Chapitre 4.2
Une main s'abat sur ma bouche pour rendre muet mon cri de surprise et de terreur tandis qu'une poigne de fer retient mes bras dans mon dos.
— Si tu cris, si tu te débats, si tu parles, je révélerai à tous ton petit secret.
Le cœur tambourinant, je me fige en reconnaissant la voix cruelle de Raïs. De quoi parle-t-il ? Quel secret ? Perdue, j'essaie de deviner ce qu'il pourrait savoir de compromettant sur moi. Mais rien ne vient. Alors sa menace me fait ricaner, et sa main sur ma bouche se fait plus pressante, m'étouffant à moitié. Dans mon dos, j'entends son souffle s'approcher de mon oreille, puis effleurer la peau sensible de mon cou. Ne voulant pas connaître la suite des événements, je me débats d'un mouvement brusque, faisant partir mon corps vers l'avant. Déployant toutes mes ressources, j'essaie de donner des coups de tête, de pieds, de coudes, mais ma grande erreur a toujours été de le sous-estimer : il m'immobilise complètement entre ses bras puissants. Alors, tirant sur mes cheveux pour m'empêcher de bouger, il pose ses lèvres chaudes dans mon cou et commence à suçoter ma peau, presque tendrement. Une vague d'émotions me traverse, de la répulsion au dégoût, en passant par la peur de ce qu'il pourrait me faire. Luttant contre la douleur, j'essaie de lui donner un nouveau coup de tête, mais je réussis seulement à perdre une touffe de cheveux tandis que sa poigne se resserre violemment. Jamais je n'arrête de me débattre, de crier contre sa paume tandis qu'il marque mon cou de suçons violacés, abominables et honteux. Il n'en retire aucun plaisir, hormis celui de m'humilier en marquant ma peau. Ce qu'il me fait, je ne le raconterai sûrement à personne. A cause de la honte. Honte de ces marques, honte du fait que je ne sois pas arrivée à m'en sortir seule, honte d'avoir été faible.
Optant pour une autre tactique, je force mes muscles à se détendre et à rester calme et lutte pour combattre les frissons qui me traversent quand ses dents jouent avec la peau tendre de mon cou. Des frissons de désir. C'est un coup qui fait mal, de réaliser que mon propre corps me trahit, échappe à mon contrôle. Je vois rouge, une bouffée de rage m'étrangle, suprême humiliation.
Je pousse un rugissement de colère, et commence ma transformation en louve. Mais il me tient encore serrée contre lui et, privée d'espace, ma tentative avorte. Il ricane dans mon cou. Furieuse, je bouge dans tous les sens, et je sens le moment où, légèrement déstabilisé, il laisse apparaître une faille dans laquelle je m'engouffre aussitôt : ne retenant plus ma haine, je mords ses doigts jusqu'à en sentir ses os, puis lui donne un coup de coude en plein dans le ventre et parviens à m'extirper de son emprise. Désormais debout face à lui, je reste pantelante et haletante, les yeux embués, les bras ballants, ne sachant que faire. Ses yeux presque noirs attendent, moqueurs, la suite des événements. Figée par un semblant de peur et de surprise, je n'arrive pas à bouger, juste un pas en arrière.
— Ton petit secret... murmure-t-il en laissant planer la menace.
— Tu vas payer.
Ma voix rauque et sèche tremble un peu, et je m'échappe, je m'enfuis, face à sa moue dubitative et confiante. Je veux qu'il meure, et il mourra, je me le promets, mais avant : il payera.
C'est ainsi que, n'attendant pas la fin de mon tour de garde, je trouve refuge dans la tente d'Alek. Le garde qui surveillait à la fois la tente du Capitaine et la tente du Sous-Capitaine regardait dans la mauvaise direction, alors j'en ai profité pour rejoindre mon plus vieil ami. Je ne l'ai pas réveillé, et, blottie sur les couvertures à ses côtés, je garde les yeux rivés sur l'entrée de la tente, craignant que Raïs n'y fasse irruption. Pour la première fois depuis qu'on se connaît, il me fait peur. Il me faut attendre la fin de la nuit avant de me calmer, et quand j'arrive enfin à fermer les yeux, on me réveille de suite, en me secouant doucement le bras.
— Eh, qu'est-ce que tu fais là ?
La voix ensommeillée d'Alek me réveille tout à fait et je me tourne vers lui, ajustant mon turban autour de mon cou. Redressé en position assise entre ses couvertures, il se frotte les yeux, et je passe doucement mon regard sur son torse dénudé, ferme. Je grince des dents et regarde ailleurs, chassant mes émotions.
— Je n'arrivais pas à dormir, c'est tout.
— Mais encore ?
J'aurais dû m'y attendre, il n'est pas dupe. Mes prunelles rencontrent ses yeux de la couleur de l'orage, et un sourire un peu moqueur étire sa bouche tandis qu'il se penche vers moi. J'écarquille les yeux, gravant dans ma mémoire chacun des détails de son visage : ses mèches brunes un peu rebelles qui retombent sur son front, la barbe de quelques jours qui souligne sa mâchoire finement ciselée, son nez droit et ses iris magnifiques, mis en valeur par sa peau brunie par le soleil. Jamais je n'ai vu plus belle couleur d'yeux, à la fois menaçante mais aussi étrangement réconfortante, parce que familière. Je retiens mon souffle.
— Aller, avoue. Qu'est-ce que tu fais là ?
Son ton amusé fait naître un petit sourire sur mes lèvres, sincère. Je fais semblant d'abdiquer en lâchant un soupir :
— D'accord, d'accord... en me couchant, j'entendais des bruits bizarres, j'ai eu un peu peur, et je suis venue ici.
Il plisse les paupières.
— Tu mens si mal...
Sans rien ajouter à ce constat, il se lève pour aller s'habiller. Je le sens un peu déçu, légèrement blessé que je ne me sois pas confiée. Parce qu'il a perçu que quelque chose clochait. Pourtant, il ne m'en blâme pas et me tend gentiment mon uniforme. Pantalon marron en vona, tunique en lin entre le beige et la couleur du sable et bottes en cuir qui montent jusqu'à mi-mollet, et je suis fin prête. Le manteau ne sert que la nuit, et reste dans nos sacs pendant la journée. Puis j'attache mes cheveux gras et secs, évite de me renifler et sors dans le soleil levant.
Personne ne nous voit sortir ensemble de la tente, mais personne ne s'étonne de nous voir rejoindre ensemble le feu de camp pour le petit déjeuner. J'évite de regarder les gens, seulement mes pieds : je ne veux pas croiser le regard de Raïs.
Comme à mon habitude, je remplis le fond de mon gobelet en métal d'eau bouillante et fais infuser mes plantes à l'intérieur. En quelques minutes, j'ai tout bu et nous sommes presque prêts à repartir : les tentes sont presque toutes pliées et rangées, les loups sont déjà transformés et le Capitaine nous attend, perché sur sa monture.
C'est ainsi que commence paisiblement cette journée qui ressemble tant aux précédentes. Rapidement, nous nous adaptons à notre nouvel environnement. C'est néanmoins beaucoup plus sportif : nos montures doivent sauter, puis se réceptionner, escalader, sans jamais nous faire tomber. Moi, je m'agrippe de toutes mes forces à la fourrure de Misael. Alors que l'après-midi passe, la nervosité et l'impatience commencent lentement à s'emparer du groupe : nous allons bientôt rejoindre la division d'Alkìne, et l'appréhension s'empare de nous. Parallèlement, un vent de plus en plus fort se lève. Les turbans bien enroulés autour de nos têtes, nous continuons d'avancer, les visages penchés pour échapper aux grains de sable. Et puis soudain, nous nous arrêtons tous, et la panique se fraye un chemin entre nous.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? lance une voix que je n'arrive pas à identifier avec le vent.
— L'oasis est asséché, et il n'y a personne ! lui répond Alek.
Le désespoir s'abat sur notre groupe, et la force du vent s'intensifie. Double tragédie : pas d'eau dans l'oasis, et pas de division d'Alkìne en vue. Je retiens un rire nerveux, ne sachant si je dois m'énerver ou céder au désespoir. Le Capitaine ne se laisse pas abattre et donne ses ordres :
— On reste groupé et on essaye de trouver un endroit pour s'abriter.
Alors nous continuons d'avancer. Nous passons près du creux dans les rochers où un jour l'eau a clapoté, des palmiers morts encore debout l'entourent, mais sont sur le point de s'effondrer. Je ne saurais dire pendant combien de temps Misael a bondi de pierre en pierre, ou a marché sur du sable avant de reprendre son ascension ou sa descente. Je ne sais pas, je fermais les yeux et voûtais les épaules pour lutter contre le vent.
— Ça suffit ! Stop ! On s'arrête ! On n'en peut plus...
Je crois que c'est Louri qui a crié comme ça, et nous nous arrêtons. Les loups reprennent forme humaine, et nous nous asseyons par terre, les turbans recouvrant complètement nos visages. On ne voit plus rien.
Nous avons déjà dû affronter des tempêtes de cette intensité, juste un moment pénible et long à passer, durant lequel nous ne risquons rien. Généralement, ces tempêtes ne durent pas longtemps. Autour de nous, nous n'entendons plus que le vent qui souffle, sifflant entre les rochers et faisant voler avec lui le sable. Là encore, je perds toute notion du temps. La tempête ne se calme pas, se déchaîne dans le désert, nous pousse, nous bouscule, essayant de nous faire comprendre que notre place n'est pas ici. La nature essaie de nous chasser de ce milieu hostile, et pour la première fois, j'ai envie de lui obéir. Je suis lasse de ce voyage sans but, d'être éloignée de toute forme de civilisation, de voir sans cesse les mêmes visages, de parler avec les mêmes personnes. J'ai soif de nouveauté, et je me vois forcée d'avaler de l'habitude.
Les yeux fermés, j'essaie de faire abstraction des éléments déchaînés pour pouvoir me reposer un peu. Complètement isolée de mon environnement, j'y serais sûrement arrivée si un grondement sourd n'avait pas surpassé le bruit du sable claquant sur mes vêtements, du vent sifflant dans le désert. La tête toujours entourée de mon turban, je redresse la tête, les sens à l'affût. Était-ce un bruit sorti de mon imagination ? Un nouveau grondement m'offre une réponse à cette question. La seconde d'après, je me redresse, mes yagans dans les mains. Bientôt, des bruits sourds résonnent tout autour de nous : des souffles menaçants, des dents qui claquent. Sans avoir eu à dire quelque chose, chacun des membres de notre groupe est sur le qui-vive, prêt à agir. Nous ne formons qu'un. Unis face à ce que nous redoutions depuis si longtemps. Et au lieu de la panique que j'avais imaginée, un étrange calme règne.
Dans l'air, un seul ordre, tenez-vous prêt.
Mes muscles se bandent, et faisant face dignement aux Perdus encore invisibles qui nous entourent, j'essaie de chasser ma désillusion. Désillusion de savoir que face à eux, maintenant, nous ne pourrons rien faire. La tempête est à son apogée, et avec ou sans turban, nous ne verrons pas nos ennemis, ni ne les sentirons : nous ne pourrons les combattre. Alors encore une solution, la seule porteuse d'espoir de réchapper de ce combat : la fuite. Mais là, entourée de ma cohorte, je ne peux m'y résoudre, même si mon instinct de survie me hurle de les laisser, me supplie de disparaître loin de ces monstres.
Malheureusement, ou peut-être heureusement, le temps me manque pour trancher. Un hurlement surgit de devant moi, suivi aussitôt par un cri d'homme, un cri d'horreur, de douleur, de peur. Cette fois-ci, je ne peux retenir un mouvement de recul, de fuite. C'est notre Capitaine qui nous rappelle à l'ordre, insufflant un élan de courage à notre troupe. Sachant que c'est la seule solution qui me reste, et étant incertaine d'en réchapper, je retire le turban qui protégeait mon visage, ne laissant que mon nez et ma bouche couverts. Aussitôt le sable griffe et lacère mes joues, il crève mes yeux. Les larmes brouillant ma vue, je peine à distinguer dans la poussière l'imposante silhouette lupine qui semble affronter un de mes camarades. Un Perdu, à coup sûr. Je m'élance dans leur direction, mais une puissante rafale les engloutit, je me courbe, essayant tant bien que mal de protéger mes yeux. Acte aussi vain qu'inutile : je sens le sable râcler ma cornée à chaque fois que je cligne les paupières.
Dans la débâcle, on me bouscule, mais c'est autre chose qui m'achève : le cri d'un homme trop bien connu.
Coucouuuuu ! Comment allez-vous ? Ça fait longtemps ! Désolée pour le retard mais j'avais mes concours blanc à passer et j'étais juste rincée à la fin... bref, alors ce chapitre ?
⭐️ Raïs ? A votre avis, quel est le secret qu'il détient sur Kiara ?
☀️ Alek ?
⚡️Et la tempête ? Que pensez-vous qu'il va se passer ?
Lâchez vous en commentaire, je n'attends que ça ! Je vous retrouve pour la suite la semaine prochaine !
Gros bisous
StarryHand
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