Pas un bruit. Le silence dans la nuit, c'était tout ce qu'il restait. Et ses pensées qui cogitaient. Une myriade d'images s'agitait sous ses yeux, avides de lui faire transgresser des limites et de changer de direction. Son coeur voulait rejoindre une femme, mais il avait à faire.

Sasuke ne devait pas lâcher de vue sa cible, qui se mouvait à travers les ruelles sombres de Konoha. Les lumières tamisées commençaient à devenir de tout petits points dans l'obscurité, plus il avançait. Sa capuche rabattue sur la tête, le regard rivé au loin, il réfléchit.

Tsunade lui avait donné une mission. Et il avait observé. Maintenant, il devait agir.

Les beaux quartiers de son village natal se transformaient en terres boueuses. Rien à l'horizon et pourtant sa proie continuait son ascension, les membres si tendus que Sasuke se questionna sur sa discrétion. Une centaine de mètres les séparaient et l'Uchiha avait fait en sorte que son aura ne laisse aucune trace. Indétectable. Un mince sourire se dessina sur ses traits.

Il allait frapper fort ce soir.

De longs cheveux noirs, une démarche hargneuse, des yeux opaques et un tatouage sur le front normalement dissimulée sous un bandeau en liège. Sa cible n'était nulle autre que Neji. Cet imbécile qui avait mal tourné à la suite d'une mission. Il n'était plus le guerrier intrépide et fort d'autrefois. Cet homme honorable avait disparu pour ne laisser place qu'à une âme vagabonde, perdue, mais surtout rageuse. Les pores de sa peau criaient une haine impérieuse inassouvie. Cette colère exécrait presque Sasuke, car il se voyait à travers Neji Hyuga. Il avait changé, mais découvrir cette facette chez autrui lui rappelait ses erreurs de jeunesse impardonnables.

Son attention se reporta sur l'homme à la carrure assez mince. Le paysage avait évolué. Ils s'étaient enfoncés dans la forêt et le temps ombrageux dépeignait bien l'atmosphère entre les deux individus.

Un horrible gîte se superposa aux iris de Sasuke. C'était une petite cabane délabrée, si sale que les couleurs avaient caillé depuis de nombreuses années et de la boue dégoulinait d'entre les murs. Il se faufila à travers le peu de végétation subsistante, guettant le moment propice pour se présenter, puis laissa le vent affleurer son odeur et sa trace. Il ne tenait plus à rester dans la discrétion.

— Sois tu manques cruellement de précaution, soit tu voulais que je sente ta présence, L'Uchiha, souffla avec humeur Neji.

Il était dans l'embrasure de sa porte et le dévisageait avec méchanceté.

— Je m'attendais à plus d'enthousiasme de ta part.

Sa cible releva les yeux au ciel, peu affable à ce genre de discours.

—  Qu'est-ce que tu fais à me suivre, Sasuke ? demanda-t-il agressivement.

Le brun ne fit pas le moindre commentaire, préférant rentrer avec lenteur chez le propriétaire des lieux, le poussant au passage, sans gêne. Il observa dans les plus infimes détails sa bicoque, passant des planchers fendus, des vêtements jonchant le sol et les bris de verres dans la cuisine. Il faisait sombre et le jeune homme n'essayait pas d'appuyer sur l'interrupteur. Il était certain que Neji n'avait plus d'électricité. Il savait dans quelle condition cet homme résidait et l'Uchiha trouvait cette tournure des plus étranges. Neji habitait autrefois dans un palace, avait une famille blindée de fric et une cuillère en or dans la bouche. Jamais il ne vivrait dans de telles conditions, à moins qu'il se soit fait rejeter par sa propre fratrie, au retour de sa mission, constata-t-il.

L'homme tatoué se passa une main dans ses cheveux sales, tremblant, comme s'il avait deviné ses pensées. Et Sasuke maugréa, agacé de voir qu'il avait autant changé. Il n'appréciait pas particulièrement l'agent Hyuga avant son départ et les choses n'avaient pas différé, mais découvrir que ce guerrier talentueux croupissait dans la moiteur d'un abri en démolition, bien loin du village, lui pinçait le cœur. Il valait mieux que ça. Même s'il était un être bien stupide.

—  Je m'attendais à repérer un château tiré d'un conte de fées, je suis assez déçue. Il est plus austère que prévu, non ?

Il passa son doigt sur le mur, qui devint noir, enduit d'une couche de suie graisseuse. Neji marmonna dans sa barbe une injure, puis le pointa du bras dans un geste accusateur.

— Je t'ai demandé pourquoi tu m'avais suivi, espèce de con ! Tu vas me répondre, oui ? Je ne suis pas d'humeur à accueillir une personne à cette heure-là !

—  Oh, permets-moi d'en douter. Je pense que tu ne peux accueillir personne vu l'état des lieux, Neji.

Il se frotta les jointures, toujours le visage impassible, puis observa enfin cet homme qui appartenait à la famille Hyuga, demi-frère de Hinata. Il planta ses prunelles onyx dans les iris de sa cible.

— Dis-moi, qu'est-ce qui t'est arrivé ? Je ne te connaissais pas beaucoup avant mon départ, mais te voir tomber aussi bas, c'est peu commun.

Sasuke écarta les bras, une moue conciliante collée à la figure et Neji serra ses poings fermement contre son corps, prêt à se battre. Bientôt, il lâcherait toute sa colère, mais pas tout de suite. Le brun devait d'abord aplatir la bête, l'éduquer.

—  Bon, je ne compte pas partir de sitôt, donc si tu pouvais me faire une place sur ton canapé miteux, ça m'arrangerait, je dois te parler.

— Sale con, maugréa Neji en passant à côté de lui, pour enlever les vêtements qui jonchaient son tout petit pouf.

Il n'eut pas le temps de ramasser le moindre tissu, car Sasuke venait de le plaquer contre le mur, une main contre sa gorge, la pressant si fort qu'il crut que les yeux de sa cible allaient sortir de leur orbite. Neji entrouvrit la bouche, suffocant, tentant de respirer, mais ne réussit qu'à croasser. L'Uchiha sourit devant sa réaction, puis desserra sa prise. Un petit peu.

Cet arrogant en profita pour lui cracher au visage. En réponse, il lui fracassa le crâne une fois, deux fois jusqu'à ce que son corps soit plus flasque. Du sang s'échappa de ses lèvres tremblantes. Pourtant, le jeune homme continuait de foudroyer Sasuke de ses yeux remplis de haine.

—  Je pense que mon message est passé. Tout doux alors. Et je parle en connaissance de cause. Tsunade, tu te rappelles ?

Le noiraud lâcha son cou, en le poussant et sa victime glissa le long du mur, se tenant la gorge. Neji évitait tout contact visuel, trop peureux maintenant. Et dégoûté probablement de lui-même et de ce qu'il avait commis. Bien.

—  J'ai vu comment tu regardais Sakura. Comment un guerrier aussi talentueux que toi peut se transformer comme le pire des salauds et des fiottes en sa présence ?

L'ancien combattant tiqua au prénom de la jeune femme et Sasuke grogna sous cette constatation.

— Ne me parle pas de cette chose !

L'Uchiha ne prit pas une seconde de plus pour envoyer une droite en plein dans la mâchoire de cet imbécile.

—  Un peu de respect ! ragea-t-il, alors que Neji se frottait la joue, une grimace défigurant ses traits.

—  Pourquoi éprouverais-je le moindre respect pour un monstre dans son genre ? Sakura mérite d'être enfermée et de perdre tous ceux qu'elle aime. Une mort serait trop douce pour cette meurtrière !

L'homme enragé s'était relevé en gueulant ses paroles haineuses, mais il se recroquevilla rapidement en voyant la lueur de colère dans les yeux noirs du brun.

—  Il n'a fallu que d'une mission pour que tu deviennes timbré, quel gâchis ! Tu n'es plus apte à te battre depuis. Je comprends mieux la résignation de Tsunade à ton égard. Tu es une loque, rien de plus. Et dire que je dois te coller au train, quel gaspillage de temps !

Sasuke se rapprocha jusqu'à plaquer son front contre Neji.

—  Tu es qu'un gamin qui cherche un bouc émissaire à sa misère. Laisse Sakura tranquille, tu m'entends ?!

Neji éclata de rire, posant sa tête contre la porte en fermant les yeux, rompant le contact avec Sasuke, qui s'éloigna pour l'observer, agacé. La moquerie et l'arrogance encadraient le profil de l'ancien agent Hyuga, doublée d'une haine si profonde et ravageuse qu'elle semblait altérer les traits de son visage fin. Une laideur maintenant.

L'Uchiha soupira. Il n'y avait rien à faire. C'était un cas perdu.

— Tu devrais partir, je pense, claqua Neji en rouvrant ses iris opaques. Si tu as constaté que je suis une loque, tu n'as rien de mieux à faire ici.

Un silence pesant suivit ses paroles. Neji ne prononçait plus le moindre mot, se contentant de regarder le vide et Sasuke eut presque de la pitié pour lui. Mais il se rappelait les propos de cet imbécile à l'égard de la jeune femme : Meurtrière.

Un goût amer restait dans le fond de sa gorge pour une raison inexplicable. Il avait envie de le cogner fort, mais le jeune homme était déjà tellement miteux que ça n'en valait pas la peine. Il détestait Sakura, c'était tout. Et pour un motif saugrenu, il avait modifié sa manière d'être et se comportait comme le plus gros des nigauds. Pillant dans la bourgade, repoussant tout le peuple et criant contre tous qu'il maudissait le monde entier. Il avait même levé la main sur Tsunade, après un échange tumultueux dans le bureau de la chef. Quel dommage, c'était un bon soldat, bien entraîné et dévoué pour la cause et le bien-être des villageois, mais il avait fallu qu'il se change en une boule de colère. Quel gâchis !

Sasuke prit une grande inspiration, examina une dernière fois l'homme à la chevelure longue avant de lui offrir son dos, prenant la direction de la porte. Il prononça ses ultimes paroles, d'un ton tranchant :

—  Ne me force pas à revenir et à mettre à jour mes menaces. Je n'aime pas me répéter, alors reste loin de Sakura.

—  Sasuke, Sasuke... chantonna Neji d'une voix perçante, remplie de folie intérieure. Tu crois que j'ai envie d'être proche d'une personne qui m'insuffle dégoût et horreur ? Non. Je voudrais qu'elle disparaisse. Ce serait la meilleure solution pour le bien-être de tout le monde. Mais bon, tu sembles obsédé par elle, à tes risques et périls. Ne te brûle pas trop les ailes, elle a tendance à cramer et à décapiter ceux qu'elle aime.

Après un dernier rire cynique et un coup de la main vague, Neji claqua la porte de son repère miteux, laissant Sasuke pantois. Relevant ses iris vers le ciel, il se força à garder la tête sur les épaules. L'ancien soldat avait sombré dans la folie. Tout le monde le savait. Et Sakura ne ferait de mal à une mouche. Elle était fragile.

Ses yeux se fermèrent brièvement, excédés de ses pensées, puis il traça sa route, impassible face à la tâche qu'il avait accomplie ce soir.

Il avait suivi les directives de Tsunade. Elle voulait que le bougre soit puni pour avoir frappé sa chef. C'était fait.

Le visage de la jeune femme se superposa et il crispa ses omoplates.

Les ordres. C'était tout. Elle n'avait rien à voir avec l'équation.

— Sakura est mon ancienne élève, et même si nous nous trouvons dans une situation critique, la soupçonner d'une traîtrise ? Jamais, résonna une voix dans la noirceur.

Le silence répondit aux dires de la femme. Elle siégeait dans son bureau, dans la plus haute tour du village, en pleine nuit. Travailler jusqu'à pas d'heure devenait une mauvaise habitude, mais il était crucial de démasquer les félons avant de prendre du repos. Konoha comptait sur elle, sa population aussi. Elle devait élaborer des stratagèmes, réfléchir. Mener à bien, pour le bien.

Une inspiration passa, puis deux. Tsunade se tritura les doigts, empreinte d'un mal-être intérieur. Ses futures paroles ne lui plaisaient pas, mais c'était nécessaire. Inéluctable. Il était de sa responsabilité d'agir, même au dépourvu d'autrui. Elle releva sa tête, agita ses cheveux d'une main et planta ses prunelles dans celles de son invité. Elle avait convoqué cette personne pour des raisons particulières. Et sa mission commençait à partir d'aujourd'hui.

— Malheureusement, il ne peut y avoir d'écart entre les individus. Personne ne doit être laissé de côté dans cette enquête et encore moins nos supposés alliés.

Encore une fois, pas de réponse. Son invité gardait une position raide, ses cheveux noirs coupés courts et ses yeux perçants dévisageant la chef. Ses mains maintenues derrière son dos tremblaient. Contenir tant bien que mal ses émotions s'avérait plus ardue que prévu. Aucun doute ne devait transparaître sur ses traits.

— Il faut frapper là où ça fait mal, continua Tsunade.

— Est-ce vraiment nécessaire ? répliqua l'inconnue, mal à l'aise.

— Absolument.

Il y eut un silence, si profond que les cloches de sa conscience semblaient lui proclamer sa défaite et sa folie intérieure. L'inconnue prit une grande inspiration, puis enfin répondit.

— Dîtes-moi ce que je dois faire.

Tsunade remua le crâne sous ses paroles, un mince sourire se dessinant sur son visage. Ses pupilles reflétaient une pétillante intelligence et un dessein tout tracé. Elle avait un plan.

— Trouve-moi des preuves. Je sais que Sakura cache des choses et il est nécessaire pour le bien des habitants de découvrir ce qu'elle tient tant à camoufler.

La jeune femme hocha la tête, les yeux baissés, s'inclina, amorça un mouvement vers la sortie, puis souffla avec austérité :

— Comptez sur moi.