onzième acte : Kook-ah, dessine un lapin pour moi
Ses mèches noires retombaient sur ses petits yeux bruns. À sept ans, Jungkook était plus grand que les autres enfants de son âge, plus mature. De nature plutôt réservé, il se contentait de bien travailler à l'école pour ramener de bonnes notes à sa mère, observant le monde silencieusement. Ses camarades de classe le disaient étrange, solitaire, pas comme eux. Si seulement savaient-il ce qui se passait dans l'esprit de l'enfant. Car dans ses yeux, sa souffrance était visible. Quand il rentrait chez lui, ce n'était pas des bras réconfortants d'une mère qui l'accueillaient, mais les pleurs de cette dernières, les supplications, les cris de douleurs. Ce qui l'attendait quand il passait la porte de son habitat c'était un père au visage tiraillé par la rage, témoin de l'alcool courant dans son sang, c'était une maison aux volets fermés, l'obscurité de sa chambre, la terreur des cauchemars. Jamais son père n'avait levé la main sur lui. Certes, il l'avait menacé verbalement, lui hurlant que s'il n'allait pas dans sa chambre, il s'en prendrait à lui. Alors, épuisée, le visage rongé par les larmes, le sang coulant de ses plaies, elle hochait la tête pour l'inciter à fuir à l'étage, pour qu'il aille se réfugier sous ses grosses couvertures, loin de la réalité.
Jungkook s'est découvert une passion pour les lapins vers l'âge de six ans. Lors d'une balade en forêt avec sa classe, un petit lapin s'était présenté à lui. Il l'avait trouvé marrant avec ses grandes oreilles, ses petites moustaches et sa truffe qui frétillait pour sentir l'air. Alors, pour son anniversaire, sa génitrice le lui en avait acheté un, bien que son père n'était pas d'accord. Chaque jour, il le prenait dans ses bras, lui donnait quelques friandises. Il l'adorait, il pouvait l'observer toute la journée sans s'en lasser. Jungkook adorait dessiner des dessins à sa mère. Elle le remerciait toujours avec un doux sourire et lui caressait les cheveux d'un geste tendre. Mais elle n'était pas heureuse. Et du haut de ses huit ans, Jungkook le savait. Il ne l'était pas non plus. La joie et l'insouciance de l'enfance l'avaient quitté depuis bien longtemps. Un jour, lorsqu'il rentra chez lui, son cartable sur le dos, il trouva son père, assit sur le canapé du salon, une bouteille de bière à la main. Sa mère, occupée à préparer le repas dans la cuisine, se retourna vers lui, le regard triste. Immédiatement, Jungkook courut à l'étage et se précipita dans sa chambre. La grille de la cage de son lapin était ouverte, et, dans le foin et la paille, l'animal, allongé. Il ne respirait plus, non. Il demeurait juste là, les yeux grands ouverts, la tête tournée d'une affreuse manière. Jungkook s'agenouilla au niveau de la cage, puis d'un geste hésitant, il approcha la main du lapin, avant de laisser son bras retomber sur ses jambes repliées. Les lèvres pincées en une ligne droite, il quitta sa chambre, retourna dans la cuisine sous le regard inquiet de sa mère, attrapa un sac en plastique, puis retourna dans sa chambre. Ses yeux devenus complètement noirs, il attrapa le bac de la cage, puis sans un regard de plus, renversa son contenu dans le sac avant de le fermer et d'aller le mettre dans une des poubelles se trouvant sur le trottoir devant sa maison. À partir de ce jour là, Jungkook changea radicalement de comportement, passant du petit enfant réservé au garçon complètement coupé du monde, au regard noir et froid. Il n'avait que huit ans, et pourtant, même les adultes n'osaient pas le regarder dans les yeux.
Et, quelques semaines plus tard, le petit Jungkook était toujours là, allongé sur son lit, un livre parlant des animaux dans les mains. La douce voix de sa mère retentit au rez-de-chaussée, alors il délaissa sa lecture pour la rejoindre dans la cuisine. Il lui sourit, puis continua de découper les légumes. Son père n'était pas là, il était partit se saouler dans le bar du coin, tant mieux pour lui et sa mère.
« Tu veux bien me dessiner un lapin, mon chéri ?
- Mais mamaaaan ! Je t'en dessine tout le temps, tu dois en avoir une dizaine sur le mur de ta chambre », se plaignit-il en étirant ses lèvres en une moue de mécontentement.
Si Jungkook était un vrai mur en face des autres, avec sa mère, il était toujours le petit enfant qui aimait Iron Man.
« S'il-te-plaît, Kook-ah. »
Le ton de sa mère était insistant, sa voix tremblait légèrement. Jungkook ne comprit pas pourquoi, mais il préféra ne pas demander. Après tout, il n'avait que huit ans, les problèmes de grands, ça ne le regardait pas. Alors il trottina jusqu'au salon, attrapa une feuille, des crayons de couleur, puis s'installa sur la table basse, confortablement installé sur le tapis de la pièce. Concentré sur son dessin, la langue pincée entre ses lèvres, il ne fit pas attention aux sanglots étouffés que sa mère essayait tant bien que mal de dissimuler derrière sa main, appuyée contre l'un des comptoir de la cuisine. Il entendit bel et bien un bruit sourd, comme quelque chose qui tombait au sol, mais ne se détourna pas de son œuvre pour autant. Une fois qu'il eut terminé, satisfait de son travail, il sourit puis courut jusqu'à la cuisine.
« Voilà, maman ! Ton lap... »
Sa phrase resta en suspend, tandis que son bras, levé vers le ciel, brandissant son beau dessin avec fierté, retombait le long de son corps. Il pencha doucement la tête sur le côté, respirant doucement. Doucement, il s'approcha de sa mère, puis observa attentivement son corps. Le teint livide, de fraîches larmes roulant sur ses joues, elle était là, étendue sur le sol, son bras gauche recouvert de sang. Le sang formait une flaque autour d'elle et dans sa main droite se trouvait le couteau qu'elle tenait auparavant pour préparer le dîner. Il s'accroupit, sans lâcher son dessin, et posa doucement sa petite main sur la joue de la jeune femme, essuyant ses larmes dans un geste lent. Puis il passa ses doigts dans la poche de sa veste et attrapa son portable avant de taper quelques numéros sur l'écran tactile.
« 911, quelle est votre urgence ?
- Mon père a tué ma mère. »
C'était faux, évidement. Mais Jungkook, bien que très jeune, savait ce qu'il faisait. Si sa mère s'était tranchée les veines, c'était parce que son père lui faisait vivre un enfer, il était donc hors de question qu'il s'en sorte sans aucun problème. Il n'allait certainement pas le laisser jouer le mari triste à cause de la mort de sa femme. Il n'avait aucun moyen de dénoncer la violence de son géniteur, c'était sa seule chance. Il savait que les empruntes de son père n'étaient pas sur le couteau, mais lorsqu'il lanceront l'autopsie sur le corps de sa mère, ils verront tous ces ecchymoses, ces brûlures, ces plaies infectées. Et alors, ils comprendront.
Lorsque les pompiers arrivèrent au domicile des Jeon, ils retrouvèrent bel et bien le corps de la femme, mais aussi le petit Jungkook, assit à ses côtés, les genoux repliés contre son torse, son dessin serré dans ses mains, le regard vide. Un désir de vengeance grimpa en lui tel la lave d'un volcan en irruption. Au fond de lui, il savait. Son père méritait plus qu'une simple vie derrière les barreaux.
Les années suivantes avaient été plutôt dures pour Jungkook. Suite à la mort de sa mère, il avait été envoyé en orphelinat et son père avait été enfermé en prison pour seulement huit ans. Au fur et à mesure des années, son comportement changea sous les yeux effarés des autres orphelins. À son arrivée, il était plutôt accueillant, quoiqu'un peu froid et distant, mais plus le temps passait, plus il devenait méchant, méprisant et arrogant. Parfois, le sol de sa chambre était couvert de feuilles où étaient dessinés des lapins. Plusieurs fois il s'en était prit aux autres enfants et adolescents de l'orphelinat, que ce soit verbalement ou physiquement. Jungkook avait dix-huit ans lorsqu'il apprit que son père était sortit de prison. Il ne fut pas été triste en apprenant la nouvelle, non. Un sourire se forma sur son visage, un sourire sinistre, qu cachait bien des choses. Puis quelques semaines plus tard, le voilà devant le corps sans vie de son géniteur, un couteau planté dans le cœur. Après s'être renseigné, Jungkook avait pu retrouver la trace de son père. Il avait enfin tué la raison de sa colère, il avait éradiquer la source de son mal-être, alors pourquoi se sentait-il toujours aussi mal ? Il sentait en lui brûler cette flamme, ce désir de vengeance, cette envie de cogner quelqu'un jusqu'à ce que la mort n'attrape cette personne.
Ce ne fut pas difficile pour lui de jouer les martyres lorsque les policiers arrivèrent au domicile et trouvèrent le corps mort de l'homme. Des cris de douleur, des larmes de crocodiles, des yeux de biches et tout était joué. Les policiers pensèrent alors qu'il avait sûrement voulu retirer le couteau du corps de son père mais n'avait pas réussi par manque de force – il était vrai que le couteau était plutôt bien enfoncé, mais s'ils avaient été un temps soit peu intelligents, ils auraient remarquer que Jungkook était plutôt musclé. Et puis, qui soupçonnerait un garçon de seize ans ayant vu sa mère se suicider devant ses yeux ? Le pauvre petit devait être bien trop affecté par ce moment de sa vie pour oser tuer quelqu'un. Et d'un côté, ils avaient raison. Ce n'était pas lui qui faisait tout ça. C'étaient les voix dans sa tête.
230319,
gukxie
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