Chapitre 5


- Il se pourrait que dans quelques années, nous regrettions ce choix, sire. 

Le prince ne bougea pas de sa chaise. 

Son conseiller tentait de le faire approuver ses idées. Encore une fois.  

 Cela devait faire plus d'un an que le père du prince, le roi, fut décédé par la grippe, laissant son fils devant le trône. Seul. Enfin, pas tout à fait seul. Le conseiller Fryr s'était proposé pour accompagner le prince jusqu'à ses 20 ans. L'accompagner ou bien l'influence. 

Il déclara fermement :

- Il n'y aura aucun service militaire tant que nous ne sommes pas en guerre. Ce qui n'est pas le cas.

 Le conseiller Fryr ne broncha pas. Il avait l'habitude, désormais. Il continuait à tourner autour de la longue table rectangulaire, listant ses arguments, semblants interminables aux yeux du prince :

- Que ferons-nous lorsqu'Ilbirith voudra nous envahir ? Lorsque l'envahisseur se pointera devant nos portes ?

 Le prince soupira et défendit son idée en tentant de masquer son impatience à son égard :

- Cela fait longtemps que les Royaumes n'ont pas eu de querelles. Et dans le cas où ceci arriverait, nous avons une armée.

 - Une armée qu'il faut renouveler. Sera-t-elle valable dans dix ans ? L'Armée reçoit de moins en moins de nouveaux élèves.

 Le visage du prince resta de marbre avant de décréter fermement :

- Et bien demandez-vous alors pourquoi.

 Avant que son interlocuteur n'intervienne, le jeune prince se leva et conclut :

- J'en ai assez discuté. Veuillez excuser mon retrait. 

Le prince sortit de la pièce, ses pas résonnants dans le marbre froid. Il luttait contre les propositions de Fryr, mais il voyait parfaitement que la situation lui échappait. Tôt ou tard, il lui faudrait trouver une solution. L'influence du Conseiller commençait à bien se faire sentir, et le prince craignait de le voir prendre plus de pouvoir afin de parvenir à ses fins.

 Le prince prenait inconsciemment la direction de sa chambre, du moins une de ses chambres, où il s'entretenait régulièrement avec son ami, Jeck. Eux seuls avaient accès à cette salle, ce qui les arrangeait grandement. Bien que le statut de prince était bien rempli de responsabilités, au fil du temps, le jeune homme avait appris à apprécier ce rôle. 

Il franchit alors la porte de cette salle. Et découvrit ce qui s'y tenait. Jeck. Son ami d'enfance, sa présence était tout aussi naturelle que la sienne. Mais une jeune fille se tenait également à ses côtés. Il n'eut pas le temps de s'étonner que la voix de son ami fît:

-Erya, je te présente le prince Cryss. Cryss, voici la fille de la duchesse qui est arrivée...Plus tôt que prévu.

 Le prince Cryss peina à cacher son étonnement. La fille semblait être beaucoup plus jeune qu'il ne l'avait imaginé, mais surtout, son arrivée était, comme son ami l'avait souligné, très en avance. Il se reprit, et déclara :

– Je suis très honoré de vous recevoir. Malheureusement, les circonstances devront vous inciter à vous montrer discrète.

 – Je comprends, et vous remercie de cette hospitalité. 

Le prince lui sourit, puis posa une question :

– Lui avez-vous montré sa chambre ?

Comprenant où son ami avait voulu venir, Jeck fit :

– Bien sûr, et si vous le permettez, elle doit être épuisée de son voyage, ainsi, je pense qu'elle serait ravie de regagner ses appartements. 

Cryss avait, depuis sa rencontre avec Jeck, toujours admiré son aisance à l'oral, ainsi que son audace cachée. Le prince rentra alors dans son jeu :

– Bien évidemment. Demoiselle, retrouverez-vous votre chemin ?

 Il sembla à Cryss d'apercevoir une lueur amusée dans les yeux d'Erya, qui répondit :

– Il me semble que oui. J'espère fortement, que ce soir, après m'être agréablement reposée, pouvoir vous revoir dans cette salle afin de combler mon absence. Nous parlerons de tout ce qui nous est préférable de repousser dans l'immédiat. 

Elle esquissa rapidement une rapide révérence, avant de s'enfuir élégamment par la porte, se refermant comme par magie derrière elle. Cryss entendit Jeck plaisanter:

– Eh bien, Cryss, il me semble qu'elle est l'une des rares personnes sensées dans ce château, à ne pas se laisser berner par notre audace. Je dirais même la seule, si on exclut Fryr. 

Le prince s'affala sur le premier fauteuil qui se présenta, et souffla :

- En parlant de lui, il maintient son idée d'installer un service militaire. 

Le visage de Jeck se rembrunit, puis marmonna au bout d'un certain temps :

- Il va y parvenir, n'est ce pas ? 

Cryss se racla la gorge, et admit à contre-cœur :

- Oui. Il n'a qu'à se faire convaincre par le conseil. Cela prendra plus de temps, mais il y parviendra. 

Ils restèrent muets et dans leurs pensées jusqu'à ce que Cryss n'aborde un autre sujet :

– Et cette...Erya?

- Oui ?

– Je...euh...j'aimerais te demander un service. 

Avec l'étrange impression que le sourire de Jeck savait où il voulait en venir, Cryss continua :

– Il vaut mieux que...Fryr ne tombe pas sur elle. Tu voudrais bien...euh...

– La "surveiller"? Vos envies sont des ordres, sire, plaisanta Jeck, souriant.

 Le prince sourit, et souffla :

- Merci. 

Avant que Cryss ne parte sur un autre sujet, Jeck rajouta:

- Rapproche-toi un peu d'elle aussi, on sait jamais. 

Le prince fronça les sourcils :

- "On ne sait jamais"?

– Je ne doute pas - et toi non plus - qu'ayant pris plus en confiance, ses mots seront des armes. Attends un peu ce soir, tu verras bien quand elle te parlera.

 Cryss eut de la peine à ne pas sourire :

- Au ton de ta voix, on dirait que tu parles d'une excellente nouvelle. 

Jeck regarda son ami avec une intensité dont seule sa personne avait le secret :

-Fryr. 

La lueur dans les yeux de Cryss changea, et souffla :

-Fryr.

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