Il faisait nuit. Les réverbères qui entouraient le village lançaient de petites lueurs dans les ruelles et permettaient aux deux amis d'avancer tranquillement, tout en échangeant quelques paroles.

— Je ne voulais pas te stresser en te demandant de te parler. Peut-être que tu n'étais pas particulièrement inquiète, mais je l'aurais été à ta place, tu vois ? Naruto prit une respiration après avoir déblatéré un fluide de mot accéléré. Je voulais te parler de plein de choses, dont Hinata.

Naruto était connu pour son baragouinage infernal. C'était un trait de sa personnalité qu'elle appréciait. Il faisait facilement la conversation pour deux. Sakura leva les yeux au ciel, amusée, puis finit par s'y attarder clairement pour observer les étoiles, écoutant d'une oreille distraite Naruto qui lui parlait de Hinata, la petite brunette pour laquelle il éprouvait une grande affection, mais dont il ne savait pas se rapprocher. Il s'agissait d'une bonne amie à la jeune femme.

— Tu devrais lui faire comprendre que ce n'est pas juste de l'amitié que tu veux.

— Comment ? répliqua Naruto d'une voix bougonneuse. Ça à l'air facile dit comme ça.

— Ce n'est jamais facile de prendre les devants en fait. Ça demande beaucoup de courage et il faut laisser l'égo de côté si ça ne marche pas comme on le voulait.

Son ami, la tête penchée vers le sol, fronçait les sourcils sous ses paroles, pensif.

— Mais dans ton cas, je ne m'inquièterai pas, ria-t-elle. Elle est folle de toi. Il faut juste que tu ailles chercher le peu de bravoure que peut avoir un moustique dans ton genre et que tu l'invites à un rendez-vous !

— Eh ! Tu viens de me comparer à un insecte suceur de sang, là ?

— C'est tout ce que tu as retenu ? râla Sakura, faussement surprise.

— OK, OK, s'écria-t-il en relevant ses bras en l'air. Je prendrais mon courage à petites mains, parce que je n'en ai pas beaucoup comme tu le déclares.

— Qu'est-ce que j'ai dit sur l'égo, Naruto ? plaisanta la jeune femme sous la posture agacée de son meilleur ami.

Il répliqua par une insulte entre ses dents. Charmant. Après plusieurs rires et accolades de gamins, Naruto finit par aborder un des sujets fâcheux initial.

— Tu ne vas pas aimer notre discussion, prévint-il déjà sur ses gardes.

— Alors, ne parle pas, grogna la jeune femme, irritée.

Son ami aurait pu être amusé de sa réaction, mais il garda un visage impénétrable, inhabituel venant de sa part.

— Je m'inquiète pour toi, tu sais ?

— Il n'y a pas de quoi angoisser avec moi, Naruto. Tout va comme sur des roulettes.

— Tu ne dors jamais, tu commences à avoir une plus grande facilité à mentir, à cacher tes émotions et tes entraînements sont trop intensifs. Sans parler de toutes ses nouvelles cicatrices qui apparaissent sur ton corps !

Sakura ne laissa pas le moindre hoquet de surprise franchir ses lèvres. Elle connaissait déjà la portée qu'aurait la conversation en avance. Seul son regard transperça une émotion sous-jacente : de la froideur. Sa posture équivalait aux pôles glacials des montagnes de la Gelée mystique, une terre figée dans l'apathie et la tristesse.

Elle comprenait l'inquiétude de son ami. Depuis la Grande Guerre, elle s'entraînait avec une farouche détermination, comme si les démons qui l'entouraient essayaient de s'emparer de sa personne. Sauf que la fièvre des combats qu'elle menait servaient à noyer ses réflexions intérieures. Sa sombre nature. Et énoncer à voix haute ses doutes reviendraient à les matérialiser. Sakura ne le voulait pas. 

— Je dors. Peut-être pas toujours bien, mais j'essaie. Je ne mens pas. Je m'efforce simplement de vivre ma vie avec plus de légèreté. Je cache mes émotions ? Tant mieux ! On ne m'affublait pas le surnom de « livre ouvert » pour rien avant. Mes entraînements sont raisonnables. Et tout ça ne concerne que moi.

— Naruto, reprit-elle d'une voix lente. Je ne viens pas mettre mon nez dans tes affaires et je respecte ton besoin d'intimité sur certains sujets. Quand tu me demandes conseil, je reste présente, mais je ne te pousserai pas à bout. Je sais que tu pars d'une bonne intention, mais je t'assure qu'en agissant ainsi, ça a l'effet contraire. Je n'ai pas besoin d'indications en ce moment.

— Tu ne démords pas, hein ? souffla Naruto, les traits tirés. Bien sûr que tu as besoin de conseils et de mon soutien ! Tu ne vois donc pas que tout ce que tu fais, c'est dans le seul but d'ignorer l'évidence ? Que tu es encore follement amoureuse de Sasuke et que ça te tue de le croiser jour après jour sans pouvoir le regarder dans les yeux et d'enlever tes sentiments à son égard.

— Alors, termina-t-il d'une voix pleine d'émotion, alors qu'il observait sa meilleure amie trembler sous la véracité de ses paroles. Tu t'entraînes jour et nuit en espérant faire passer cette douleur. Peut-être qu'en te concentrant sur autre chose, ça passera ? Peut-être qu'en niant ta détresse, tes sentiments finiront par se dissiper ? Peut-être que si tu devenais une autre Sakura, il finira par t'aimer ? Mais non, NON !

Le dernier mot fit sursauter la jeune femme, qui eut un soubresaut devant les paroles destructrices prononcées de son ami. Elle ravala sa salive et ses larmes par la même occasion et se détourna. Elle accéléra sa foulée pour éviter d'en entendre davantage. Il avait raison. Sur toute la ligne, mais elle n'avait pas besoin qu'on le lui répète. Elle le savait déjà, bordel !

— Je n'ai pas terminé, souffla Naruto d'une voix basse.

Sakura tiqua, mais finit par relâcher ses épaules tendues après une bonne minute de silence.

— Écoute, s'il te plaît, tu sais que je ne veux pas te faire de mal, Saku, non ?

— Bien sûr, s'écria-t-elle.

Lentement, les grands bras de Naruto l'attirèrent contre lui et Sakura se retrouva contre son torse, essayant de lutter contre son chagrin intérieur. Le torrent de larmes qui l'habitait depuis un mois maintenant. Lui frottant doucement les épaules, rassurant, il lâcha d'une voix tendre :

— Avec tout ce qui se passe, tu n'as pas beaucoup de temps pour toi. Tu devrais en profiter un peu. Et même si tu crains de le revoir, on s'en fiche. Tu ne devrais pas mettre ta vie en parenthèse pour une autre personne. Tu comptes en premier.

Sakura pencha sa tête pour que ses cheveux mordorés cachent son visage. Elle renifla en silence, anéantie. Elle savait qu'il avait raison. Mais ce n'était pas aussi facile.

Ce n'était jamais facile.

— Il y a une fête, demain soir, en l'honneur du retour de Sasuke et...

— Mais ça fait un mois déjà, pourquoi en faire une maintenant ?

— Ah, soupira Naruto exaspéré. Tu sais, c'est Kiba, hein ? Il faut toujours qu'il trouve des excuses bidon pour organiser une soirée alors... Est-ce que tu viens ?

Kiba était un petit brun au sourire pingre et aux tatouages sur les joues. Il était l'ami de Sasuke et il traînait parfois dans leur groupe. Il apportait une belle ambiance en général avec ses blagues coquines. Mais Sakura n'était pas certaine de vouloir les entendre si cela concernait Sasuke et sa copine.

— Je ne sais pas, avoua-t-elle.

— Allez Saku ! On va s'éclater ! Et puis si c'est trop ringard, on s'en va, tous les deux. Ça te va ?

Elle resta silencieuse, tergiversant intérieurement. Confuse.

— Je t'en prie, supplia Naruto, les mains jointes et les yeux pétillants.

Sakura ria faiblement malgré tout. C'était plus fort qu'elle. Naruto avait le don de lui faire vivre un ascenseur émotionnel. Autant dire que ce n'était pas tout le temps agréable.

— Tu es irrécupérable, tu le sais ça ? badina-t-elle doucement.

— Je sais. Il enchaîna hilare. C'est pour ça que tu m'aimes. Et c'est définitivement un oui ta réponse. Aucun retour en arrière maintenant, tu es prévenue !

En réplique à ses paroles, elle lui fit un charmant doigt d'honneur, comme promesse de représailles et Naruto le brandit aussi en retour pour bien faire. Arrivé devant l'appartement de Sakura, le blondinet se força à lâcher la main de son amie.

— Essaie de bien te reposer sans mes beaux yeux, demoiselle étrange.

Cette fois-ci, elle lui renvoya un coup de coude dans l'estomac, ce qui lui valut une quinte de toux et un rire étouffé. Son imbécile d'ami l'affublait d'étranges surnoms depuis qu'ils étaient gosses. Cela avait de quoi faire grincer les dents de Sakura et le sachant, il en profitait pour lancer des pseudonymes à tout va.

Naruto fit un mouvement d'au revoir du bras, tout en s'abaissant pour faire un salut digne d'un chevalier et revint sur ses pas. Il était rassuré. Cette conversation, il s'en était rongé les doigts rien que d'y penser. Il espérait maintenant que la soirée du lendemain se porterait bien. Peut-être que ce ne serait pas si mal ? Ou peut-être qu'il venait de creuser le cercueil de Sakura ? Les doigts contre la tempe, il secoua la tête.

Tout se passerait bien.

Il se le promit.