation m'assaille, et sors de la pièce pour aller m'adosser au chambranle d'une autre chambre pour me remettre un instant les idées en place.

Je sais que je n'ai pas rêvé. Que ça soit maintenant ou tout à l'heure quand nos visages étaient aussi proches l'un de l'autre, Alexeï a aussi ressenti l'alourdissement qui a envahi l'atmosphère, même s'il tente par tous les moyens de ne pas le montrer.

Mais ses yeux, ses traits, ses gestes, et son attitude, surtout, ne trompent pas.

Soulagéeet satisfaite de voir que je n'ai rien inventé, je saisis George dans mes brasavec le plus de délicatesse possible pour le porter contre mon cœur, le nezdans son pelage, et un doux sourire enjolivant le coin de mes lèvres.

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