₪ L'amertume d'un regret ₪
Il ouvre les yeux, les battements de son cœur semblent transpercer son crâne. L'atmosphère est froide, aucun bruit ne filtre. Il regarde autour de lui. Il est attaché à un poteau. Le son d'une goutte s'écrasant sur le sol résonne d'un coup. Son corps se tend. Un mauvais pressentiment le guette. Par réflexe, il cherche des yeux Raido. Ses pupilles se posent sur son coéquipier, visiblement dans la même situation que lui.
Celui-ci le dévisage, peu ravi de la tournure qu'ont pris les choses. Une colère à peine retenue filtre de ses iris noirs. Dire qu'il endure ce regard depuis si longtemps. Une dizaine d'années peut-être ? Non, plus.
Treize ans. Oui, voilà. Déjà treize ans qu'il connaît Raido. Treize ans qu'ils forment l'un des meilleurs duos du village. Treize ans qu'ils avancent ensemble sur la voie du shinobi, traversant chaque épreuve côte à côte. Treize putains d'années qu'ils se haïssent cordialement, aussi.
— Je vous hais, ton respect du protocole et toi.
— Je vous méprise, tes senbons et toi.
Toujours ces mêmes paroles suintant l'amour et le respect de l'autre. À chaque fois que l'une de leurs missions tourne mal, ce même échange recommence en boucle. Encore et encore. Genma pourrait presque jouer le rôle de Raido si seulement il ne le détestait pas autant.
— Si tu étais un peu moins coincé, on ne nous aurait pas démasqués ! assène-t-il à son coéquipier.
— Parce que tu crois qu'un noble qui se balade avec un senbon entre les lèvres, ce n'est pas suspect peut-être ?
Il marque un point, là. Mais ça tuerait Genma de lui avouer. Se faire passer pour des nobles... Comment avaient-ils pu songer que ça fonctionnerait ? Ils sont incapables d'établir la moindre stratégie qui implique un minimum de cohésion entre eux.
Il le sait. Ça fait des années que c'est comme ça.
Les liens qui enserrent ses poignets le font souffrir et la position dans laquelle on l'a attaché n'a rien d'agréable — bien au contraire.
— Tu abandonnes déjà ? Je t'ai connu plus combatif que ça, provoque Raido.
— Je me disais simplement qu'un bâillon sur ta sale gueule n'aurait pas été de trop. Ça m'aurait évité de t'entendre geindre pendant des heures...
— Je ne geins pas. C'est toi qui te plains à longueur de journée : "cette mission me saoule", "j'veux rentrer à Konoha", "il fait trop froid ici"... fait-il en imitant la voix de son coéquipier.
— Si nos ravisseurs viennent nous rendre visite, rappelle-moi de leur demander de te faire taire.
Pourquoi les hautes instances de Konoha continuent-elles à les envoyer en mission ensemble ? Genma se le demande tous les jours. Ce n'est pas faute d'avoir demandé un bon millier de fois – au moins – de changer de coéquipier. Sauf qu'on le lui refuse, encore et toujours.
En même temps, il ne peut pas trop leur en vouloir, à ceux qui dirigent le village. Ils ont beau se haïr mutuellement, leur duo présente le meilleur pourcentage de réussite sur les missions à haut risque. Il faut croire que c'est commode de haïr son coéquipier. Au moins, on a aucun scrupule à le laisser risquer sa vie pour mener à bien une mission. On ne perd pas son temps à tenter de le protéger ou même de le raisonner.
— Tu ne leur rappelleras rien du tout, tu es en train de te vider de ton sang. Il faut qu'on trouve un moyen de sortir d'ici rapidement.
— Me vider de mon sang ?! s'écrit Genma.
Et merde. Il ne s'en était pas rendu compte. Haïr Raido lui prend du temps, de l'énergie et toute sa concentration. Maintenant que le balafré le lui a fait remarquer, il ressent un horrible tiraillement lui lacérant le côté droit. Un coup d'œil en direction du sol lui permet de constater l'immense flaque de sang qui se répand, bien trop rapidement d'ailleurs, sur le sol.
Il ne sait même pas de quand date sa blessure. Il essaye de réfléchir à leur précédent combat, mais ses pensées ne semblent pas vouloir s'attarder dans son cerveau.
C'est peut-être à cause de cette blessure qu'il s'est évanoui ?
— Tu vas sérieusement me dire que tu ne t'es même pas rendu compte que tu étais blessé ?
— Ferme-la.
C'est peut-être pour ça qu'il entend son cœur s'affoler ? Quoique. Ses battements effrénés semblent s'être calmés depuis qu'ils se disputent. Au moins, la présence du balafré aura servi à quelque chose.
Il soupire. Il a beau chercher une solution dans sa tête, rien ne lui vient. Et sans son senbon entre ses lèvres, il ne parvient pas à se concentrer. Dire qu'il ne peut même pas palper sa blessure pour constater l'étendue des dégâts...
Les minutes s'égrènent lentement. Aucun d'eux ne parle, pour le plus grand bonheur de Genma. Rien ne l'insupporte plus que d'entendre la voix posée de son coéquipier. Il n'a qu'une envie, fermer les yeux pour s'endormir. Cette mission l'aura épuisé bien plus que de raison.
— Si tu t'endors maintenant, tu ne te réveilleras pas Gen'.
Gen'. Ça fait longtemps qu'il ne l'a pas appelé comme ça. Depuis la mort de Minato et Kushina, s'il s'en souvient bien. C'étaient eux qui avaient pris l'habitude de le surnommer ainsi. Raido avait suivi, comme toujours.
— Gen'.
Il ne se taira donc jamais ?
— Qu'est-ce que ça peut te faire si je ne me réveille pas, hein ? grogne le jonin au senbon. Tu me détestes de toute façon.
— Tu penses sérieusement que je te hais ?
Qu'est-ce qu'il lui fait là ? Pense-t-il réellement qu'il a envie de gaspiller le peu de temps qu'il lui reste à parler de ça ?
— "Je vous hais, tes senbons et toi." C'est ce que tu m'as dit, il y a à peine cinq minutes.
— Ça fait plus de trois heures que je t'ai dit ça. Tu es en train de te laisser emporter.
Ce n'est ni un reproche, ni une accusation. Une simple constatation. Genma ne se bat pas pour rester en vie. Il est bien trop las pour ça.
— Et surtout, je ne t'ai jamais détesté.
Une étincelle de curiosité illumine le regard du plus jeune... À qui cet imbécile essaie-t-il de faire croire ça ? Il ne se prive pas de le lui demander.
— C'est pourtant la vérité. Je ne te déteste pas. Tu m'insupportes, tu me fatigues et tu me tapes sur les nerfs, ça, je ne le nie pas. Mais je ne t'ai jamais détesté. Tu es le meilleur coéquipier que j'aie pu avoir. Tu es quelqu'un d'honnête et de droit, en plus d'être un combattant d'exception.
Genma ne cache plus son étonnement. Raido qui lui fait des compliments. Décidément, il aura tout vu pendant cette mission. Quelle ironie que cela arrive au moment où sa vie s'écoule par une plaie béante.
— Et toi alors ? Pourquoi tu me hais autant ?
Il se fige. C'est vrai ça... Pourquoi utilise-t-il tant de son énergie pour haïr cet homme ?
Il ne lui fera pas l'affront de le nier. Il déteste cet homme bien plus que de raison. L'idée même de passer ses derniers instants avec lui le répugne.
Mais d'où lui vient toute cette haine ?
Ils s'entendaient bien avant, tous les deux. Quand Minato et Kushina étaient encore en vie, ils étaient inséparables. Toujours fourrés ensemble, à faire les quatre cents coups possibles. Ils s'amusaient à cette époque. La guerre venait tout juste d'arriver à son terme, mais une délicieuse quiétude planait sur le village. Les survivants étaient, certes, traumatisés par ce qu'ils avaient vécu sur le front, mais au moins, ils étaient vivants. Seule l'allégresse du moment comptait alors.
À cette époque, Minato avait obtenu le poste d'Hokage et les avaient nommés gardes du corps. Il les avait longuement entraînés. Rien n'avait été plus joyeux que les moments qu'ils avaient passés ensemble cette année-là. Les beuveries en tout genre, qu'ils tentaient de dissimuler à Kushina. Les entraînements jusqu'à la nuit tombée qui ravageaient les terrains. Et surtout, ces longs voyages qu'ils avaient entrepris pour garantir la paix, allant d'un pays à un autre pour ratifier les traités et assurer une vie paisible à tous.
Se remémorer tout ça le fait sourire.
Il se souvient des rires aussi ; ceux qu'il partageait avec Raido à chaque fois que Kushina s'en prenait à son mari. Le pauvre Minato avait beau être le plus grand ninja de Konoha, il ne valait rien devant sa femme. La furie aux cheveux roux n'avait pas son pareil pour mater les trois hommes en quelques minutes à peine.
Il se souvient de ce jour où Raido lui avait avoué être tombé éperdument amoureux d'une chunnin ! Genma en avait même parlé avec Minato, et, ensemble, ils avaient fomenté un plan pour les envoyés en mission ensemble.
Le fou rire qu'ils avaient eu lorsqu'il s'était rendu compte que ce n'était pas de cette femme-là dont Raido lui avait parlé... Ce dernier lui avait fait payer pendant des semaines sa stupide erreur.
Il y avait aussi ce jour où il était tombé à court de senbon en pleine mission. Raido lui avait sauvé la mise sans hésitation, risquant sa propre vie pour le sauver.
Un sourire lui échappe.
Ce n'est pas aujourd'hui que ça recommencerait. Il n'y a plus aucune trace de leur ancienne amitié à présent. Chaque parole qu'ils échangent n'est que provocation. Raido ne dresseraient pas le petit doigt pour lui sauver la vie.
C'est de là que ça lui vient, cette haine qui le ronge pour son ancien meilleur ami. Cette colère qui bouillonne en lui, toujours plus forte, toujours plus terrifiante.
Raido l'avait abandonné, simplement parce qu'on lui en avait donné l'ordre. Sans la moindre hésitation.
Celui sur qui il avait appris à compter. Celui qu'il avait appris à respecter pour son courage et sa force. Il lui avait tourné dos au pire moment, et sans même s'en rendre compte.
C'était pour ça qu'il le haïssait.
Pour ce jour où Minato et Kushina sont morts.
Pour sa lâcheté devant Kyûbi.
Il y repense à chaque fois qu'il le regarde.
Raido avait exécuté les ordres, sans même réfléchir, abandonnant le Hokage et sa femme sans le moindre regret. Cette idée le révulse.
Comment avait-il pu faire ça ? Lui n'avait pas hésité une seule seconde à se jeter dans ce combat perdu d'avance. Il l'avait affronté, ce démon à neuf queues qui réduisait en cendres leur village. Il s'était mis en danger, mais ça en valait le coup.
Enfin, c'était ce qu'il pensait jusque-là. Il doit se faire à l'évidence : personne n'avait été plus stupide que lui cette nuit-là. Qu'espérait-il faire avec ses senbons ? Écorcher le grand Kyûbi ? Il n'avait été qu'une brindille à côté de lui.
D'ailleurs, le démon-renard s'était fait un plaisir de le lui rappeler en l'envoyant valdinguer au loin. Son dos s'était brisé par la puissance du coup et son poumon gauche avait été perforé à l'atterrissage. Il avait cru mourir cette nuit-là ; jamais il n'avait eu aussi mal. Il ne devait son salut qu'à un médic-nin qui se trouvait non loin.
— Tu nous as abandonnés pendant l'attaque de Kyûbi.
Ses paroles ne sont qu'un murmure. Parler devient difficile.
— On avait reçu un ordre Gen'. La nouvelle génération n'avait rien à faire au combat.
— Nous étions ses gardes du corps.
— Tu penses réellement que Minato nous aurait laissé faire ? Même lui n'en est pas ressorti vivant ! S'il avait su que tu allais te montrer aussi stupide, il t'aurait attaché à un poteau comme celui-ci, s'emporte Raido.
Genma ne peut même pas le contredire. Il sait qu'il a parfaitement raison. Minato ne l'aurait en aucun cas laissé faire. Kushina non plus d'ailleurs.
Il se souvient aussi du moment où il s'est réveillé après le massacre. Ce sentiment d'angoisse qui l'avait envahi à l'instant même où il avait rouvert les yeux. Cette douleur fulgurante qui l'avait longtemps rendu fou. Et cette solitude qui lui avait rongé l'esprit.
Il lui avait fallu des semaines pour se remettre en forme et reprendre les missions. Et pendant tout ce temps, Raido n'avait pas montré le bout de son nez.
Il l'avait abandonné, encore une fois.
C'est pour ça qu'il lui en veut autant. C'est depuis ce jour précis, ce jour où il avait enfin revu celui qui était censé être son ami – son meilleur ami, même. Ce jour où il l'avait aperçu en train de rire avec d'autres, comme si rien de tout cela n'avait eu lieu.
Comme si rien de tout cela n'avait compté pour lui.
Ce constat amer lui fait toujours aussi mal aujourd'hui. Il n'a jamais compté pour Raido, il en est à présent persuadé, et rien ne le blesse autant que d'y penser.
Pourquoi a-t-il fallu qu'il s'attache autant à cet enfoiré ?
La réponse lui vient si soudainement... Elle s'impose à lui bien plus vite qu'une évidence.
Il s'était attaché à Raido parce qu'il avait été le seul à combler le vide qu'il avait ressenti après la guerre. Celui qui lui avait fait oublier le sang qui avait coulé trop de fois sur ses mains. Celui qui l'avait fait rire alors même qu'il avait tout perdu.
Ce vide qui le rongeait toujours autant aujourd'hui.
— Pourquoi tu souris comme un idiot ?! s'emporte Raido, incapable de suivre ses changements d'humeurs.
Idiot. Pour une fois, il est bien d'accord avec lui. Si seulement il avait été un peu moins borné. Si seulement il lui avait dit à quel point il avait besoin de lui. À quel point sa simple présence comptait à ses yeux.
Si seulement il lui avait avoué avant qu'il ne soit trop tard.
Au lieu de ça, il a préféré le lui faire payer, comme il continue de lui faire payer aujourd'hui encore. À coup de haine et de reproches. À espérer que ses mots le blessent autant que lui-même avait été blessé. À espérer un peu de haine au lieu de l'indifférence.
C'est pour ça qu'il est devenu aussi méprisant. Aussi détestable.
Il préfère ce semblant de relation au vide terrifiant créé par l'éloignement de son meilleur ami.
Qu'attend-il pour lui avouer ?
Il ne le sait pas lui-même. Trop de fierté peut-être. Trop d'orgueil aussi. C'est ce qu'on dit toujours de lui après tout. Il est ce ninja orgueilleux et fier, on le lui avait laissé ce droit. Il fait partie des meilleurs après tout. De ceux qui ne reculent jamais devant rien et qui reviennent toujours victorieux.
Conneries. Il n'est rien de tout ça. Il ne serait pas en train de crever dans une cave sinon. À se vider de son sang bien trop vite pour qu'il puisse y survivre.
Il sait pourquoi il ne lui avoue pas. Il est trop lâche. Bien trop lâche. Incapable de lui dire à quel point il compte encore à ses yeux. À quel point il a encore besoin de lui. Incapable d'assumer sa faiblesse.
Les ninjas n'ont besoin de personne, ils se suffisent à eux-mêmes. Mais lui n'y arrive pas. N'y arrive plus. Chaque jour est devenu un calvaire. À l'aube comme au crépuscule, il se rend compte qu'il est usé par tout ça.
À trop haïr les autres, on finit par se haïr soi-même.
À trop se haïr soi-même, on finit par blesser ceux que l'on aime.
Quelle ironie.
Celui qui l'a autrefois sauvé de la dépression n'en est devenu que son artisan. Un réceptacle de sa haine.
Un témoin de sa mort.
— Gen' !
Il lève avec difficulté son regard vers le balafré. Dire qu'il est en partie responsable de cette cicatrice...
— Reste avec moi, supplie Raido. Je vais trouver un moyen de nous sortir de là !
Il voudrait bien lui sourire. Au moins une dernière fois. Lui dire à quel point il est désolé. Qu'il a été stupide et qu'il ne l'a jamais vraiment haï. Il voudrait lui dire à quel point il a compté dans sa vie et à quel point sa présence lui a été essentielle.
Mais il n'y arrive pas.
Il sent le goût métallique du sang lui emplir la bouche, la mort venir le chercher lentement.
Une mort bien plus douce que ne l'a jamais été sa vie.
La corde qui retient son corps contre le poteau cède. Il sait qu'il va s'écraser lourdement sur le sol, au milieu de cette mare de sang qui lui appartient. Pourtant, rien ne vient. Des bras fermes le retiennent. Il sent une douce chaleur l'envahir.
Le chakra de Raido. Il le reconnaîtrait entre mille. C'est son ami après tout.
Il ne comprend même pas comment cet idiot a réussi à défaire ses liens. Tout ce qui compte pour lui, c'est qu'il soit là. Il ne l'a pas abandonné cette fois-ci. Il est resté jusqu'au bout. Ce constat illumine son cœur.
— Je t'interdis de mourir comme ça Gen' ! Je te l'interdis, c'est compris ?
Une dernière larme coule sur la joue du ninja au senbon.
Un sourire qu'il aurait aimé lui offrir avant.
Trop tard.
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Pour ceux qui veulent ma peau, c'est la première porte à gauche \o/
Bon, soyons sincères, moi aussi j'suis en PLS devant cette fin. C'est une torture de faire clamser Genma de cette façon. Mais j'arrivais pas à imaginer une autre fin que celle-ci...
Voici donc mon OS pour le concours de SweetySamaa et Emweirdoy sur le thème "introspection".
L'inspiration a été longue à me venir sur celui-ci. J'arrivais pas à trouver de thème pour l'introspection, la question qui allait tout déclencher. À chaque fois ça partait sur un truc cliché du style "Doit-il déclarer ses sentiments à Raido" etc.
Le truc un peu relou en gros.
Puis finalement, en prenant le problème à l'envers, c'est devenu cette "déclaration de haine".
Du coup, j'espère que ça vous plaira quand même o/
J'en profite pour remercier -PierreDeLune- pour son aide, ses conseils, ses corrections et son soutien. (J'ai l'impression que je passe mon temps à te remercier à la fin de mes chapitres, Gamine >.>)
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