Chapitre 12

Athalia


Mon buste est trempé lorsque je me réveille brusquement au beau milieu de la nuit. Des perles de sueur coulent le long de mes tempes, mes cheveux sont humides, et je peux sentir la moiteur de ma peau qui colle à mon pyjama.

George à mes côtés remue légèrement quand je m'agite, mais il continue de dormir sans me prêter grande attention. En même temps, ce chien me voit plus faire des crises d'angoisses qu'il ne voit sa gamelle.

Le corps toujours en émoi, je me lève avec précaution et pose mes pieds nus sur les dalles glaciales de la chambre. Mon ventre me fait mal de stress, et mes jambes ne cessent de trembler, tandis que j'essaie de me redresser.

Tout va bien, Athalia. Tu n'es pas malade. Tu ne vas pas vomir. Tout va bien, ça va passer. Ça va passer.

Mais comme bien souvent, mes mots ne suffisent plus à me rassurer, peu importe la force et la fréquence à laquelle je me les répète.

Une fois debout, je marche péniblement jusqu'à la salle de bain, mes genoux claquant l'un contre l'autre à cause des soubresauts incontrôlables de mon corps.

Oui, c'est à ce point-là.

Mes entrailles se torsadent de nouveau à cause de l'angoisse qui vient de s'éprendre de tout mon être, mais j'arrive tout de même à atteindre la salle de bain.

J'allume la lumière, qui achève de me réveiller avec l'éclat de son néon, et m'avance avec peine vers le miroir en tirant aussitôt la langue d'un geste fébrile quand je l'atteins.

Je m'appuie sur les bords du lavabo, le souffle court à cause de la détresse qui me ronge, et constate que ma langue n'est recouverte d'aucune blancheur, et que je n'ai pas de fièvre.

Je vérifie par précaution une bonne dizaine de fois pour en être certaine, puis je me lave les mains pendant au moins cinq minutes pour bien insister sous les ongles, vu le nid à bactéries que c'est.

Quand je me sens un peu mieux malgré la lourdeur toujours présente dans mon ventre, je pose mes mains sur la tablette en marbre qui entoure le lavabo, et garde la tête vers le bas en fixant le siphon pour tenter de me concentrer sur ma respiration.

J'essaie d'inspirer par le nez, puis de soupirer par la bouche, et pendant que je m'emploie à tenter de me rassurer, l'image d'Alexeï s'impose soudain à mon esprit.

Je le revois ce jour-là, à essayer de tout mettre en œuvre pour que je me détende et que je me calme, lorsque j'étais assise sur le tabouret le jour de l'interview.

Même si mes souvenirs ne sont pas nets, étant donné que ça remonte à plus d'une semaine déjà, je me force à me remémorer le mouvement que me mimaient ses lèvres.

Ainsi, le rythme qu'il a octroyé à sa respiration, malgré la distance qui nous séparait, remonte peu à peu dans mes souvenirs et se calque bientôt sur la mienne.

Après quelques minutes, mes mains tremblent un peu moins. Mes doigts restent ancrés au lavabo, et sans réellement savoir pourquoi, je continue de me raccrocher à ce souvenir d'Alexeï pour faire passer l'angoisse qui me compresse toujours la poitrine.

Me perdre ainsi dans mes pensées semble fonctionner, du moins, jusqu'à ce que je relève les yeux vers mon reflet et que je remarque mon teint plus pâle que d'habitude.

Une nouvelle boule tombe dans mon estomac près de la première, plus lourde, plus dominante. Ma tension chute, et mes mains se remettent à tressaillir de plus belle alors que la voix dans ma tête reprend la sombre mélodie qu'elle entonnait déjà, quelques minutes plus tôt.

Il faut que je m'éloigne des toilettes.

Ce fait s'impose à moi avec une telle brutalité au travers de ma panique, que j'ai l'impression de me prendre une décharge électrique qui suffit à me redonner la lucidité dont j'ai besoin pour quitter la salle de bain.

J'ordonne à mes jambes de retourner dans ma chambre, et une fois face à mon lit, je me laisse lourdement tomber aux côtés de George, qui ne relève même pas la tête.

Je reste un instant couchée sur le ventre à essayer de réguler mes halètements sous les yeux globuleux de mon chien, qui finit par venir lentement frotter sa truffe contre ma joue.

Je sais que c'est un certain effort pour lui au vu de son âge et de ses muscles rouillés. Mon regard reconnaissant se perd sur sa truffe humide, puis je dépose un tendre baiser sur le dessus de sa tête pour le remercier.

Je referme ensuite les paupières, me disant naïvement que j'arriverais peut-être à me rendormir malgré mon anxiété, mais je sais au fond que ça n'arrivera pas.

À chaque fois que je fais ce genre de crises au beau milieu de la nuit, c'est la réflexion que je me fais. Mais elles sont si puissantes, qu'elles me gardent éveillée jusqu'au matin.

Alors sur l'instant, sans trop savoir pourquoi, sûrement animée par un besoin primitif logé dans mon inconscient, j'attrape mon téléphone qui traîne sur ma table de nuit et fais défiler mes contacts à l'aide de mon index après avoir déverrouillé l'écran.

Le prénom d'Alexeï apparaît bien vite sous mes yeux, puisque je n'ai de toute façon pas tant de numéros que ça, et avant même que je ne prenne de réelles décisions, j'ai déjà cliqué sur le bouton lié aux appels.

Je patiente quelques secondes, tout à coup plus stressée par la perspective de cet appel, plutôt que par le mal-être qui me ronge.

Bon sang, mais qu'est-ce qui m'a pris ?

Ce n'est pas du tout mon genre d'appeler qui que ce soit en pleine nuit -mis à part pour une urgence- et encore moins Alexeï.

Nous ne sommes même pas si proches que ça. Pourquoi est-ce que je viens de faire ça ?

— Hm...

Mon doigt en suspension au-dessus du bouton raccrocher se stoppe bien vite quand j'entends Alexeï remuer légèrement de l'autre côté du combiné.

Je sens mon cœur battre plus vite, et laisse planer quelques instants de silence sans oser prononcer la moindre parole.

Mais c'est lui qui finit par le faire, sans doute plongé dans l'incompréhension quant à mon acte précipité, et surtout, inattendu.

— Oui Athalia ? Qu'est-ce qui se passe ? murmure-t-il de sa voix légèrement enrouée, attendant que je lui apporte une explication.

À cet instant précis, j'hésite à tout nier. Je devrais lui dire qu'il n'y a rien, que c'était une erreur, que je me suis trompée.

Mais à l'idée de me retrouver une nouvelle fois seule face à mes angoisses, mon cœur se comprime un peu plus, et je peux même sentir ma tension chuter de nouveau.

— Je ne me sens pas bien. Je...

Ma réponse est à peine audible puisque je parle d'une voix basse moi aussi, mais il ne s'en formalise pas. Je l'entends bouger une nouvelle fois contre ses draps, et perçois le frottement qu'ils font en rencontrant son corps.

Je ne sais pas pourquoi, mais imaginer sa silhouette gracieuse et finement musclée, enroulée dans les étoffes cotonneuses, ainsi que ses cheveux en pagaille par son sommeil, étalés sur son oreiller, fait naître en moi quelque chose que je n'avais jamais ressenti jusqu'alors.

— Tout va bien Athalia, je suis là, souffle-t-il d'une voix douce, en se rapprochant du téléphone.

Je hoche la tête pour moi-même, comme s'il se trouvait dans la même pièce que moi, et décide de me blottir sous ma couette en posant mon cellulaire sur le matelas juste à côté de ma joue.

— Je suis désolée de t'avoir réveillé... Je ne savais pas qui appeler d'autre, je lui avoue en parlant tout bas, le regard tourné vers l'écran de mon téléphone, comme si la simple lecture de son prénom affiché dessus pouvait à lui seul m'apaiser.

— Ne t'en fais pas, ça me fait faire des heures supplémentaires, déclare-t-il sur un ton nonchalant propre à lui-même, qui me fait esquisser un léger sourire.

— Je ne paie pas les heures supps quand elles ont dépassé minuit, je susurre, amusée par la tournure que prend notre conversation.

— Tu vois, tu es vraiment la pire des boss.

Je l'entends légèrement rire à l'autre bout du fil, et pendant une demi-seconde, j'envisage qu'il soit avec moi.

J'essaie de me représenter la façon dont ses mèches châtains tomberaient devant ses yeux clair, la courbe qu'auraient ses lèvres quand il me sourirait au travers de sa mine fatiguée. Et quel éclat pourraient bien avoir ses iris lorsqu'ils entreront en collision avec les miens.

Je suis complètement en train de divaguer. Je ne fais même plus attention à ce qu'il me dit.

— Pardon, qu'est-ce que tu as dit ? je lui demande en reportant mon attention sur mon portable.

— Attends, c'est toi qui m'appelles à quatre heures du matin, et tu n'écoutes même pas ce que je te dis ? s'offusque-t-il sur un ton faussement éhonté. Je rêve, Saïtovna Athalia, vous êtes vraiment la pire supérieure que j'aie eu de ma vie.

Je me mets sincèrement à rire cette fois-ci en entendant son air outré, et roule un peu sur moi-même pour me coucher sur le dos et pouvoir atteindre la petite tête de George que je caresse avec douceur.

— Je suis plutôt la meilleure que t'aies eu, oui. Ose dire le contraire.

Un faible silence s'installe alors entre nous, et ce qui était censé être à l'origine une blague, semble devenir peu à peu une question sérieuse quand ce mutisme perdure.

Seul le bruit que fait George en passant sa langue sur son pelage me tient compagnie, tandis que j'attends une réaction de la part d'Alexeï.

— Sincèrement ? Oui, Athalia. Tu es la meilleure, chuchote-t-il après quelques instants à travers le faible bruissement que fait son pyjama contre la couette quand il change lui aussi de position.

Je reste un moment silencieuse. À la fois pour laisser ses paroles glisser sur moi, mais aussi pour me rendre compte du cap que nous sommes actuellement en train de passer, lui et moi.

Il n'y a, en vérité, rien de particulier, si ce n'est que je ressens désormais un sentiment nouveau qui me fait réaliser que nous devenons peu à peu plus que deux professionnels.

J'ai la précieuse sensation que nous sommes en train de devenir amis.

Et aussi enfantine soit cette phrase, ça me fait quelque chose au fond de me dire que je peux désormais compter sur une autre personne que Jenny.

— Je... J'essaie en tout cas d'être la plus naturelle possible, je finis par lui répondre d'une intonation plus timide, perturbée par mes dernières pensées, et laisse mes doigts se perdre dans le pelage légèrement emmêlé de George.

— Ne change jamais cette facette de toi, dit-il en esquissant un léger sourire qui se ressent à travers sa voix. Tu sais, tu serais surprise de voir que beaucoup de célébrités se moquent de leur staff. Ils ne font pas attention à nous, et nous prennent juste pour acquis. Mais toi, tu réagis à mes blagues, tu discutes avec moi, déclare-t-il d'un ton doux. On n'est pas juste une star et son maquilleur.

À nouveau, j'acquiesce en silence, et me concentre sur le plafonnier face à moi que je ne parviens pas à distinguer pleinement à cause de la pénombre de la pièce. C'est seulement après un moment, que je prends conscience que mes doigts ne tremblent plus, que ma poitrine n'est plus enserrée, et que mon ventre ne me fait plus souffrir.

Parler avec Alexeï est en réalité plus efficace que tous les médicaments du monde.

— C'est aussi pour ça qu'au début, poursuit-il après quelques secondes, j'essayais souvent de venir vers toi. Je me disais que si on devait travailler ensemble pour une durée indéterminée, il fallait briser la glace.

— Tu as bien fait, même si je suis très renfermée, en effet. Il va te falloir plus que ton joli sourire pour me séduire.

Je me mets à rire en disant ça, mais ce sont les éclats de son rire à lui qui me parviennent le plus fort, entre le ton de sa voix à la fois calme, lent et doux.

Elle a une sonorité plutôt aiguë habituellement, mais comme Alexeï s'est réveillé il y a peu de temps, elle porte encore une tonalité plus grave et profonde. Et je dois bien m'avouer que cette voix-là, cette voix que peu de gens ont la chance de percevoir, a le don de me charmer.

— Qu'est-ce qu'il y a de si drôle, Filatovitch? Je suis si amusante que ça ? je lui demande le sourire aux lèvres, haussant un sourcil faussement hautain, même si je suis consciente qu'il ne peut pas me voir.

— Tu as dit que j'avais un joli sourire, Athalia, murmure-t-il dans le micro de son téléphone portable, comme si cette simple phrase donnait réponse à tout.

Il a l'air si proche de son cellulaire, que je pourrais presque sentir les effluves de son souffle venir frôler mes lèvres pour se répandre dessus.

Soudain décontenancée, j'essaie de me concentrer sur le pelage de George, et me rends compte qu'à force d'être perdue entre les différentes brides de mes pensées, je lui ai fait des petits nœuds partout.

Je m'excuse alors du bout des lèvres en me penchant vers lui pour embrasser le dessus de sa tête à plusieurs reprises. Mes doigts flattent son flanc, et sa respiration enrouée me parvient plus aisément quand il tourne la truffe vers moi.

Le bout de sa langue rose vient à la rencontre de mes phalanges, au moment où la voix d'Alexeï s'élève à nouveau non loin de mon oreille.

Semblable à une délicate mélodie, elle vient percer l'enivrement obscur qui gorge la pièce, tel l'aube d'un jour nouveau qui habillerait la terre de sa robe aux carnations flamboyantes.

— Et ça, tu vois, c'est l'unique chose qui va me permettre de faire de beaux rêves cette nuit. 

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