Sakura la sentait. Cette tension dans l'air. Lourde, assommante. Les minutes s'écoulaient dans une lenteur interminable. Plus le temps s'allongeait et plus les souvenirs se ramifiaient en une douleur insoutenable. Elle y revoyait le sang dégoulinant, les sanglots mugissants de désespoir et cette sensation grandissante de perdre les pédales. De perdre le contrôle. De tomber, encore et encore, sans pouvoir trouver de quoi se raccrocher.

La Grande Guerre lui avait pris plus qu'elle n'osait se l'avouer. Ses amis ne savaient pas tous les dégâts causés sur son âme. Et ne les connaîtraient pas. Certains secrets étaient faits pour rester enterrés, protégés et à l'abri de la douloureuse inquiétude de ses proches. Déjà bien trop grande.

Elle en avait marre. De ces souvenirs, de ces tremblements incessants. La jeune femme voulait que tout cesse. Et si pour se faire, il fallait qu'elle disparaisse de Konoha pour un temps indéterminé, elle le ferait. Sakura n'était pas dupe. Ce n'était pas la présence de Gaara ou de Sasuke qui endommageait sa conscience. Non. Elle n'avait besoin de personne pour creuser sa tombe. Et le trou s'élargissait avec une rapidité plus qu'alarmante.

Ses doigts se resserrèrent autour du lavabo des toilettes pour femmes. La tête plongée vers le sol, elle contemplait ses doigts, se forçant à reprendre le contrôle de son esprit. Elle se trouvait dans un restaurant, se rappela-t-elle. En sécurité.

Remontant ses pupilles vert d'eau, la jeune femme contempla son reflet dans le miroir. Vêtue d'un bel ensemble de blazer cintrée à carreaux noirs et blancs et d'une petite jupe dans les mêmes tons, les cheveux relevés en une couette haute où quelques mèches s'échappaient, Sakura ne savait plus se reconnaître. Elle se trouvait presque jolie.

Gaara l'attendait.

Elle se secoua pour se reprendre en mains. Que lui arrivait-elle ? La jeune femme se pinça le nez et ferma les yeux, se concentrant sur la prochaine tâche à suivre. Gaara l'avait invitée dans ce restaurant aux allures gastronomiques et raffiné. Il avait bon goût. Bien qu'elle fût heureuse d'être en sa présence, elle devait mettre un terme aux espoirs qui siégeaient dans son esprit.

Prenant une inspiration, la jeune femme rejoignit la table qu'ils occupaient depuis quelques heures, petit sourire aux lèvres. Gaara, pourtant toujours accueillant et souriant, ne fit pas la moindre risette à sa venue. Les doigts entrelacés contre la table, les yeux ailleurs, il semblait en pleine réflexion. Se posant sur sa chaise, en silence, la jeune femme continua de l'observer. Il s'était fait beau aujourd'hui. Une chemise d'un bleu valspar, où de petits motifs blancs s'y dessinaient lui taillait les épaules. Toujours sexy. Ils avaient ri tout au long de la soirée, s'échangeant messes basses taquines et regards goguenards. Seulement, l''atmosphère légère du restaurant La Petite Nuit s'alourdit en quelques secondes. Sakura s'entortilla les doigts, les lèvres pincées. Elle sut ce qu'il en retournait.

Il savait.

—    Je sais ce que tu prévois me dire. Et je sais pour hier soir, dans la salle de bains. Toi et Sasuke.

Il y aurait pu avoir un tremblement de terre ou une tornade à deux mètres d'eux qu'elle s'en fichait. Sakura restait suspendue à ses lèvres. Elle hocha simplement la tête, confirmant ses dires. Elle ne comptait pas mentir ou tourner autour du pot. Si la jeune femme avait accepté son invitation, c'était pour rester transparente. Elle ne se défilerait pas. Les épaules redressées, elle entama la suite des festivités :

—    Oui, on s'est embrassés hier soir. Je voulais le confronter pour comprendre pourquoi il agissait ainsi avec moi et ça a dérapé. Je me doute que tu dois être blessé en ce moment, en apprenant cette nouvelle et j'en suis vraiment désolée. J'essaie de passer à autre chose de mon côté et de l'oublier et pour être honnête, ce n'est pas facile. Je ne pense pas que ce genre de chose le deviendra un jour, Sakura lâcha un petit rire sous ses propres paroles qui se mua en plainte et  détourna le regard.

Gaara resta silencieux, la fixant de son regard, tout penaud.

—    Tu sais. Je considérais vraiment la possibilité de développer quelque chose avec toi. Je parle à l'imparfait, parce que je remarque que je ne suis pas prête, que je ne peux pas t'intégrer dans l'équation quand je ne suis pas disponible à te donner autant que ce que tu serais prêt à faire pour moi. Tu mérites une personne plus... La jeune femme en perdit les mots et se pinça de nouveau les lèvres.

—    Mais, secouant la tête, Sakura continua. Je ne suis pas au même point que toi. Et comme je n'ai aucun contrôle sur le futur, je pense qu'il serait mieux d'enlever l'espoir, parce que je n'ai pas d'emprise sur le temps ni le moment où je serais prête ou assez bonne pour être à tes côtés.

Elle devait oublier certaines blessures du passé. Elle ne se trouvait pas assez forte ni assez ouverte pour envisager un futur avec lui. Il méritait une personne certaine de ses choix et elle espérait que Gaara comprendrait et trouverait une femme qui serait prête à lui donner la lune. Mais ce n'était pas elle. Malheureusement.

—    Est-ce que tu as fini ?

Sakura releva sa tête pour contempler le roux. Il la fixait avec un regard si profond qu'une chaleur familière se propagea dans son corps. Il la dévisageait avec une douceur inconnue pour la jeune femme. Elle ne comprenait pas son attention pour sa personne et surtout la patience qu'il avait de toujours de l'attendre ou de l'écouter. Ne voyait-il pas qu'il ne serait jamais heureux avec une femme comme elle ?

—    Je n'ai jamais dit que je t'en voulais pour ce qu'il s'est produit avec Sasuke, hier soir. On n'est pas ensemble et tu ne me dois rien. Un baiser, c'est un baiser. Si je suis en colère contre une personne, ce n'est pas toi, mais Sasuke. Jouer sur plusieurs tableaux, c'est ...

Gaara resta silencieux, les sourcils froncés. Une grimace défigurait ces traits et Sakura comprit qu'il était furieux, mais qu'il se contenait tant bien que mal.

—    Il n'hésite pas à t'intégrer dans ces problèmes, parce qu'il n'arrive pas à passer outre son désir pour toi. C'est malsain et très bas.

La jeune femme hocha la tête, comprenant très bien son point de vue. Elle n'aurait jamais cru que le noiraud était impulsif et pourtant, c'était avec un désir impérieux et torrentiel qu'il l'avait plaqué contre la salle de bains pour échanger un baiser langoureux hier soir. Sasuke était déraisonnable, ce qui n'avantageait pas Sakura pour passer à autre chose.

—    Sakura.

Elle se reprit en mains et observa Gaara, qui fixait son regard émeraude sur sa personne. Elle trembla sous son intensité.

—    Laisse-moi me préoccuper de ce que je m'inflige ou non, dit-il, l'air déterminé. Mes efforts me concernent et, quand il s'agit de toi, je suis prêt à tout.

Gaara prit une pause, se passant une grande main dans ses cheveux roux.

—    Je suis un grand garçon. Je peux supporter beaucoup quand il s'agit de quelque chose que je veux. Et je comprends ton besoin d'oublier l'Uchiha avant de t'engager et je le respecte. C'est la bonne chose à faire. Mais ne me demande pas de t'effacer de ma tête, car je ne veux pas le faire et ne le ferai certainement pas.  Et... affirmer que tu n'es pas assez, c'est faux. Mais je ne vais pas m'engager là-dessus, parce que tu es sans doute persuadée du contraire. Seulement... je ne baisserais pas les bras, surtout pas quand il s'agit de toi.

Gaara ne savait plus à quoi s'attendre quand il s'agissait de la jeune femme. Allait-elle l'observer, indifférente, détourner le regard, se sentir gênée par ses paroles ou lui sauter dessus et l'embrasser ?

C'est dans tes rêves ça, maugréa-t-il, agacé par ses pensées tournantes et envahissantes.

Il venait de faire une déclaration passionnée et le silence de la belle lui fit monter le sang au visage. Il stressait. Relevant ses pupilles vers elle, il remarqua ses mains tremblantes et le choc qui dépeignait son visage. Et la douleur dans sa posture lui arracha une plainte.

Gaara ne savait pas ce qu'elle avait vécu, ni ce qu'elle avait traversé, mais elle dégageait une telle force et aussi une telle fragilité, que c'en était troublant. Sakura était le reflet d'elle-même depuis la Grande Guerre. Son sourire s'était fané, ses yeux brillaient moins de cet éclat pétulant. Non, la jeune femme semblait fragmentée en plusieurs morceaux, impossible de tout remodeler, comme si elle restait intangible dans ses fissures, dans ses cicatrices.

Son cœur se serra en prenant conscience de ce que cela impliquait. Elle souffrait. Silencieuse était sa douleur. Et muette était sa demande d'aide.

Le jeune homme était persuadé que celle-ci avait cette impression d'être en équilibre précaire sur un fil, et que le moindre faux pas entraînerait une chute de plusieurs centaines de mètres. Elle plongerait dans un gouffre infini, dès la moindre erreur. Sakura se détourna, les bras serrés autour de son corps gracieux de ses formes, dans un geste de protection. Mais contre quoi ? Plus le roux y réfléchissait et plus il s'enfonçait dans les décombres de ses chimères pensées. Les oreilles bourdonnantes, la jeune femme prit une profonde inspiration. Et Gaara se tendit, prêt à recevoir un coup par ses paroles tranchantes. Il devait faire attention.

—    Et que veux-tu exactement ? chuchota-t-elle.

Il en perdit les mots quelques minuscules secondes. Puis se reprit en mains.

—    Toi, Sakura. Je te veux, toi.