Sakura venait de dégriser à une vitesse fulgurante. La nouvelle de ce jeu l'avait rebutée. Des sueurs froides perlaient dans son dos et Kyra, de son regard d'acier, continuait d'aborder une moue empreinte de défi lourd. C'était très clair ce qui se déroulait sous ses yeux.

Kyra cherchait à la provoquer et à l'humilier.

Peu importait. Sakura haussa les épaules, peu intimidée. La tactique de la brune était étrange. Elle était déjà aux côtés de Sasuke, que cherchait-elle en agissant ainsi ? Ne poussant pas sa réflexion plus loin, peu désireuse de connaître les réponses à ses questions, elle talonna Naruto jusqu'à l'étage pour y prendre coussins et couvertures. Son ami était resté silencieux face aux paroles plus qu'inopinées de la copine de Sasuke. La jeune femme se surprit à lui jeter des coups d'œil, inquiète face à son attitude. Elle avait remarqué les regards pétrifiés qu'ils s'étaient échangés, lui et Hinata.

Mais en croisant ses yeux lapis-lazuli, elle n'y vit que de l'inquiétude pour sa personne. Elle haussa les sourcils, surprise. Elle ne voulait pas que son meilleur ami se fasse du souci pour elle et qu'elle soit encore une fois un fardeau empiétant le bonheur des autres. Elle s'efforçait de lui faire comprendre qu'elle n'était plus aussi faible qu'avant et qu'elle avait irrémédiablement changé, mais Naruto refusait de la croire et continuait de la dorloter. Sakura ne lui en voulait pas de se miner pour elle, même s'il avait la fâcheuse habitude d'exprimer son inquiétude à grands coups de phrases sèches. Elle lui reprochait plutôt de se focaliser trop sur ses problèmes, au point de s'oublier. Le blond avait une petite brunette à conquérir, et ce n'était pas en portant une attention maladive à sa meilleure amie qu'il arriverait à le faire.

— Comment tu te portes ? Et n'esquive pas ma question, s'il te plaît. Je sens que quelque chose te tracasse.

Naruto se tortilla mal à l'aise, trois-quatre édredons d'une blancheur éclatante dans les bras. Ses méninges travaillaient à toute allure, et Sakura n'avait pas besoin de se faufiler dans sa tête pour le savoir. C'était son meilleur ami. Il déposa ce qu'il tenait sur le grand canapé dans l'ancienne chambre de ses parents, puis posa ses fesses sur le lit baldaquin, une main plaquée dans ses cheveux. Un soupir las franchit ses lèvres. Il restait silencieux, le regard perdu, presque tourmenté par ses pensées. Sakura ne l'avait jamais vu ainsi. Soucieuse, elle se posta à ses côtés, genoux pliés, ses mains délicatement posées contre ses cuisses, elle tenta de capter son regard. Il détournait obstinément les yeux d'elle.

— Naruto ? demanda-t-elle, tracassée.

Sa pomme d'Adam fit une embarquée. Il déglutit et souffla une seconde fois.

— J'ai peur d'avoir merdé.

— Avec Hinata, comprit-elle.

Il hocha la tête.

— Je me doute que des questions sexuelles risquent d'être posées dans la soirée et je ne veux pas qu'elle se sente embrassée.

— Naruto, Sakura souffla à son tour, lui frottant ses genoux du bout des doigts. Ce ne sera pas de ta faute si elle reçoit ces types de questions. Ok ?

— Tu ne comprends pas.

Le blondinet se prit la tête entre ses mains, refusant de la regarder dans les yeux.

— Explique-moi, alors, s'enquit-elle, préoccupée.

Relevant ses orbes éméraldine vers sa personne, il lui déballa son récit, quelques heures avant leur arrivée.

Ce n'était pas la fin du monde.

Au contraire. Seulement, Kyra risquait de les incommoder. Naruto et Hinata. Et juste de l'imaginer, l'irritation prit possession de son corps. Les secrets se dévoilaient lorsque l'on était apte à en parler. Forcer la main aux gens ne menait à rien. Et pourtant, Sakura était persuadée que la copine de l'Uchiha n'aurait aucun scrupule à le faire.

Tout le monde était aligné en cercle, sur la terrasse. Soit installé sur des petits pouffes, ou emmitouflés dans des couvertures douces et épaisses ainsi que des coussins sous les fesses. Si l'idée de base était horrible, l'ambiance quant à elle, tout le monde réunit ainsi, des boissons alcoolisées devant soi, était plaisante. Un petit feu incandescent trônait au milieu de leur rassemblement. Sakura se perdit dans le brasier de flammes, les yeux ailleurs. Sasuke la dévisageait depuis trop longtemps et son agacement était au summum. Kyra était coincée dans ses bras, le nez enfoncé dans son cou et pourtant, il s'évertuait à l'observer, les yeux perçants comme un fauve attendant le moment propice pour capturer sa proie. La jeune femme ne voulait pas de ses regards scrutateurs. Elle voulait qu'il la laisse tranquille. Il passait son temps ces dernières heures à alterner entre le chaud et le froid. À trop jouer, il allait se brûler. Et tout le monde savait qu'on ne badinait pas avec le cœur des gens.

Quel imbécile !

La jeune femme lui lança un regard noir et resserra les pans de sa veste.

Bon sang ! C'était la veste de ce satané Uchiha.

Elle avait même son parfum musqué. Sakura se força à ne pas y plonger son nez, avide de son odeur. De quoi aurait-elle l'air à la renifler comme une possédée ? Elle préférait ne pas tenter sa chance. Hinata la scrutait avec une ardeur nouvelle depuis qu'elle était descendue avec Naruto, apportant édredons et coussins pour tout le monde. Elle semblait en colère. Ses membres tremblaient.

Perturbée, Sakura lorgna son visage. La brunette venait de froncer les sourcils et d'arborer une moue agacée. Le ressentiment qui s'exprimait dans ses yeux était d'une violente flagrance. Génial. Il ne manquait plus que ça. Naruto, aveugle, riait à gorge déployée avec Shikamaru, alliant tapages d'épaules et positions de dur à cuire. Un frôlement la sortit de sa torpeur. Gaara se tenait à ses côtés, interrogateur quant à sa personne. Elle le rassura en lui frottant les doigts, les joues rougies de gêne. Il était tellement attentif avec elle, ça la perturbait au plus haut point.

— Bon, on y joue à ce satané jeu ?

— Les dames d'abord alors ! s'écriait Naruto, non préoccupé par la tension lourde dans l'atmosphère.

Le principe du jeu « J'ai déjà et je n'ai jamais » était que lorsqu'une personne faisait mention d'une phrase, ceux qui y répondaient favorablement devaient boire. Si personne ne répondait à l'affirmation de l'hôte, l'action de boire revenait à celui qui avait pris la parole. Sakura était contente de ne pas s'être enivrée comme une folle.

Parce que c'était ce qui allait se produire maintenant.

— Je commence alors, répliqua Kyra, en se levant.

Sa robe, si petite, venait de rétrécir encore de quelques centimètres dans ses mouvements. La jeune femme détourna les yeux d'elle en voyant Sasuke, discrètement rabaisser le tissu noir sur ses cuisses, avec une délicatesse qu'elle ne lui avait jamais vue.

Kyra tituba jusqu'au milieu du cercle. Et Sakura fut surprise qu'elle ait bu. Elle n'avait pourtant entrevu aucun verre dans ses petites mains de toute la soirée et elle semblait complètement éméchée. Fronçant les sourcils, une main se crispant sur ses genoux, elle l'observa attentivement.

Les épaules raides, les joues rougies, les yeux pétillants, mais mesquins, la brune arborait un air faussement jovial. Elle était la définition parfaite de la beauté glaciale, comme le givre hypnotisant qui tombait du ciel en décembre. Ses grandes lèvres étaient recourbées dans un sourire grotesque. Kyra savait très bien qu'elle n'était pas aimée, et elle s'en fichait, continuant d'agir en accord avec sa personne. Sakura respectait cette partie d'elle. Et elle était même persuadée que derrière tant de froideur, devait se cacher un sombre passé. Ou peut-être pas. Peut-être que Kyra gardait obstinément cet air dédaigneux pour éloigner les individus, parce qu'elle n'aimait personne ? Le regard vert de la jeune femme dériva vers un grand brun aux traits ciselés à la perfection. Sasuke. Elle l'aimait. Et si la belle pouvait bien comprendre Kyra, c'était sur ce point. Seulement ce point.

— Je n'ai jamais été un fardeau pour personne.

Sakura retirait tout ce qu'elle venait de dire. Kyra ne méritait pas son respect.

L'attaque, de sa langue fourche, n'aurait eu aucun impact pour la jeune femme si le silence n'avait pas été aussi pesant dans la salle. Naruto évitait son regard, choqué, Hinata la dévisageait avec une compassion qui lui arracha le cœur. Lee fronçait ses sourcils et pinçait ses lèvres à en saigner. Shikamaru regardait le plafond, silencieux, Sai la regardait du coin de l'œil et Ino hoquetait de surprise.

Fardeau. Ce qualificatif lourd de sens, destructeur avait laissé de nombreux stigmates sur son âme. Et Sasuke en était la cause. Les poings de la jeune femme se refermèrent par automatisme. Elle ne savait pas si elle devait l'observer. Lui.

L'Uchiha.

Mais Sakura avait besoin de confirmer ses soupçons. S'il la pensait encore faible, aujourd'hui. Ses perles vertes se posèrent sur sa personne, passant de ses cheveux couleur charbon à sa stature froide et musclée. Sasuke, gardait un regard noir fixé sur sa personne. Ses yeux traduisaient bien tout ce qu'il ressentait et les paroles de Kyra semblaient encore vraies pour sa personne. La jeune femme serra les dents et ses ongles s'enfoncèrent dans sa chair.

Tu n'es plus fragile, lui hurlait sa conscience.

Pourtant, tu continues de te ramollir en sa présence, lui rappelait son cœur.

Elle n'éprouva aucune douleur. Juste un vide intérieur, puissant et ravageur. S'il n'y avait plus un seul son dans la salle, c'était parce que tous ses amis pensaient encore qu'elle était vulnérable, un fardeau pour tous. Cette constatation lui laissa un goût visqueux dans la bouche. La jeune femme se força à cligner des yeux pour se reprendre. Elle était forte et personne ne pouvait lui faire regretter ses efforts pour demain. Pour devenir une meilleure personne. Elle connaissait ses faiblesses, ses erreurs. Et sa robuste volonté de se surpasser montrait bien qu'elle avait changé. Mais personne ne voulait le voir.

De manière imprévisible, Lee releva son verre en l'air, prit une longue gorgée et lui lança un clin d'œil.

— Quoi ? interrogea-t-il, un sourire moqueur dans la voix. Je suis sûr que tout le monde a déjà été un poids pour son entourage. Vous n'êtes pas assez narcissique pour y échapper quand même, non ?

Sakura esquissa un rictus et Lee lui renvoya d'un mouvement un baiser à distance. Relevant sa coupe, la mettant en évidence, presque avec gouaille, la jeune femme enchaîna cul sec son petit gobelet de vodka. Ses yeux brillaient d'un éclat étrange. Ses amis la suivirent dans un même mouvement. Kyra venait de lancer les hostilités, mais avec vain, car elle avait échoué à escompter son dessein d'humiliation. Et si le silence glacial qui avait pris place après ses paroles était gênant, Sakura s'en ficha.

Garder un contrôle sur la situation, c'était tout ce qui comptait.