Chapitre 4.1

Les semaines s'écoulent lentement mais sûrement. Les premiers jours ont été les plus durs, mais comme l'avait prédit le Capitaine, nos corps se sont adaptés petit à petit. Nos besoins en eau ont par exemple diminué, et la chaleur nous est devenue moins pénible. Aussi parce que nous avons tous adopté le turban comme vêtement fétiche : un changement survenu peu après notre départ. Le soleil tape tellement fort, et les rafales de vent – chargeant avec elles des milliers de grains de sable - sont si fréquentes qu'il est rapidement apparu nécessaire de se munir d'une protection contre les éléments. Le turban a changé notre quotidien dans le désert. Nous ne nous reconnaissons plus que grâce à notre silhouette, les turbans ne laissant apparaître que nos yeux.

Finalement, le système de montures et de cavaliers a été bien accepté : les loups se sont habitués à la marche dans le sable et les cavaliers, après avoir expérimenté des douleurs dorsales, se sont adaptés au jeu de muscles de leur monture. La seule chose qui n'a pas changé est mon léger malaise à la vue du sol : un frisson me parcourt toujours.

Les paysages se sont succédé : des dunes, nous sommes passés à une étendue plate et rocailleuse avant de revenir vers des dunes tout bonnement immenses. La légende était vraie : certaines sont si grandes et si effilées que l'on pourrait croire qu'elles vont nous engloutir. Le passage de ces immenses dunes a sûrement été la partie la plus dure – pour l'instant – de notre voyage : il fallait sans cesse monter puis descendre, le sable s'effondrait plus souvent et c'est surtout à ce moment que nous avons fait la connaissance des irids. Le premier a bondi sur le cavalier juste devant moi alors que nous descendions le versant d'une dune. Un truc énorme recouvert d'écailles couleur sable. Aussi vif que l'éclair, juché sur une dizaine de pattes osseuses et griffues et avec un corps légèrement aplati, il m'a fait si peur que je n'ai pas pu retenir un cri de terreur. Mais le cavalier a eu de la chance : l'irid a mordu de toutes ses forces son sac au lieu de sa jambe, puis Martan – le cavalier - a rapidement poignardé l'irid au niveau de la nuque. Le sang étrangement transparent, comme de l'eau, a maculé le sable et l'irid est tombé. Nous sommes passés à côté du corps en retenant des grimaces de dégoût. Le loup qui était la monture de Martan a en revanche plus souffert : son flanc auquel s'est accroché l'irid avec ses griffes a été lacéré, alors le temps qu'il se rétablisse, Martan est devenu sa monture. Depuis, plus personne ne lâche son couteau et notre vigilance ne faiblit pas un seul instant. Au cours des derniers jours, nous en avons affronté une demi-douzaine, un nombre en légère baisse par rapport aux deux dernières semaines.

Je suis chanceuse par rapport aux autres : pas un seul irid ne s'est attaqué à moi tandis qu'Alek s'en est farci trois. J'en ai seulement affronté lors de mes tours de garde en tant que sentinelle, la nuit.

En revanche, nous n'avons pas été confronté à un seul Perdu. Nous en avons seulement aperçu de très loin, des petites fourmis depuis l'endroit où nous étions. L'ambiance s'est tendue, et la peur battait sourdement entre nous. Ils ont continué leur route, et nous avons repris la nôtre.

Tous les quatre-cinq jours, parfois un peu plus, parfois un peu moins, nous nous arrêtons dans des oasis pour reconstituer nos réserves d'eau. On y trouve souvent des petits groupes de personnes, et alors nous avons droit à de la nourriture autre que des graines et de la viande séchée. La prochaine oasis se fait d'ailleurs légèrement désirer : cela va bientôt faire six jours que nous n'avons pas croisé de point d'eau, et il devient urgent de reconstituer nos réserves.

— On va s'arrêter là pour la nuit, lance le Capitaine en descendant de son loup, avec un peu de chance, nous trouverons la division d'Alkìne demain, à côté de l'oasis.

Puis dans le soleil déclinant, il met sa main en visière et observe le paysage qui nous attend désormais : face à nous se dressent des plateaux rocheux de toutes les tailles, des blocs qui semblent s'être posés dans le sable par hasard. La première pensée qui me traverse l'esprit est que ce nouveau paysage sera sûrement le pire si nous sommes amenés à combattre. Nous devrons nous faufiler dans les failles creusées dans la roche, escalader les rochers sans jamais se retrouver acculé face à un précipice ou à un cul de sac. J'ai vu la carte du Capitaine, et elle ne détaille aucun de ces éléments. Notre chef doit penser la même chose car je le vois retenir un soupir las.

Néanmoins, c'est avec l'espérance de bientôt toucher notre but que nous installons notre campement. Misael et moi nous occupons d'allumer le feu, et quand il ne reste du soleil qu'une infime clarté dans le ciel et un air encore légèrement chaud, Athala hèle Misael.

— Aller, aujourd'hui, c'est à toi de te battre contre Kiara !

Les petits duels du soir sont devenus des petits moments de distraction. D'abord trois à participer avec Athala et Misael, nous sommes désormais une vingtaine. Ainsi, chaque soir, un volontaire combat le vainqueur de la veille, et aujourd'hui, Athala essaie de motiver Misael.

— Non non, souffle mon ami avec une moue maussade sur les lèvres, et pour détourner notre attention, il tend une autre perche : mais je suis sûr que ça fera plaisir à Alek ! On les a pas encore vu se battre, ces deux-là !

En tenue de combat au centre du cercle formé par la petite assemblée, je pose mon regard sur Alek, confortablement installé à côté de Misael. Ils s'entendent très bien, mieux que je l'aurais d'abord cru. Alek décline à son tour :

— Si Kiara gagne ce soir, je me battrai contre elle demain.

Un sourire joueur étire mes lèvres : je gagnerai ce soir, et aussi demain.
Finalement, c'est Martan qui se lève.

— C'est parti Kiki.

Je tire mon yagan du fourreau situé dans mon dos et me mets en position. Les jambes plantées dans le sol, le corps légèrement vers l'avant, je scrute le moindre de ses gestes, prête à réagir à la moindre tension dans ses muscles. Martan m'imite : lui aussi combat avec un yagan. Et puis soudain, c'est lui qui s'élance dans ma direction. Je pare le premier coup en grimaçant, et me décale sur la droite.

***
Le combat a été assez musclé. Allongée près du feu entre Misael et Alek, le cœur encore battant, je me remets de ma victoire le sourire aux lèvres. Demain, je combattrai Alek.

Alors que la nuit s'installe durablement, révélant la voûte céleste, le Capitaine fait sa dernière apparition :

— Kiara, Raïs et Louri, vous commencez le premier tour de garde ; Martan, Ivad et Luk vous prenez le deuxième. Je vous souhaite à tous une bonne nuit.

Nous lui souhaitons de même pendant que Misael ricane, sûrement parce qu'il a entendu le nom de mon ennemi juré. Alek lui lance un regard perplexe, ne comprenant pas pourquoi cela le fait autant rire. Et ce, pour la simple et bonne raison que je ne lui ai pas parlé de Raïs. Petit problème : les deux s'entendent relativement bien, et Raïs se fait même un plaisir de traîner le plus souvent possible avec Alek, sachant pertinemment que je n'approcherai pas tant qu'il sera là. Je n'ai pas osé en parler à Alek, j'en avais l'intention au début, mais le temps a passé et désormais, je me vois mal me confier. Misael me l'a un peu reproché, mais il n'a rien dit.

Le lancement de l'expédition a été aussi le lancement d'une guerre âpre et sans pitié, mais discrète : si nous nous faisons remarquer, alors nos supérieurs nous puniront. C'est moi qui ai commencé mon premier acte de vengeance : j'ai uriné sur ses affaires. Jouissif, c'est le mot le plus juste pour décrire ce que j'ai ressenti. Mais je n'ai pas eu le temps de savourer qu'il vidait mes gourdes, lacérait mes vêtements, volait une bague que Baba m'avait offerte... Je ne l'ai jamais revue d'ailleurs, elle est probablement enfouie quelque part dans le sable, perdue à jamais. J'en ai laissé échapper une larme de rage, et je me suis reproché d'avoir relancé les hostilités... jusqu'à ce que Misael me donne raison : j'étais en droit de venger l'humiliation que j'avais subie à la Base. Je me suis laissé persuader, aussi pour moins en souffrir. Depuis, nos regards haineux, nos gestes cruels et notre mépris mutuel rythment l'expédition. Les coups bas se multiplient, et je dirais même qu'ils gagnent en intensité ces derniers temps. Peut-être que cette nuit sera une belle occasion, pour lui ? pour moi ? l'aube nous le dira.

Les soldats prennent petit à petit le chemin de leur tente jusqu'à ne laisser que trois d'entre nous : Raïs, Louri – un homme avec qui je m'entends bien – et moi-même. La veillée commence. Munie d'une torche, je commence mes rondes sans jamais trop m'éloigner de Louri. Scrutant l'obscurité en même temps, je reste sur mes gardes, tendue et me concentrant sur les moindres faits et gestes de Raïs. Ce soir, la Lune est presque pleine, illuminant le désert d'une lueur presque polaire. Les contours et ombres des blocs de gré n'en sont que plus apparents.

Ma torche est inutile, on y voit presque comme en plein jour, alors je l'éteins. Nous finissons par nous séparer pour mieux surveiller les abords du campement et je m'assieds sur le sable, serrant mon manteau autour de moi pour chasser le froid mordant. Une heure ou deux passent dans le plus grand des calmes, et face au silence du désert, peut-être que ma vigilance se relâche. Ce n'est que lorsque j'entends un souffle derrière moi que mes réflexes reviennent, mais c'est déjà trop tard.


Heyyyyyyy !!! Comment allez-vous ?? Noël approche, vous faites le plein de chocolats ?
Boooooon : ce chapitre ? Qu'en dites-vous ?

⚡️ Notre compagnie touche bientôt son but, que pressentez-vous pour la suite ?

•> selon vous, que va-t-il se passer directement après la fin de ce chapitre ?

NB : j'ai mes concours blancs qui commencent cette semaine, donc je ne garantis pas de chapitre la semaine prochaine... mais je me rattrape pendant les vacances de Noël !

Bisouuuus
Passez un bon dimanche !
StarryHand ☀️

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