Les paroles de Tsunade tournaient encore en boucle dans sa tête. Elle se revoyait, les membres frémissants de rage et le corps enflammé de noirceur. Elle voulait détruire, tuer et s'échapper. Mais ses liens l'avaient gardée prisonnière et elle s'était sentie pitoyable et impuissante.

Tsunade s'était délectée de chaque seconde de sa souffrance. La sueur perlant sur son front, tremblant sous la douleur, voilà l'image qu'elle avait renvoyée à son ancienne préceptrice pendant deux longues heures. Et alors qu'une pause d'une trentaine de minutes s'en était suivie pour la laisser mitigée et les méninges en feu, Tsunade avait fait de nouveau son apparition, un sourire mauvais au coin des lèvres.

Et la fureur restait toujours présente. Lourde et insidieuse. Même maintenant.

La sensation de froid, remontant le long de sa colonne vertébrale, refit surface et Sakura hoqueta sous la puissance de l'impact. Elle se sentait imploser sous la force de son corps. Le monstre voulait sortir, mais elle était brimée de l'intérieur et le torrent qui faisait rage ne tarderait pas à s'échapper. Mais elle devait le canaliser jusqu'au moment le plus improbable et enfin attaquer.

Mais pas maintenant, lui chuchota sa conscience.

— Si tu tiens à tes proches, je me tiendrai tranquille, Sakura.

La jeune femme n'était pas dupe. Tsunade aurait toujours un ascendant sur elle et assez fort pour la pousser à se plier en deux, malgré la puissance ravageuse dans son esprit qui tentait de jaillir. Elle ferma les yeux brièvement, inspira et fit silence en elle. La chef du village l'avait dans sa poche, parce que la rose passait son temps à s'inquiéter pour ses meilleurs amis. Mais les choses ne sauraient durer.

Elle se promit de faire couler le sang. Et ses serments, elle les tenait. Toujours.

Relevant ses iris verts vers son bourreau, elle lui offrit un sourire blanc comme de la neige. Elle était trop en colère pour cacher ses véritables intentions. Et Tsunade comprit son besoin immarcescible qu'elle avait de la liquider et devint livide.

— J'ai un ascendant sur toi ! s'écria-t-elle, féroce, mais les membres tremblants de terreur intérieure. Tu ne peux rien faire contre moi, car tes amis courent un risque que tu ne seras jamais prête à prendre !

Tournant en rond sous la fureur, les mains moites, Tsunade empoigna sa tignasse hirsute dorée, tout en écarquillant les yeux de folie. Elle leva un doigt dans les airs, pointée dans sa direction, la lèvre tressautant d'émotion et la bave au bord des babines.

Hideuse, pensa Sakura en l'observant d'une mine dégoûtée.

— Si tu veux connaître l'issue de tes prochaines et dernières heures, tu ferais mieux de te calmer tout de suite.

— Je suis très sereine, Tsu'. Mais toi ça va ? Tu transpires un peu et tu es blanche comme un cul, tu aurais besoin d'un petit remontant peut-être ? Sakura haussa les sourcils en prononçant ces paroles et arqua sa figure dans sa direction, sourire moqueur aux lèvres. Je peux t'aider si tu le souhaites, alors détache-moi que je t'étrangle de toutes mes forces.

Tsunade n'avait probablement plus la force d'appuyer sur le bouton pour la faire souffrir ou à argumenter, parce qu'elle se passa une main sur le visage, soufflant bruyamment, excédée de tout et plaqua ses mains contre la table de fer. Penchée vers Sakura, elle gardait un visage austère.

La jeune femme sourit en découvrant cette réaction.

Son ancienne préceptrice était trop prétentieuse et narcissique pour se taire. Elle désirait raconter, se vanter de son plan sordide et elle se fichait bien que Sakura continue de l'insulter. Tsunade comptait bien terminer son récit, avec une touche de fierté dans la voix et la jeune femme ne voulait certainement pas lui faire plaisir dans le processus.

— L'échange se fera ce soir. Il ne te reste que quelques heures à vivre alors. Sois prête.

Sakura ne prononça pas la moindre parole et ne cilla pas une seule seconde. La peur ne faisait plus partie de son vocabulaire. La fureur par contre...

— Ma foi, c'est vrai, tu vas disparaître dans si peu de temps. Quel soulagement de le réaliser ! J'espère que ta mort sera lente et douloureuse, Saku.

— Tsu', je suis déçu. Je pensais que tu voulais te charger de mon cas toi-même.

La chef du village éclata dans un grand rire, l'œil vif.

— Oh non, ma belle. Je serais déjà très loin quand tu seras amené par tes fidèles amis, qui ne savent pas le moins du monde le danger que tu cours. Ils présument que tu dois changer de détention, après que la tienne ait explosé, car il y a eu une attaque et des prisonniers se sont montrés trop violents. Quoi ? Tu penses qu'ils n'y croiront pas ? Eh bien, ils n'ont pas posé de questions.

Tsunade haussa les épaules, rayonnant de malice.

— J'imagine qu'ils ont saisi que ça ne servait à rien de mettre autant d'efforts pour déchiffrer ce qui t'entoure. Tout est toujours si compliqué avec Sakura, souffla-t-elle avec une voix criarde.

La prisonnière grimaça en comprenant l'état de sa situation. Ses propres amis procéderont à l'échange, sans savoir ce qu'il en retourne réellement et si... Si elle dérape, ce sera sur eux que le désastre s'abattra.

Bordel, pensa-t-elle.

Tsunade soupira fort en l'observant et ses cheveux se mouvèrent sous ses mouvements brusques.

— Tu sais, je t'avoue être déçue. Je m'attendais à plus de répartie, surtout venant de Gaara.

Sakura, qui avait gardé les yeux clos, se redressa avec vivacité à ses paroles. La chef avait capté son attention et celle-ci s'en délecta, un sourire plaqué aux lèvres, niais.

— Oh, tu tiens à lui, n'est-ce pas, Sakura  ? Ma pauvre... Tu as cru que ça fonctionnerait ? Pas de fin heureuse pour vous deux, malheureusement.

La bouche de la jeune femme tressauta de hargne. Elle voulait faire mordre la poussière à cette vieille femme assommante d'exaspération.

— Il a quand même traversé un désert pour toi et abandonné ses fonctions de chef tellement il était inquiet en te sachant prisonnière. Et pourtant, aucune nouvelle. Le néant complet. Tsunade se gratta un ongle, faisant semblant d'être pensive. À croire que les gens finissent tous par se lasser de toi. Mais je comprends. La vraie nature finit toujours par émerger, qu'on le veuille ou non. Et ce qu'il y a en dessous de ta facette, Sakura, ce n'est pas joli. Ça ferait fuir le meilleur des hommes. Comme Gaara, par exemple.

Ses poignets la firent gémir quand elle tenta de se déprendre, sous la fureur.

— Que lui as-tu fait ? grogna Sakura, le corps irradiant de force obscure.

— Moi ? répliqua Tsunade en se pointant du doigt. Mais rien voyons ! Les hommes se lassent c'est tout, tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même. Je crois qu'il est reparti dans son village pour reprendre ses fonctions. Il t'a abandonné.

Sakura se laissa aller contre le dos de sa chaise, les membres lourds. Elle se sentait anéantie pour une raison qui lui échappait. Gaara n'aurait pas dû venir et pourtant, il l'avait fait. Pour elle. Mais pourquoi ce départ impromptu ? En observant le visage de son ancienne préceptrice, la jeune femme savait qu'il n'avait pas été liquidé. Tsunade ne pourrait cacher l'éclat de fierté dans ses prunelles. Or, elle semblait lasse de la situation.

— Comme ce sont tes amis qui se chargeront de l'échange, si tu te transformes, tu les tueras eux, pas moi. Garde ça en tête avant de perdre le contrôle. Je crois que tu n'as pas envie de commettre les mêmes erreurs du passé, non ?

Plus un son ne régnait dans la pièce qui la maintenait prisonnière. Sakura avait de nouveau fermé ses yeux. La conversation ne l'intéressait plus. Elle connaissait déjà les risques.

Sa vie touchait bientôt sa fin et personne ne la rejoindra dans son cercueil. Elle partira seule et ses amis vivront.

— La lâcheté n'est pas une vertu, Tsu', murmura-t-elle en rouvrant ses paupières, révélant ses iris améthyste.

La chef esquissa une grimace en retour, les lèvres retroussées.

— Je ne te permets pas de m'insulter. Tu as engendré bien plus de douleur et de souffrance que je n'en réaliserais dans une vie entière.

— C'est vrai. Sakura ne tenta pas de nier. Mais je sais quand il est temps de se rattraper ou d'affronter ses démons, ce que tu sembles incapable de faire.

Tsunade tourna autour d'elle, les menottes serrées à s'en faire blanchir les jointures. Sakura l'ignora.

— Changer, ça demande du cran et du courage. Et tu as tout, sauf ça. Je te plains.

Pour une fois, la chef ne leva pas la main et ne prononça pas la moindre salve de paroles acerbes. Non, elle resta figée, le regard posé vers la porte, semblant réaliser quelque chose qu'elle seule pouvait comprendre. Puis, elle sourit avec lenteur.

— C'est vrai, je me cache derrière des objets de torture, elle tendit la petite manette rouge qu'elle avait utilisée mainte fois sur sa personne. Et je n'hésite pas à trahir pour arriver à mes fins. Mais la différence entre toi et moi, c'est que toi, tu échoues dans ce que tu entreprends, causant des dommages collatéraux, alors que moi je réussis dans la noirceur que tu laisses derrière toi. Tu n'es qu'un pion et moi, je suis la maîtresse du jeu. Alors, Sakura, es-tu prête à jouer une dernière partie, avant de partir éternellement et de rejoindre tes parents ?

Le visage de la rose perdit des couleurs et Tsunade éclata de rire, tout en posant sa main contre sa bouche, semblant presque outrée par ses propres paroles.

— Mince, c'est le genre de sujet trop sensible, c'est ça ? Pas grave, tu vas mourir bientôt, ce n'est pas comme si j'en avais quelque chose à faire.

La chef rêvait de planter une dague dans la cervelle de la fleur depuis bien longtemps, même avant la catastrophe. La jeune femme lui évoquait pouvoir et jalousie horripilante. Elle voulait lui prendre tout et l'ensevelir sous terre, là où était sa place, mais pas pour tout de suite. Il lui restait encore quelques informations à donner, pour que le plan se concrétise.

— N'oublie pas, ma belle. Si tu parles, chuchota Tsunade d'une voix doucereuse, tes proches le paieront cher. J'ai des hommes dans l'ombre pour finir le sale travail. Et tes amis peuvent aussi faire part du festin. À toi de voir si je les ajoute au menu et s'ils sont seulement des jetons de passage pour te marchander. Après tout, un pion reste un pion. Les pièces peuvent toujours être remplacées. Joue correctement ta partie, Sakura

La rose ne décidait pas des règles, car Tsunade tirait les cordes. Elle n'agissait pas, elle subissait et cette constatation la rendait plus amère que jamais. L'étau dans lequel elle se trouvait se resserrait plus le temps s'égrenait et elle savait déjà ce qui l'attendait.

La chef du village n'était pas stupide. Elle avait concocté des plans infaillibles et même si ces proches voulaient la protéger, il n'y aurait que des pertes. Elle ne le souhaitait pas.

Relevant ses yeux, des flammèches ardentes parsemant ses iris, elle hocha d'un mouvement vif son visage.

Le chrono était enclenché. Mais l'échéance ne s'éterniserait pas, car prolonger son existence mettrait en péril celle de ses amis, alors pour une fois, elle abandonnait la partie avant qu'elle n'ait commencé. Et Tsunade le lut dans ses yeux.

Avant que la porte ne se ferme sur sa personne, elle entendit une dernière fois son rire sadique et cruel.

C'était la fin.

Un petit troupeau, c'était qu'ils étaient. La démarche pétulante d'un blond à la crinière hirsute et les mouvements calculateurs d'un brun au regard sagace, voilà la vision qu'avait Sakura alors qu'elle marchait droit devant. Naruto et Lee. Ces deux meilleurs étaient venus la sortir de cette salle d'interrogatoire lugubre, puis de sa prison, les yeux perçants de noirceur et d'un sérieux si profond qu'elle en avait eu des frissons. Sakura s'était même demandé s'ils n'étaient pas au courant du plan et ce qui l'attendait, plus loin dans la forêt où ils s'enfonçaient.

Ça faisait maintenant deux longues heures qu'ils marchaient à en perdre haleine, leur pas si vigoureux et bruyant que la jeune femme se demanda s'ils l'entendraient si elle ralentissait l'allure, jusqu'à se cacher derrière un grand tronc d'arbre. Mais elle n'en fit rien. Elle serra les dents, contracta ses poignets, toujours sanglée dans des barres de fers électriques et continua son avancée, l'esprit plus déterminé que jamais.

Elle ne ferait pas d'erreur aujourd'hui, pensa-t-elle en contemplant pour la millionième fois ses meilleurs amis.

Naruto était à sa droite, la mâchoire large et crispée, les yeux perçants observant la superficie de la lisière de la forêt. Mais on ne voyait pas son étendue. Ils étaient plongés dans les sombres bois de Seguey, là où les arbres recelaient de secrets et où des créatures mangeuses d'hommes s'y cachaient. Peu d'individus osaient s'y aventurer, mais Lee, Sakura et Naruto avaient parcouru ces labyrinthes et ces multitudes de sylves à l'aura austère plus d'une vingtaine de fois. Ils avaient survécu, mais à chaque traversée, ils en revenaient changés.

Aujourd'hui, ce ne serait pas différent.

Sakura comprenait pourquoi Tsunade avait choisi ce lieu pour l'échange et son massacre. Il y avait déjà de nombreux non-dits encadrant les bois de Seguey. La Grande Guerre. Une partie de cette sombre époque s'était déroulée ici et certains secrets demeuraient entre ses résinifères.

La rose se força à détourner ses pensées et focalisa de nouveau son attention sur son ami blondinet. Il revêtait un gilet doublé d'une toison de fer, le rendant presque intouchable aux lames et sabres. Autour de son cou pendait un mince collier en argent, elle le reconnut. Elle le lui avait offert il y a deux ans à son anniversaire. Il s'agissait de l'insigne du village, plaqué des initiales du petit groupe qu'ils formaient avec Sasuke avant. Qu'il l'enfile ici la troubla profondément, et se détournant, elle plissa ses yeux en espérant y effacer ses larmes accumulées.

Merde ! Elle devenait vraiment émotive aujourd'hui. En même temps, elle n'en aurait probablement plus l'occasion.

Foutue conscience.

Lee à sa gauche portait une veste noire tactique rembourrée avec assez de poches pour pouvoir trimballer une quinzaine de couteaux. Contre sa hanche se trouvait une ceinture avec un talkie-walkie, et un pistolet à impulsion électronique. Il était bien préparé au combat et Sakura grimaça en le remarquant. D'autant plus que sa posture, rigide, et ses épaules crispées au possible, laissaient bien entendre son état d'esprit. Il comptait bien se battre et ça n'annonçait rien de bon.

La panique s'empara très rapidement de son cerveau, la faisant respirer avec irrégularité. Elle tenta de se ressaisir. Que devait-elle faire pour amoindrir les conséquences des prochaines minutes à venir ? Ses meilleurs amis ne devaient surtout pas prendre les armes. Des ennemis la saisiraient et elle devait dénicher une issue pour prévenir des pertes, mais comment ?

Merde ! C'était le foutoir dans sa tête. Elle voulait trouver un plan et rapidement, mais son esprit cogitait trop pour former une pensée rationnelle. Ce n'était qu'un brouillon de couleurs miroitantes de douleur qui enveloppait ses iris et elle sut que pour éviter tout combat, il fallait qu'elle s'explique un minimum.

Naruto et Lee devaient la laisser à un endroit précis et quand ce serait fait, des individus viendraient la chercher. Le Maître ? Certainement pas. Tsunade le savait tout autant que Sakura et au bout du compte, la chef s'en fichait. Son plan était surtout de se débarrasser d'elle et de faire sortir le méchant de sa cachette au moment où elle serait en danger. Mais il n'arriverait pas, parce que c'était ridicule et Sakura mourait. Mais ses amis ne devaient pas être des dommages collatéraux, alors elle devait les amadouer. Elle devait se montrer gentille, sympa.

Comment on faisait ça déjà ? Oh et puis, ce n'était pas vraiment sa force et si elle le faisait maintenant, ça les alarmera plus qu'autre chose. Elle râla une nouvelle fois avant de s'exclamer à l'adresse de Lee, moqueuse :

— Tu as vraiment une sale tête, tu le sais ça ?

Il lui jeta un regard en biais, alors qu'elle lui balançait un sourire complètement stupide. L'hameçon était lancé.

— Dis celle qui était enfermée dans un cachot, apostropha-t-il d'une voix où transperçait une touche d'amusement.

Et il avait atteint sa cible.

— Tu serais surpris du confort et des merveilleux compagnons que j'avais là-bas ! Je te jure. Bon, faut pas être jaloux, vous êtes toujours mes préférés, vous savez hein !

Elle tenta de taper l'épaule de ses deux amis en même temps, mais elle se retrouva à grimacer sous la douleur. Elle avait des menottes et elles n'avaient pas miraculeusement disparu parce qu'elle blaguait. Quelle imbécile ! Elle essaya d'offrir un petit sourire niais derrière sa brûlure, mais Lee à ses côtés n'esquissait plus la moindre risette. Il semblait bouillir de rage. Sa mâchoire bougea, tressautant, et Sakura se surprit à se demander ce qui pouvait bien se passer dans son esprit pour qu'il paraisse aussi agité.

Soudain, elle eut l'impression de ne pas connaître le fond de sa personne, comme si elle n'avait jamais que frôlé la surface de son camarade à la grosse carrure d'ours. Et cette constatation égala la sensation d'une gifle au visage. Brutale et douloureuse.

Elle était une mauvaise amie, pensa-t-elle avec peine.

Naruto s'était éloigné, marmonnant dans sa barbe qu'il allait se soulager et Lee baissa ses yeux d'un noir profond vers elle, semblant tiraillé. Elle ne put s'en empêcher et toucha du bout des doigts le bout de sa veste. Elle avait besoin d'un contact, sinon elle sentait qu'elle perdrait pied et Lee le comprit rapidement, lui offrant un sourire rempli d'asthénie intérieure. Il se colla, pencha sa tête et posa son front contre elle. Les yeux fermés, il prononça ces simples paroles, qui suffirent à la déchirer de l'intérieur.

— Rosette, tu crois que je te manquerais si je partais ?

Les larmes lui montèrent aux yeux alors qu'elle le dévisageait. Elle avait brusquement coupé sa respiration, les pupilles écarquillées. Il venait de poser la question qu'elle avait en tête et étrangement, elle se demanda ce qui se passait dans le cerveau de Lee pour qu'il demande une telle chose. Ses paupières rouvertes, elle put y contempler une brillante souffrance miroitante d'espérances inassouvies. Qu'attendait-il d'elle ? Était-ce un appel à l'aide ? Elle hoqueta en pensant au pire, mais son meilleur ami continuait de la dévisager, les yeux dans les yeux, le front écrasé contre elle, ses cheveux noirs lui frottant partiellement le nez.

— Lee...

— Je ne sais pas pourquoi je pose cette question, c'est débile, hein ? Je me suis levé avec cette étrange impression, mais ça va partir.

Il s'était relevé et le moment disparut aussi rapidement qu'il avait fait surface et la jeune femme en ressentit un vide immense et une peur folle de perdre, de manquer une chose importante.

Hochant simplement la tête, secouée et le corps parcouru de spasmes et de frissons, elle ne prononça pas la moindre parole. Elle avait soudainement froid et mue par un instinct, elle empoigna le poignet de son meilleur ami pour le faire se retourner vers elle, car il s'était détourné pour ne plus l'observer. Il fuyait son regard. Ses iris à elle l'imploraient de ne pas commettre l'irréparable. Et alors il la serra dans ses bras. Pour taire ses inquiétudes, pour murer sa douleur. Elle ferma les yeux et tout s'envola. C'était de nouveau le néant et elle put respirer derechef.

— Oh ça va vous deux ? On dirait des funérailles. Allez un peu de joie, c'est quand la dernière fois qu'on s'est déplacé comme un petit troupeau d'imbéciles d'une position à une autre ? Allez, peut-être qu'il y aura même du piquant et qu'on trouvera un monstre à éclater !

Il observa les liens de Sakura et grimaça.

— Saku, ne le prends pas mal, je sais que tu es une femme forte, mais pour une fois, on jouera les sauveurs, hein Lee !

Ses yeux ne brillaient pas alors qu'on pouvait observer toute sa dentition. Elle sentait qu'il faisait un effort. Comme tout le monde. Sakura avala de travers, hocha la tête et reprit son chemin, le visage baissé et lâchant avec faiblesse la main de Lee qui apparaissait tout aussi perturbé qu'elle. Il resta derrière elle, tout proche, et surveillait la végétation comme si une chose allait en sortir pour attaquer. Tout le monde était aux aguets.

Sakura commença à stresser.

Elle ne voulait pas qu'ils se mettent en danger, mais en vue de leurs œillades échangées, de leur posture crispée, ses deux amis semblaient déterminés à accomplir l'inévitable : la libérer. Et les conséquences seraient désastreuses : leur mort. Alors, elle tenta une approche.

— Je m'en vais dans un endroit qui sera beaucoup plus confortable, ne vous inquiétez pas, les gars. Je vais même avoir des coussins et une télévision rien que pour moi, plaisanta-t-elle.

Ils restèrent silencieux.

— Et vous aurez le droit de me rendre visite tous les jours si vous voulez me casser les noisettes. Même si je me doute que vous aurez d'autres choses à faire, mais...

— Sakura, souffla Naruto en l'observant, les doigts tremblants.

Il détourna de nouveau son visage, lui faisant dos pour continuer sa tracée, les épaules tendues.

— Je suis une rescapée, j'ai fait des trucs horribles et je mérite d'être en prison, alors...

— Arrête, rosette !

— Alors, continua-t-elle. Ne faites rien de stupide, je vous en prie ! Je n'en vaux pas la peine. Surtout pas en sachant tout ce que j'ai fait, mais... vous allez tout apprendre demain et, d'ici là vous saurez, OK ?

Elle tenta de ralentir la cadence, mais Lee la poussa gentiment dans le dos et elle se surprit à retenir un sanglot dans sa voix. Il lui pressa doucement l'épaule et elle continua son ascension.

— Promettez-moi d'attendre à demain avant d'agir, d'accord ? Demain, vous comprendrez... Vous promettez ?

Sakura cherchait le regard d'un de ses meilleurs amis, mais les deux l'évitaient comme si elle avait la peste et un autre sanglot s'étouffa dans sa gorge.

— Naruto, souffla-t-elle.

Il cilla lorsqu'elle murmura son prénom, mais continua, tête baissée, les bras rigides le long du corps.

— Sakura, ne nous rends pas la tâche plus difficile, s'il te plaît, geignit celui-ci.

— Alors, réponds-moi ! Fais cette promesse et après j'arrêterais !

— Promettre quoi, hein ! s'écria Lee d'un coup sec en lui empoignant les épaules avec vélocité. Tu parles comme s'il n'y avait pas de lendemain et je ne suis pas assez stupide pour ne pas lire entre les lignes. Il lui caressa le visage, passant de sa joue à sa lèvre inférieure enflée de sang séché. On ne t'abandonne pas. C'est tout ce que tu dois savoir.

— Personne ne tombe sans que la tribu n'intervienne, répliqua Naruto d'une voix sombre.

— Et si ça implique que la tribu soit décimée ? s'étouffa-t-elle tremblante.

— Alors ainsi soit-il, conclut Lee.